Le pouvoir d’écouter et le pouvoir de parler

« Écoute seulement la voix qui n'a pas de son. »

I – Qu'est-ce qu'écouter ?

Dans de nombreux passages, et de manières multiples, l'importance de la purification et du contrôle de la parole a été soulignée dans notre philosophie théosophique. L'aspirant à la Sagesse n'en perçoit pas si clairement la véritable raison occulte, bien qu'elle ait été également évoquée avec insistance en maints endroits.

Le nom même de la Déité est représenté par le symbole du Verbe. Le Logos Créateur est la plus haute appellation de l'Homme et la bouche humaine est désignée comme l'Organe du Logos Créateur. Dans l'Homme — le Microcosme — cet Organe est directement dérivé du véhicule primordial qu'emploie le Logos Créateur pour émaner par le Son les principes Macrocosmiques. La voix dans le son spirituel est la Voix du Très-Haut.

La voix atteint une position particulière dans le règne humain où elle acquiert des mots qui lui servent de véhicule. Les mots constituent une caractéristique particulière de l'expression vocale qui marque la différence entre le règne humain et les autres règnes. La naissance du langage parlé, c'est-à-dire, du langage humain, a lieu simultanément avec la naissance de Manas, le Penseur, qui est l'âme humaine. « Le langage est certainement contemporain de la raison et n'aurait jamais pu se développer avant que les hommes ne fussent devenus unis avec les principes qui les pénétraient — les principes mêmes qui fructifièrent et éveillèrent à la vie l'élément manasique [mental] endormi dans l'homme primitif » (The Secret Doctrine, Vol. Il, p. 199). C'est pourquoi la parole est appelée le logos de la pensée : c'est par la parole que la pensée est capable de se manifester ; privez l'homme de son pouvoir de penser et l'usage de la parole cesse.

Or, exactement comme l'existence de Manas, le Penseur produit le phénomène du manas double, le supérieur et l'inférieur, de même aussi avons-nous le phénomène de la parole double — inférieure et supérieure. La plupart des gens sont centrés sur le mental inférieur et la parole inférieure. C'est la tâche de la Théosophie d'attirer l'attention sur l'existence en eux-mêmes du mental supérieur et de la parole supérieure.

Notre étude a deux aspects : nous devons considérer le langage de qualité inférieure, qui n'est pas nécessairement et uniquement obscène, mensonger ou agressif, puis le langage de qualité supérieure, qu'il ne faudrait pas confondre avec un parler poli, ou même un conseil amical mais mondain. Il y a une différence plus marquée entre le langage supérieur et le langage inférieur qu'il n'y en a entre, disons, un commérage cruel et un bavardage sans malice.

Il y a un rapport intime entre le silence de la Nature et sa note tonique que les Chinois appellent Kung, le Grand Ton. De manière similaire, il y a une harmonie mathématique qui subsiste entre l'idéation de Manas et le langage de qualité supérieure. Le même phénomène a lieu sur le plan de la réflexion ; entre le Mental-Désir et le langage de nature inférieure, il y a une parenté certaine.

Les dangers à parler de soi

La toute première pratique dans la Vie Supérieure consiste dans le contrôle de la parole, sans lequel on ne peut devenir un « Apprenti qui écoute », un akoustikos, un Shravaka. On ne peut pas écouter et parler en même temps. Le pouvoir d'écouter doit se cultiver ; les coutumes modernes de la vie — dans le milieu social, politique et même dans celui des affaires — n'incitent pas à ce développement. On considère comme une attitude fâcheuse le fait d'occuper une fonction sociale sans faire de bruit et on attend de quelqu'un qu'il « ait de la conversation » ; les politiciens doivent avoir une vivacité dans la réplique leur permettant de réduire promptement au silence l'orateur adverse, et ainsi de suite, sur chaque plan de la vie moderne.

L'étudiant théosophe ne s'adonne pas au langage obscène : mais, souvent il se laisse aller au bavardage vide de sens et même aux conversations brillantes, car il ne se rend pas compte qu'une telle habitude ternit sa conscience et affecte les mouvements des courants praniques (vitaux). Il existe un autre danger : le bavardage inutile qui se détériore bientôt pour devenir du commérage ; une conversation anodine à propos de personnes et de personnalités dégénère vite en critique acerbe, en dénonciation hostile, en odieuse calomnie. W.Q. Judge offre, en cette matière, quelques suggestions très utiles et pratiques. (Voir la revue The Theosophical Movament, mars 1932, p. 37).

Toutefois, ceux qui se tiennent sur leur garde pour éviter la critique et la dénonciation d'autrui tombent facilement dans le travers de parler d'eux-mêmes. Un étudiant aime parler de son savoir et de l'étendue de ses connaissances, parler de lui personnellement ; l'habitude de « se mettre en avant » qui « provient de la personnalité » n'est pas facile à maîtriser et il existe une ligne de développement qui donne naissance à des Barons Münchausen de l'Occultisme !

Apprendre à écouter

Devenir un étudiant capable d'écouter — c'est là le premier pas. Mais que doit-il écouter ? La Voix de la Sagesse et, pour dire les choses dans les grandes lignes, l'exercice doit se faire en trois étapes.

l) Apprendre à écouter les enseignements de la Théosophie, tels qu'ils sont enregistrés dans le Message. Pour rendre tous les hommes et toutes les femmes capables de le faire, des causeries publiques sur les principes et les bases de la Théosophie sont organisés par la Loge Unie des Théosophes. Toutefois, il y a lieu d'inclure dans ce travail toute notre propagande, publique. Tandis que les conférences obligent, pour ainsi dire, l'auditoire à écouter, les autres réunions offrent une occasion à l'étudiant sérieux de devenir volontairement un Aspirant qui écoute. En outre — ce qui est dans un sens le plus important — la lecture et l'étude individuelles donnent aussi d'excellentes occasions d'écouter la Voix de la Sagesse.

2) Apprendre à écouter l'Ego Intérieur, le Dieu qui est en nous. De là émergent les expériences gagnées dans de nombreuses vies antérieures, ainsi que la Sagesse inscrite en lettres de feu dans la conscience humaine par les Pères de la Race, aux temps où l'homme sans mental acquit la Lumière de Manas.

3) Apprendre à écouter les Grands Gurus, les Frères Aînés — les Héritiers et Représentants modernes des Anciens Pères, qui soutiennent l'institution du noviciat pour les chélas, ou disciples, même dans le Kali-Yuga.

La Voix qui illumine et bénit nécessite l'amicale réceptivité d'oreilles attentives. Les oreilles qui écoutent ont un ennemi dans la langue qui jacasse.

Cette double relation a été expliquée assez longuement dans La Lumière sur le Sentier. Au cours de notre étude, nous séparons les processus consistant à écouter et à parler, mais on devrait avoir présent à l'esprit qu'il ne s'agit pas de deux processus distincts et séparés, mais d'un processus double. À mesure que nous apprenons à écouter nous apprenons aussi à parler, et à mesure que notre Voix spiritualisée s'étend dans l'Akasa [la substance primordiale], la capacité d'entendre la Voix du Silence s'accroît.

La discipline de l’oreille

Les bruits et les sons du monde exercent une fascination sur bien des hommes et des femmes qui, ainsi, n'entendent pas la « confusion du monde » mais apprécient et goûtent avec délices le « bourdonnement argentin de la luciole d'or » dans les clubs, sur les champs de course, dans les soirées de réception et autres choses semblables ; de tels êtres ne viennent pas à la Théosophie, parce que la toute première condition requise de l'aspirant à la Vie Supérieure est de « regarder au-dedans » — ce qui implique l'examen de soi et la condamnation de ses propres erreurs. Mais notre livre [La Lumière sur le Sentier] dit « Celui qui choisit le mal refuse de regarder en lui-même et ferme ses oreilles à la mélodie de son cœur ». Laissons de tels êtres à ce que l'avenir leur réserve en fait de souffrance, de purgation et de reconnaissance finale de cette vérité que la voix du monde est la voix de la confusion et du mal, ce sont des Théosophes des cycles futurs. Mais en les laissant ainsi à leur sort, nos frères et nos sœurs, ne nous enorgueillissons pas du stade auquel nous arrivons, de la position que nous nous efforçons d'atteindre. La tâche que nous nous sommes imposée est la plus difficile qu'aucun être humain puisse entreprendre. Il y a des périls qui pourraient nous entraîner vers des abîmes plus profonds que ceux qu'eux-mêmes risquent de toucher.

 « Avant que l'oreille puisse entendre, elle doit avoir perdu sa sensibilité ». Cette règle précède celle qui concerne la parole : « Avant que la voix puisse parler en la présence des Maîtres, elle doit avoir perdu le pouvoir de blesser ». La perte de la sensibilité terrestre de l'ouïe rend le néophyte capable d'acquérir la sensibilité spirituelle de « l'oreille intérieure ». C'est alors seulement que la langue peut être maîtrisée à l'aide de ce qui est entendu, et que la voix spirituelle peut s'élever. Mais les deux processus sont simultanés — comme le fait de penser et de parler, bien que la pensée précède ou devrait précéder les paroles.

La première étape

Ordinairement les gens qui cherchent à s'informer et les questionneurs pressés ne saisissent pas vraiment ce qui a été dit en réponse à leurs questions ; les étudiants inattentifs n'arrivent pas à comprendre le sens du passage qu'ils sont en train de lire ; les uns et les autres échouent dans leurs démarches parce qu'ils prêtent l'oreille au bourdonnement de leur propre conversation personnelle et inférieure. Non seulement la Voix de la Sagesse est troublée par les bruits extérieurs mais elle se trouve noyée dans le tumulte des cris intérieurs et des réflexions égocentriques. « Être capable d'entendre, c'est avoir ouvert les portes de l'âme ». « Les oreilles sont les ouvertures ou les portes (de l'âme). Par elles, vient la connaissance de la confusion du monde ». Qu'en résulte-t-il pour l'homme ? « (Les courants changeants de la pensée) pénètrent par les portes de son âme, la balayent de leurs flots, l'aveuglent et la paralysent, et la dépouillent de toute intelligence permanente ».

Ainsi le premier pas dans la discipline de l'oreille consiste à apprendre à écouter les Enseignements de la Théosophie, à apprendre à interdire aux courants changeants de la pensée liée aux choses du monde de submerger notre conscience et de nous dépouiller de l'intelligence permanente ou immortelle.

La seconde étape

L'étude correcte mène tout naturellement l'étudiant sérieux à l'examen de lui-même. La soi-connaissance en résulte, c'est-à-dire la connaissance des côtés faibles et fragiles, des vanités et préjugés de son propre soi inférieur qui est l'origine des bruits du monde et l'aspect de l'homme qui a apporté sa contribution personnelle au vacarme, au tohu-bohu et à la confusion du monde. Par ailleurs, l'aspect qui discerne les exactions de ce soi inférieur est l'Ego Intérieur. Du fait qu'en lisant ou en écoutant, l'attention de l'étudiant est attirée sur l'évidence de sa double nature, il en vient facilement, et tout naturellement, à accepter l'enseignement ; et le voici qui prend sa connaissance de seconde main pour une expérience de première main. Tous les étudiants parlent de leur nature inférieure démoniaque et de leur nature supérieure divine, mais seul un petit nombre expérimente cette dualité, en entendant la voix de l'ego intérieur. Combien font vraiment l'expérience du vacarme et du tintamarre du monde extérieur, où la voix intérieure se trouve noyée ? Si l'inharmonie et la discordance de l'extérieur ne nous dérangent pas, que dis-je, ne nous rendent pas malades, nous ne recherchons pas l'harmonie et la résonance de l'intérieur. Notre texte précise : « Utilise la faculté d'entendre que tu as acquise par la douleur et la destruction de la douleur » et dans ces mots, nous avons la preuve qu'accepter le fait de l'existence de l'inférieur en nous n'est pas la même chose qu'expérimenter son pouvoir et sa ténacité. L'expérience réelle du fait que le divin supérieur s'étend au-dessus de nous, mais que nous sommes cernés, que dis-je, percés de part en part par le démoniaque, est une sorte d'initiation mineure qui révèle la profondeur des trois aphorismes suivants de La Lumière sur le Sentier :

Entendre la Voix du Silence, c'est comprendre que de l'intérieur, peut venir la seule direction véritable.

Lorsque l'oreille ne discernera plus entre ce qui est agréable et ce qui est pénible, elle ne sera plus affectée par la voix d'autrui.

En forçant l'oreille à n'écouter que le silence éternel, l'être que nous appelons homme devient plus qu'un homme.

Bien que ces instructions se rapportent particulièrement au résultat qui est atteint lorsqu'on a pleinement mis en pratique la seconde des quatre règles non numérotées, chaque aspirant perçoit, même vaguement, ce qu'elles impliquent, à quoi elles conduisent. Ceci est surtout vrai d'un autre verset :

Dans cet endroit intérieur (de paix), jaillit la flamme lumineuse de la connaissance réelle. C'est alors que les oreilles commencent à entendre.

Comment un aspirant saura-t-il, jusqu'à quel point ses oreilles ont perdu leur sensibilité ? Le test infaillible est la Sagesse qui surgit à l'intérieur de sa propre conscience, — en lui donnant l'indubitable conviction que l'Esprit dans le corps est à la fois le conseiller, le guide et l'instructeur. C'est de ce stade — où le néophyte apprend à écouter le « Parleur Silencieux » — que parle, avec maints détails, le premier des fragments choisis du « Livre des Préceptes d'Or ».

Il est bon de noter qu'avant que les oreilles puissent écouter la Voix des Maîtres, elles doivent apprendre à s'accorder avec la Voix du « grand Maître », « ton Dieu intérieur ». Nombreux sont ceux qui, dans le Mouvement Théosophique, veulent courir avant de pouvoir marcher ; c'est ainsi qu'ils désirent contacter et connaître les Maîtres avant d'essayer de connaître leur propre Ego intérieur et qu'ils restent dans une bienheureuse ignorance du fait que si l'on ne réalise pas l'union avec son Soi aucune réelle rencontre avec les Maîtres n'est possible. Notre texte dit :

« La voix des Maîtres résonne toujours dans le monde ; mais seuls l'entendent ceux dont les oreilles sont devenues sourdes aux sons affectant la vie personnelle. Le rire n'allège plus le cœur, la colère ne l'embrase plus, les mots tendres ne l'apaisent plus. Car, cela qui est à l'intérieur, pour qui les oreilles sont comme une échappée vers l'extérieur, est en lui-même un endroit inébranlable de paix que nul ne peut troubler. »

C'est là le but idéal. Il implique que le néophyte atteigne le lieu de paix à l'intérieur de lui-même. Lentement et dans les débuts, très graduellement, l'aspirant-chéla [aspirant-disciple] doit chercher son propre Ego intérieur et, en réduisant au silence les sens, les sentiments et les désirs, les cogitations, les raisonnements et les images, arriver à « l'absence de tout » et au « vide », et attendre dans une patiente expectative d'entendre la « voix qui parle là où il n'y a personne pour parler ». De nombreux jours peuvent s'écouler, et probablement s'écouleront, sans que les oreilles perçoivent une seule note, un seul son. Il en résulte souvent le désespoir ou même un état de lassitude harassée, mais la persévérance doit obligatoirement gagner la victoire. « Un calme... descendra sur l'esprit harassé. Et dans le silence profond, se produira l'événement mystérieux qui prouvera que la voie a été trouvée ». La joie qui en découle et la satisfaction qui est ressentie défont le travail accompli si l'aspirant se repose sur ses lauriers ; sans aucune interruption, l'exercice journalier de communion entre l'âme et l'Âme doit se poursuivre. Alors, dans le cours du temps, « émanant, du silence qui est la paix, une voix vibrante s'élèvera. Et cette voix dira : ce n'est pas suffisant, tu as moissonné, maintenant, tu dois semer ». Alors, l'heure d'enseigner sera venue. Un danger provenant du plan psychique menace ici le néophyte. Il peut prendre cette voix issue du « silence lui-même » pour quelque chose qu'elle n'est pas. Ceux qui connaissent la Voie insistent sur le fait que le nouvel aspirant qui cherche à écouter doit reconnaître la voix comme celle de son propre Soi Intérieur, et vérifier la vérité de ce qu'il entend par la connaissance transmise par les Êtres Illustres qui l'ont précédé sur le sentier conduisant au but final de la victoire.

Et il est dit : « Si ton cri arrive jusqu'à son oreille attentive, il luttera en toi et remplira le vide intérieur douloureux ». Chercher à trouver et à utiliser le Guerrier marque un stade très important. L'Âme est poète et peintre, sainte et sage, mais avant qu'elle puisse créer, son aspect de « héros » doit devenir actif. Notre premier contact avec l'Ego Intérieur implique qu'un guerrier soit capable de rencontrer un Guerrier, tel un soldat favorisé par la fortune, qui a pour guide le plus Divin des Généraux. Tant qu'une personne ne se reconnaît pas comme Homme-Nara, la bataille ne peut commencer.

Le Guerrier chasse de notre constitution l'homme de chair et de péché — appelé Papa-Purusha — qui a peu à peu développé sa force, étendu son empire et occupé pendant tout ce temps le Temple de Dieu, en l'utilisant comme sa propre citadelle. En nous aidant à combattre, il nous enseigne aussi pourquoi et comment nous devrions combattre. C'est pour cette raison que le Chant Épique de la Vie vient du Guerrier Intérieur. C'est pourquoi il est conseillé au néophyte :

« Écoute le chant de la vie... Écoute-le d'abord dans ton propre cœur. De prime abord, tu diras peut-être : il n'est pas là ; quand je cherche, je ne trouve que dissonances. Cherche plus profondément. Si une fois encore tu es désappointé, arrête-toi et cherche plus profondément encore. Il existe une mélodie naturelle, une source obscure dans tout cœur humain. Elle peut être recouverte, complètement cachée et rendue silencieuse — mais elle est là. À la base même de ta nature, tu trouveras la foi, l'espérance et l'amour. »

L'effort soutenu en vue d'apprendre ce qu'enseigne le Guerrier, « non comme s'il était un général, mais comme s'il était toi-même », et d'appliquer son enseignement pour combattre l'ennemi et le vaincre, permet à l'aspirant qui pratique la discipline de discerner la beauté, la philosophie et la paix des accents jusqu'ici martiaux du Chant Épique de l'Âme. Que devra-t-il faire alors ?

 « Conserve en ta mémoire la mélodie que tu entends. Apprends d'elle la leçon d'harmonie... Seuls des fragments du grand chant viendront jusqu'à ton oreille, tant que tu n'es encore qu'un homme. Mais si tu l'écoutes, souviens-toi fidèlement de ce chant, afin que rien de ce qui te parvient ne soit perdu (c'est là une clause importante), et efforce-toi d'en apprendre le sens du mystère qui t'environne... Tu deviendras graduellement capable de déchiffrer le grand mot de la vie. »

À mesure que l'ennemi est dominé et qu'il obéit de bonne grâce aux ordres de l'Intérieur, les accents intimes, plus nobles et plus purs du chant de la vie commencent à résonner aux oreilles qui ont maintenant presque perdu leur qualité charnelle.

À ce moment se produit « l'arrêt de l'âme (qui) est l'instant d'étonnement ; et le moment de satisfaction qui y fait suite, c'est le silence » ; et il est écrit que « le silence complet qui ne peut être atteint qu'en fermant les oreilles à tous les sons passagers revêt une impression d'horreur plus angoissante que le vide sans forme de l'espace ». C'est là un test de la nature supérieure, éprouvé à ce niveau, pour mesurer la force intérieure permettant à l'aspirant de se reposer sur son propre Soi, de ne pas trembler de peur mais de voir, comprendre et apprécier le « silence », et le « vide » qui est la Voix de la Plénitude. « Une fois que tu l'auras entendue (au-dedans de toi-même), tu la reconnaîtras plus aisément autour de toi ».

La troisième étape

Pour en faciliter l'explication et la compréhension, nous avons fait une division entre le deuxième et le troisième types d'audition. Exactement comme nous expérimentons les fluctuations dans notre propre conscience — exaltations et dépressions de l'âme, ou bien concentration réussie et dispersion importune et décourageante des pensées, et effondrement d'images laborieusement construites — de même existe-t-il une relation intime, presque mathématique, entre notre capacité de faire appel à notre propre nature supérieure ainsi que notre souveraineté sur notre nature inférieure et notre aptitude à entendre la Voix des Grands Êtres. Un aspect caractéristique de l'Apprentissage Probatoire réside dans le fait suivant : tandis que les Maîtres instruisent, les élèves sont ignorants, plus ou moins, de Leur présence même. À mesure que l'aspirant apprend à discerner entre les voix de sa nature inférieure tournée vers le bien — les tendances vicieuses étant passablement tenues sous contrôle —et de sa nature supérieure spirituelle, il acquiert aussi le pouvoir de discerner la Voix du Maître dans la Voix de son propre Ego Intérieur.

Par ailleurs, il lui faut aussi apprendre comment les voix tentatrices, ensorceleuses du « clan des Dad-Dugpas » [magiciens noirs] pénètrent en lui, grâce à ses vices et ses faiblesses, en créant Doute et Hypocrisie, et en élevant son centre de séparativité personnelle à des hauteurs insoupçonnées de pur Égotisme.

La Salle d'Apprentissage Probatoire et la Salle d'Apprentissage Réel, ou Salle de Sagesse, représentent deux stades de la conscience humaine en voie d'épanouissement. Chaque aspirant se meut et fluctue entre ces deux salles — des années, des vies durant.

Jour après jour, dans la conscience de veille, nuit après nuit, dans la phase d'idéation subjective de cette conscience (impure ou claire, vague et fantaisiste, ou délibérée et génératrice d'images, tendant vers les délices de Kâma, ou absorbant d'une manière constante et régulière, la lumière de Buddhi), l'aspirant approche peu à peu du Moment du Choix — en allant vers le haut parce qu'il a réussi, ou vers le bas parce qu'il a échoué. Et même s'il a échoué « la voix du silence demeure en lui ; et même s'il abandonne complètement le sentier, un jour, pourtant, elle résonnera et le déchirera, et elle séparera ses passions de ses possibilités divines ».

Le plus grand danger enveloppant l'aspirant en probation qui s'efforce d'entendre provient de sa nature psychique — non pas des vices ordinaires, mais des vertus exagérées qui à son insu deviennent des vices grossiers intellectuels et mêmes spirituels. Ces vices prennent forme et se moulent dans une substance aussi dure que le fer, très difficile ou presque impossible à briser. Il est donc plus sûr de ne pas laisser nos faiblesses devenir des vices, et de ne pas laisser nos vices se concrétiser et prendre forme. Efforcez-vous de vous impersonnaliser — c'est là la Voie de la Vertu. Seuls entendent la voix des Maîtres « ceux dont les oreilles ne sont plus réceptives aux sons qui affectent la vie personnelle ».

Quand ce danger a été surmonté, la connaissance de la maîtrise des « pouvoirs de l'Air » — des tenaces Lhamayins [esprits malfaisants] dans l'espace infini — a été acquise également d'une manière suffisante. L'amour de la Nature qui naît de l'appréciation de la grandiose unité de tout dans la Nature, par l'effet de l'action de la Loi d'Interdépendance, assure la sauvegarde de l'aspirant-magicien et adepte. Apprendre à se servir de toutes les formes de vie, sans leur causer de préjudice, bien plus, sans les détruire entièrement, c'est apprendre la méthode qu'adoptent les Maîtres. La Vaste Nature est la Salle de Concert, la Loge des Maîtres, le parfait Enregistreur de toutes ses notes, gammes et mélodies. Â l'aide de cet enregistrement exact et parfait. Ils créent des Mantras — des aphorismes à base de son et de parole — pour Leurs Chélas. Également, la vaste Nature est un Musée dont Ils étudient chaque spécimen et chaque espèce, en cataloguant leurs propriétés bénéfiques ou maléfiques, et en les employant pour l'instruction de Leurs Chélas. Et aussi, les archétypes de la vaste Galerie de Portraits de l'Akasa sont réduits à leurs formes types, que les Maîtres offrent à Leurs Chélas, sous forme de tables et de diagrammes, comme des signes et des suggestions à méditer et à déchiffrer. Par ces voies, et d'autres encore, chaque disciple perfectionne son pouvoir d'écouter la Voix de son propre Maître, puis de Ses Pairs et de la Grande Loge. Mais tout cet apprentissage et toute cette acquisition de connaissance secrète, avec le développement de facultés superphysiques, ne visent pas l'avancement ni le perfectionnement personnel du Chéla. Celui qui apprend à écouter apprend aussi à parler. En fait, c'est parce que le Chéla peut parler que les Maîtres lui permettent d'entendre et l'en rendent capable. L'une des voies — en fait, une voie extrêmement importante — qu'empruntent les Grands Êtres pour maintenir présente Leur Voix dans le monde des mortels consiste à utiliser la parole de Leurs disciples dévoués engagés par serment à servir l'Humanité Orpheline.

Nous passerons maintenant à l'examen du problème de la Parole [lire l’article « II – Le pouvoir de la parole » »].

B.P. Wadia.

[Traduction de l'article extrait de la revue The Theosophical Movement, vol. VII, pp. 169-172 de septembre 1937, intitulé : « Listening and Speaking » (première partie).]

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