B.P. Wadia
« Tous les hommes ne peuvent pas être des Occultistes, mais ils peuvent tous être des Théosophes. Beaucoup de personnes qui n’ont jamais entendu parler de la Société sont des Théosophes, sans même qu’elles le sachent elles-mêmes, car la base de la Théosophie est la mise en parfaite harmonie du divin et de l’humain dans l’homme, l’ajustement de ses aspirations et qualités divines, et leur prépondérance sur les passions terrestres et animales en lui. La Bonté, l’absence de tous mauvais sentiments ou d’égoïsme, la charité, la bonne volonté envers tous les êtres, et la parfaite justice pour les autres comme pour soi-même, sont les principales caractéristiques de la Théosophie. Celui qui enseigne la Théosophie prêche l’évangile de la bonne volonté, et l’inverse est également vrai : celui qui prêche l’évangile de la bonne volonté enseigne la Théosophie. » ꟷ H.P. Blavatsky.
Tous ceux qui réfléchissent ne manqueront pas de connaître les symptômes universels de la maladie mondiale à laquelle nous faisions allusion dans l’éditorial de The Aryan Path de novembre dernier (*), mais le fait que tant de personnes ont constaté ces symptômes doit nous donner confiance pour l’avenir. C’est la maladie qui ne peut pas être diagnostiquée, qui ne peut être vaincue par le médecin, et le cancer caché profondément dans le corps, que l’on ne voit ni ne sent, est le plus mortel de tous les maux.
Dans l’histoire de la civilisation, la maladie interne a souvent été cachée ainsi sous des masques apparents de santé. Des guerres de conquête, des révolutions, le développement du commerce, l’augmentation considérable de la richesse nominale produite par le crédit, tous ces faits ont été, à des degrés divers, considérés comme des choses importantes et splendides par la majorité des hommes. Lorsque les symptômes de la maladie vinrent trop près de la surface, comme – pour ne citer qu’un seul exemple – dans les dernières années du règne de Louis XVI, les efforts faits pour obtenir la guérison se traduisent par un changement du mal. Les pauvres avaient été opprimés et affamés ; on massacra l’aristocratie. Les pauvres ayant la majorité numérique, il s’ensuivit un soulagement momentané jusqu’à ce que l’abcès eût commencé à se reformer et à suppurer à un autre point du corps.
De même, dans les religions dominantes, le masque d’apparente santé a trompé l’humanité, et lui a fait croire que tout était bien dans le monde. A la surface tout semblait bien, mais la vitalité était lentement paralysée par la croissance presque invisible du manque de sincérité. Par exemple, Jésus prêcha la simplicité dans la vie personnelle, mais les cathédrales élevées en son honneur étaient destinées à attirer l’attention, ses prêtres revêtus de robes compliquées et coûteuses lisaient aux fidèles ses recommandations à ses disciples : « ne prenez pas non plus deux manteaux ». Un semblable phénomène peut être observé dans d’autres religions.
Mais à présent, la maladie du monde ne peut être niée, même par ceux qui manquent presque totalement de perception morale ; les hommes qui se sont institués eux-mêmes les médecins de l’humanité préconisent activement leurs divers palliatifs, qui ne sauraient être des remèdes efficaces. En Amérique, le dernier traitement est connu sous le nom de Technocratie, l’érection en idole de la machine sur une nouvelle base économique. En Europe et dans les Dominions britanniques, le principal remède a consisté à essayer de stimuler le commerce extérieur et la production en taxant les importations, forme flagrante de l’erreur médicale courante qui consiste à soigner les symptômes au lieu des causes. Comme mesure secondaire, les principaux pays d’Europe se rencontrent à Genève pour discuter la réduction des armements, et, chacun d’eux doutant profondément de la bonne foi de son voisin, il leur est à chaque fois impossible de se mettre d’accord.
Mais ces remèdes, comme tous les autres, n’ont qu’un seul but : élever le standard économique, soit par une reprise des affaires sous le système capitaliste actuel, soit par une distribution plus équitable de la richesse du monde. Les leçons de l’histoire à ce sujet ne comptent pas. Nous avons vu dans le passé une longue succession de périodes au cours desquelles diverses nations sont devenues riches et prospères, chacune de ces périodes étant suivie par une période correspondante de déclin ; et si nous pouvons formuler une loi d’après ces précédents historiques, c’est simplement que ces changements sont inévitables. Il est évident dans ces conditions que les remèdes offerts par nos économistes et nos politiciens ne sont des palliatifs temporaires pour la présente maladie du monde. Ils ne peuvent éviter le retour de la maladie chronique. La dépression actuelle est particulièrement rigoureuse, mais la prochaine le sera peut-être plus encore.
Voyons donc quel est le seul et unique remède. Il est bien connu, mais cela ne sert pas beaucoup. Il a été exprimé par tous les Instructeurs-Adeptes depuis l’aurore du présent cycle de l’histoire mondiale, et constitue l’héritage de la Religion-Sagesse qui est antérieure aux Védas eux-mêmes. Tous les Maîtres et Mystiques ont été des exemples vivants de leur premier article de Foi. Et, sauf les plus aveugles des égoïstes, personne ne peut douter de l’efficacité de ce simple remède pour guérir tous les maux du monde. Dans sa forme la plus directe et la plus compréhensible, il peut être exprimé par le commandement : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Bien qu’il ne soit pas difficile de comprendre pourquoi ce commandement n’est suivi que dans la lettre par les églises, mosquées et temples, comment pouvons-nous expliquer les échecs de si nombreuses personnes qui se disent Théosophes ? Car, si regrettable que soit ce fait, il faut avouer que ces échecs sont souvent évidents. Dans certains cas, il semble que l’acceptation de ce premier principe de la Fraternité Universelle soit devenu une simple formalité, et ait fait place à un intérêt égoïste pour la théorie du développement spirituel personnel, au désir de montrer des connaissances occultes, et d’acquérir le prestige d’« un professeur de mystères ». Dans d’autres cas, et ce sont les plus nombreux, cette acceptation ne se traduit que par des paroles. Ceux qui ne veulent pas supporter une gêne personnelle ou des sacrifices matériels pour aider un voisin, ne peuvent avoir aucune idée de la véritable intention et du véritable sens de la Compassion Universelle.
Nous pouvons montrer ce que peut être cette intention en examinant le sens profond de l’amour. Ceux qui souscrivent joyeusement à cet article de la nécessité de la Fraternité Universelle doivent commencer par se demander eux-mêmes s’il y a vraiment un être humain qu’ils aiment dans le sens le plus profond et le plus vrai de ce mot ? Y a-t-il quelqu’un pour qui ils sacrifieraient avec joie leur propre bonheur, sans aucun désir de récompense ou même de reconnaissance ; quelqu’un dont la réussite leur soit plus chère que la leur ; quelqu’un qu’ils ne jugeraient pas d’après leur propre façon d’agir ou de penser ? Car, à moins que nous n’ayons un tel amour pour quelques-uns de nos parents ou amis, nous ne sommes pas encore en vue du sentier qui mène au portail de la Sagesse Divine. « L’amour intéressé » n’est pas un idéal théosophique. L’amour sans aucun esprit de retour, de gratitude ou de récompense est le premier pas pour l’homme de ce monde ; il doit commencer par apprendre à distinguer entre les deux : le premier est fascination, le second est sympathie.
Dans La Voix du Silence, nous trouvons quelques règles succinctes pour trouver le Vrai Sentier, dont le premier pas est l’amour désintéressé. Le premier commandement pour son développement et sa pratique est : « Tu ne laisseras pas tes sens faire de ton mental un champ de plaisir ». Comme ce conseil paraît simple ; comme il est difficile à suivre ! Car le mot « sens » se rapporte ici à d’autres qu’à ceux simplement attachés à la satisfaction de nos appétits charnels. La Luxure, l’avarice et la paresse peuvent ne pas trouver place dans la pensée, et le mental peut cependant être le lieu de désirs appartenant essentiellement au monde et à notre recherche personnelle égoïste – ce monde pouvant être le monde occulte – et cette recherche l’aspiration mystique. Nous lisons plus loin qu’il est nécessaire de « séparer le corps du mental, de dissiper l’ombre et de vivre dans l’Éternel » ; en d’autres termes, il faut que nous réalisions notre vrai Soi, que nous nous rendions compte de l’illusion de la matière, et que nous allions au-delà d’elle pour avoir un aperçu de l’éternelle réalité. Mais ceux qui sont appelés les « Bouddhas égoïstes » agissent également ainsi.
Cependant, même en pratiquant un peu seulement l’Amour désintéressé, nous dépassons les limitations de la grande majorité des hommes. Ce pas préliminaire est immense, mais il doit être fais par l’aspirant sérieux qui désire pratiquer la discipline personnelle pour pouvoir non seulement obtenir l’émancipation de l’existence physique, mais encore développer le pouvoir d’y renoncer.
Si une telle ambition est trop élevée à notre stade actuel de développement, il y a un idéal qui avant tous les autres doit être toujours présent dans notre mental : l’Idéal de la Renonciation, en opposition avec celui de l’Émancipation. Ayant donc toujours devant nous cette haute ambition comme le but que nous devrons atteindre si nous voulons conserver notre immortalité consciente, nous devons commencer sur les pentes les plus basses de cette longue ascension, à cultiver une modération et une bienveillance plus grande envers l’ensemble de l’humanité. Il ne serait pas bon de haïr ce que nous considérons comme mauvais. La haine, qui a son origine dans l’amour de soi-même, fait toujours naître la haine chez les autres. Nous haïssons parce que notre amour propre est blessé. Il peut l’être par une personne dont les paroles et les actes sont en désaccord avec nos principes de pensée ou d’action les plus chers ; il peut l’être par une nation étrangère qui a des idéals ou des traditions différents des nôtres ; ou bien il peut l’être par la croyance d’une autre communauté religieuse, croyance à laquelle nous ne pouvons pas souscrire. Mais dans chaque cas, l’origine de notre antipathie se trouve dans notre révolte contre cette blessure de notre amour-propre.
Ce n’est pas le vrai Soi, le Principe Immortel, qui est blessé. Il arrive quelquefois que nous ressentions, si faiblement que ce soit, une protestation intérieure contre notre colère. Le soi qui est blessé est la personnalité que nous développons pour nous-mêmes au cours de la vie. Elle est due à notre hérédité et à notre éducation, par l’encouragement de tendances innées, dont beaucoup viennent d’appétits corporels et dont d’autres non moins trompeuses sont issues de nos goûts et facultés intellectuels. Et nous développons la personnalité que nous croyons représenter notre égo réel par l’opposition de ces tendances, qui sont presque toujours contraires les unes aux autres à quelque point de vue, un groupe ou l’autre étant prédominant selon la force ou la faiblesse de la volonté qui les domine. La personnalité est une chose éphémère. Après la mort, elle se désagrège lentement, mais c’est ce soi et lui seul qui est responsable de cette folle vanité qui ne peut pas supporter la contradiction.
Dans l’état actuel de misère du monde, le devoir de tous ceux qui connaissent ces vérités est donc de cesser de s’occuper de « clubs de miracles » et de poursuivre de tout cœur leur recherche du sentier qui conduit à la première porte du Cœur. En faisant cela, non seulement ils serviront leur propre progrès éternel, mais aussi le bien de l’humanité. Nous pouvons commencer par apprendre la signification profonde de l’amour dénué de toute trace d’égoïsme pour un autre être humain, mari, femme, enfant ou ami. De là nous pouvons arriver à avoir une plus grande tolérance pour tous les hommes. Mais ce n’est pas avant que nous n’ayons, par ces moyens, réalisé le vrai Soi, que nous pourrons pratiquer cette Compassion universelle qui est le Signe de Caste du vrai Mahatma.
Le magnétisme du pur amour est le producteur de toute chose créée, et l’homme sans désirs terrestres ni sensualité peut guérir les maladies les plus « incurables ».
Et il est temps maintenant de commencer ce grand traitement.
B.P. Wadia
Cet article est traduit de la revue The Aryan Path (Bombay, Inde) d’avril 1933. Publié en français dans la Revue Théosophie, Volume IX, n°5.
Note (*) : Paru dans Théosophie d’avril 1933, page 169.
Dans la préface des Aphorismes sur le Yoga de Patañjali, W.Q. Judge souligne la distinction que nous devrions faire entre le mental et l'Âme. Cette distinction, tous les étudiants, théoriquement, la connaissent, cependant pour la réaliser pratiquement, une application consciencieuse est requise pour laquelle nous devons assimiler certaines idées importantes. M. Judge écrit :
« Comme Patañjali pose en principe que le réel expérimentateur et connaisseur est l'âme et non le mental, il s'ensuit que le Mental, appelé « organe intérieur », ou encore « principe pensant », quoique plus élevé et plus subtil que le corps, n'est cependant qu'un instrument que l'Âme utilise pour acquérir de l'expérience, exactement de la même manière qu'un astronome emploie son télescope pour obtenir des renseignements sur le ciel »
Séparer le corps du mental est relativement moins difficile ; mais séparer le mental de l'Âme, ou Kâma-Manas du Manas Supérieur, est une tâche formidable. Cependant, faute de cela, on ne peut pas progresser réellement dans l'Occultisme. Nous ne pouvons pas commencer à fusionner le mental et l'Âme, comme le conseille la Voix du Silence, avant d'avoir appris la nature du mental et découvert comment, asservi par les désirs, il est opposé à la nature et à la voie du progrès de l'Âme, et avant de l'avoir purifié de ses souillures et de ses colorations. Alors seulement peut se produire cet autre processus plus élevé de l'union de l'entité Âme-mental avec l'Esprit humain et de sa réalisation du Grand Soi.
Tout aspirant à la vie de l'Occultisme pur doit se rendre compte bien clairement par expérience, que le mental est l'organe de l'Ame. Dans la vie de tous les jours et les actions ordinaires, nous nous identifions si étroitement avec nos organes de perception et d'action que c'est seulement en de très rares occasions que nous pensons à dire : « je vois à travers mes yeux » ; le plus souvent nous disons : « Je vois » ; nous employons la même expression quand nous comprenons quelque chose avec notre mental-cérébral ; nous disons : « je vois », en voulant dire : « je comprends ». En réalité, nous devons atteindre la position où l'on peut dire : « Oui, mon mental maintenant voit et comprend ».
Le pas suivant dans l'étude pratique de l'expérience mentale consiste à percevoir la vérité contenue dans l'important enseignement sur « les modifications du principe pensant ».
M. Judge écrit à ce sujet : « Le Mental est un facteur très important dans la recherche de la concentration ; en vérité, c'est un facteur sans lequel on ne peut pas obtenir la concentration... Il (Patañjali) montre que le mental est, comme il le qualifie, « modifié » par tout objet ou sujet qui se présente à lui ou vers lequel il est dirigé. »
Notre manas inférieur vagabonde si rapidement, la vitesse avec laquelle il se déplace est si grande et si chaotique et le mouvement est si continu, que de nombreux étudiants passent immédiatement à la conclusion qu'ils ont parfaitement compris l'enseignement sur la « modification ». En réalité, le vagabondage du mental, appelé d'une façon si expressive et si juste, le mental-papillon, à cause de sa course en zigzag d'objet en objet, ne montre pas comment le mental se modifie suivant la description de M. Judge dans les Notes sur la Bhagavad-Gîtâ, p.151 :
« L'homme, cet être fait de pensées, qui séjourne simplement de temps à autre dans de multiples corps, pense éternellement. Ses chaînes sont forgées par la pensée, sa libération n'est due qu'à la pensée. Son mental est immédiatement teinté ou altéré par l'objet sur lequel il se porte. C'est ainsi que l'âme est prise dans la même pensée ou série de pensées que suit le mental. Si l'objet est quoi que ce soit de différent du Soi Suprême, le mental se transforme immédiatement en cet objet, devient cet objet même et en prend la teinte. C'est là une des capacités naturelles du mental qui, de nature, est clair et incolore, comme il serait facile de le constater s'il était possible de trouver un homme qui n'aurait pas passé par de trop nombreuses expériences. Le mental est mobile et rapide, porté à bondir d'un point à un autre. Différents mots pourraient le décrire. Tel un caméléon, il change de couleur, telle une éponge, il absorbe ce à quoi on l'applique, tel un tamis, il perd immédiatement la couleur et la forme qu'il avait dès qu'il prend un objet différent. »
Pour avoir une vue claire sur les activités du mental-pieuvre qui étreint l'Âme de cent tentacules, nous devons placer correctement les sens d'un côté et l'Âme de l'autre. Nous devrions discerner comment le mental en se modifiant présente une image à l'Âme. Aussi longtemps que le mental vagabonde et subit des modifications, sa fonction réelle comme organe de l'Âme n'est pas remplie. Notons les démarches successives que nous devrions faire en tant qu'étudiants :
1 - Voir le vagabondage du mental,
2 - Suivre la marche du mental dans son vagabondage : voir comment il vole vers des sujets et objets agréables ou désagréables. Ceci nous révèle la nature de nos attractions et de nos répulsions.
3 - Noter le fait que ce complexe d'attractions et de répulsions crée des images, qui vivent, pour un temps court ou prolongé, et qui laissent la trace de leur passage sous la forme d'impressions. Dans les rêves éveillés, fantaisies et imaginations, nous vivons avec nos images en les recréant intérieurement, à partir de ces impressions, tout comme dans la vie tournée vers l'extérieur nous vivons avec et parmi tout un monde de choses et d'objets divers.
4 - Cessant de créer ces images, nous expérimentons le pouvoir qu'elles ont de se reproduire et nous devons commencer à les détruire par des efforts délibérés. Ces images intérieures projettent des ombres obscures sur la lumière de notre Âme, comme l'indique La Voix du Silence.
5 - Quand on arrive à désintégrer ces images et à en dissoudre les constituants et la structure, le mental atteint un état d'équilibre. Que perçoit un mental ainsi purifié et en cet état d'équilibre ? II voit les idées qui sont vraies — le monde des idées qui sont les émanations enregistrées qui forment la Divine Lumière Astrale ou Akasha.
Nous avons à dessein classifié d'une manière concise les étapes que le néophyte doit s'imposer, car aucune description plus longue ne peut rendre le sujet plus clair.
Maintenant, de même que nous vivons dans le monde des sens et de leurs objets, mais que nous estimons les choses en fonction de nos attractions et répulsions, nos sentiments et nos désirs, de même aussi nous vivons dans le monde du mental, mais nous nous entourons de valeurs fausses et de notions fantaisistes. Hors du monde de la matière et des objets, nous façonnons un monde particulier qui nous est propre à cause de nos sens et de nos organes et avec leur aide. De même pour le monde du mental, il finit par être voilé et obscurci par notre pensée incontrôlée et les images que nous nous fabriquons. Dans chaque état, ou sur chaque plan, nous avons cette dualité : le réel caché dans la gangue de l'irréel. L'irréel est produit par nos sens et notre cerveau ; à l'intérieur, se trouve le monde réel des choses et des objets. (Ce dernier est le champ de recherche du scientifique honnête.) De même, l'irréel est produit par notre imagination indisciplinée, ou fantaisie, par l'effet des modifications du principe pensant ; à l'intérieur se trouve le monde réel des idées (ce dernier est le champ de recherche du véritable occultiste.) À chaque étape, nous devons apprendre à faire une distinction entre ces deux aspects. C'est seulement dans leurs aspects irréels que les sens et le mental sont les ennemis de l'Âme ; dans leurs aspects réels, ils sont les amis de l'Âme. C'est pourquoi il est dit que « la Nature existe pour le bien de l'Âme ».
M. Judge conclut :
« Comme l'Âme est considérée comme supérieure au Mental, elle a le pouvoir de s'en rendre maîtresse et de le contrôler pour peu que nous utilisions la volonté pour l'aider dans ce travail ; c'est alors seulement que la distinction et le but réels du mental sont atteints. »
B.P. Wadia
Publié en anglais dans le Theosophical Movement. Vol. X, p. 127.
Publié en français dans le Cahier Théosophique n°108, © Textes Théosophiques.
« Les grands Mahatmas, ou les Bouddhas, sont une propriété universelle et commune : Ils sont des sages historiques – du moins pour tous les Occultistes qui croient en une telle hiérarchie de Sages, dont l’existence leur a été prouvée par les érudits de la Fraternité. » (The Secret Doctrine, II, p. 423.)
Il a été démontré (dans les articles « Métaphysique » et « Éthique ») que pour mieux progresser sur le Sentier de l’Âme, on devait devenir un étudiant de la métaphysique et pratiquer l’éthique enseignée dans La Doctrine Secrète. Ces deux aspects de La Doctrine Secrète sont comme les ailes d’un oiseau ; par eux, l’Âme humaine s’élève vers les hauteurs célestes. L’étude des concepts métaphysiques ne doit pas être qu’un effort intellectuel ayant pour but d’apprendre et éprouver de la joie, pour l’unique satisfaction du mental ; ces concepts ont de nombreuses applications pratiques dans la vie quotidienne. D’un autre côté, la pratique de l’éthique ne doit pas ressembler aux rites des religions, accomplis sans une connaissance adéquate, et enracinés dans une simple croyance aveugle ; ces principes éthiques sont en rapports étroits avec les fondamentaux cosmiques. C’est ainsi que nous avons vu (dans l’article « L’Unité : La Mère de toutes les Vertus ») comment La Doctrine Secrète unit le mental humain et le mental universel et révèle que ce qui bat au centre du cœur humain est identique à ce qui bat au cœur de l’univers. C’est ainsi que la vertu de la Fraternité trouve sa contrepartie métaphysique dans l’Unité de la Vie, et que, d’autre part, le concept métaphysique de la Déité se révèle comme la Loi morale de la Fraternité. Cette synthèse de la métaphysique et de l’éthique – la Vie-Une et la Fraternité – devient le substratum et la base de la discipline journalière. Nous avons vu également (dans l’article « La Dualité du Bien et du Mal ») comment se poursuit, dans l’homme, la lutte entre les aspects bons et mauvais du mental, et comment, quand la Fraternité devient essentielle, ce combat entre les deux aspects du mental devient le moyen par et à travers lequel il peut mettre en pratique les règles de sa discipline. Quand la discipline de la vie supérieure est basée sur la Loi fondamentale de la Fraternité, la Philosophie Ésotérique conduit ses disciples sur le plan où les disciples des autres écoles se sont également élevés et où ils peuvent aussi s’élever. [Dans ces autres écoles] l’Âme pure, n’est pas celle du philanthrope désintéressé, mais celle du philanthrope qui y parvient avec des motifs intéressés ; peu importe son pays ou sa croyance ; le but qu’il recherche est la délivrance de l’esclavage matériel, la liberté de l’Âme, et la retraite dans paix subjective pendant un temps infini. La discipline de la Philosophie Ésotérique, qui commence par la pratique de la Fraternité, enseigne dès le début un cheminement dans la vie qui peut sembler le même. En réalité, il n’évolue en parallèle, que sur une partie du trajet, avec le sentier de celui qui aspire à Mukti ou au Nirvana. Bien des enseignements et des pratiques relatifs à ces deux sentiers parallèles sont similaires, mais le motif et le but à atteindre sont tout à fait différents.
La Philosophie Ésotérique a un but différent et plus élevé qui n’est pas la libération de l’esclavage matériel, mais l’acceptation des douleurs de la naissance pour le service de toutes les Âmes prisonnières de la matière ; ce n’est pas une liberté de l’Âme pour jouir d’une béatitude subjective, mais pour vivre dans un état objectif afin de pouvoir rendre service aux âmes en esclavage.
La Doctrine Secrète introduit, dans sa métaphysique, le principe de Fohat, « jusque-là inconnu de la spéculation occidentale ». Fohat se définit comme « l’énergie dynamique de l’Idéation Cosmique » (S.D., I, p. 16). On dit qu’il jaillit de Dzyu « l’unique connaissance (magique) réelle ou la Sagesse Occulte ; son antithèse est Dzyu-mi, qui se limite aux illusions et aux fausses apparences, comme le font nos sciences exotériques modernes. Dans le cas présent, Dzyu est l’expression de la Sagesse collective des Dhyanis-Buddhas. » (S.D., I, 108.)
De même que Fohat est, métaphysiquement, en rapport avec la Vie Une, de même l’enseignement essentiel de cette vraie Sagesse des Grands Sages est en rapport avec la doctrine de la Fraternité Universelle. Cet enseignement essentiel est appelé le Sentier du Grand Renoncement et est distinct et différent du Sentier de la Libération, ou de l’Émancipation. Ce Sentier du Grand Renoncement n’est pas celui qui est ordinairement connu des yoguis, sannyasins, swamis et fakirs orientaux. Leur Sentier du Renoncement (Tyaga et Sannyasa Margas) est suivi dans l’espoir, avec le but, et le motif de gagner la Libération ou Moksha. Au contraire, le Sentier du Grand Renoncement, tel que l’enseigne la Philosophie Ésotérique, n’est pas le moyen et la voie de la libération de l’âme humaine, mais est de parvenir au Renoncement conscient et délibéré de cette libération – « Nirvâna gagnés et perdus par pitié et compassion sans bornes pour le monde des mortels abusés » (La Voix du Silence, p. 60). La voie du renoncement aux actes et aux fruits des actes qui conduit à la Libération est appelée dans la Philosophie Ésotérique le Sentier Ouvert (1), tandis que le Sentier du Grand Renoncement conduit le Mukti et le Nirvanee à « endosser les misères de la “Vie Secrète” », et accepter « une inexprimable souffrance mentale — souffrance pour les Morts vivants (2) et pitié impuissante pour les hommes voués à la douleur karmique » (La Voix du Silence, pp. 58-9). Cette Voie est appelée la Sentier Secret.
La Philosophie Ésotérique enseigne qu’il existe des Mahatmas vivants qui ont toujours préservé la connaissance du Sentier Secret dans le monde. De temps à autre, cette connaissance s’obscurcit ; mais les attestations de son existence sont données dans les périodes d’obscuration – comme dans celle que le monde vient de passer. H.P. Blavatsky a été le porte-parole des Mahatmas vivants du Sentier Secret ; c’est de sa connaissance et de son expérience qu’elle a tiré la phrase citée au début de cet article. Il ne s’agit pas d’un nouvel enseignement ou d’un nouveau sentier ; l’un et l’autre sont de très anciennes vérités. Cette connaissance s’est perdue et, même dans l’Inde moderne, on ne peut guère en saisir le sens réel. En dehors de l’authentique cercle Théosophique, il en est peu qui suivent ce Sentier et ils en gardent jalousement le secret.
La cosmogonie et l’anthropogenèse de La Doctrine Secrète enseignent cette grande vérité. Dans ces deux volumes, page après page, et sujet après sujet, l’étudiant discernera cet aspect des instructions qui se déroule comme un fil sur lequel tous les enseignements sont suspendus. De même qu’un tas de pierres précieuses ne peut pas être utilisé pour faire un collier, de même la grande quantité de gemmes contenues dans ce grand livre ne peut pas réellement servir ; mais dès que nous apercevons le fil conducteur, nous pouvons y enfiler ces gemmes pour en faire un collier.
La discipline qui commence par la Fraternité ne conduit pas à la Paix individuelle, mais au Service altruiste de l’humanité, en ayant recours à la Paix, et à tout ce qui s’en suit. Dans l’importante section consacrée à l’« Évolution Cyclique et Karma » (S.D., I, p. 634), nous trouvons certains enseignements qui peuvent aider à formuler les règles de conduite et de discipline de vie. Nous les donnons ici :
« Un principe fondamental de la philosophie occulte est l’homogénéité de la matière et l’immuabilité des lois naturelles, comme l’affirme avec insistance le matérialiste ; mais [pour l’occultiste] cette unité repose sur l’inséparabilité de l’Esprit et de la matière, car si ces deux principes devaient à se séparer, le Cosmos tout entier tomberait dans le chaos et le non-être. »
« Il y a une finalité aux opérations importantes de la Nature, dont les actes sont tous cycliques et périodiques. »
« L'unique décret de karma — décret éternel et immuable — est l'harmonie absolue dans le monde de la matière aussi bien que dans celui de l'esprit. Karma ne récompense ni ne punit, c'est nous qui nous récompensons ou nous punissons, suivant que nous travaillons ou non avec la Nature, selon ses voies, et de concert avec elle, en agissant ainsi d'accord avec les lois dont dépend cette harmonie, ou en les violant. »
« Mais, en vérité, il n'y a pas un accident de notre vie, pas une mauvaise journée, pas un malheur que nous ne puissions imputer à nos propres actions dans cette vie, ou dans une vie antérieure. »
« Jusqu’à ce que nous commencions à agir de l’intérieur, au lieu de suivre les impulsions de l’extérieur, c'est-à-dire celles produites par nos sens physiques et notre corps grossier et égoïste. Jusque-là, le seul palliatif aux maux de la vie est l’union et l’harmonie – une Fraternité dans les actes, un altruisme qui ne soit pas seulement un mot. La suppression d’une seule mauvaise cause effacera non pas un seul, mais une variété de mauvais effets. Et si une Fraternité ou même un certain nombre de Fraternités ne peuvent empêcher les nations de se couper la gorge de temps en temps, il n’en demeure pas moins que l’unité de pensée et d’action, la recherche philosophique des mystères de l’être, empêcheront toujours quelques individus – qui s’efforcent de comprendre ce qui leur était une énigme jusqu’à présent – de créer des causes additionnelles dans un monde déjà si plein de souffrances et de calamités. »
B.P. Wadia
Notes
(1) [Le « Sentier Ouvert » est celui qui est enseigné aux laïcs - la doctrine exotérique, acceptée en général. La nature du « Sentier Secret » est expliquée lors de l'initiation (La Voix du Silence – Éd. Textes Théosophiques)].
(2) [Les hommes qui ignorent les vérités ésotériques et la Sagesse sont appelés « les Morts vivants » (La Voix du Silence – Éd. Textes Théosophiques)].
« Désire ardemment le pouvoir.
« Mais le pouvoir que le disciple convoitera sera celui qui le fera
« paraître comme rien aux yeux des hommes. » - La Lumière sur le Sentier
Le leurre du progrès personnel est une puissante tentation. À chaque pas de l’étude théosophique, nous rencontrons cet avertissement quelquefois directement, le plus souvent indirectement. Le sujet même sur quoi l’étude porte l’étude éveille le désir de croissance. Nous parlons ordinairement de croissance spirituelle et, partant de là comme point de départ, nous allons et allons, disant et faisant une chose ou l’autre – « pour le bénéfice de l’Âme » ! Même quand nous nous rappelons que le grand but indiqué par la Théosophie n’est pas le progrès, mais le service de l’humanité, nous sommes influencés par des idées qui nous disent que pour servir on doit avoir la connaissance et la capacité ; que le service même que nous rendons – oh ! Si humblement – produit des résultats spirituels dans l’éveil de notre Âme, etc.… Comme il y a un fond de vérité dans de telles idées, nous sommes ensorcelés, et nous oublions qu’en recherchant des résultats ou en notant de tels bénéfices, nous nous environnons des fumées du soi. Dans cette marche en avant, si nous ne nous contrôlons pas, nous perdons de vue le but, et c’est la progression qui devient notre objectif. Nous avons pris un détour vers la Gauche.
Le Désir du Pouvoir est une chose, et le désir des pouvoirs en est une autre. Nous concevons le Pouvoir de Servir comme possédant d’innombrables pouvoirs du corps, de la psyché et du noüs. Pour un service réel, universel, impersonnel, le pouvoir que nous devons développer est « celui qui nous fera paraître comme rien aux yeux des hommes ». Service universel signifie service de l’humanité, vulgaire ou élevée, ignorante ou instruite, sans aucune distinction. Service impersonnel signifie le service où notre Soi personnel n’impose pas sa réponse, où son visage n’est même pas aperçu ; en termes positifs, cela veut dire le service rendu par l’âme spirituelle, Buddhi-Manas est le cœur, l’organe caché qui sert le corps depuis la naissance jusqu’à la mort. Son existence elle-même n’est pas perçue aussi longtemps qu’un contretemps quelconque ne vient pas troubler son service silencieux et discret.
Il est naturel qu’en servant la Cause de la Théosophie nous fassions la connaissance de telle personne ou de telle association. Seuls les Grands Adeptes montrent pleinement la vérité qui se cache sous cet axiome que nous devrions paraître comme rien aux yeux des hommes. Sans cela leur Travail lui-même souffrirait et l’accomplissement des Devoirs auxquels Ils sont appelés, en tant que Magiciens Divins, deviendrait impossible. Un Maître a écrit ces mots :
« Comment votre monde pourrait-il collectionner les preuves des travaux d’hommes qui ont gardé soigneusement closes toutes les portes possibles par lesquelles les curieux auraient pu les espionner ? La condition première de leur succès était de n’être jamais surveillés ou entravés. Ce qu’ils ont fait, ils le savent ; tout ce que pouvaient percevoir ceux qui étaient hors de leur cercle c’étaient des résultats dont les causes demeuraient cachées à leur vue » (Mahatma Letters, “First Letter of K.H. to A.O. Hume”).
Une des raisons pour lesquelles la règle dit au disciple de désirer le pouvoir qui le fera paraître comme rien aux yeux des hommes est que le leurre de l’égotisme-ahankara est son plus dangereux ennemi. C’est un ennemi subtil. Étant exactement à l’opposé de cette attitude consistant à « paraître comme un rien aux yeux des hommes », l’orgueil et la vanité qui naissent de l’égotisme ont l’apparence de l’humilité. Notre égotisme ne se cache qu’à notre vue ; il clame avec véhémence son existence au monde entier.
Chaque étudiant sincère de la Théosophie doit se discipliner lui-même et adopter quelques exercices pour sa vie quotidienne afin de pouvoir acquérir la connaissance et la disséminer pour le bénéfice des autres ; afin aussi de donner un exemple de vie droite. Les règles de Discipline à adopter devraient être déterminées par chacun pour soi-même. On trouve un vaste nombre d’enseignements pratiques offerts dans la littérature théosophique ; mais ni H.P. Blavatsky ni M. Judge n’ont établi un programme disant à l’aspirant : « Faites ceci, ne faites pas cela. » Tout étudiant dévoué se trouve embarrassé et dit, comme Arjuna : « Mon esprit est troublé par tes discours ambigus. Énonce une règle unique et précise par laquelle je ne puisse arriver à ce qui vaut le mieux » (Bhagavad Gita, III, 2).
En choisissant les règles pour notre propre discipline, nous révélons notre discrimination et notre discernement qui appartient à Buddhi-Manas et aussi leur opposé – l’égotisme – qui appartient à Kama-Manas. Bien que la Théosophie ait indiqué en une centaine de passages que la lutte est dans le mental, que l’ennemi est l’égotisme, l’application de cette instruction nous échappe souvent. Nous répétons l’enseignement métaphysique – l’évolution est de l’intérieur à l’extérieur – mais dans la pratique nous changeons souvent l’ordre des choses et pensons au corps au lieu de penser au mental. Il y a là un début d’Hatha-yoga. La Science Royale, Raja-Yoga, préconise la pureté du mental et de la conduite morale, et conseille de surveiller le développement de cette pureté telle qu’elle se manifeste dans la propreté du corps et la domination des sens. Mais là encore, bien des étudiants renversent les rôles et s’imaginent que la propreté physique nettoiera aussi la nature morale, qu’une pure nourriture donnée au corps développera les pouvoirs de l’âme, etc.… Nul mental propre ne conservera un corps malpropre, mais bien des corps propres portent en eux-mêmes des mentaux très malpropres. Tout sage protège son cerveau contre les fumées de l’alcool, mais tout abstinent ne devient pas un sage.
Un des traits saillants du véritable Raja-Yoga est qu’en tout temps et en toutes circonstances il rend le disciple capable d’observer la règle de paraître comme rien aux yeux des hommes. Si nous nous en souvenions en choisissant nos pratiques de Discipline, nous éviterions de tomber dans bien des pièges.
Dans son merveilleux livre d’Instructions Occultes, Lettres qui m’ont Aidé, W.Q. Judge écrit :
« Les Maîtres ont déclaré que le pas essentiel consiste à apprendre à sortir de l’ornière creusée par notre nature et notre éducation, et à combler ces anciens sillons. Beaucoup ont mal interprété cette phrase et ont cru qu’elle s’appliquait aux habitudes extérieures de la vie, oubliant que son application réelle visait les ornières mentales et astrales (Lettres qui m’ont Aidé , p. 100).
Les ornières et les routines psychiques de la pensée sont les causes des tendances et des habitudes extérieures. En modifiant les anciennes habitudes et en en créant de nouvelles, nous nous purifions. C’est un processus intérieur et, en entreprenant cette tâche, il faut éviter d’en faire parade devant ses parents et amis. M. Judge écrit :
« L’un mange de la viande, un autre n’en mange pas. Aucun n’est absolument dans le vrai, car le royaume des cieux n’a aucun rapport avec le fait de manger de la viande ou non. Un autre fume, un autre encore s’en abstient ; aucun des deux n’est absolument dans le vrai ni dans le faux, puisque fumer est bon pour l’un et mauvais pour l’autre ; l’homme vraiment cosmopolite laisse à chacun le soin d’agir comme il l’entend dans ces questions. Le véritable occultisme et la Théosophie ne s’occupent que des questions essentielles, et des questions d’ordre transitoire, telles que la nourriture et autres habitudes journalières, ne sont pas essentielles. C’est une erreur aussi de faire étalage de son mode particulier de vie ou d’action. On agace tout le monde, et l’on n’a rien obtenu de durable ni d’efficace, sans compter qu’on a donné l’impression d’être maniaque » (Lettres qui m’ont Aidé , pp. 99/100).
L’Occultisme pratique consiste à mener constamment la lutte sur le champ du mental et la victoire qu’on gagne dans ce domaine se concrétisera doucement et harmonieusement dans le monde extérieur. L’aspirant théosophe est capable de se tromper tout autant que les moines chrétiens, les fakirs musulmans et les yogis hindous l’ont fait dans le passé. « Sortez du milieu d’eux et en outre soyez distinct des autres (en référence à Saint Paul, Épitre aux Corinthiens) est une injonction occulte ; nos Maîtres Théosophiques ont aussi dit « Sortez de votre monde pour entrer dans le nôtre. » Cela ne veut pas dire que nous devons transporter notre corps d’une place à une autre, mais que nous devons transporter l’activité de notre mental hors des vieilles ornières et lui faire tracer de nouveaux sillons dans un nouveau sol. Faire évoluer le corps avant le mental aboutit au Hatha-yoga ; le Grand Bouddha Lui-même lutta mentalement avant de transporter Son corps du palais à la jungle, et lutta encore mentalement avant de transporter Son corps de l’ombre de l’arbre Bodhi aux plaines du service humain.
Un des premiers exercices de l’Occultisme pratique, tout à fait approprié à notre cycle que l’aspirant peut et doit entreprendre, est de construire son propre foyer en gagnant son existence, en établissant ainsi son droit à vivre la vie théosophique, sans entrave, en toute liberté. Gagner honnêtement son existence est un des degrés du Noble Chemin Octuple du Bouddhisme. Il offre une occasion merveilleuse pour l’entraînement du soi, de même que pour le service théosophique. Il permet aussi à l’étudiant de persévérer sans attirer l’attention sur lui-même. Être dans ce monde sans être de ce monde est une chose facile si l’on choisit la voie du mendiant ; il y en a des millions dans l’Inde. Mais un parasite n’est pas un serviteur spirituel de l’humanité. Le foyer est l’endroit où l’étudiant peut pratiquer la Théosophie et le véritable ascétisme, et accomplir tout cela en paraissant comme rien aux yeux des hommes – à la condition que ce soit son propre foyer. L’occultisme considère le mariage comme un sacrement parce que, entre autres raisons, il peut et doit être utilisé pour créer un nouveau foyer, un centre dont irradie l’influence théosophique, dans un silence constant, pour le bien du monde. Le mariage est souvent considéré comme une chaîne ; les étudiants doivent le regarder comme l’occasion qui leur est offerte de construire leur propre foyer. Un Anglais pare orgueilleusement sa maison du titre de château, parce qu’il peut s’y enfermer loin du monde. Un aspirant doit apprendre à faire de son foyer un château où il observe sa discipline, non pour sa croissance ou son bénéfice personnel ni pour sa paix mentale, mais pour le service de tous. Apprendre à avoir de bons rapports avec nos proches est le premier pas pratique sur le chemin de la Fraternité Universelle. Quelle meilleure place que le foyer pour se préparer en silence et en secret, de façon à pouvoir nous consacrer au Grand Service ? « Ce sont des hommes, et non des maîtres de cérémonies, que nous recherchons, du dévouement et non de simples observances », écrivit le Mahatma K.H.
« Paraître comme rien aux yeux des hommes » - c’est un des secrets que tous les grands instructeurs ont enseigné par l’exemple. H.P. Blavatsky parut moins que rien aux yeux du monde. Les dérisions que lui prodigua le monde influencèrent quelques-uns de ses amis et collègues qui ne surent pas discerner qui et ce qu’elle était sous les apparences. N’est-il pas étrange qu’après avoir entendu un des plus magnifiques exposés d’instruction spirituelle, Arjuna demande : « Quelle est, ô Keshava, la marque d’un homme ferme dans la sagesse et ferme dans la contemplation ? Comment est-il, immobile dans sa pensée, quand il parle, quand il se repose, quand il agit ? (Bhagavad-Gîtâ, II, 54). Il ne vint même pas à l’esprit d’Arjuna qu’un tel Homme se tenait devant lui. Pourquoi ? Parce que Krishna le Sage Se fit paraître comme rien aux yeux des hommes. Les Sages paraissent dans le monde des mortels, mais combien comprennent ce que signifie leur apparence ? Dans un poème intitulé « Krishna », Æ. qui vient de mourir récemment et qui était un ami et un admirateur de W.Q. Judge, s’exprimait ainsi :
« Je m’arrêtais au seuil de la cabane et vis
« Le Roi des Rois jouant ;
« Étendu dans l’herbe, je l’épiais,
« Le petit vagabond céleste.
« La mère riait à son enfant,
« Égayée par son aube enchantée,
« Et pourtant les Sages parlent de Lui
« Comme de l’Ancien, qui n’est pas né. »
Qui était Krishna ? Aja, Celui qui n’est pas Né, ou Govinda, le berger ? Qui était-Il ? Achyuta – l’Immortel « qui ne peut faillir », ou le jeune garçon qui volait le lait caillé et cassait les pots à Brindaban ? Qui était-il quand il dansait avec les Gopis, et quand Il mena Arjuna et l’armée des Pandavas à la Guerre ? Ne nous offre-t-il pas un exemple à suivre ? Ne dit-il pas avec la Voix du Grand Silence : « Le Pouvoir que le disciple convoite est celui qui le fera paraître comme rien aux yeux des hommes » ?
B.P. Wadia
Cet article est traduit du Theosophical Movement, vol. VI. novembre1935,
il fut publié en français dans la Revue Théosophie – XIV – n°6.
Dans les études précédentes, nous avons vu comment une approche juste des écrits d’H.P. Blavatsky (H.P.B.) développe la faculté de l’intuition et déploie ainsi cette perception du mental qui nous permet de voir les principes universels qui sont cachés dans une myriade de principes particuliers et en même temps en sont leur base. La Doctrine Secrète (D.S.) enseigne à ses élèves comment se servir correctement de leur cœur et aussi de leur tête. La purification et l’illumination à la fois du cœur et du mental sont le résultat de l’étude correcte du livre, mais pas avant qu’un troisième facteur n’entre aussi en jeu.
Dans la toute première étude de ces séries nous avons déjà souligné la façon dont nous devrions accepter le message d’H.P.B. dans son ensemble sans en exclure une partie de ses écrits. De façon similaire, nous ne pouvons recevoir le message de La Doctrine Secrète que grâce à un exercice à Trois niveaux qui activera les énergies de l’homme tout entier.
Le mental inférieur qui analyse et qui raisonne peut comprendre les centaines de faits et les milliers de détails du livre ; mais c’est le mental supérieur synthétique seul qui peut comprendre les principes universels. Mais même ce mental supérieur ne réussira pas dans cette tâche s’il ne reçoit pas l’aide de la perception de l’intuition, l’énergie du Cœur. Même cette énergie du cœur devra encore être dynamisée par l’action et alors seulement La Doctrine Secrète révèlera son contenu dans toute sa gloire. Notre nature kamique se purifie et se transforme au contact des forces actives de l’intuition. La passion devient l’amour ─ cet amour supérieur qui est la dévotion, la vraie bhakti, dépourvue de sentimentalisme. De même que l’amour diffère d’un emballement, de même la dévotion se distingue de la ferveur religieuse. Ce type inférieur de dévotion possède une gamme assez étendue. Les ritualistes religieux, les pujari (1), qui créent et adorent une image, même supérieurs au simple adorateur d’idoles, se sont implantés sur ce sentier et fleurissent comme les amants du Soi, qui est eux-mêmes. Se libérant des entraves de Karma, cherchant la Paix, ils vont au sommeil de la paix, pour se réveiller au petit matin et souffrent des perturbations du jour. Le message d’H.P.B nous met en garde contre les tentations sournoises de ce sentier. L’histoire de l’occultisme abonde en exemples d’échecs retentissants sur le Chemin qui mène à l’Esprit résultant du développement de la compréhension supérieure et de l’intuition, qui a perçu les principes universels, mais où le monde de l’humanité est laissé derrière dans cette démarche. Compréhension par le mental supérieur et perception par l’intuition ne suffisent pas à moins qu’ils n’entraînent l’action qui est l’altruisme.
L’homme quadruple inférieur, le quaternaire, doit devenir une triade, et La Doctrine Secrète, qui est un livre d’occultisme pratique, nous aide à accomplir cette tâche. La triade supérieure doit être transmutée en la Tétractys Sacrée – c’est le but qu’enseigne le message d’H.P.B. La seule énergie de l’altruisme unifie toutes les actions entreprises en termes de compréhension des principes universels et accomplies en termes de perception intuitive du Cœur.
« Un grand intellect et trop de connaissance sont une arme à double tranchant dans la vie, des instruments servant le mal comme le bien. » (La Doctrine Secrète, II, 163). Dans la Vie - Esprit on peut dire la même chose de la qualité de Cœur de la Dévotion. Le cœur peut sauver le mental et il le sauve, mais à son tour, il doit être sauvé. L’Âme Phénix renaît des cendres de son propre passé mort – l’oiseau de la vie, et au lieu de désirer une vie de passions, dans laquelle elle a lutté et appris, aspire maintenant à une Vie de Paix et de Repos, ou d’Émancipation ou Mukti. Cependant elle reste l’enfant de Kama, elle est toujours le premier-né d’Éros. Cette passion élevée, cette spirituelle Tanha (2), cette mumuksha, ce désir de libération est l’épreuve suprême du Dévot, le Bhakta, qui a vu l’aspect transitoire des formes de la vie construites par le désir mais qui doit maintenant voir la petitesse de la vie des formes construites par le désir du Mukti (3) ou de la Libération. Le désir de vie dans les formes a laissé place au désir d’une vie sans formes ; le rêveur veut maintenant un sommeil sans rêves, dans la Béatitude de l’Introspection, alors que des millions d’êtres souffrent les maux de l’existence.
La Doctrine Secrète insiste bien sur cette leçon extraordinaire. Les Stances de Dzyan et les Préceptes d’Or de La Voix du Silence font partie de la même série d’Instructions Occultes et s’ils mettent l’accent sur un enseignement plus qu’un autre, c’est sur les dangers d’une vie de connaissance et de dévotion, de sagesse et de pureté, qui soit en même temps dépourvue d’altruisme actif et positif.
Nous pouvons affirmer sans hésitation qu’une personne qui n’est pas altruiste de façon active ne comprendra pas complètement les enseignements contenus dans La Doctrine Secrète. Elle restera un livre hermétique malgré la compréhension supérieure et les perceptions intuitives, à moins de les utiliser conjointement sur le plan de l’action. Ce qui différencie un Théosophe d’un étudiant de la Théosophie c’est cet altruisme. Dans La Clef de la Théosophie il est dit « est théosophe, celui qui pratique la Théosophie » - pas celui qui pense, étudie, ressent, mais pratique. Parlant des membres assermentés de son école ésotérique, H.P.B dit « qu’il doit devenir un altruiste parfait » (Clef de la Théosophie p. 15). Ses écrits sont saturés de cet enseignement concernant l’altruisme et il n’est pas nécessaire de continuer à la citer sur ce sujet. « Le seul palliatif aux maux de la vie est l’union et l’harmonie – une Fraternité DANS LES ACTES et un altruisme qui ne le soit pas simplement de nom. » (4) (D.S., I. 644). Cependant qu’il soit bien clair que cet altruisme a sa fondation sur le roc de la connaissance des principes universels et sur la dévotion à la Loi dont ils sont les aspects manifestés. S’il y a un danger dans l’étude intellectuelle, si la dévotion inférieure, à laquelle il a été fait référence, implique des risques, la vie de charité et de service projette aussi sur l’âme une fascination particulière. L’altruisme produit par le mental inférieur et nourri par la dévotion inférieure n’est pas le véritable altruisme. Les activités du mental inférieur animent notre nature passionnelle – qui n’est pas toujours, ni nécessairement mauvaise - et nous incitent à des actions qui deviennent très souvent, sous les impacts de la civilisation, philanthropiques et altruistes. Le mental, libéré des assauts de Kama, reçoit l’énergie de la raison-compassion, ou Buddhi, et ainsi uni, est animé par le Soi du Pouvoir Créateur, qui est le véritable acteur. L’altruisme supérieur se manifeste alors et sa charité n’est plus seulement et uniquement généreuse, c’est un altruisme qui permet à l’homme de se débarrasser de sa béquille de dépendance et de se tenir debout seul avec confiance. À partir de là nous allons voir comment ces trois pouvoirs de l’Esprit doivent œuvrer conjointement, si la Vie - Esprit doit prédominer.
Pour explorer la Terre Sacrée de La Doctrine Secrète, nous devons porter les armes de l’altruisme, de l’intuition et de la perception des principes universels. Celui en qui ces trois qualités n’existent pas, ne sera vraisemblablement pas attiré par cette aventure, mais s’il devait commencer le livre, il n’en recevra ni l’énergie ni la spiritualité, quand bien même son mental serait charmé et captivé. Ceux qui possèdent ces facultés dans une certaine mesure et qui désirent les exercer, ou ceux qui désirent sérieusement les développer sont les bienvenus pour participer à cette expédition et nous pouvons leur promettre d’ores et déjà une riche récompense.
Dans notre premier article nous avons pris note de la méthode d’étude conseillée par H.P.B. dans ses « Notions erronées sur La Doctrine Secrète ». Dans les études qui ont suivi, nous sommes parvenus aux bases requises. Si nous décidons d’acquérir la connaissance des principes universels, qui est la voie sûre pour libérer notre mental des griffes des principes particuliers kamiques, nous sommes sûrs de contacter le plan de l’intuition au bon moment et alors notre Volonté Créatrice agira de façon altruiste. Mais nous ne devons pas attendre que la compassion exprime l’altruisme et seulement réfléchir aux réalités cosmiques ultimes, déterminés à voir l’un dans le multiple ; en faisant cela, nous devons consacrer du temps et de l’attention à La Voix du Silence, à nous servir de La Clef de la Théosophie, pour aider l’intuition et l’altruisme en cours d’éveil.
Avec ce bagage, nous sommes prêts à attaquer le livre, et suivant notre plan, bien entendu, la première chose que nous devons essayer de maîtriser ce sont les Trois Propositions Fondamentales établies par La DOCTRINE SECRÈTE et dont traite La Doctrine Secrète. Ce sont des axiomes et il n’est pas nécessaire de les postuler. Ce sont des Vérités évidentes par elles-mêmes - des Vérités évidentes pour le Soi. Le Soi Universel par sa perception, sait, réalise, et même est ces Vérités. Nous, les êtres humains, ne les voyons que partiellement et notre croissance n’est que croissance dans la réalisation de ces trois Vérités. Que l’on comprenne clairement qu’en ce qui les concerne, il n’y a aucun ordre d’importance, de succession ni même de compréhension. Dans la mesure où nous en comprenons une, nous comprendrons les deux autres, dans la même proportion. Les Propositions Fondamentales forment le Triangle original, idéal et archétypal, à trois côtés égaux – Esprit Immortel, Matière Indestructible, Énergie toujours-conservée, à trois angles égaux - Idéation, Forme, Mouvement. On peut aussi les envisager comme le Cercle, la Sphère, le Plein, résultant du Point et constitués de points. Comme espace et comme lieu, grand ou petit, comme durée et comme temps, long ou court ; le Un Non-Manifesté et sa manifestation triple est partout ; la Nature Une Indivisible Trinité, devenant des trinités sans fin. Ainsi Le Devi Bhagavat (5) enseigne : « On peut dénombrer les grains de sable, mais on ne peut compter les univers » ; et dans l’une des Upanishads les moins connues, il est dit :
« Tout autour de ce Brahmanda (l’Œuf de Brahma, par ex. un système solaire) flamboient à l’infini des millions de Brahmandas, chacun a sa propre coquille (ou enveloppe, chaque soi sa propre sphère) à quatre faces, à cinq faces jusqu’à atteindre des parties de Narayana (6) à mille faces, dans lequel la qualité de Rajas prédomine, chacun déployant un système de mondes, chacun sa déité présidente. Des aspects de Narayana, nommés Vishnu et Maheshvara (7), dans lequel les qualités de Sattva et de Tamas prédominent, sont aussi présents, accomplissant leur œuvre de préservation et de destruction, de conservation et de régénération. Ces Brahmandas flottent comme des bancs de poissons dans l’Océan de l’Existence ; ces Brahmandas enflent et éclatent comme des bulles à la surface des Profondeurs toujours existantes. »
Il est dit ci-dessus que ces propositions sont des axiomes, mais elles ne sont pas évidentes pour tous, pas plus que l’axiome qu’une ligne est une longueur sans largeur n’est une évidence pour les débutants dans l’étude d’Euclide. Comme dans toute autre science ou philosophie, l’étudiant en Théosophie doit apprendre ces Trois Propositions Fondamentales et si ses facultés ne parviennent pas à lui révéler leur caractère axiomatique, il doit alors commencer par les postuler. Ceci ne signifie pas que celui qui postule ne verra jamais la nature axiomatique de ces propositions pas plus que l’élève qui postule que le point a une position mais pas de largeur demeurera aveugle à cet axiome.
Jetons un coup d’œil rapide sur ces propositions traitées aux pages 14 à 18 du Volume I de manière à pouvoir les relier à ce qui vient d’être dit ci-dessus. « La réalité impersonnelle qui pénètre le Cosmos » (pp. 14 et 15) est le Parent Universel de toutes les personnalités individuelles. Chacun d’entre nous y a sa racine. Voici une proposition sur laquelle il faut réfléchir jusqu’à ce qu’elle féconde le mental et que ce dernier conçoive la réalité qu’il détient à l’intérieur. Nous alternons entre l’oubli et la mémoire de cette Réalité, qui engendre « l’Éternité du Pèlerin » qui est « comme un clignement de l’Œil de la Soi-Existence » (pp. 16 et 17), cet œil n’étant pas d’un Être, ni une chose, mais en lui-même une condition, un état ou un plan, qui est la Réalité Impersonnelle. C’est ainsi que naissent notre état de veille et notre sommeil, nos jours et nos nuits, notre vie et notre mort, notre involution et notre évolution, le « retour régulier du flux et du reflux » (p. 17). C’est la deuxième proposition qu’il faut regarder et contempler avec l’œil du cœur qui est l’intuition – le mystère de la diastole et de la systole du cœur spirituel qui dans son extension se souvient et dans sa contraction oublie la Vérité des vérités – son propre état impersonnel toujours-existant. On laisse derrière soi cet oubli, on peut revêtir l’habit de la mémoire lorsque ce cœur « par des efforts auto-induits et auto-déterminés » (p. 17) peut agir avec altruisme pour le tout dont il n’est qu’une partie. L’Altruisme est la vraie mémoire de la vérité de « L’identité fondamentale de toutes les Âmes avec la Sur-Âme Universelle » (p. 17). C’est la troisième proposition que nous connaîtrons par et grâce à l’action – « du fait de son effort et de son mérite personnels » (p. 17) – par le travail de l’amour, par une corvée rendue divine.
Percevoir l’interrelation et l’interdépendance de l’homme et de la nature ; établir la correspondance qui existe entre les principes universels et particuliers ; savoir que notre mental est le théâtre où s’expriment les énergies de l’Esprit et les ombres projetées par les mouvements de la Matière ; pratiquer la doctrine de la Fraternité Universelle – tous sont les descriptions d’un seul et même processus, dans différentes langues, de principes métaphysiques ou éthiques. La même vérité, identique, est contenue dans les deux citations suivantes – la première est exprimée de façon métaphysique, la seconde de façon éthique.
« Celui qui prétend être un occultiste ne doit séparer, ni lui-même ni quoi que ce soit, du reste de la création ou de la non-création. À partir du moment où il se distingue même d’un vase à usage vil, il ne pourra pas s’unir à un vase à usage noble (8). Il doit penser de lui-même qu’il est un quelque chose d’infinitésimal, même pas un atome individuel, mais comme une partie des atomes du monde dans leur ensemble, ou devenir une illusion, un rien du tout et disparaître comme un souffle sans laisser de trace derrière lui ? En tant qu’illusions, nous sommes des corps distincts séparés, vivant sous les masques prêtés par Maya (9). Pouvons-nous prétendre à ce qu’un seul atome de notre corps soit bien à nous ? Tout, de l’esprit à la plus infime particule, est une partie du tout, au mieux un maillon. Brisez un seul maillon et c’est l’annihilation ; mais cela est impossible. (Les Transactions of the Blavatsky Lodge, p. 138.)
« Celui qui ne pratique pas l’altruisme ; celui qui n’est pas prêt à partager son dernier morceau de pain avec un être plus faible ou plus pauvre que lui ; celui qui néglige d’aider son frère, de quelque race, nation ou croyance qu’il soit, chaque fois et partout où il rencontre de la souffrance, et qui fait la sourde oreille aux cris de la misère humaine ; celui qui entend une personne innocente calomniée, que ce soit un frère théosophe ou non, et ne prend pas sa défense comme il le ferait pour lui-même — n’est pas un Théosophe. (10) (Revue Lucifer, Vol. I, p. 169)
Les conseils et instructions si souvent prodigués afin que le désir de servir devienne une habitude pour tous les étudiants de la Sagesse et tous les aspirants à la spiritualité sont enracinés dans ce fait que toute la Nature est une unité. L’aspect actif de l’Esprit se manifeste comme le pouvoir d’union inhérent aux éléments chimiques ou aux cœurs humains. « Les rivières se mêlent à l’océan », « les montagnes baisent le haut Ciel », « du soleil la lumière étreint la terre, les rais de lune baisent la mer » et
Rien dans le monde n’est solitaire
Toutes choses par loi divine
En un esprit se rencontrent, se mêlent. (11)
Les poètes et les mystiques perçoivent cette Fraternité dans la Nature, même vaguement, par exemple Shelley (12) :
Terre, océan, air, fraternité bien-aimée !
Si notre grand-Mère a imbu mon âme ?
Avec quelque piété naturelle pour sentir
Votre amour, et récompenser cette faveur avec le mien
Si à aucun oiseau brillant, insecte ou gentille bête
Je n’ai en toute conscience fait de mal, mais si je les ai toujours aimés
Et chéris comme des parents, alors, pardonnez-moi
Cette vanterie, frères bien-aimés, et ne me retirez
Rien de votre faveur coutumière ! (13)
Alors que le poète ressent cela de manière mystique, le Sage de la Connaissance occulte en perçoit le fait et l’étudiant de La Doctrine Secrète est amené à l’apprendre. Les Trois Propositions Fondamentales connues comme altruisme, intuition et perception des Principes universels sont présentés dans la Gita de la façon suivante :
« Je te dirai maintenant l’objet de la sagesse dont la connaissance procure à l’homme l’immortalité ; c’est ce qui est sans commencement, c’est en vérité Brahman le Suprême qui ne peut être qualifié d’Être ou de Non-Être. Il a des mains et des pieds dans toutes les directions ; des yeux, des têtes, des bouches et des oreilles dans chaque direction ; il est immanent dans le monde et possède le vaste tout. Lui-même dépourvu d’organes, il est reflété par tous les sens et toutes les facultés ; non attaché et cependant supportant tout ; sans qualités et cependant le témoin de toutes les qualités. Il est à l’intérieur et à l’extérieur de toutes les créatures animées et inanimées, il est inconcevable à cause de sa subtilité et, quoique proche, toujours lointain. »
« De même qu’un seul soleil illumine le monde entier, ainsi l’Esprit Unique illumine chaque corps, ô fils de Bharata. » (14)
Ce qui suit est tiré des Upanishads (15) :
« Lui seul brille. Par sa lumière, tout ceci qui nous entoure fut allumé, et continue de briller. (Katha, V, 15)
« Cette lumière qui resplendit bien au-dessus de cet espace céleste, au-dessus de la création tout entière, au-dessus de tout, et qui se trouve dans les mondes suprêmes que rien ne peut surpasser en perfection, est certainement cette lumière qui réside à l’intérieur de l’être humain. » - (Chhandogya, III.xiii.7)
« Ceci est la vérité : de même que d’un feu en plein flamboiement s’envolent des étincelles par milliers, de même essence que le feu, de même, mon ami, de l’Éternel surgissent les diverses créatures, qui en sortent et y retournent. » (Mundaka, II.i.1)
La Lumière à l’intérieur de l’homme est celle de l’Étincelle du Feu Éternel qui toujours brûle auquel les anciens Iraniens et leurs descendants modernes les Parsis rendent hommage et qu’ils invoquent avec vénération ainsi :
« Puisses-tu illuminer ce foyer ! Puisses-tu y brûler toujours ! Puisses-tu croître et grandir, même jusqu’à ce Jour lointain où le Rétablissement du Pouvoir aura lieu dans le Monde, jusqu’au temps de la Rénovation du Monde, faite de bonté et de force. » (Atash-Nyaish). (16)
On peut faire de nombreuses citations mais permettez-nous de vous citer la source de toutes celles « dans le langage mystérieux des anciennes Stances » dans lesquelles les Trois Propositions Fondamentales sont enseignées en termes de Principes universels et particuliers, sur lesquelles nous devons réfléchir jusqu’à ce que nous les percevions par l’Intuition et que nous brisions l’illusion de « Ton Âme et Mon Âme » par l’Altruisme. (La Doctrine Secrète, I. 120) :
Lève la tête, ô Lanou : vois-tu une lumière ou des lumières innombrables au-dessus de toi, brûlant dans le ciel noir de minuit ?
J’ai la sensation d’une seule Flamme, ô Gurudeva. Je vois des milliers d’étincelles non détachées qui brillent en elle.
Tu dis vrai. Et maintenant, regarde autour et en dedans de toi-même. Cette lumière qui brûle au-dedans de toi, la sens-tu différente d’une quelconque manière de la lumière qui brille dans tes Frères humains ?
Elle n’est nullement différente, quoique le prisonnier soit tenu en captivité par Karma, et que ses vêtements extérieurs trompent les ignorants en leur faisant dire : "Ton Âme et Mon Âme. (17)
Article de B.P. Wadia
Notes :
(1) : De Puja (Sk.) offrande. NDT.
(2) : Le désir de vivre, qui cause les réincarnations. NDT.
(3) : Le libéré. NDT.
(4) : Traduction, l’Océan de Théosophie, chap. XI, p. 103. NDT.
(5) : Le Devi-Bhagavat fait partie des Puranas, groupes de textes religieux anciens de la littérature indienne. NDT.
(6) : « The Mover on the Waters », Celui qui se meut sur les eaux, titre de Vishnu, dans son aspect d’Esprit Saint. NDT.
(7) : Le Dieu Shiva. NDT.
(8) : Image empruntée à l’évangile de Timothée 2. 20-21. NDT.
(9) : Maya, l’Illusion. NDT.
(10) : H. P. Blavatsky, extrait de l'article « Que chacun donne les preuves de son travail » Cahier théosophique n° 90. NDT
(11) : Percy Bysshe Shelley, poème « La philosophie de l’amour ». NDT.
(12) : Percy Bysshe Shelley, Poème « Alastor ou l’esprit de la solitude ». NDT.
(13) : Œuvres poétiques complètes de Shelley, traduction par F. Rabbe, T. I, 2e éd., Paris, P.-V. Stock, 1907. NDT.
(14) : Traduction L.U.T. La Bhagavad-Gita éd. Textes Théosophiques. NDT.
(15) : Voir le site http://www.les-108-upanishads.ch/. NDT.
(16) : Dans le Zoroastrisme on parle bien de Rénovation de la Création. NDT.
(17) : Traduction éd. Société Théosophique Adyar. NDT.