L’Immortalité, ou l’état de ce qui dure toujours, doit être différenciée de la survivance, car il est parfaitement possible de concevoir que quelques parties de notre composition très complexe, spirituelle et psychique, survient à la mort du corps physique pour un certain temps et soient cependant elles-mêmes soumises à une décrépitude graduelle et à la mort. En vérité, c’est probablement ce qui se produit pour les éléments purement psychiques en nous, pour la partie inférieure ou personnelle de l’homme intérieur, et il est probable que les « messages » des séances spirites, lorsqu’ils ne viennent pas du sub-conscient du médium ou de celui des assistants, viennent de ces restes psychiques en désagrégation des êtres qui sont morts.

Si une partie de nous-mêmes est immortelle et dure à jamais, il est évident que ce ne peut pas être l’être extérieur personnel, le nom, la forme corporelle et la mémoire des événements qui donnent la forme à la personnalité et qui sont regardés par la plupart des Occidentaux comme ce qui constitue l’homme véritable. Le soi personnel, constitué par les habitudes, ne peut être immortel, car il est évident qu’il commença à exister à un moment donné ; et le Père [Cronos], le Temps, comme le raconte l’ancien mythe grec, dévore tous ses enfants. La théorie, jadis si généralement admise, que l’homme qui était né à un moment donné, continuerait, par quelque miracle surnaturel, à exister à jamais, est à la fois contraire à la raison et en opposition avec notre sens logique.

Qui parmi nous est-il si satisfait de son soi extérieur qu’il désire être identifié ou associé à lui à jamais ? Passer l’éternité en tant que John Smith ou Ram Gopal, serait-il une perspective attrayante ? Non ! Ce qui est né doit sûrement mourir et si nous désirons constater ce qui, en nous, survivra à la mort, nous devons tout d’abord trouver quelle partie de nous-mêmes est antérieure à la naissance, car, nous pouvons raisonnablement supposer que nous emporterons avec nous de la vie ce que nous avions amené dans cette vie. Ce que nous avons amené avec nous dans la vie était un assemblage de tendances, d’aptitudes, d’affinités, en un mot le caractère, ce qui a été appelé « la mémoire de l’âme ». Nos actions et nos pensées pendant la vie modifient et développent ce caractère, soit en bien, soit en mal ; et, s’il y a survivance [réincarnation], c’est ce caractère ainsi modifié que nous emmènerons avec nous en traversant les portes de la mort.

Mais le caractère lui-même, bien que permanent si on le compare à la personnalité, ne l’est que relativement ; il est, comme nous l’avons vu, sujet au changement et à la croissance et par conséquent, comme la personnalité, il est voué à devenir la proie du Temps qui dévore tout. Nous devons regarder plus profondément encore dans les plus intimes profondeurs de notre être pour trouver le principe immortel.

Mais ceci n’est pas tout. La conception même de nous-mêmes et de l’univers comme un courant de changements, un composé de choses relatives, serait impossible s’il n’y avait derrière tout changement et toute relativité un noumène qui ne change pas. Si nous-mêmes et l’univers n’étions rien de plus que des composés temporaires d’esprit et de matière, nous déplaçant constamment d’un état ou d’une forme dans une autre, nous ne pourrions être conscient de nos changements, pas plus qu’un homme, entraîné par le courant d’une rivière, et qui ne voit que les bords de la rivière, ne peut être conscient de ses propres mouvements.

Lorsque, rétrospectivement, nous plongeons de plus en plus profondément en nous-mêmes, nous découvrons progressivement que le corps, les émotions, le mental, la volonté, etc., avec lesquels nous nous étions identifiés, peuvent tous être objectivés et, par conséquent, ne sont pas le Soi. Mais aussi loin que nous puissions poursuivre ce processus, il y a toujours un « JE » qui fait l’analyse, un Soi à l’arrière-plan, un sujet pour qui tout le reste est objet. Dans le processus qui consiste à « désidentifier » ainsi le vrai Soi de tous les objets de pensées possibles, nous avons fait tomber toutes les barrières et toutes les limites qui le renfermaient en lui-même et semblaient le séparer des autres Sois et du Soi Universel. Le Soi est Un. Dans le langage de l’Occident, l’Esprit est un avec Dieu. Ou, selon les mots d’une très ancienne écriture orientale :

« Il (le Soi) est l’Éternel qui ne change pas, il est le Suprême qui ne change pas … il est la base excellente, la base immuable ; connaissant cette base un homme est puissant dans le monde éternel. »

« Plus petit que le plus petit, plus grand que le plus grand, ce Soi est caché dans le cœur de l’homme … Le sage, qui comprend ce grand Seigneur, le Soi, qui est sans corps dans le corps, qui est stable parmi ce qui est instable, ne peut plus se plaindre … Celui qui n’a pas cessé de faire du mal, qui n’est pas ferme, dont les émotions ne sont pas au repos, ne peut pas atteindre à cette connaissance. »

Cet article a été publié en français dans la Revue Théosophique (juillet 1934, Paris),
traduit de la revue The Aryan Path (Mumbai, Inde) d’octobre 1933.

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