Notes sur l’Évangile selon St. Jean

Notes sur l’Évangile selon St. Jean

27 Aoû, 2021

L'article préliminaire de cette série a principalement pour objet la traduction des premiers versets du texte original, dans l’état où il nous est parvenu ; il en souligne les difficultés et définit les libertés permises dans l'interprétation sans violer le sens du texte grec. Même ceux qui ne comprennent pas la langue originale y trouveront un grand intérêt et découvriront le danger que l’on court à se fier à une traduction officielle, ou même à une traduction quelle qu'elle soit non accompagnée d'un copieux commentaire. De plus, s'il apparaît que de telles difficultés surgissent lorsque le texte original est en grec, à quels obstacles plus grands en­core ne se heurtera-t-on pas avec des textes rédigés en une langue aussi, essentiellement occulte et susceptible d'infinies permutations de significations que l'hébreu !

Les originaux des Écritures Juives étaient écrits sans l'indication des voyelles au moyen de points, et chaque école possédait sa tradition particulière fixant les points à employer. Dans ces conditions, pourquoi devrait-on donner la préférence au système d'une seule école — celle des Massorètes — à l’exclusion de tous les autres, c'est ce qui dépasse l'entendement de tout être sensé — sauf du bigot orthodoxe.

De ce point de vue l'article préliminaire ne manque­ra donc pas d'intérêt.

I

1. Au commencement était le Logos, et le Logos était pros ton theon, et le Logos était theos.

Dès le premier verset une très grande difficulté apparaît, dans l'interprétation correcte du curieux complément pros  ton theon. Dans la Vulgate il est rendu par apud Deum, «  avec Dieu » — non dans le sens de « en compagnie de Dieu » (ce qui serait cum Deo), mais plutôt de « à Dieu », « près de Dieu ». Mais le latin apud rend-il le grec, pros ? Apud est une préposition qui exprime le repos tandis que pros, suivi de l'accusatif, dénote fondamentalement un mouvement : en latin, versus, adversus, qui contient une idée d’hostilité et, métaphysiquement, de comparaison. Dans ces conditions, traduire pros ton theon par « avec Dieu » c'est prendre une liberté gratuite avec le sens ordinaire du terme.

Ainsi, tout ce qu'on peut déduire du texte, tel que nous le possédons, c'est qu'une certaine indication est donnée relativement au Logos par rapport à Dieu et que cette indication diffère considérablement de la proposition suivante : « Le Logos était Dieu ». Nous sommes donc en droit de donner à la phrase en question une interprétation philosophique. Remarquez que l'article est employé avec theos dans la première des propositions et omis dans la seconde. Le Logos était Dieu ou la Divinité ; c'est-à-dire que le Premier Logos ou Logos non manifesté, est essentiellement le même que Parabrahman [l’Absolu]. Mais aussitôt que le premier Point potentiel apparaît, nous avons, à partir de ce moment, ce Point et le reste, c'est-à-dire, ho logos et ho theos (1) — avec leur mutuelle relation, établie dans la proposition : « le Logos était pros ton theon ».

La même expression se trouve dans Romains, l, 5 : « Nous avons la paix avec Dieu » (eirenen pros ton theon).

2. Ce dernier (le Logos) était, au début, pros ton theon.

Pourquoi cette répétition ? L'idée avancée est-elle qu'au premier frisson de « l'aube manvantarique » [l’aube du nouvel univers] il y avait le Logos et Mulaprakriti [la substance primordiale] ?

Mais ici un doute apparaît : le sens de arche est-il bien « au commencement » ? Comme on le sait, une grande controverse a opposé différentes interprétations du premier verset de la Genèse, et bien que l'orthodoxie traduise beraschit par « au commencement » le Targum de Jérusalem exprime ce mot par « dans la sagesse ».

Rappelons ici qu'un grand nombre d'auteurs comme Godfrey Higgins (dans son ouvrage Anacalypsis), Inman et bien d'autres de la même école, ont démontré que archè avait le même sens que argha argo, l'arche, le navire de Jason à bord duquel il partit chercher la, « toison d'or » (Appollonius de Rhodes), et par conséquent archè correspond exactement à Jagadyoni, « la matrice de l'univers », ou plutôt à sa cause matérielle, ou karana, si l'on en croit les commentateurs des Puranas (2) ; en réalité, d'après la Philosophie Ésotérique, c'est l'esprit idéal de cette cause. C'est le Svabhavat des Bouddhistes et la Mulaprakriti des philosophes Védantins.

S'il en est ainsi, il nous faudra chercher une autre interprétation.

Le Premier Logos était en Mulaprakriti, symbolisé par le Point intérieur au Cercle de l'Espace, « dont le centre est partout et la circonférence nulle part ».

Cette difficulté étant levée, en voici une nouvelle : quelle est la distinction à faire entre theos et ho theos ? Quel est le terme supérieur ? Peut-on assimiler les deux à Parabrahman ?

Doit-on comprendre ici qu'en Pralaya le Logos n'a affaire qu'avec Parabrahman ou n'est uni qu'avec Lui, en fait est un avec Lui ?

S'il en est ainsi, le sens du verset 2 doit être le suivant : avant que la différenciation ne se produise, le Logos est pur esprit et est concerné par les seules choses de l'esprit.

Cependant, si c'est là le sens, il est difficile de comprendre pourquoi l'article est omis devant archè.

3. Toutes choses sont appelées à être (ou exister) par lui (c'est-à-dire le Logos), et sans lui rien ne naît de ce qui est (ou est appelé à venir).

Le mot : Panta, « toutes choses », doit être distingué de kosmos (cosmos) qui apparaît dans le 10ème verset.

En effet, kosmos est employé par les philosophes pour désigner l'univers organisé en opposition au Chaos ou indigesta moles. De plus, il est évident que le verset 10 parle d'un stade d'émanation ou d'évolution postérieur à celui du verset 3. Aussi ne semble-t-il pas exagéré de traduire panta par « toute manifestation », autrement dit, tous les univers et tous les systèmes.

Il n'y a rien qui autorise la traduction : « toutes choses furent faites par lui ». Le verbe gignomai ne signifie pas « faire » mais « devenir ». Il est rare de trouver le mot dia — comme préposition traduisant l'effet d'un agent ou d'un instrument — dans le sens de « par ». L'idée fondamentale est « à travers », qu'il s'agisse d'un lieu ou d'un temps. C'est par métaphore qu'on emploie dia dans un sens causal ; on en est venu finalement à utiliser le mot pour indiquer la matière dont est fait un objet. De telle sorte que même si on adoptait l'idée de création, on devrait conclure que toutes choses ont été faites « à travers » le Logos, ou « à partir de sa substance ».

Si l'on compare ces trois premiers versets avec le premier chapitre de la Genèse, on remarque qu'il n'est pas du tout question ici du Vide du Chaos ; raison de plus pour considérer le mot arche avec une grande attention.

4. En lui (le Logos) était la Vie, et la Vie était la Lumière des hommes.

Zoe (la vie) diffère de panta (la manifestation objective) en ce qu'elle est inhérente au Logos, on en lui, et n'est pas émanée par lui. On peut donc la considérer comme un pouvoir du Logos. Mais le Logos du 3ème verset n'est pas le même que le Logos du premier. Essentiellement, ou dans l'éternité, bien entendu, ils sont identiques, mais, dans le temps, ils correspondent à un stade différent d'émanation.

Dans la Doctrine Secrète, ce dernier Logos est appelé le deuxième ou troisième Logos, les « fils lumineux de l'aube manvantarique », ou les « constructeurs » — lesquels forment une hiérarchie septénaire.

Cette puissance du Troisième Logos est-elle donc Fohat [l'énergie du Logos] ? Et s'il en est ainsi doit-on assimiler ce qui est appelé ici phos (Lumière) à Buddhi [l’Âme spirituelle] ou Manas [le mental]  ?

Ce que je vous dis dans les Ténèbres (en tè skotia), dites-le en pleine Lumière (en to photi), et ce qui vous est dit à l'oreille, prêchez-le sur les toits. — Matthieu, X, 27.

C'est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les Ténèbres (en tè skotia) sera entendu dans la Lumière (en to photi), et ce que vous aurez dit à l'oreille dans les cryptes (les lieux retirés, les chambres secrètes) sera prêché sur les toits. — Luc, XII, 3.

Dans ces passages skotia (les ténèbres) est évidem­ment employé dans le siens métaphorique et en réalité c'est un mot rare et d'emploi tardif, et très rarement appliqué dans le cas de l'obscurité physique. Skotia (ténèbres) désigne donc l'enseignement ésotérique et phos (lumière) l'enseignement exotérique : la relation entre les deux idées est la même par analogie qu'entre la skotia et le phos de Saint Jean.

Tameion (chambre secrète) est un étrange terme employé dans la Pistis Sophia pour désigner les différentes divisions du Kama Loka [les états après la mort] : c'est le Grand Serpent ou la Lumière Astrale.

« Ce que vous avez dit (c'est-à-dire les sons que vous aurez émis — du verbe grec lalein) dans l'oreille ». Ici lalein (murmurer) ne veut pas dire parler à la manière habituelle comme l'implique la traduction orthodoxe ; lalein se distingue dans tous les cas de legein (dire) et s’emploie très souvent pour traduire la production de musique, de sons naturels, de chants. Ceux qui ont lu des traités relatifs aux invocations gnostiques et aux noms employés dans les mystères, aux mantrams, etc... comprendront le sens de ce terme.

Le mot skotos (employé dans Ephésiens, V, 8 ; Luc, XXII, 53 ; Matthieu, XIII, 12 ; 2 Pierre, II, 17) possède dans tous les, cas un sens mystique dont l'étude — aussi intéressante soit-elle — nous entraînerait trop loin de notre sujet. Il faut cependant bien se garder de chercher à appuyer l’interprétation d'un mot quelconque du Nouveau Testament sur une citation du même mot tirée d'autres passages et d'autres livres. Le Nouveau Testament n'est pas une unité : il est aussi inuti1e d'essayer de réconcilier les sens de mots particuliers à partir de leurs divers contextes ou d'en définir un sens spécial stéréotypé que de prendre le mot buddhi et de lui attribuer de force le même sens dans toutes les écoles qui emploient ce terme — écoles Ésotérique, Samkhya, Yoga, Boud­dhiste, etc...

5. Et la Lumière brille dans les Ténèbres et les Ténèbres ne la comprennent pas.

Dans la Doctrine Secrète, ces Ténèbres sont syno­nymes de pur esprit et la Lumière typifie la matière, dans le cas présent.

Dans leur fondement radical, métaphysique, les Ténèbres sont la Lumière subjective et absolue ; tandis que la Lumière, dans toute son apparence d'éclat et de gloire, n'est qu'une masse d'ombres, du fait qu'elle ne peut jamais être éternelle, et elle n'est rien de plus qu'une illusion, ou Maya (3).

Dans ce verset, faut-il prendre les mots Lumière et Ténèbres dans le même sens ? Ou bien l'idée est-elle que cette « Vie » qui est la puissance du Logos, est considérée par les hommes comme « Lumière », alors que ce qui est supérieur à la Lumière — le Logos (c'est-à-dire, pour eux, les Ténèbres) est la véritable « Lumière » ? « Les Ténèbres ne la com­prirent pas », dans ce cas voudrait dire que l'esprit absolu n'a pas appréhendé ou compris cette « Lumière » illusoire.

6. Il y eut un homme envoyé divinement (para theou, sans article) dont le nom était Jean.

7. Il vint pour servir de témoin, afin de porter témoignage au sujet de la Lumière, afin que tous puissent trouver confiance par elle.

Si cette « Lumière » doit être prise comme étant identique à l'esprit-Christ, elle représente Buddhi ; mais si phos est Manas, on pourra éviter la difficulté en donnant à phos le sens de Buddhi-Manas.

8. Il n'était pas la Lumière mais c'est pour témoigner de la Lumière qu'il est venu.

9. La Lumière était la (véritable) Lumière qui illumine chaque homme (être humain) venant dans le monde.

II

1. Au commencement (Mulaprakriti) était le Verbe (Troisième Logos), et le Verbe était avec Dieu (pros ton theon ; Second Logos), et le Verbe était Dieu (Premier Logos).

Cependant les trois Logoi sont un.

2. Ce Logos (l'essence des Logoi) était au commence­ment (en Mulaprakriti) identique avec Parabrah­man.

Il y a évidemment une différence entre l'expression pros ton theon lorsqu'on l'applique au Logos consi­déré comme unité et lorsqu'elle caractérise le second aspect, comme dans le verset 1.

3. Le troisième vers et se réfère au Troisième Logos, ou Logos Créateur.

Toutes choses sont venues à l':existence par l'effet de son activité (celle du troisième aspect du Logos) et la source de leur existence, ou les choses elles-mêmes, était constituée par les deux aspects supérieurs de l’Essence.

4. En Lui — le Logos pris comme unité — était la Vie, et la Vie était la Lumière des « hommes ». C’est-à-dire des initiés ; car on donne aux profanes le nom d'« ombres (chhayas) et images ».

Cette Lumière (phos) est Atma-Buddhi, dont Kundalini, ou le feu sacré, est un Siddhi ou pouvoir ; c'est la force serpentine, qui se meut en spirale, dont l'usage inconsidéré peut tuer.

5. Et la Lumière ou Vie, considérée comme Essence une, brille dans les Ténèbres et les Ténèbres ne la comprennent pas.

On peut dire que l'Essence du Logos ne comprend pas Parabrahman, pas plus que Parabrahman ne comprend l'Essence. Tous deux ne sont pas sur le même plan, pour ainsi dire.

6. Il Y eut un homme, un initié, envoyé de l'esprit, dont le nom était Jean.

Jean, Oannes, Dagon, Vishnu, le microcosme personnifié. Le nom peut être pris dans sa signification mystique ; entendez par là que cet homme personnifie le pouvoir du nom de mystère « Ioannes ».

7. Il vint pour porter témoignage sur la Lumière afin que tous puissent être vivifiés par elle.

De la même manière, Krishna l'Avatara de Vishnu dit dans la Bhagavad Gîtâ qu'il est venu pour être un témoin.

8. Il n'était pas la Lumière, mais il vint pour porter témoignage sur là Lumière.

9. Cette Lumière est la Réalité Une qui illumine tout homme venant dans le monde.

C'est dire que nous avons tous une étincelle de l'Essence Divine en nous-mêmes.

10. Les deux versets suivants représentent la descente de l'Esprit dans la Matière, le 10ème répétant le 3ème sur un plan inférieur.

En outre, à peine la lumière descend-elle dans la matière qu'elle est anthropomorphisée.

Il (l'Esprit, la Lumière) était dans le Cosmos et c'est par son effet que le Cosmos est venu à l'existence et le Cosmos ne l'a pas connu.

11. Il est venu chez les siens (c'est-à-dire qu'il est descendu dans les principes inférieurs, ou J'homme inférieur, ou, d'une façon générale, l'humanité -ta idia, terme neutre) et les siens (terme masculin) ne l'ont pas reçu.

La première partie de ce verset envisage les choses du point de vue abstrait ou impersonnel, la seconde du point de vue personnel. Les principes et leurs pouvoirs deviennent individualisés.

12. Mais à tous ceux qui l'ont reçu (Atma-Buddhi) il a donné lie pouvoir de devenir Enfants de Dieu (Initiés), c'est-à-dire à ceux qui ont confiance en son nom.

C'est le nom, ou son, le Oeaohoo de la Doctrine Secrète et le aeĕiouō de la Pistis Sophia. Il est étrange que les mots latins nomen (nom) et numen (déité ou divinité) se ressemblent à tel point.

13. Lesquels sont nés (temps aoriste itératif) non de « sangs », ni de la volonté de la chair, ni de la volonté du mâle, mais de Dieu.

Le terme « sangs » — notez l’emploi étrange du pluriel — est le même que « les vies » de la Doctrine Secrète ; ce sont les centres élémentaux de force, l'aspect microcosmique des Tattwas macrocosmiques ; les « nés de la sueur » qui n'étaient pas « nés-de-la-volonté » mais plutôt nés inconsciemment.

Ceux qui sont « nés de la volonté de la chair » sont les androgynes « nés-de-l'œuf » de la Doctrine Secrète, nés par le pouvoir de Kriya-shakti, le « pouvoir de la Volonté ».

Ceux qui sont « nés de la volonté du mâle » — non de l'homme — sont les hommes nés de la manière ordinaire, après la séparation des sexes.

Tandis que le terme « ceux qui sont nés de Dieu », les Fils de Dieu, se réfère à la « Seconde Naissance ».

14. Ainsi le Logos devint chair (s'est incarné) et demeura en nous (littéralement élut domicile en nous) — c'est-à-dire fut revêtu d'un corps ou de corps. Et nous avons vu son apparence (non sa gloire, excepté dans le sens de shekinah, ou voile) l'apparence du fils unique du Père plein de grâce et de vérité.

Le mot doxa, traduit ici par gloire, ne se trouve nulle part avec ce sens en grec.

Platon emploie doxa dans le sens d'opinion, en opposition à episteme, connaissance, et Eschyle (Cho, 1053) l'emploie pour exprimer une vision.

Dans ce verset, le « Père » signifie le Svabhavat, Père-Mère. Le Svabhavat des Bouddhistes, le Père-Mère (terme composé) de la Doctrine Secrète et la Mulaprakriti des Védantins. Mulaprakriti n'est pas Parabrahman, bien qu'elle soit, pour ainsi dire, « contemporaine » de Parabrahman. On peut la définir peut-être, comme l'aspect connaissable de ce dernier (4). Le premier-né est le Sanskrit aja, le grec hagnos ou agneau. Les agneaux, les brebis les chèvres étaient sacrifiés à Kali, l'aspect inférieur d'Akasha (ou Lumière Astrale). Le « Fils Unique » a été sacrifié au Père, c'est-à-dire que la partie spirituelle de l'homme est sacrifiée à la partie astrale.

Le mot charis (« grâce ») est difficile à traduire. Il correspond à l'aspect supérieur d'Akasha. Ces deux aspects sont les suivants :

Plan spirituel : Alaya (Ame de l'Univers) ; Akasa.

Plan psychique : Prakriti (Matière ou Nature) ; Lumière Astrale ou le Serpent.

15. Jean porte témoignage sur lui et s'écrie : « C'est de Lui que j'ai parlé ; venant après moi Il m'a précédé ; car il était avant moi (protos — notez ce mot curieux) ».

Ceci veut dire, du point de vue du disciple, que le principe divin Atma-Buddhi se manifeste postérieurement dans le temps, car l’union avec ce principe n'est consommée qu’à la fin du Sentier. Cependant cette étincelle du Feu divin a précédé la personnalité éphémère du néophyte, car elle est éternelle et présente dans chaque homme bien que non manifestée. Aussi avons-nous Oannes comme le représentant de Vishnu ; c'est un Jivanmukta, un homme devenu adepte, par l'effet de ses propres efforts. Ce personnage particulier — qui est un individu  représentatif d'une classe — parle dans le cadre du temps et de l'espace ; tandis que la Sagesse Une est dans l'éternité et est donc « première » (protos).

16. Et de son Plérôme nous avons tous reçu, et faveur pour faveur.

Il faut distinguer le pleroma (Plerôme ou Plénitude) de Mulaprakriti.

Le Plérôme est la manifestation infinie en manifestation, la Jagad Yoni ou l'Œuf d'Or ; Mulaprakriti est une abstraction, la Racine de la Jagad Yoni, la Matrice de l'Univers, ou l'Œuf de Brahmâ.

Aussi le Plérôme est-il le Chaos. « Faveur pour faveur » veut dire que ce que nous recevons, nous le restituons, atome pour atome, service pour service.

Le sens du verset 16 dépend du verset 17.

17. Car la Loi fut transmise par Moïse mais la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ.

L'illusion extérieure ou la « Doctrine de l'Œil » nous la devons à Moïse ; la réalité ou « Doctrine du Cœur », c'est de l'Esprit Divin Atma-Buddhi que nous la tenons.

18. Aucun homme n'a vu Dieu (Parabrahman) en aucun temps.

Non, pas même le Premier Logos, qui, comme l'ex plique T. Subba Row dans ses conférences sur la Bhagavad-Gîtâ ne peut que voir son voile, Mulaprakriti.

Le Fils Unique, le Logos, qui est dans le sein du Père, en Parabrahm, a affirmé le Père (il l'a montré en manifestation, mais il ne l'a pas vu).

III

19. Voici le témoignage de Jean, lorsque les Juifs envoyèrent de Jérusalem des sacrificateurs et des Lévites pour lui demander : Toi, qui es-tu ?

Ce verset fait allusion à la grande dissension qui opposa d'une part les Innocents, les Cabalistes ou Initiés de la Judée préchrétienne, et la Synagogue d'autre part, et qui faisait suite à la lutte entre les Prophètes et les Prêtres.

Aussi, dans ce contexte, il faut entendre par Joan­nes, ou la Sagesse, la Parole ou la Voix Secrète, Bath Kol, que les Juifs appelaient la Voix de Dieu, ou la Fille de Dieu. C'est en vérité la Voix de la Sagesse. Dans le présent contexte n'apparaît toutefois qu'un écho de la tradition.

20. II déclara, et ne le nia point, il déclara qu'il n'était pas le Christ.

Il. volait dire par là : Je ne suis pas le Christos glorifié.

21. Et ils lui demandèrent : Quoi donc ? Es-tu Elie ? Et il dit : Je ne le suis point. Es-tu ce prophète-là ? Et il répondit : non.

La racine du nom Elie, en hébreu et en copte, possède le sens de Buddhi. C'est un jeu de mots sur Buddhi. L'idée exprimée est celle des principes Manas et Buddhi séparés d'Atma. Il faut faire une différence avec le Christos, l'oint d'Alaya.

« Ce prophète-là », ou plutôt « le prophète », est le Manas supérieur.

Jean, parlant comme un homme mortel — le Manas inférieur — ne parle pas en s'identifiant à l'un des trois « principes » supérieurs, Atma (l'Absolu), Buddhi (le Spirituel) et le Manas (ou Mental) Supé­rieur.

En rapport avec l'idée que Jean aurait pu être la réincarnation d'Elie, il est intéressant de citer un passage remarquable de la Pistis Sophia. Le « Jésus Vivant », le « Mystère Premier » ou Roi Initié, s'ex­prime en ces termes :

Il arriva qu'étant venu au milieu des Régents des Eons et ayant abaissé mes regards vers le Monde des hommes, j'y trouvai Elizabeth, mère de Jean-Baptiste, avant qu'elle l'ait conçu en son sein. En elle je plantai le Pouvoir que j'avais reçu du Petit Iao, le Bon qui est au milieu (5), afin que Jean vienne prêcher avant moi, qu'il prépare ma voie et baptise d'eau pour la Rémission des Péchés. Ainsi ce Pouvoir est (6) dans le corps de Jean. Et de plus, dans la Région de l'Âme des Régents, dont la fonction est de la recevoir, je trouvai l'Âme du prophète Elie dans les Eons de la sphère, et je le pris, et, recevant aussi son Âme, je la portai à la Vierge de Lumière, et elle la donna à Ceux qui la reçoivent; ces derniers conduisirent l’Âme à la Sphère des Régents et l'entraînèrent dans le sein d'Elizabeth. C'est ainsi que le Pouvoir du Petit Iao, le Bon, qui est au Milieu, et l'Âme du prophète Elie sont liés ensemble dans le corps de Jean-Baptiste.

Et c'est pour cette raison que vous avez douté à ce moment-là, quand je vous ai dit : Jean a dit : « Je suis le Christ » — et vous m'avez répondu : « Il est dit dans les Écritures : Si le Christ vient, Elie le précèdera et préparera sa voie ». A quoi j'ai répondu : « En vérité, Elie est venu et a préparé toute chose, comme il a été écrit et ils lui ont fait subir tout ce qu'ils ont voulu ». Et quand, je me suis rendu compte que vous ne compreniez pas mes paro­les concernant l'Âme d'Elie liée dans le corps de Jean-Baptiste, je vous ai répondu ouvertement et d'une manière directe : « Si vous voulez le comprendre, Jean-Baptiste est cet Elie qui devait venir. » (7)

Dans ce qui précède, Elizabeth représente le Pouvoir femelle personnifié, ou Shakti.

23. Moi, dit-il, je suis la voix de celui qui crie dans le désert. Aplanissez le chemin du Seigneur, comme a dit Esaïe, le prophète.

Je suis la Voix de Sagesse (cf. 19) qui, dans le désert de la Matière, crie : Purifiez l'Antahkarana (l'« Organe Interne » ou Homme Astral), le Sentier qui conduit de l'Homme Inférieur à l'Homme Supérieur.

Antahkarana est le Manas Inférieur, le Sentier de communication ou de communion entre la Personnalité et le Manas Supérieur ou Âme Humaine. A la mort il lest détruit en tant que Sentier ou Moyen de communication, et ses restes survivent dans une forme, comme Kama Rupa — la « coque » (8).

25. Ils lui firent encore cette question : Pourquoi donc baptises-tu, si tu n'es pas ce Christ, ni Elie, ni ce prophète ?

« Que baptises-tu » serait plus correct que « Pour quoi baptises-tu ? »

Dans la Pistis Sophia sont mentionnés de nombreux baptêmes, sceaux et symboles, ou mots de passe. Ils représentent tous des grades d'Initiation, mais on compte deux grandes divisions : les Petits et les Grands Mystères.

(1) Les Petits Mystères (comme ceux d'Eleusis). Ils sont relatifs successivement à :

  • Jiva ou Prana, le principe de Vie ; avec des enseignements concernant le côté animal de l'homme, parce que Prana est impliqué dans toutes les fonctions de la nature,
  • l'Astral,
  • le Kama [les désirs] et le Manas Inférieur.

(2) Les Grands Mystères.

Ils se rapportent au Manas Supérieur, à Buddhi et Atma.

26. Jean leur répondit : Moi, je baptise d'eau, mais au milieu de vous il y a quelqu'un que vous ne connaissez pas.

Le baptême d’eau représente l'Homme Terrestre ou Astral.

« … que vous ne connaissez pas » : parce que c'est le principe intérieur ou supérieur, Christos.

27. C'est lui qui, venant après moi, est placé avant moi ; je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers.

C'est une répétition du verset 15, qui fait allusion au mystère de l'Homme Supérieur et Inférieur, Atma-Buddhi et le Manas Inférieur.

« Je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers », ceci veut dire que moi, Jean, l'Homme Inférieur, Je ne suis pas digne de révéler même le degré le plus inférieur des Grands Mystères, ceux de l'Homme Spirituel ; telle est la punition de la « chute dans la génération ».

28. Ces choses se passèrent à Béthanie, au delà du Jourdajn, où Jean baptisait.

Ce verset détourne intentionnellement l'attention vers des lieux géographiques, à moins de savoir chercher le sens mystique des mots Béthanie et Jourdain ; mais ici, il faudrait avoir les textes originaux, car le changement d'une seule lettre a beaucoup d'importance.

29. Le lendemain, Jean vit Jésus venant à lui, et il dit : Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde.

« Voici Jésus » ; Jésus ou Issi signifie Vie et par conséquent représente un homme vivant. L’Agneau de Dieu est le Aja dont il a été déjà question : le Logos.

« Qui ôte le péché du monde », c'est-à-dire que par le moyen de l'Initiation mineur, Prana, ou le principe de Vie se trouve purifié à un point tel que le Candidat devient digne de recevoir l'Initiation supérieure de l'Agneau, ou Aja, qui ôte le péché de l'Homme Inférieur.

Le nom Jes-us vient de l'hébreu Aish, « homme », Jes (en grec Ies, Jes, l'hébreu Aish) veut dire plusieurs choses, comme le Feu, le Soleil, un Dieu ou Déité, et aussi Homme. Il en est ainsi dans les écrits des écoles antérieures au système massorétique qui, plus tard, en entrant dans l'usage courant, corrobora la véritable prononciation originale. L'Homme s'écrivit alors Ish, et Jes, dont le féminin fut is-a, ou « femme », également l'Eve hermaphrodite avant la naissance de Caïn, comme on le voit dans le Livre des Nombres chaldéen, l'Isis égyptienne. Si pauvre était la langue hébraïque, en particulier avant la fixation de la prononciation des mots par les voyelles massorétiques que presque chaque mot et nom de la Bible pouvait se lire et s'interpréter de diverses façons, ce qui autorisait tous les Jeux de mots. Isi ou Issi, est aussi Jesse, le père de David dont les rédacteurs du Nouveau Testament s'efforcèrent de faire descendre Jésus. Il faut aussi noter que les Gnostiques avaient pareillement un nom spécial pour leur Jésus idéal — l'homme dans la condi­tion de Chrest, le Néophyte traversant les épreuves ­et ce nom était Ichtus, le poisson.

Le poisson, les eaux en général et, pour les Chrétiens, les eaux du Jourdain en particulier, sont en étroite relation avec tout le programme des antiques Mystères Initiatiques. Le Nouveau Testament dans son ensemble est une représentation allégorique du Cycle de l'Initiation, comprenant la naissance spirituelle comme Initié, suivie de sa résurrection après trois jours de transe (correspondant à un mode de purifi­cation) pendant lesquels son corps humain ou son Astral se trouve dans le Hadès, ou l'Enfer — qui est, la terre — et son Ego divin au Ciel, ou la sphère de Vérité. Le Nouveau Testament décrit la magie blanche, ou divine, qui est désintéressée, tandis que l'Ancien Testament donne les descriptions de la magie noire ou égoïste. La dernière ne donne que dans le psychisme, la première est toute spiritualité.

Notez ici que le nom du Jourdain dérive, selon les Juifs, de l'hébreu Jar-ed, qui signifie s'écouler, ou descendre ;  ajoutez au mot Jared la lettre n (en hébreu la lettre nun) et vous avez le sens de fleuve à poissons. Maintenant, en examinant le mot sous la forme Jar-­Dan, on trouve Jar — fleuve qui coule — et Dan, le nom d'une tribu de Dan, ce qui donne : « fleuve de Dan » ou du jugement. Jésus, en tant qu'homme et néophyte, est né de Marie, Mar (les eaux, ou la mer), comme est né tout autre homme ; c'est sa première naissance. À sa seconde naissance, il entre dans le fleuve Dan y demeure —  c'est le poisson ; et a la mort de son corps de chair (le corps de péché) il entre dans le Styx, qui est te fleuve du Hadès, ou Enfer, le lieu du jugement, où il est dit que Jésus descendit après la mort. Car le signe zodiacal de la tribu de Dan était le Scorpion, comme chacun sait ; et le Scorpion est le signe du principe femelle procréateur, la ma­trice, et même géographiquement le territoire reçu par la tribu de Dan était la terre de Dan qui comprenait dans ses limites les sources du Jourdain dont les eaux jaillissaient des entrailles de la terre. Comme le Styx chez les Grecs qui pendant l'épreuve de l'eau jouait un rôle semblable dans les cryptes des temples, et comme la baleine ou le poisson, qui avala Jonas dans l'Ancien Testament et le Jourdain qui reçut Jésus dans ses eaux dans Je Nouveau Testament — tous ces grands et petits « abîmes », ces captivités dans les poissons, ces eaux, etc... répondaient à un même symbolisme. Tous représentaient l'entrée dans de nouvelles conditions d’existence par la mort, qui prit la forme d'une nouvelle naissance. Tandis que Jonas, l'Initié de l'Ancien Testament est entré dans le sein de la baleine (Initiation phallique), Jésus, l'homme, en se plongeant dans l'eau (symbolisant la matrice spirituelle de sa seconde naissance) entra dans Jar-Dan, le fleuve de Dan, la tribu qui astronomique­ment était dans le Scorpion (les « portes de la femme », ou la matrice). En en sortant il devint Christos, l'Ini­tié glorifié, ou le divin androgyne asexué. De même, en sortant de sa baleine, Jonas devint le « Seigneur », chez les Juifs Jah-hovah, précédant ainsi Jes-us, la vie nouvelle. Le Jésus du Nouveau Testament devient l'oint de l'Esprit, symbolisé par la Colombe. Car Jean, Oannes, ou Jonas, ou le Poisson-baleine, l'emblème du monde terrestre de 1'Ancienne Alliance, se transforme en la Colombe, qui plane sur les eaux, l'emblème de la Matrice Spirituelle du Monde. Suivant Nigidius :

« Les Syriens et les Phéniciens affirment qu'une colombe se tint posée plusieurs jours dans l'Euphrate (l'un des quatre fleuves de l'Eden) sur l'œuf d'un poisson, d'où est née leur Vénus (9) ».

Vénus n'est que la forme femelle de Lucifer, la planète ; et la brillante Etoile du Matin est Christos, l'Ego glorifié Buddhi-Manas. Comme il est dit dans l'Apocalypse : « Moi, Jésus, je suis la brillante étoile du matin — Phosphoros ou Lucifer ».

Notons maintenant un point intéressant : si vous lisez la Bible vous trouverez que tous les noms des Patriarches et des Prophètes et d'autres personnages d'importance commencent par la lettre J (ou I). Par exemple : Jubal Caïn, Jared, Jacob, Joseph, Josué, Jesse, Jonas, Jean, Jésus, La signification de ces noms est double : a) elle traduit une série de réincarnations sur le plan terrestre ou physique, comme le montrent leurs légendes dans les récits bibliques et b) ils représentent les Mystères de l'Initiation, ses épreuves, ses triomphes et la naissance à la Lumière — d'abord terrestre puis psychique et finalement spirituelle — chaque être particulier étant décrit de manière à répondre aux divers détails de la cérémonie et à ses résultats.

30. Répétition des versets 15 et 27 (trois fois).

31. Je ne le connaissais pas, mais c'est afin qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser d'eau.

« Je » est employé ici dans le sens personnel ; c'est la personnalité. Ceci ne peut s'appliquer qu'aux Initiés dans les Mystères mineurs.

Le mot « Israël » cache un sens plus profond : il désigne ceux qui désirent entrer sur le Sentier.

32. Jésus rendit ce témoignage : J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et s'arrêter sur lui.

Dans le symbolisme, la Colombe a de nombreux sens ; elle symbolise ici l'Eros (Amour) ou la Charité.

33. Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser d'eau, celui-là m'a dit : Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et s'arrêter, c'est celui qui baptise du Saint-Esprit.

Et moi — l'homme terrestre — je ne le connaissais pas, mais mon principe Buddhique qui m'a envoyé pour initier aux Mystères mineurs, a reconnu le signe. Moi — l'homme terrestre — ne savais pas mais Elie et le Prophète et Christos savaient.

Cette Colombe descendant et s'arrêtant sur l'homme, c'est-à-dire, cet Amour Purifié, Cette Charité ou Compassion, descendant sur l'Initié, l'aide à s'unir avec le Saint-Esprit ou Atma.

Sur le plan terrestre, le sens est le suivant : par la Colombe, la Nuée ou l'Aura, un Initié est reconnu par ses compagnons.

34-38. Récit (dissimulant un sens caché).

39. Venez, leur dit-il, et voyez. Ils allèrent, et ils virent où il demeurait ; et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C'était environ la dixième heure.

Les deux disciples symbolisent deux Néophytes près du terme de leurs épreuves, et le fait de rester auprès du Maître, ou Soi Supérieur, veut dire être dans l'Esprit-Christos.

La dixième heure signifie la période qui précède les dernières des grandes épreuves. Comparez avec les travaux d'Hercule.

40-41. Récit.

42. Cf. Isis Dévoilée édition anglaise, vol. II, 29 et 91.

43-45. Récit.

46. De Nazareth, c'est-à-dire, de la secte des Nazars.

47-50. Récit.

51. Et il lui dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme.

Vous verrez le Supérieur descendre sur l'Inférieur ; et vous serez illuminés et vous connaîtrez de plus grandes merveilles que le simple pouvoir de clairvoyance.

IV

Les onze premiers versets du Second Chapitre contiennent la représentation allégorique de l'Initiation finale et suprême ; nous y trouvons mentionnés tous les principes divins et humains voilés sous un langage allégorique, et personnifiés, puis de leur purification résultant de l'Initiation. Le récit s'achève soudainement et d'une manière assez mystérieuse, d'autant plus que nous avons des raisons de supposer qu'à l'origine il en était dit davantage. Une connaissance même très superficielle des lois de l'allégorie ésotérique montre qu'il doit en être ainsi.

Le sujet principal de l'allégorie est le changement de l'« Eau » (l'Astral) en « Vin », ou de la Matière en Esprit.

1. Et le troisième jour il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là :

Dans tous les Mystères, après les quatre jours d'épreuve ou de tentation, venaient les trois jours de descente dans l'Hadès, ou le tombeau, d'où ressuscitait le Candidat Glorifié, ou l'Initié.

« Le troisième jour » signifie donc que le moment de l'Initiation finale était venu, moment où Jésus, ou le Néophyte, allait devenir Christ, l’Initié ; c'est-à-dire, uni avec Buddhi ou le principe Christique (10).

En rapport avec les 40 jours mentionnés plus haut, il est intéressant de remarquer que Jésus a subi ― dit-on — la tentation pendant 40 jours. Ici le zéro est ajouté pour égarer car dans la mathématique des mys­tères les règles permettent — suivant la méthode em­ployée — de ne pas prendre en considération certains chiffres et de les changer.

« Il y eut des noces à Cana » signifie que le Disciple s'est uni à son Soi Supérieur : c'est le mariage de l'Adepte avec Sophia, la Divine Sagesse, ou le Mariage de l'Agneau, à Cana.

Notez ici que la racine du mot Cana, ou Khana, contient l'idée d'un lieu consacré ou réservé pour une certaine fin. Khanak, est la « demeure royale », ou le « lieu du régent » chez les Arabes. Cf. Devachan, le lieu consacré aux Dévas, c'est-à-dire un état de béa­titude que les Dévas ou les Anges doivent goûter, selon l'opinion courante.

« Et la mère de Jésus était là » signifie que le Candidat était là dans son corps ou du moins que les « principes » inférieurs étaient présents ; car dans ce contexte, la « Mère de Jésus » désigne spécialement le « principe », Kama-roupique autrement dit le véhicule des désirs humains matériels, la source de Vie, etc... II ne faut pas, confondre ceci avec l'aspect supérieur, Buddhi, la « Mère du Christ », appelée Âme Spirituelle. C'est la même distinction que celle qui existe entre Sophia la Divine et Sophia Achamoth, la Terrestro-astrale.

2. Et Jésus fut convié à ces noces, ainsi que ses disciples.

Autrement dit : le manas ou Ego Supérieur (non le Soi Supérieur) qui à ce point de développement était prédominant dans le Candidat, était présent avec ses disciples (11) — les principes inférieurs — dans le but de la purification de l'Homme complet.

3. Et quand ils voulurent du vin la mère de Jésus lui dit : Ils n’ont pas de vin.

La mère de Jésus symbolise ici son désir purifié, son aspiration vers les plans supérieurs. Le verset montre que si le mariage du fiancé doit être célébré il faut commencer par faire boire jusqu'à l'ivresse, c'est-à-dire paralyser les passions humaines matérielles du soi inférieur — les invités de la noce. C'est le Manas inférieur (Sophia Achamoth) qui dit à Jésus : Ils n'ont pas de vin, ce qui signifie que les principes « inférieurs » ne sont pas encore spiritualisés et ne sont donc pas préparés à participer à la fête.

4. Jésus lui dit : Femme, qu'ai-je à faire avec toi ? Mon heure n'est pas encore venue.

Traduisez : Femme (Matière, ou Eau, le quaternaire inférieur), qu'a donc à faire l'Ego-Esprit avec toi à cette heure ? Il n'y a pas encore l'unité entre toi et moi, mon heure d'Initiation n'a pas encore sonné, le moment n'est pas encore venu ou Je serai uni à Buddhi, (ma Mère d'en-Haut) et où je pourrai m'associer avec toi sans danger.

5. Sa mère dit aux serviteurs : Tout ce qu'il vous dira, faites-le.

Les serviteurs sont les « principes » inférieurs, leurs pensées, instincts et passions, les Lhamayin ou élémentaux et mauvais esprits, hostiles aux hommes et leurs ennemis (12).

6. On plaça là six vases de pierre, suivant le mode de purification des Juifs, d'une contenance de deux ou trois mesures chacun.

Les six vases symbolisent les six principes — les sept principes moins Atma, le septième ou principe universel. Ces six principes sont comptés du point de vue terrestre et incluent le corps physique. Ce sont les principes-enveloppes depuis l’Akasha jusqu'à l'Astral ; également : les quatre principes inférieurs (les autres étant latents) remplis d'Eau Astrale. Le Manas Inférieur s'ébat dans les vagues de l'Astral.

7. Jésus leur dit : Remplissez les vases d'eau. Et ils les remplirent à plein bord.

Dans les Mystères Mineurs, tous les pouvoirs des quatre plans inférieurs étaient déchaînés sur le Candidat pour l'éprouver.

Les six vases furent remplis d’Eau — le symbole de la Matière — ce qui signifie que pendant les épreuves et les tentations qui précèdent l'initiation du néophyte, ses passions humaines ayant été portées à leur paroxysme, il doit les vaincre ou échouer. Jésus, le Manas Supérieur, en changeant cette Eau en Vin ­ou Esprit Divin — est vainqueur et s'emplit ainsi de la Sagesse des Dieux. (Voir ch. X, « Je suis la vigne », etc...). Le néophyte recevait a boire l'eau lustrale qui se changeait en Vin au dernier moment ; en Inde elle se changeait en Jus de Soma, l'Eau de la Vie Éternelle.

8. Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l'ordonnateur du repas. Et ils en portèrent.

« L'ordonnateur du repas » était le chef officiel qui avait la direction du festin et des serviteurs et le devoir de goûter la nourriture et les boissons. Ici, il représente l'assemblée d'Initiés qui ne savent pas si le Candidat réussira ou échouera, et qui doivent le mettre à l'essai. Ceci explique la phrase du verset suivant : « ne sachant d'où il (ce vin) venait », autrement dit, ils ne savaient pas jusqu'à ce que le Candidat ait été complètement mis à l'épreuve.

9. Quand l'ordonnateur du repas eut goûté l'eau changée en vin, — ne sachant d'où venait ce vin, tandis que les serviteurs, qui avaient puisé l'eau, le savaient bien, — il appela l'époux.

Les serviteurs et « principes » inférieurs, et les pouvoirs inférieurs qui avaient été soumis à la volonté purifiée de l'homme-Christ, savaient que le grand changement était accomplis et que les « principes » inférieurs étaient purifiés et spiritualisés.

L'« époux » est, bien sûr, le Candidat qui se marie avec le Soi Supérieur ou Divin et devient ainsi un Fils de Dieu.

Il est curieux et intéressant de remarquer dans les anciennes cosmogonies, spécialement égyptienne et in­dienne, combien les parentés entre les Dieux et les Déesses sont embrouillées et compliquées. La même Déesse est à la fois mère, sœur, mère et épouse d'un Dieu. Cette allégorie des plus énigmatiques n'est pas due à une imagination débordante, mais à un effort en vue d'expliquer en termes voilés la relation des « principes », ou, plus exactement, les divers aspects d'un « principe ». Ainsi, nous pouvons voir que Buddhi — ­véhicule d'Atma — est présenté comme sa femme et d'autre part comme la mère, la fille et la sœur du Manas Supérieur, ce terme de Supérieur étant employé par commodité pour désigner Manas dans ses rapports avec Buddhi. Sans Buddhi, le Manas ne serait pas meilleur que l'instinct animal, dès lors Buddhi est sa mère ; il est aussi sa fille, son enfant ou sa progéniture, parce que sans la conception qui n'est possible qu'à travers Manas, Buddhi, le Pouvoir Spirituel ou Shakti, serait inconcevable et inconnaissable.

10. Et lui dit : Tout homme sert le bon vin au début, puis le moins bon après qu'on s'est enivré ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à présent.

« Au début » évoque le moment où les Manasaputras [Esprits divins] s’incarnèrent en premier.

Chaque candidat au fur et à mesure qu'il progresse a de moins en moins besoin de bon Vin, ou Esprit, car il devient cet Esprit lui-même tandis que ses pouvoirs et sa connaissance augmentent la force nouvellement, acquise. À l’entrée du Sentier le « bon vin », ou l'impulsion spirituelle est donnée, mais lorsque le disciple monte l'échelle une telle aide n’est plus nécessaire car il tend à devenir de plus en plus le Tout Esprit.

11-13. Récit.

14. Il trouva dans le temple, les vendeurs de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs assis.

Ceci décrit l'attitude de l'Initié envers la religion exotérique et son travail après avoir emporté la vic­toire. Le « temple » signifie ici toutes les choses extérieures, les symboles exotériques, les corps de chair.

Les « bœufs » représentent les choses matérielles, l'homme physique. Dans toute symbolique, le taureau représente la force physique et le pouvoir générateur. Les « moutons » représentent les passions et les désirs soumis et domestiqués, et les « colombes » repré­sentent les aspirations spirituelles. Les « changeurs assis » sont ceux qui font le commerce des choses spirituelles, le clergé quêtant l'argent.

15. Ayant fait un fouet avec des cordes (symbole de ce qui attache les passions) il les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il dis­persa la monnaie des changeurs, et renversa les tables.

Le « « fouet » qui figure si souvent sur les monuments et les cartouches égyptiens, représente le moyen par lequel les passions et la nature inférieure sont domestiquées. La corde de Shiva a la même signification, symbolisant ce par quoi les passions, désirs et craintes, sont enchaînés ensemble, domestiqués et subjugués.

16. Et il dit aux vendeurs de colombes: Otez cela d'ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.

Ceux « qui vendent des colombes » sont des trafi­quants de la connaissance spirituelle. La « maison de mon Père » est le corps humain qui est le temple de Dieu, celui qui devrait être le temple du Saint-Esprit naturellement.

17. Ses disciples se souvinrent qu'il est écrit : Le zèle de ta maison me dévore.

La domination de l'homme inférieur a dévoré l'homme supérieur.

18. Les Juifs, prenant la parole, lui dirent : Quel miracle nous montres-tu, pour agir de la sorte ?

De quelle autorité essaies-tu de réformer la reli­gion populaire ? Quel droit as-tu ?

19. Jésus leur répondit : Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai.

Cela signifie qu'il a traversé l'Initiation, est mort à son ancienne vie et ressuscite des « morts » à une « nouvelle naissance ».

20. Les Juifs dirent : Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi, en trois jours tu le relèveras ?

Ou autrement dit : Veux-tu avec les trois Feux faire plus qu'avec les quarante-six autres ? Car il y a en tout 49 feux, sept fois sept (7 x 7).

H. P. Blavatsky (*)

Notes

(*) Cet article publié dans la revue Lucifer, vol. XI, pp. 449-456, est paru également dans la revue The Theosophical Movement, vol. XXVI, pp. 10-14 et pp. 37-43.

Les notes qui le composent ont servi de base de discussion aux réunions de la Blavatsky Lodge, en octobre 1889. Elles ont été préparées par un étudiant (G. R. S. M.) avant les réunions, essentiellement à partir d'indications données par H. P. Blavatsky.

(1) N. d. T. « Le logos et le theos », littéralement « le logos et le Dieu ».

(2) Voir, The Secret Doctrine (Édition anglaise originale), I, 46.

(3) Voir, The Secret Doctrine, I, 70.

(4) Voir, The Secret Doctrine, I, 10, note.

(5) Le sens de ceci est le suivant: le Pouvoir planté est la réflexion de l'Ego Supérieur — en d'autres termes, le Kama-Manas Inférieur.

(6) Notez le temps du verbe, le Jean orthodoxe étant mort depuis des années.

(7) Voir la revue anglaise Lucifer, vol. VI, n° 32, I, 113.

(8) Voir, La Voix du Silence, p. 61, note (2).

(9) Cité d'après l’ouvrage Les Ruines de Volney, p. 168.

(10) N. B. — Lorsque les principes sont symboliquement représen­tés dans les diagrammes par un triangle placé au-dessus d'un carré, il faut bien noter qu'après la « Seconde Naissance » l'arrangement des « principes » doit être remanié.

(11) Les 12 « disciples » sont les 3 aspects des 4 principes inférieurs, le triangle réfléchi dans le carré.

(12) Cf. La Voix du Silence, p. 71

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