Quand notre présence s'impose auprès du lit de mort d’un être cher, le meilleur service que nous ne pouvons lui rendre est résumé en deux mots : silence et respect. Il est absolument nécessaire de garder le silence le plus grand et le plus profond qu’il soit possible. En effet, comme nous l’apprenons en Théosophie, quand les docteurs déclarent que le corps est mort, il ne l’est pas réellement : l’âme, l’homme réel, est encore retenu au corps, le temps de revoir les événements de cette vie qui se termine. Il y a quelque chose que nous pouvons offrir au mourant : c’est notre courage, notre foi dans la Loi, que tout ce qui est arrivé dans sa vie, le fut pour le bien.

Au moment de la mort, l’Âme spirituelle, Atma-Bouddhi, [Esprit-Âme spirituelle] rayonne d’en haut sur l’Ego incarné qui va quitter son corps. Alors rayonne sur l'âme du défunt une paix, une force, une sorte de bénédiction ; c'est comme un cadeau d’adieu de celui qui s’en va, probablement le plus grand cadeau qu'il n'ai jamais reçu. Ordinairement, nous portons attention aux derniers messages du mourant ; ce n’est pas par simple superstition, car les messages du mourant, même quand on ne les entend peu ou pas, sont précieux.

Nous qui sommes auprès d’un lit d’un mourant, nos larmes et nos lamentations, nos bruits et notre confusion, ne peuvent que nous faire perdre le message qu'il nous confie, et perturber le processus solennel qui se passe en celui qui n’est plus complètement sur la terre, ni totalement parti. Demeurez silencieux, tenez votre mental et vos oreilles ouverts pour recevoir ce qui peut venir, très souvent inaudible, intangible, invisible. Le respect que demande le cœur nous aide à accueillir et assimiler ce qui est donné. Évitons la confusion, la hâte, les discussions, l'anxiété devant le corps mort et pensons à la réalité de l’âme vivante encore auprès du corps ! Faites au corps ce qu’il convient, sans précipitation inutile, en silence et calme, et avec une attitude de respect. Souvenons-nous que le premier des cinq sens qui s’éveille est l’ouïe, et qu’il est le dernier à mourir.

Silence et respect, sont la première leçon. Quelle est la seconde ? N’usez d’aucun moyen ni procédé pour tenter d’entrer en contact avec ceux que l’on appelle les morts, n’essayez pas de recevoir des message d’eux ; ne désirez ni suppliez leur retour. Leur tâche accomplie sur terre, leur vie finie, ils ne peuvent revenir et nous devons le respecter. Aucune de nos prières ou cérémonies ne peuvent les aider de l’autre côté de la vie ; bien au contraire, elles ne peuvent, et hélas, cela arrive quelquefois, que perturber le processus qui s’accomplit à notre insu afin qu’il puisse rejoindre la condition bénite du dévachan, la vie béatifique et de paix céleste de l'état post mortem.

Revenons à nous-mêmes. Que devons-nous apprendre de notre réflexion ? D’abord, apprendre à regarder la mort non pas comme une expérience fâcheuse ou inutile, mais au contraire comme une expérience sacrée et spirituelle. Soyons confiant de nous en aller plutôt qu’anxieux de rester. L’ignorance nous pousse souvent à tenir à cette vie comme les enfants qui grandissent tiennent à leurs jouets. Ne craignez pas la mort et ne repoussez pas la pensée de votre propre mort ; mais gardez dans votre mental la pensée que mourir est le fait de chacun, et qu’il est préférable d’être libéré des contingentements du corps et du monde, afin de pouvoir jouir de l’expérience de la mort, pour en apprendre la leçon complète de la vie passée et en tirer vraiment un ultime bienfait.

Pour tirer le meilleur parti de l’expérience de conscience en dévachan nous devons vivre pendant la vie incarnée un idéal spirituel fraternel et responsable, accomplir tous nos devoirs et chercher la vérité. La personnalité ne peut emporter en dévachan que ce qui est de la qualité du Vrai, du Bien, du Beau ; tout le faux, mal ou laid, l’Âme l’écartera d’une façon aussi tangible et radicale qu’elle avait fait en abandonnant le corps derrière elle. Une fois le corps physique abandonné, toutes les tendances erronées, mauvaises et viles des désirs, pensées et sentiments entretenus durant la vie, sont écartés par l’âme, pour être abandonnés sous la forme d’une coque astrale, le kama-rupa (coque astrale des désirs), dans l’espace du kama-loka, le lieu des désirs. Pendant notre vie terrestre nous devons faire en sorte de nous n’abandonnerns qu’une coque astrale la plus minime possible qui puisse se dissiper aisément et rapidement.

Si nous cultivons dans notre mental et notre cœur des idées impersonnelles et généreuses, de grands idéaux et de bons sentiments envers les autres, nous tirerons deux avantages de cette attitude : par le moyen de ces pensées et de ces sentiments nobles et altruistes, non seulement nous laisserons derrière nous qu’une faible coque astrale, un kama-rupa inoffensif, et nous nous serons riches de pensées propres à une fructueuse assimilation en devachan. Nos aspirations jointes à nos idées, nos espoirs et efforts, sont les ingrédients nécessaires pour qu’une nouvelle personnalité se réincarne dans les meilleures conditions en temps opportun.

La leçon qui nous concerne tous est de mener une vie responsable vis-à-vis des autres, car c’est pendant la vie du corps, que nous pouvons faire le plus pour les autres.

En étudiant la Théosophie et en appliquant ses enseignements, c’est ici et maintenant que nous devons maîtriser et purifier nos désirs (kama), et c’est encore ici et maintenant que nous préparons notre future vie en devachan.

Pour étudiant de l’Occultisme accompli la mort deviendra le passage conscient et délibéré de l’âme, non pas en devachan mais dans un autre état – la demeure ou ashram de son propre Gourou, pour un bilan et pour recevoir des instructions, avant de retourner dans le monde pour rendre plus de service à la cause de la Fraternité Universelle et à l’élévation spirituelle de toute l’humanité.

Dans une Loge Théosophique nous pouvons tous recevoir cette connaissance sur la mort et la vie gratuitement ; et ainsi apprendre à mourir à nos erreurs et notre ignorance, pour vivre et travailler au mieux de nos moyens pour les Êtres Immortels qui sont les Maîtres de la Mort et les Seigneurs de la vie.

Extrait d’une conférence sur la Mort donnée
à la Loge Unie des Théosophes de Mumbai.
Publié dans la revue Théosophie, Volume X, n°11.


 

« Deux âmes, hélas ! se partagent mon sein, et chacune d’elles veut se séparer de l’autre ; l’une ardente d’amour, s’attache au monde par le moyen des organes du corps ; un mouvement surnaturel entraîne l’autre loin des ténèbres vers les hautes demeures de nos aïeux ! » (1). Ainsi s’écriait Faust avant de livrer son âme au diable. Gœthe exprimait, dans ces mots, l’éternel drame de l’homme dans son ascension vers le bien. Toutes les anciennes philosophies et religions ont montré la lutte terrible que se livrent les deux âmes en nous : la divine et la terrestre, comme le disait Empédocle.

Tout homme porte en lui l’enfer et le ciel. Il s’avance dans la vie courbé sous le poids de ses passions exacerbées par un désir jamais inassouvi,  ou il relève la tête, les yeux emplis d’une lumière surnaturelle. Et comme dans les tragédies antiques deux chœurs chantent séparément la victoire ou la chute de l’une ou de l’autre âme, qui se disputent toutes deux la suprématie de régner sans partage sur leurs propres domaines. Dans cette lutte de l’Esprit contre la Matière, de Dieu contre Satan, de l’Ange contre la Bête, du Christ contre Judas, il n’est pas exagéré de dire que la nature humaine frisonne parfois d’épouvante, car, pour elle, c’est être ou ne pas être, c’est la course vers l’abîme où l’âme est emportée, dans une course échevelée, par les noirs coursiers des désirs, ou la lente montée vers les sommets où souffle à jamais le grand vent de l’Esprit. Harassé, le mental de l’homme chancelle devant ces deux extrêmes : l’abîme ou les cimes, la mort de l’âme ou sa rédemption.

Cet enseignement antique est loin de ce qui a cours dans les églises d’Occident où il est déclaré que l’âme peut être sauvée par sa foi au Christ, le « Rédempteur des âmes ». Et cependant, si nous ouvrons les Evangiles, nous verrons que les enseignements de Jésus n’ont jamais différé de ceux de Ses grands Prédécesseurs. Prenons quelques extraits du Nouveau Testament. Ils vont nous montrer cette doctrine ancienne de la mort de l’âme :

« L’œil est la lampe du corps. Si ton œil est en bon état, tout ton corps sera éclairé ; mais si ton œil est en mauvais état, tout ton corps sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien seront grandes ces ténèbres ! » (Matthieu, VI, 22-23).

« Laisse les morts ensevelir leurs morts. » (Matthieu, VIII, 22).

« Tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera point pardonné. Quiconque parlera contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné ; mais quiconque parlera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir. » (Matthieu, XII, 31.32).

Maintenant, toute la parabole des noces (Matthieu, XXII) est le spectacle de ceux qui ne sont pas dignes d’entrer dans le royaume des cieux ; ceux qui n’ont pas revêtu l’habit de noces (à comparer avec les robes du sacrifice et du renoncement de l’enseignement bouddhiste). À celui qui n’a pas revêtu cet habit, la parabole dit :

« Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents… Car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. » (Matthieu, XXII).

Parmi les apostrophes célèbres et violentes de Jésus contre les scribes et les pharisiens, nous trouvons celle-ci :

« Malheurs à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, et qui, au-dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés. » (Matthieu, XXIII, 27-29).

La parabole des vierges sages et des vierges folles (Matthieu, XXV) a un monde de signification occulte. Il en est de même de celle des talents (Matthieu, XXV), où à la fin sont répétés les mots violents : « Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents ».

Mais c’est peut-être dans l’Évangile selon Saint Jean que nous trouvons l’enseignement le plus direct de la mort de l’âme. Les théologiens ont travesti la signification des paroles sévères de Jésus, cela n’empêche pas que ce texte est clair et sans équivoque possible. Le voici :

« Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranchera (2), et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde afin qu’il porte encore plus de fruits…Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter de fruit, s’il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi . »

« Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits, car sans moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche ; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent… » (Jean, XV, 2-7).

Saint Paul lui-même, reprenant la pensée du Prophète Esaïe, s’écrie, dans son Épître aux Éphésiens (V. 14) :

« Relève-toi d’entre les morts,
« Réveille-toi, toi qui dors,
« Et Christ t’illuminera. »

Enfin, dans l’Apocalypse, en termes apocalyptiques, bien entendus, et pourtant, très clairs, nous trouvons une autre confirmation de la mort de l’âme, de la seconde mort qui peut survenir pour tout être :

« Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon leurs œuvres, d’après ce qui était écrit dans ce livre, et chacun fut jugé selon ses œuvres. Et la mort et le séjour des morts furent jetés dans l’étang de feu. C’est la seconde mort, l’étang de feu. Quiconque ne fut pas trouvé écrit dans le livre de vie fut jeté dans l’étang de feu. » (Apocalypse, XX, 13-15, les italiques sont de nous).

Ces textes, ainsi rassemblés, nous décrivent bien un enseignement qui remonte à la nuit des temps et que nous devons comprendre. Il ne s’agit plus ici d’une gymnastique intellectuelle, d’une spéculation sur un thème métaphysique, mais d’un enseignement fondamental donné par tous les Instructeurs spirituels de l’humanité et qui touche les bases mêmes de notre être et de notre destinée. Rejetons donc les faux dogmes des églises, si pratiques pour les prêtres qui peuvent ainsi ménager « des accommodements avec le ciel », en rejetant la Vérité. Nous aurons aussi à rejeter les doctrines de la Grâce, de l’Enfer et de la rémission des péchés par un Sauveur, doctrines iniques qui ont fait perdre à l’homme le sens de la responsabilité, alors que Jésus, Lui-même, déclarait sans ambages : « On vous mesurera avec la mesure dont vous aurez mesuré les autres » (Matthieu, VII, 2) et que l’initié Saint Paul ajoutait : « L’homme récoltera ce qu’il a semé ». C’était là l’enseignement logique qui se rattachait au grand courant de l’ésotérisme universel enseigné avant Jésus par les sages de l’Inde, les vénérés Rishis qui avaient découvert le mystère de l’Être par leurs propres efforts. Et il était donc naturel que le Galiléen suivît, encore une fois les traces de Ses Prédécesseurs.

Pour comprendre cette mystérieuse doctrine de la mort de l’âme, il nous faut connaître la constitution intime de notre être. Au début, nous avons montré la dualité qui existe dans l’homme. Il est nécessaire, maintenant, de pousser plus loin nos investigations.

Mme Blavatsky, dans son livre La Clef de la Théosophie, va éclairer notre sujet. Tout d’abord, elle reprend la parobole de la vigne dans le quatrième Évangile. Nous en citons, à nouveau, des extraits :

« Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche… Je suis le cep, et vous êtes les sarments,… Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche ; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu, et ils brûlent. »

Ces mots « cep », « vigneron », « sarment » ont une signification profonde et correspondent, dit Mme Blavatsky, à certains principes de notre être. Le « Vigneron » dit-elle, est l’Esprit (Atma de la philosophie hindoue), le symbole du Principe Infini, de la Divinité en nous. Ce qui est de toute éternité. C’est le Père « qui est dans le secret », dont nous parle Jésus dans le Sermon sur la Montagne.

Le « Cep » de la Vigne, continue H.P. Blavatsky est l’Âme Spirituelle, le Christos (Bouddhi), l’intuition la plus haute que nous puissions concevoir.

Le « sarment » est l’Âme animale, la personnalité inférieure (Manas le mental inférieur et Kama, le principe des désirs), l’instrument transitoire que l’Âme Spirituelle (alliée au Principe de l’Intelligence Manas Supérieur) prend à chaque nouvelle incarnation sur la terre. C’est par l’intermédiaire de cette Âme Spirituellle que l’Âme animale acquiert des expériences. Et par Âme Spirituelle, nous signifions surtout ici le Manas Supérieur, l’Intelligence, l’Ego réel de l’homme.

Autrement dit, nous avons Atma-Bouddhi-Manas (le Père ou le « Vigneron », le « Christos ou le Cep », l’Intelligence supérieure et inférieure, cette dernière pouvant devenir le « sarment » desséché). À chaque incarnation le Manas Supérieur ou l’Individualité permanente, l’Ego réincarnant, projette une partie de lui-même qui devient le Manas inférieur (intelligence inférieure). Celui-ci s’allie au principe des passions et des désirs (Kama) et au corps physique. Cette partie inférieure de l’être constitue l’instrument au moyen duquel l’Individualité permanente, le Pèlerin sur le sentier de l’évolution, amasse des expériences.

Les relations qui existent entre l’Individualité permanente et la personnalité inférieure (Manas Supérieur et Manas inférieur) doivent être bien établies, car la mort de l’âme réside dans la rupture de ces relations. Quand le Manas Supérieur, ou l’Individualité permanente, s’incarne dans un corps, il veille constamment sur la projection de lui-même, le Manas inférieur, l’Âme animale, afin de voir comment elle s’acquitte de sa tâche. Exactement comme un patron qui envoie son ouvrier labourer un champ. Le premier donne des ordres que le second doit exécuter. Si ce dernier, Manas inférieur, l’Âme animale, n’accomplit pas le travail qui lui est échu, que peut faire le patron, le Manas supérieur, l’Individualité, si ce n’est abandonner son serviteur infidèle ? Le lien qui unit le Manas Supérieur au Manas inférieur, l’Individualité Permanente à la Personnalité inférieure – se rompt. C’est la mort de l’Âme animale qui commence. C’est le « sarment » qui se détache à jamais du « cep », qui va « dessécher » et « qu’on jettera au feu ». C’est la « seconde mort » de l’Apocalypse, non pas la mort de l’Âme Spirituelle, qui est de toute éternité, qui n’a ni naissance ni mort, mais la mort de l’Âme animale. « C’est après la mort », écrit H.P. Blavatsky, « qu’arrive le moment critique suprême pour ceux qui sont entièrement dépravés, qui sont dépourvus de spiritualité et dont la méchanceté est sans rédemption. Si l’effort final et suprême du SOI INTERIEUR, (Manas) pour unir une partie de la personnalité à lui-même et au rayon lumineux supérieur du divin Buddhi, est contrarié pendant la vie, s’il est permis à l’enveloppe du cerveau physique de devenir assez épaisse pour exclure entièrement ce rayon, alors l’Ego spirituel ou Manas, une fois affranchi du corps, demeure complètement séparé des restes éthérés de la personnalité ; et celle-ci, ou Kama-rupa, est entraînée à la suite de ses penchants terrestres dans l'Hadès, ce que nous appelons Kama-loka, et elle y demeure. Ce sont là « les sarments desséchés » mentionnés par Jésus et qu’on enlève au Cep. Leur anéantissement, cependant, n’est jamais instantané et demande parfois des siècles pour s’accomplir. » (3).

Des étudiants font parfois observer que cette mort des « sarments », de l’Âme animale, après tout, ne diffère pas de ce qui se passe après chaque mort physique, quand la partie de Manas inférieur qui s’est purifiée pendant la vie, entre dans le Dévachan, la Vie céleste, après s’être débarrassée, dans le Kama-loka, des éléments impurs de sa personnalité inférieure. Cela n’est pas exact. Il y a, au contraire, une très grande différence entre ce qui se passe au moment de toute mort physique normale (vieillesse ou maladie)  et ce qui a lieu dans l’autre cas tragique de la mort de l’Âme animale.)

Dans le premier cas, une portion de cette Âme animale s’est élevée, durant la vie, vers son Père « dans le secret », elle s’est purifiée et est digne d’entrer dans la béatitude céleste. Cette portion a donc gardé le lien intact entre elle et l’Âme Spirituelle. Quant aux éléments inférieurs qui n’ont pu s’élever durant la vie, l’Âme les retrouvera dans d’autres existences sous forme de tendances ou d’attributs (les skandhas de la philosophie hindoue).

Dans le second cas, rien, de l’Âme animale, ne s’est élevé. Le lien entre elle et l’Âme Spirituelle a été brisé. Nous voyons donc l’énorme différence qui existe entre les deux cas.

Mais voici encore d’autres explications données par Mme H.P .Blavatsky et que nous livrons à la méditation des vrais chercheurs :

« Lorsqu’un homme tombe dans l’amour du soi, et dans l’amour du monde et de ses plaisirs, laissant de côté l’amour de Dieu et du prochain, il tombe de la vie dans la mort… Physiquement, il existe ; spirituellement, il est mort… cette mort spirituelle est le résultat de la désobéissance aux lois de la vie spirituelle… Nous pourrions ainsi parcourir tous les siècles, examiner toutes les occupations, peser toutes les connaissances humaines, et rechercher toutes les formes de sociétés, et nous trouverions partout de ces êtres spirituellement mort. » (Isis Dévoilée, Vol. II, p. 37)

 « L’individualisation de l’homme après sa mort (pour les anciens philosophes) dépendait de l’esprit et de l’âme et du corps. Quoique le mot “personnalité”, dans le sens qu’on lui donne généralement, soit une absurdité, si on l’applique littéralement à notre essence immortelle, toutefois celle-ci est une entité distincte, immortelle et éternelle per se, et, comme dans le cas de criminels pour lesquels il n’y a pas de rédemption, lorsque le fil brillant qui unit l’esprit à l’âme, depuis le moment de la  naissance de l’enfant, est violemment tranché, et lorsque l’être désincarné est condamné à partager le sort des animaux inférieurs, à se dissoudre graduellement dans l’éther, et à voir sa personnalité annihilée, même dans ce cas-là, l’esprit reste encore un être distinct. Il devient un esprit planétaire. » (Ibid., Vol. II, pp. 33,34.)

« Après la mort des dépravés et des méchants, arrive le moment critique. Si durant sa vie l’homme intérieur néglige de faire un suprême effort désespéré pour s’unir à la vague lueur rayonnant de son père divin ; si ce rayon est de plus en plus arrêté par l’épaisse enveloppe de matière, l’âme, une fois dégagée du corps, suit ses attractions terrestres, et est magnétiquement entraînée et retenue par les épais brouillards de l’atmosphère matérielle. Elle tombe alors de plus en plus bas, jusqu’à ce qu’elle se trouve, lorsqu’elle reprend conscience, dans ce que les anciens nommaient le Hadès. L’anéantissement d’une telle âme n’est jamais instantané ; il peut durer des siècles peut-être, car la nature ne procède jamais par bonds et sauts, et l’âme astrale étant formée d’éléments, la loi d’évolution doit suivre son cours. » (Ibid., pp. 38, 39).

« Ni les prières des hommes, ni le sang d’un autre ne peuvent nous sauver de la destruction individuelle après la mort, à moins que nous ne nous unissions étroitement pendant notre vie terrestre, à notre propre esprit immortel, notre seul Dieu. » (Ibid., Vol. II, p. 35).

« Le présent cycle est, par excellence, un cycle de pareilles morts spirituelles. Nous coudoyons des hommes et des femmes dépourvus d’âme à chaque pas dans la vie. »  (Ibid., Vol. IV, p. 29)

Telle est la grande leçon que nous devons apprendre. Mais l’enseignement de la Théosophie nous dit que cette mort de l’âme animale est rare. Quand H.P. Blavatsky nous dit dans la dernière citation que nous coudoyons à chaque pas des  hommes et des femmes dépourvues d’âme, elle signifie des êtres qui n’ont pas encore, nécessairement, brisé le lien qui les rattache à leur Âme Spirituelle, mais qui sont sur cette voie de la mort de l’âme animale. Ils deviennent peu à peu insensibles à toute aspiration spirituelle. La mort spirituelle n’arrive que dans les cas de dépravation absolue, sans rédemption possible. Encore une fois, ce cas est rare. Mais le fait peut se produire, et cela est suffisant pour nous montrer cette vérité des deux âmes du docteur Faust, qui s’agitent en nous, l’une qui est l’étoile indestructible de lumière qui peut nous guider sur le sentier de l’évolution, l’autre qui nous entraîne dans les précipices de la mort spirituelle.

Krishna, dans le Discours XVI de la Gita, nous montre parfaitement les deux conditions dans lesquelles nous pouvons nous trouver, la condition démoniaque et la condition divine :

« Les hommes d’une nature infernale ne connaissent pas l’émanation et le retour… Agités par de nombreuses pensées, enveloppés dans les filets de l’erreur, occupés à satisfaire leurs désirs, égoïstes, violents, vaniteux et licencieux, animés de colère et médisant autrui, ils me détestent dans les autres et en eux-mêmes… Ils entrent dans la voie infernale… » « L’enfer a trois portes par où ils se perdent ; la volupté, la colère et l’avarice. »

Mais si Krishna nous indique l’état des hommes qui vont dans la voie infernale, il nous montre aussi les qualités nécessaires pour entrer dans la condition divine. Citons-les, assimilons-les afin qu’elles deviennent partie intégrante de notre nature intérieure :

« Le courage, la purification de l’âme, la persévérance dans l’Union mystique de la connaissance, la libéralité, la tempérance, la piété, la méditation, l’austérité, droiture,
« L’homme pacifique, la véracité, la douceur, le renoncement, le calme intérieur, la bienveillance, la pitié pour les êtres vivants, la paix du cœur, la mansuétude, la pudeur, la gravité,
« La force, la patience, la fermeté, la pureté, l’éloignement des offenses, la modestie, telle sont, ô Bhârata, les vertus de celui qui est né dans une condition divine. »

Dans cette guirlande de qualités, toutes, sans exception, doivent être acquises. Toutes sont absolument nécessaires. Nous ne devons en rejeter aucune. Mais remarquons celles qui ont pour noms : la bienveillance, la pitié pour les êtres vivants. Nous pouvons parfois posséder certaines vertus, comme la force, la pureté, le courage, la patience, mais si nous n’avons pas la charité, la bienveillance, la pitié, nous sommes, comme le disait Saint Paul : « Comme un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit ». Dans les dures batailles de la vie, nous pouvons rencontrer de ces êtres qui vont, consciemment ou inconsciemment, vers leur mort spirituelle. Leur conscience n’est plus qu’un ciel noir zébré d’éclairs de passions et de haine. Dans leurs yeux, il n’y a plus de lumière, ou la petite flamme est prête à s’éteindre pour toujours. Le rire de la vie est déjà est mort. C’est la déchéance lamentable, horriblement triste qui commence. Quand nous rencontrons de tels êtres, ne disons pas : la femme ou l’alcool, l’opium, le jeu, l’avarice les ont tués. Que savons-nous de leur passé lointain ? Quelle est la douleur qui a pu les conduire vers les abîmes ? Nous ne le savons pas. Ne jugeons donc pas. Ne soyons pas durs et méprisants. Donnons-leur notre confiance. Faisons en sorte que notre immense charité, notre infinie pitié, ouvrent leur cœur et aussi leur confiance à eux. Ils ont tellement besoin de cette confiance ! Souvent nous nous fermons le cœur des autres, parce qu’ils n’ont pas confiance en nous, et surtout parce que nous n’avons pas su, par dureté ou tout autre sentiment, ouvrir leur cœur à la confiance. Souvenons-nous de ces mots puissants et puissent-ils nous aider à acquérir la charité infinie, la douce et infinie pitié :

« Ne condamne pas l’homme qui succombe ; tends-lui la main comme à un frère-pèlerin dont les pieds sont alourdis par la fange.
« Souviens-toi que le péché et l’opprobre du monde sont ton péché et ton opprobre, car tu en fais partie ; ton Karma est inextricablement lié au grand Karma…
« Souviens-toi donc que le vêtement souillé que tu crains de toucher, peut t’avoir appartenu hier, pourra être tien demain. Et si tu t’en détournes avec dégoût, il s’attachera d’autant plus étroitement à toi lorsqu’il sera jeté sur tes épaules.
« L’homme qui s’enorgueillit de sa droiture se prépare un lit de fange. » (4).

Mais un Maître de Sagesse a écrit également ces mots d’espoir :

« Aux yeux des “Maîtres” personne n’est jamais “absolument” condamné. Un joyau perdu peut être retrouvé jusque dans les profondeurs d’un étang vaseux ; de même le plus abandonné peut s’arracher à la fange du péché, mais à condition que le Joyau, précieux et par excellence, le germe resplendissant d’Atma (l’Esprit) soit développé. Chacun de nous doit accomplir cela pour lui-même ; chacun le peut s’il fait preuve de volonté et de persévérance.

« Les bonnes résolutions sont des images de bonnes actions, images peintes par le mental, les murmures secrets de Buddhi au Manas.
« Si nous les encourageons, elles ne s’évanouissent pas comme le mirage dans le désert de Shamo, mais deviendront de plus en plus fortes jusqu’au jour où la vie entière devient l’expression et la preuve extérieure du mobile divin intérieur. » (5).

Ces lignes du Maître et les quelques idées émises au cours de cette étude montreront, nous l’espérons du moins, que le chemin du salut de l’âme n’est pas aussi facile que nous le pensons généralement. Dans la réelle philosophie archaïque enseignée par les grands Maîtres de la Vie Spirituelle, il n’y a pas de train de luxe qui nous mène au salut, assis dans un bon fauteuil. Il n’y a pas de faveurs spéciales, de cierges ou d’encens, de dons d’argent, d’indulgences plénières, de prières qui peuvent, par un coup de baguette magique, nous conduire au but.

Comme le dit le Maître : « Chacun de nous doit accomplir cela pour lui-même ; chacun le peut s’il fait preuve de volonté et de persévérance. »

Et n’oublions jamais de développer la charité, l’immense pitié « pour les êtres vivants ». Car, « l’omission d’un acte de pitié devient une commission de péché mortel » (6).

Krishna Dasa.
Article publié dans la revue Théosophie, Volume XII, n°8.

Notes :

(1) Faust. Trad. G. DE Nerval.
(2) Les passages en italiques sont soulignés par l’auteur.
(3) La Clef de la Théosophie, p, 203.
(4) La Lumière sur le Sentier.
(5) Lettres des Maîtres.
(6) La Voix du Silence.


 

Je me sentais déprimé et m’étendis pour me reposer. J’essayais de me calmer et bientôt je fus envahi par un sommeil apaisant. Je dormis et en me réveillant je me souvins du rêve suivant :

« Je me trouvais dans le pays de la Quiétude. Aucun être vivant ne semblait s’y trouver. Le calme était le génie qui y régnait. Soudain, je vis une humble bâtisse, une simple demeure respirant la dignité et la majesté. Au jardin, se trouvaient quelques bosquets en fleurs et quelques banyans aux branches étendues, ainsi que des touffes d’herbes aromatiques. Qui pouvait bien vivre là ?

« Je vis un vieillard qui balayait et nettoyait le sentier menant à la maison. Je l’observai pendant quelque temps, tandis que, sans bruit, il vaquait à ses occupations. Après quelques temps, il s’assit et posa un livre fait de feuilles de palmier sur ses genoux.

« C’était un étrange spectacle. Le calme de l’endroit, le vieillard jouissant d’une paix solitaire, puisant de la joie et de l’inspiration de son compagnon silencieux. Quelque chose me poussa vers lui et je lui demandai ce que tout cela signifiait ?

« Qu’as-tu, mon enfant ? », me demanda-t-il en levant ses yeux vers moi. « Souviens-toi, ami, que l’abattement et le désespoir sont des ennemis puissants sur le seuil de la vie. »

« Mon Père », répondis-je, « votre figure sereine et douce inspire confiance et me pousse à vous offrir mon cœur oppressé. Que puis-je dire ? L’insuccès et la déception, voilà mon sort. Mon espoir, mes prières, mes efforts les plus sérieux, sont vains. Je rencontre des obstacles de toutes parts – plus mon désir de rendre service et de me sacrifier est grand et moins nombreuses sont les occasions de le faire. Ceux que j’aide semblent n’avoir ni appréciation ni reconnaissance. Mes frères et mes compagnons se jettent dans la mêlée, ont du succès et vont leur chemin. Je travaille en vain. Chaque matin, je m’efforce sérieusement de trouver un endroit où mes services pourraient être appréciés et chaque soir je me trouve exactement là où j’étais le matin. Je fais de grands efforts, mais ne puis rien accomplir. Parmi ceux qui sont dans le besoin, aucun ne cherche mon aide. Aucun, parmi les malades, ne cherche ma main réconfortante. Je me sens seul. Je suis abandonné. Hélas ! La volonté de servir existe, mais il n’y a pas de champ d’action. »

« L’homme vénérable sourit tristement et son doux regard exprima un reproche :

« Enfant, en vérité », murmura-t-il, « le cœur est bon, mais le point de départ est faux. Je suis très vieux, mais je n’ai jamais vu Mère Nature abandonner l’un des siens et pourtant, elle ne s’écarte jamais de sa route, fût-ce de l’épaisseur d’un cheveu, lorsqu’elle répand ses bienfaits. Assieds-toi, mon enfant ; calme-toi. »

« Après un moment de silence il parla – il semblait répéter ce qu’il avait appris :

« Désappointement, découragement, désespoir, voilà le diable à trois têtes, que l’on doit combattre tout seul. Il faut désappointer le désappointement ; abattre le découragement ; chasser le désespoir ; damner le Diable. »

« Il se tut de nouveau et après un temps me parla :

« Dis-moi si dans tous tes efforts de service tu as travaillé et souffert seulement pour le bien-être des autres ? N’y avait-il pas une teinte d’ambition et d’égoïsme dans tes aspirations ? »

« Il me regarda d’un regard pénétrant, sourit et demanda : « Sais-tu qui demeure là ? Non ? Il appartient à l’Armée de la Voix ; il est de Ceux qui sont des hommes, non des hommes comme nous, mais des « Surhommes ». Quoique je sois ici, je Le connais, et pourtant je ne Le connais point. Je L’ai vu et pourtant je ne L’ai pas vu. Mais mon cœur me dit qu’Il est un de Ceux dont le cœur est pur, purifié de tout désespoir. Un de Ceux dont la Lumière n’est jamais obscurcie par l’abattement, un Être qui n’est jamais déçu, lorsque les Sacrifices sont refusés. Les désappointés trouvent un abri sous les arbres qui entourent Son sanctuaire, les abattus perdent leur sentiment de découragement quand ils respirent les parfums de ces herbes croissantes ; le désespéré gagne des forces, quand il regarde l’Étoile de l’Espérance reluire au-dessus de la demeure. Mais si tous ne peuvent atteindre l’ombre des arbres ; les parfums sont trop délicats pour l’odorat humain ; l’Étoile de l’Espérance brille seulement pour celui qui a abandonné tout espoir. Gagne de l’expérience, gagne de l’expérience, afin de te montrer digne des trésors qui se trouvent ici. »

« Je retins mon souffle et dis : « Mais, Ami, sûrement vous êtes vous-même cette Étoile du l’Espérance. Pourquoi me tenez-vous à distance ? Laissez-moi entrer. »

« Mon enfant, je suis le portier de ce Sanctuaire Béni de l’Être Béni – portier de la porte qui n’existe pas et qui cependant est là. Ce n’est pas moi qui t’empêche d’entrer ; c’est ton propre soi qui te retient – embourbé à l’endroit où tu te trouves. L’Être Glorieux qui demeure là, a besoin de travailleurs ; et heureux, trois fois heureux, est celui dont les efforts l’admettent à la compagnie divine.

« J’ai parcouru le même chemin que toi, j’ai affronté le même démon – le désespoir. Mais voici l’Assurance Divine qui me fut donnée en réponse à ma question découragée : « Puis-je espérer, moi aussi, atteindre le but ? » « Sûrement, tu le peux. » « Et comment peut-on trouver le Sentier ? » « Il n’y a qu’une Voie, la Voie du Devoir, c’est elle qui te mènera vers le Sentier. » « Quel devoir spécial ? » « Montre la voie à d’autres, fais que le Sentier reste visible aux yeux des mortels. »

« Ces paroles bénies me soutiennent, me gardent en vie et lentement, mais sûrement, j’ai trouvé le Sentier et mon Devoir actuel, mon enfant, est de garder le Sentier visible pour ceux qui désirent chercher la voie qui, perdue dans le désert du monde, commence ici, et mène chaque nouveau venu au Pays du Seigneur. Peu nombreux sont ceux qui s’approchent, mais je tiens le Sentier visible dans l’espoir que le Soleil couchant puisse introduire dans cette Retraite Divine quelque solitaire pèlerin aux pieds meurtris. J’attends, je surveille, et vois comment tantôt l’un, tantôt l’autre, entre dans la Maison de la Lumière, me laissant à mon poste. Mon temps n’est pas encore venu, mais j’ai la conviction qu’il viendra. Le jour poindra certainement, où moi, celui qui montre la Voie, j’en obtiendrai l’accès, non comme maintenant, mais dans un sens réel. Celui qui se trouve dans le Sanctuaire a besoin de moi pour cette tâche. Il m’empêche de m’en aller dans la jungle, que vous appelez le monde ; il guide ma main qui montre le Sentier aux autres.

« J’introduis chaque voyageur fatigué en lui souhaitant la plus cordiale bienvenue et chaque voyageur, qui rentre dans sa demeure, fait accroître mes forces.

« Seul, l’oubli complet du soi, donne accès au Foyer Sacré de ce Sanctuaire. Ton accablement même prouve que l’idée de la récompense pour le travail, existe en toi. Rejette le voile de l’égoïsme qui obscurcit ta vue. Accomplis tout travail qui s’offre à toi – reconnais sa qualité divine. Aucun effort ne se perd, nul labeur n’est accompli en vain. Mais que tu sois actif ou silencieux, met ton mental et ton cœur à l’unisson avec le grand cœur et le grand mental de l’humanité entière. Sois prêt à montrer la Voie et à laisser passer les autres, tandis que toi tu restes en arrière. Essaye, ami. Sois un serviteur fidèle des Grands Serviteurs et obtiens ainsi la Paix. Voilà ce que je fais. »

« Je me réveillai les yeux en larmes. Un calme profond, que depuis longtemps je n’avais plus éprouvé, avait envahi mon cœur. Mais je me souvins. C’était un rêve plus réel, en vérité, que la plupart des événements de la vie et du travail. »

Note : Cet article est traduit du Theosophical Movement, vol. n° 12,
et il a été publié en français pour la première fois dans la Revue Théosophique, Paris, vol. XIV, n°2.

Magicon, ou le système secret d’une société de philosophes inconnus (1784)

Sommaire

INTRODUCTION  
I — LA DIVINITÉ  
– II — L'UNIVERS (I. La chaîne vivante des Êtres qui forment l'Univers et leurs interrelations (les êtres pensants et les êtres non-pensants) ; II. Constitution de ces Êtres)  
– III — LA CONSTITUTION DE L'UNIVERS  (Nombre, Mesure et Poids, les éléments primordiaux, le Principe réel)
– IV — L’HOMME  
– V — LA RELIGION  (la vraie religion naturelle, unité et vérité, acquisition de la sagesse, élévation spirituelle, messagers divins, mythes et symboles, lois et destinée)
– VI — LA SCIENCE (I - La science des nombres ; II - Quelques remarques sur la signification des nombres ; III - Les Mathématiques occultes, ou l'application des nombres de base au monde spirituel et physique)  
– VII — LANGAGE ET ÉCRITURE (I - Nature et origine du langage ; II - La langue originelle ; III - Les langues arbitraires ; IV - Écriture divine et naturelle)   
– VIII — EXPLICATIONS DE QUELQUES UNES DES PRINCIPALES ALLÉGORIES (1. L'armure impénétrable ; 2. L'épée de feu ; 3. La forêt aux sept arbres ; 4. Les dix feuilles du livre de vie ; 6. Le temple de l'esprit détruit et à reconstruire ; 7. Le grand nom des Hébreux) 
– NOTES

Introduction

Tel est le titre d’un livre ancien, imprimé en langue allemande en 1784 après J.-C. et publié dans la ville de Leipzig par celui qui se faisait appeler « Un inconnu de la lumière quadrilatérale ». Le livre contient de nombreuses idées surprenantes et extraordinaires qui, même si elles ne semblent pas nouvelles au théosophe moderne, sont néanmoins intéressantes pour les amateurs des traditions occultes. Bien que ledit livre ait été imprimé il y a tout juste cent ans, il parle de manière sans équivoque du « Quatrième Cycle » (l'actuel Cycle de l'Évolution Septénaire dont parle le Bouddhisme Ésotérique) ; il mentionne la clairvoyance, prédit la psychométrie et donne une explication satisfaisante de la signification occulte des nombres.

Les éditeurs inconnus de cet ouvrage étaient évidemment un certain nombre de théosophes à Paris qui devaient être des initiés. Le public les appelait des « Martinistes », et les ignorants les considéraient comme membres d’une secte mystérieuse communiquant avec les esprits, et censée détenir de puissants secrets.

Il était dit qu'il s'agissait de personnes de silhouette imposante, se distinguant par une éducation supérieure, et qui ne désiraient ni gloire, ni pouvoir, ni richesse, mais que la vérité.

Ils étaient bons, bien élevés et vertueux, ne cherchant que le chemin de la perfection. Pour l'information de nos théosophes orientaux qui ne connaissent peut-être rien de Martinez Pasqualis, le fondateur de la secte théosophique des Martinistes, nous joignons en annexe une courte notice biographique sur lui et son disciple, Louis Claude, marquis de Saint-Martin.

Martinez naquit vers 1700 au Portugal, d'une mère musulmane et d'un père portugais. Maîtrisant la Kabbale et les sciences secrètes, il voyagea loin et en maints pays. Après avoir été initié en Orient, il vint à Paris en 1768, où il fonda rapidement plusieurs loges maçonniques, dites martinistes, puis finit sa vie à Saint-Domingue où il mourut en 1779. Dès son origine le Martinisme fût un groupement de mystiques, qui non seulement « croyaient » aux Esprits tant infra, intra que supra-mondains, mais qui les évoquaient en mêlant régulièrement des rites nécromantiques à leur quête d’apparitions du Règne Élémentaire. Plus tard, quand de Saint-Martin devint son disciple et successeur, cet éminent métaphysicien français réforma les « loges » et leur donna un caractère bien plus philosophique. Ce dernier, connu sous le nom de « philosophe inconnu », naquit à Amboise le 18 janvier 1733 et mourut à Aulnay, près de Paris, en 1803. Déçu par le caractère nécromantique du martinisme, il y insuffla une grande partie de l'esprit swedenborgien, puis épris de Jacob Boehm, il élabora un système parfait de maçonnerie mystique. Il fût l'auteur de plusieurs ouvrages remarquables : Des erreurs et de la vérité, (ou les hommes rappelés aux principes universels de la science) (publié en 1775), dirigés contre le négativisme sceptique des encyclopédistes ; L’Homme de désir (1790), puis Ecce Homo et Le Nouvel Homme, etc., etc. Il est, peut-être erroné, d’attribuer sa complète conversion uniquement à Swedenborg ou à Boehm. Son esprit fut tout d'abord fortement influencé par les écrits d'un autre théosophe, plus ancien et encore plus remarquable, dont les ouvrages sont aujourd'hui très peu répandus et dont le nom est à peine connu. John George Gichtel [un Initié Rosicrucien, un homme d’une immense pureté, nous est-il précisé en Théosophie] – né à Ratisbonne (1638) – était néanmoins un théosophe très célèbre, un rosicrucien et l’éditeur des ouvrages de J. Boehm. Fils de parents très riches et influents, il fut honni des prêtres, qui ne lui pardonneront jamais ses révélations sur la conduite immorale de vie du clergé Allemand. Comme il refusait de se rétracter, le clergé le persécuta et le poussa finalement à l'exil, l’obligeant à s'enfuir en Hollande, où il mourut en 1720 à Amsterdam dans une grande misère. De Saint Martin donne des récits enthousiastes de Gichtel. Comme Boehm, disait-il, il était un théosophe né, marié, de sa naissance à sa mort à Sophia, l'épouse éternelle (la Sagesse). [De Jacob Boehm] il étudia assidûment l’ouvrage Des Trois Principes de l’Essence divine et la doctrine des Sept Formes de la Nature, et après en avoir compris la signification, il trouva la vraie pierre philosophale. Dans une lettre de Saint-Martin au baron Kirchberger, dans laquelle il relate cette histoire, nous comprenons que les pouvoirs occultes et psychologiques de Gichtel étaient d'un ordre bien supérieur à ceux de Swedenborg, les transcendant dans presque tous leurs aspects. Ainsi, « Sur le témoignage de ses disciples, lorsqu’en 1672, Louis XIV assiégea Amsterdam, Gichtel par le pouvoir de sa volonté exerça une influence telle qu’elle causa la levée du siège. Plus tard ont trouva cités dans les journaux les noms des régiments et des escadrons qu’il avait eu en vision. Les princes d'Allemagne et même les souverains le consultaient ; des dames de toutes classes, vieilles ou jeunes, riches ou pauvres, furent amoureuses de lui, cherchèrent à le connaître et à désirer sa main, mais il les éconduit toutes ». De Saint-Martin relate sur lui une anecdote très frappante. Une veuve extrêmement fortunée lui proposa de l'épouser, mais il ne lui offrit aucun espoir et se retira dans la solitude, pouvant rester isolé dans sa chambre pendant plus d'un mois. Un jour, alors qu'il se promenait aux alentours de sa pauvre demeure, il vit une main semblant surgir du ciel qui joignait la sienne à celle de la veuve évincée dont la forme apparaissait à ses côtés, et une voix lui disant : « Tu dois la prendre ». Au lieu d'accepter ceci comme un signe de la volonté divine, Gichtel perçut instantanément « que c'était seulement l'esprit de la veuve qui, par la ferveur de ses prières, avait pénétré le ciel extérieur (Kama-loka) et atteint l'esprit astral. » À cela de Saint-Martin ajoute : « Dès cet instant, il se donna tout entier à Sophia, qui n’accepte pas un cœur divisé ; il comprit qu’il était appelé à un sacerdoce du plus haut degré. » Le mariage de Gichtel avec la Sophia céleste (la Divine Sagesse) est conté par Saint-Martin dans les termes allégoriques suivants : « Sophia, sa chère Divine Sophia, qu'il aimait tant et qu'il n'avait jamais vu, vint le jour de Noël 1673, lui faire sa première visite : lui, dans le troisième principe (« linga sharira »), vit cette vierge céleste et brillante, (fut initié) … et le mariage fut consommé dans une félicité ineffable. Elle lui promit, en paroles claires, complète fidélité conjugale – qu'elle ne le quitterait jamais... Elle lui donna l'espoir d'une progéniture spirituelle, etc. » – une prose qui risque fort de faire croire à ceux qui ne connaissent rien de Sophia que Gichtel fût réellement marié à elle, mais le sens est clair pour tout occultiste, surtout quand on apprend plus loin que « Sophia a fait comprendre à son mari que s'il désirait jouir de ses faveurs sans interruption, il devait s'abstenir de toute jouissance et désir terrestres, » ce que Gichtel fit scrupuleusement. « Au début de son union avec Sophia, il pensait pouvoir se reposer là… mais elle lui montra qu’il ne pouvait en être ainsi, et qu'il devait se battre pour ses frères et sœurs (l'humanité) ; que, tant qu'il serait sous l’emprise de l’enveloppe terrestre, il devait se consacrer à délivrer ceux qui n'avaient pas encore reçu leur héritage et le repos intérieur. » (Correspondance de Saint-Martin, pp. 99 et 170)[i]. Ce qui suit est une tentative [Retour Sommaire]

I — LA DIVINITÉ

Tout ce que nos Théosophes enseignent concernant la source d’où émane tout être est basé sur la conception de l’unité divine du « Trois » sacré. L'être le plus élevé, considéré comme une unité, est la source éternelle et permanente de tous les principes pensants et immatériels, la racine de tous les nombres universels, la cause première et unique, le centre à partir duquel toute la vie et les pouvoirs de tous les êtres émanent sans cesse et vers lesquels ils retournent.

La Trinité n’est pas l’un en Trois, mais le Trois en Un ; contenant en elle-même l'Action et la Réaction, le Christ ; qui représente le principe divin de Sagesse et de substance pure, s’écoulant de Dieu vers l'homme et qui est appelé dans les saintes écritures l'Esprit de Dieu, ou le Saint-Esprit.

La somme infinie de pouvoirs et qualités divines est basée sur un nombre, dont l'homme ne saurait être un fragment ; leurs expressions composent le livre de la nature visible et invisible. Deux de ces qualités indispensables sont la Bonté et la Liberté. La bonté dans l’homme ne peut être la cause de l'existence du Mal, et par la liberté il est à lui-même sa propre Loi ; et en conséquence sa propre liberté diffère entièrement de celle des autres créatures.

Le divin ne produit pas une création à partir de rien ; mais produit une Émanation ou un Rayonnement indivisible et continue hors de lui-même. Chacune de ces émanations est indestructible, car la Divinité n’émane que des principes et pas des composés. Tous les principes émanent de la même source, directement ou indirectement.

Les émanations directes sont les pensées, et les indirectes, les non-pensées.

Toute l'activité de la Divinité consiste à révéler ses attributs, qui sont infinis, comme des nombres ou des pouvoirs. À ceux qui sont indépendants du temps, elle se dévoile, s’ils s’unissent à elle ; ceux qui dépendent du temps, bien qu'émanés d’elle, sont hors d’elle. [Retour Sommaire]

II — L'UNIVERS

L'ensemble du système de nos Théosophes est basé sur une division triple ; le Divin, l'Intellect et le Sensible. Ils parlent de trois carrés d'égale signification. Le carré divin, siège de la divinité, le carré de l’intellect, englobant les divers ordres d'esprits, et le carré du sensible, incluant tout ce qui appartient au monde visible.[ii]  

I. La chaîne vivante des Êtres qui forment l'Univers et leurs interrelations.

De la source de toute vie jusqu’au plus petit germe de matière il existe une progression ininterrompue, un rayonnement de lumière primitive, une chaîne de pouvoirs qui découlent de l'unité, la racine fondamentale de tous les nombres.

Les êtres sont généralement divisés en êtres pensants et non-pensants. Les premiers sont soit uniquement doué d’intellect, c'est-à-dire de purs esprits, soit ayant aussi d’une nature animale, c'est-à-dire sont conscients de vivre et d’agir ; ou bien ils peuvent être seulement mus par les principes de sensualité.

1) Les ÊTRES PENSANTS sont la première et la deuxième possibilité qui achèvent le processus créateur universel et ils possèdent une affinité en commun ; parce que la pensée ne peut être commune qu'à une seule classe d'êtres, et que tout le domaine de l'Intellect est composé, comme un arc-en-ciel de prophéties autour du trône de Dieu, d'innombrables radiations et réflexions de la lumière divine.

Ils sont divisés en trois classes : 

A. Les Êtres Divins, avec lesquels l'homme était uni dans sa condition primitive. Leur activité ne cesse jamais, car ils sont au-dessus des lois du temps.

B. Les Esprits purs dépourvus d’une enveloppe grossièrement matérielle – qui étaient autrefois, les serviteurs de l’homme, et sont maintenant ses supérieurs et bienfaiteurs. Ils animent l'homme de leurs influences pures, et souffrent d’être suspendus, et soumis aux lois du temps. Ils constituent la deuxième classe d'êtres et le but le plus élevé pour l'homme terrestre est de devenir comme l’un d’eux (les Dhyan Chohans ?). Il leur est difficile d’approcher l'homme, mais l'homme peut les retrouver à chaque étape de sa progression ascendante.

C. Les Êtres mixtes. Outre l'homme, qui est le dernier maillon de la chaîne des êtres doués d’intellect, il existe encore d'autres classes êtres, qui ont une nature mixte, intellectuelle et sensible, et qui, plus que d’être de purs esprits, sont capables d’approcher l'homme qui s’est avili (les Élémentaires ?). L'auteur ne juge pas opportun d'en parler en détail.

2). LES ÊTRES NON-PENSANTS, dont la vie et l'activité se limitent au sensible. Ils n'ont pas d'intellect et toutes leurs actions tendent uniquement à l'acquisition du confort et bien-être physique : animaux, plantes et minéraux. [Retour Sommaire]

II. Constitution de ces Êtres.

Tous les corps sont une expression des trois éléments primordiaux que sont la terre, l'eau et le feu (dans leur sens occulte).

Chaque être a un principe distinct par lequel il existe et agit. Tous les principes sont intrinsèquement indestructibles et simples, et après avoir accompli leur destinée, ils retournent à la source d'où ils proviennent ; mais les formes, qui ne sont que des représentations sensibles de l'action de ces principes, cessent d'exister quand le principe qui leur a permis d’être a cessé d'agir. Il ne reste aucune matière originelle.

Chaque principe est générateur de sa forme corporelle, et comme chacun a son caractère particulier ; un individu ou une espèce ne peut changer de nature, mais doit conserver le nombre originel qui détermine son caractère.

Il existe des principes généraux et particuliers de la matière, car même la plus petite particule de matière contient un principe qui est une unité homogène et indivisible. Les principes généraux ne diffèrent des principes particuliers que par leur quantité et leur durée d'action. L’action de chacun est unique.

Chaque être a le caractère du principe particulier qui imprègne sa forme et son action, et de plus chaque être possède un nombre inhérent à lui-même ; tous les êtres, ceux qui pensent aussi bien que ceux qui ne sont qu'actifs, sont en relation et en corrélation avec les lois des nombres. Tous leurs principes ne sont que des pouvoirs supérieurs ou inférieurs de l’unité toute-créatrice infinie, et leur position naturelle ainsi que le moment de leur action dépendent de leur proximité ou de leur éloignement respectif. [Retour Sommaire]

III — LA CONSTITUTION DE L'UNIVERS

La vie et l'existence de tous les êtres dépendent d'un influx continu provenant de l'infini, et l'Univers est basé sur sept formes ou centres moteurs primitifs invisibles, parmi lesquels se répartissent les divers pouvoirs divins. Ce sont les sept couleurs de la lumière primitive, appelées aussi les sept étoiles qui entourent le trône de la Divinité, qui, au rétablissement de l'unité divine, se réunissent pour produire une lumière dont la puissance sera sept fois plus forte. Dans le domaine du spirituel, tout est bon et pur, dans le domaine du sensoriel c’est le mal qui gouverne. Tout mal est causé par un principe mauvais, mais ce principe n’est ni infini ni éternel. Il était originellement bon et émanait du bien infini. En tentant de créer une unité qui lui soit propre, il est devenu sombre, car il s'est privé de l'influence nécessaire de la lumière divine et par un usage perverti de sa volonté il est devenu la cause de la sensualité qui limite son influence. Par ce principe et son action antagoniste continue (de contraction), le monde de l’intellect se purifie et le grand travail de régénération s'accomplit. Ainsi son pouvoir n’affecte jamais les piliers de la création, et toute son action se limite à combattre les purs agents de la lumière divine dans l'orbite du sensuel, à l’image d’une brume épaisse qui restreint la diffusion des rayons du soleil mais ne peut l’empêcher de projeter de ses rayons.

L'extension de la suprématie de l'infini et la concentration dans l'unité sont l'objet et le but de toute action divine, spirituelle et physique. La Divinité manifeste sa perfection aux êtres individuels pour les libérer de la mort, en leur insufflant la vie, et tous les individus manifestent leur attachement à l'unité d’une même manière, en libérant leurs propres pouvoirs pour le bien de ceux qui sont extérieurs à eux-mêmes, et aider ainsi à la réalisation de la grande œuvre de régénération.

Tout dans la nature a un certain Nombre, une certaine Mesure et un certain Poids. Le nombre nomme l'activité, la mesure la détermine et le poids lui donne l'impulsion pour la réalisation. C'est par eux que sont formés les signes immuables et les caractéristiques distinctives des existences individuelles et de leurs organes appropriés. Le domaine de l'intellect possède non seulement les types originaux de tout ce qui est sensible, mais il contient aussi (et en lui seulement) la vérité pure, sans mélange et immuable, telle qu’elle peut être comprise par la raison humaine. Comme le visible et l’invisible sont intimement liés, la vérité et l’erreur sur le plan de l’intellect se combinent nécessairement avec la vérité et l’erreur du domaine objectif.

Il n’y a pas de véritable procréation dans le domaine de l’intellect, pas de pères ni de mères, comme on peut le trouver dans le domaine sensible, et c’est pour cette raison qu’un parent physique ne peut pas être le père du germe d’intellect de ses enfants. Dans le domaine intellectuel, le Haut contrôle et attire toujours le Bas, de sorte que chacun reçoit chaque jour directement de la fontaine primitive de vérité le retour de chacune de ses bonnes pensées et aspirations ; mais dans le domaine du physique, une loi opposée s’applique. La terre, comme Saturne dans la mythologie antique, se nourrit de ses propres enfants.

Il n’existe pas d’autre monde sensible que le visible. Le monde visible, le domaine du mal, est né de la sensibilisation de l'univers invisible par l'action fécondatrice de certains principes. Ce monde invisible, caché dans le monde visible, pourrait être découvert par l'homme s'il était capable d’en enlever le voile et de l'examiner. Le phénomène de sensualité n'est pas basé sur une certaine substance basique, mais sur certains éléments primordiaux, qui sont immédiatement liés aux pouvoirs supérieurs de création, ou à un feu invisible et originel, duquel sont nés les trois éléments visibles que sont le Feu, l'Eau et la Terre, mais qui ne peuvent dériver d'une essence matérielle unique ni y retourner ; parce que les qualités qui les distinguent les uns des autres sont fondamentalement différentes. Le feu appartient spécialement au règne animal, l'eau au règne végétal et la terre au règne minéral. Il ne peut y avoir que trois éléments. S’il y en avait quatre, le monde visible ne pourrait pas périr ; parce que son caractère périssable repose sur l’aspect triple du sensible. L'air n'appartient pas aux éléments matériels, mais il est un organe plus fort et plus puissant d’action du feu originel, et sa fonction est de transmettre au corps les forces vitales. Les corps résultent de l’union et de la combinaison de ces trois éléments. La complète « corporification » requiert cependant certains facteurs pour être sensible, et être capable de faire le lien entre les principes et l'action ; ces facteurs sont appelés par les alchimistes : Mercure, Soufre et Sel. Ils sont en proportion exacte avec les trois éléments et sont les véhicules de leurs principes. C’est la prépondérance d’un élément ou d’un autre dans le processus de corporisation qui détermine si le corps ainsi formé appartient à un règne ou un autre.

Par conséquent trois principes sont nécessaires au processus de création ou de reproduction dans le domaine du sensible.

1. L'activité conjointe de deux principes, dont l'un agit de l'intérieur vers l'extérieur et l'autre de l'extérieur vers l'intérieur. Ces impulsions d’action et de réaction doivent se rencontrer pour que quelque chose puisse naître, et elles sont à l’origine d’une loi nécessaire et universelle à toute la création ; car dans le domaine de l'Intellect comme dans celui du Sensible, on retrouve partout ce même principe d’antiphonie.

2. C’est l'action d'une cause à la fois active et pensante qui régit la double action ci-dessus. C'est pour notre raison l’unique « Principe réel », et les lois du sensible découlent de son action. Hors de la considération de ces lois, il est impossible d’avoir une conception claire de la nature. Ce principe d’Intelligence ne fournit pas les germes à l’origine des corps, mais il les vivifie ; il ne donne pas à l'homme les pouvoirs physiques ou d’intellect, mais il les régit et les illumine ; et chaque fois que ce principe se retire, la dissolution commence. Cette cause active et intelligente peut être connue et assimilée par tous ceux qui sont suffisamment pur pour la percevoir.

Tous les changements dans l'univers visible sont déterminés par les actions et les contre-actions de ses quatre points cardinaux, et les oppositions entre les principes élémentaires sont dirigés par la cause active et intelligente qui est son centre et sa circonférence. [Retour Sommaire]

IV — L’HOMME

Une révolution prodigieuse dans le domaine de l'esprit a fait que la source de tout être émane instantanément de lui-même, et cette émanation divine fût l'homme primordial. En vertu de son origine divine, il est non seulement l'être le plus élevé et le plus ancien, une expression du pouvoir et du nombre divin, mais, bien qu'il possédât tous les privilèges d'un esprit, il fût de plus entouré d'une enveloppe indestructible qui le protégeait des pouvoirs destructeurs des éléments. Dans cet état glorifié, où il éprouva le bonheur le plus exalté, il fut capable de régner dans le royaume de l'Invisible, comme dans celui du Visible, de révéler la puissance du Très-Haut et en restaurant l'Unité de rétablir l'ordre, la paix et le bonheur. Habitant au centre du carré, il pouvait voir tout son royaume, dans les quatre orientations et comprendre à la fois le passé, le présent et le futur. Il possédait le pouvoir sur la vie et la mort de ses inférieurs, car il leur insufflait la vie par sa présence, et son retrait provoquait leur mort[iii]. Mais il devint infidèle. Au lieu de gouverner le Sensuel, il confondit les quatre points cardinaux de Lumière et de Vérité, et se priva ainsi de Lumière. Au lieu d’observer la totalité de son royaume, il ne fut attiré que par une partie de celui-ci. Il s'est ainsi engagé dans le sensuel, c'est-à-dire qu'il est passé du 4 au 9 et est tombé dans l’obscurité.[iv] Ce qui était autrefois pour lui l’unité, lui apparaissait maintenant comme multiple et subdivisé ; le sensuel prit la place de l'intellectuel, et l'intellectuel celui du sensuel. Son crime consista à passer du supra-sensuel au sensuel. Le sensuel n'était pas fait pour lui, et il lui était interdit d’y goûter, mais il le convoitait, et en goûtant à la fausse jouissance, il perdit la vraie. Il tomba de l’esprit dans la matière, et maintenant l’homme doit par ses efforts retrouver sa position première. Non seulement il a perdu sa place originelle au paradis (le carré intellectuel) ; mais il a aussi perdu son pouvoir, la parole vivante ; il s'est séparé en mâle et femelle. Il perdit également l’enveloppe d’invulnérabilité de son état primordial et prit un corps animal (« vêtements de peau »), ce qui le rendit sensible aux impressions du sensuel et l'exposait aux dangers des éléments. Cependant ce corps mortel, siège et cause de ses souffrances, devint en même temps un manteau protecteur contre des dangers encore plus grands, auxquels il serait exposé sans une telle protection. Les organes de ce corps matériel sont en proportion exacte avec ses facultés intellectuelles, dont les traits reposent sur un certain nombre et la couleur naturelle sur un certain ordre dans la disposition des éléments. Ce corps est une représentation complète des matériaux dont le monde est composé. C'est un microcosme et il a les mêmes proportions et fonctions que le macrocosme et, comme la terre, il doit combattre toutes les forces hostiles. C'est l'expression d'un principe spirituel, mais non pensant, appelé l’âme animale, qui fait le lien entre l'âme intellectuelle et le corps physique.

La condition actuelle de l’homme est plus difficile qu’il n’en était avant sa chute. Il a plus de dangers à affronter et moins de pouvoirs à sa disposition pour résister. Il est toujours engagé dans la bataille des sens contre l'intellect. Il désire se spiritualiser, mais son corps l'attire vers les sens par mille attraits et l'entraîne encore plus profondément dans la fange de la matière, et son principe d’intellection ne peut plus respirer la pure essence de la vie, privé des influences bienfaisantes d’une réaction supérieure. Mais cependant le domaine des sens lui est bénéfique et constitue un garde-fou et un point de départ pour son retour. Sa capacité de se retourner va dépendre de son aptitude à dompter tout ce qui obscurcit sa véritable nature intérieure et à retirer tout ce qui l'empêche de revenir à sa source originelle. Il ne peut accomplir cela d'aucune autre manière qu'en remontant par la même voie que celle par laquelle il est descendu. Il doit repasser du 9 au 4, du sensuel à l'intellectuel, de l'obscurité à la lumière. Il doit traverser les brumes qui cachent le soleil de sa vue, jusqu'à ce qu'il arrive à un point où ses rayons l'atteignent sans réfraction. C'est la grande œuvre de Rédemption, par laquelle l'homme, d'abord et avant tout, vivifie et renforce la puissance de son germe d’intellect, et par stimulation et expansion renouvelées de sa part et une volonté bien orientée, devient sensible aux droits de l'esprit. Par l'exercice du courage et avec la foi, le temps de l'épreuve peut être réduit de manière considérable ; mais aucune expiation indirecte n’est possible, et plus l’homme a chuté bas, plus il devra remonter. [Retour Sommaire]

Cependant, même dans sa faiblesse, l’homme n’est pas entièrement dépendant, dans ses tentatives pour s'élever, des seules ressources de ses facultés inhérentes de courage et de volonté. Il y a beaucoup d’hommes, grands et bons, pour le stimuler par leurs exemples, s'il veut bien les prendre comme ses guides ; mais en plus d’eux, il y a toujours eu parmi nous d’authentiques acteurs célestes présents sur terre qui ont le plus grand souci de notre bien-être. Un rapport direct avec ces hommes n'est pas impossible, si l’homme se purifie suffisamment pour être approché par eux ; eux-mêmes bien que très avancés et purs, sont encore humains.[v] Par une discipline appropriée d'entraînement mental et spirituel, nous pouvons percevoir ou entrer en contact avec ces êtres. Moins notre attention s’attache aux choses sensuelles, plus notre vision spirituelle se développe ; et plus l’homme extérieur meurt, plus l’homme intérieur vit. Tout cela, cependant, serait insuffisant pour la rédemption de l'homme, s’il n’y avait l'activité constante du principe spirituel universel, par laquelle tous ses pouvoirs sont sans cesse développés et vivifiés, et par laquelle l'homme est amené à la reconnaissance de toutes choses, et en particulier à la connaissance de lui-même.

Il ne manque donc pas de remèdes sûrs et puissants par lesquels l'homme peut s'élever des ténèbres à la lumière ; mais s’il est trop insouciant et négligeant pour employer ces moyens, il se retrouvera dans une condition bien pire ; surtout s'il nie l'existence ou la nécessité de tels pouvoirs. Il sera alors dans un état dont il ne pourra être racheté que par une purification extrêmement dure et continue. Il devra passer du 9 au 56. La loi par laquelle l'homme passe du 4 au 9 est terrible, mais elle n'est rien en comparaison de la loi qui régit le 56, une loi effrayante, par laquelle ceux qui sont exposés à son action ne peuvent arriver au 64 sans devoir affronter toute la rigueur de cette loi. L'homme qui n'accomplit pas son devoir au moment imparti devra recommencer, mais il partira d'un point beaucoup plus bas et devra œuvrer pendant une période beaucoup plus longue ; et s’il tarde trop la période de souffrance sera plus terrible et même presque infinie. Les malheureux qui appartiennent à cette classe sont comme les satellites de « Saturne », qui tournent continuellement autour de son anneau, sans pouvoir y pénétrer. Ils ne peuvent pas pénétrer dans la sphère du Bien et voir la lumière qu’ils ne peuvent approcher, et ils devront souffrir jusqu'à ce que toutes leurs impuretés soient brûlées et détruites par leur propre lumière intérieure.[vi]

Mais par l’usage correct de ses facultés, l’homme est certain d’atteindre son but, et ses doutes disparaissent à mesure qu’il s’élève. Il n'a pas besoin de craindre la mort, car la mort n’est terrible que pour ceux qui se sont entièrement laissés prendre par le sensuel ; et s'il s'élève par sa volonté à un degré suffisant de pureté, pour ne faire plus qu'un avec la Divinité, il sera alors capable, même dans cette vie, de spiritualiser sa propre nature au point, de pouvoir contempler tout le champ de l'intellect, et il se retrouvera beaucoup plus près de Dieu qu'il ne l’avait cru possible. Il percevra les entités divines, et n’aura plus besoin de lire de livres pour s'instruire[vii], et il aura tellement progressé sur le chemin de la perfection que la mort n’aura qu’à lui retirer le voile matériel grossier pour lui dévoiler toute la beauté du temple de son mental : car alors il ne vivra et n’agira qu’au sein de la sphère de l'Infini. [Retour Sommaire]

Si nous considérons l'homme dans ses relations sociales, nous constatons que l'origine de l'état social ne consiste ni dans le rassemblement contraint des hommes par des individus puissants, ni dans une confluence arbitraire ou sans discernement d'entités vers une unité commune au moyen d'un contrat social. L'homme primordial est né pour régner, non sur ses égaux mais sur les êtres inférieurs. Il ne pouvait appartenir à aucun corps politique d'hommes, un corps qui ne peut exister sans les liens des sens et les privations de l’intellect. Mais à mesure qu'il devenait de plus en plus sensible, sa condition fût d’être pris dans une chaîne ininterrompue de besoins, de dépendances et de nécessités ; et l'organisation sociale devint nécessaire pour subvenir à ces besoins, libérer à nouveau sa nature intellectuelle et recouvrer ses droits. La formation de la société ne fût donc pas un acte arbitraire mais une nécessité ; sa finalité est l'éducation et son but final est la liberté et la restauration des droits des individus qui la composent. La légitimité de la domination d’un homme sur un autre dépend de leurs degrés respectifs de dépravation ou de noblesse réelle. Un grand nombre d’individus membres de la société s'enfoncent dans la boue des éléments matériels, et il est donc naturel et nécessaire qu'ils soient aidés à se relever par ceux qui sont moins dépravées ; et c'est seulement ainsi qu'une autorité peut être légitime, tandis que dans tout autre cas, elle doit nécessairement incarner le plus haut degré d'injustice. Plus un individu progresse sur le chemin de sa propre perfection et purification individuelle, plus il acquiert un pouvoir sur les autres, basé sur la justice ; de même, plus il s'approche de la lumière, plus son influence s’étend sur ceux qui en sont privés.

Un enfant ne peut pas être son propre père, enseignant et pourvoyeur, et l'homme collectif a besoin de certains guides, dotés de vertus supérieures. Le gouvernement devrait donc considérer que son premier devoir est d’éduquer l’intellect de l’homme, d’abolir les maux et de pourvoir à la satisfaction des vrais besoins de l’homme. La religion et la politique ont un objectif identique et chaque roi devrait donc également être un Melchisédech ou un grand prêtre. L’humanité, en tentant de séparer ce qu’elle considère le « profane » du spirituel, a perdu le véritable esprit, et les rois et les prêtres, en perdant le véritable esprit de la religion et en devenant sectaires, ont perdu leur pouvoir. La vraie religion et la vraie liberté sont inséparables. L'homme primordial possédait le pouvoir de punir ses inférieurs et même de les priver de la vie s’il les privait de sa présence vivifiante ; mais l’homme dans sa condition actuelle a perdu ce pouvoir, et personne n’a le droit de punir ou de tuer une autre personne. Le pouvoir de punir des rois et des juges n'est donc que symbolique, et ils ne possèdent de tels droits qu'en tant que représentants d'une autorité supérieure à celle de l'homme individuel ; ils ne doivent donc exercer de tels pouvoirs que dans le respect de la plus haute conception de la justice. Les peines doivent être proportionnelles à la gravité des crimes, et il est injuste de ne punir que les crimes commis contre l'homme physique, les crimes dit politiques ou temporels, et de laisser libres les criminels qui tentent d'empoisonner, de blesser ou de détruire la partie intellectuelle ou spirituelle de l'homme. La cause de cette injustice est que ceux à qui l'autorité est confiée sont eux-mêmes imparfaits, voire criminels, et susceptibles d'abuser de leur autorité. L'humanité ne pourra espérer atteindre l'âge d'or avant que ses dirigeants ne soient des hommes meilleurs, dont le cœur est rempli d'amour pour l'humanité, et dont l'esprit est illuminé par l'intelligence divine de l'esprit universel. [Retour Sommaire]

V — LA RELIGION

L'animal ne s'élève jamais au-dessus de la sphère des désirs de ses sens ; mais l'homme trouve le seul vrai bonheur et contentement que dans la contemplation de ce qui est au-dessus de cette sphère. Il ressent la nécessité intérieure de satisfaire ses désirs pour le Divin, et de propager cette satisfaction via la religion. L’homme s’élève vers Dieu par ses aspirations religieuses, et la nature de l’homme s’élève en égale proportion à l’élévation, élargissement et purification de ses idéaux religieux. Une investigation sur le lien existant entre l’homme et la religion conduit à adopter les points suivants :

1. La religion est naturelle et nécessaire à l’homme, et un examen de l’histoire tant ancienne que moderne prouvera la véracité de cette affirmation.

2. La religion est aussi vieille que l’humanité. Les principes des systèmes religieux ne peuvent être le fruit d’une invention ou d’une présomption arbitraire ; leur germe originel doit nécessairement être divin. Ce germe a résisté à toutes les révolutions de la nature, et seul sa forme a changé au grès des diverses nécessités ou capacités des peuples et de l'état de leur civilisation ; et la vraie religion est plus qu’un simple code moral.

3. La vraie religion ne peut être qu’une, et il ne peut y avoir qu’une seule vraie religion, car il n’y a qu’un seul principe de perfection. L'unité, la loi de la religion authentique, exige la parfaite harmonie entre l'homme sensuel et l'homme intellectuel.

La lumière divine qui illumine l’homme est une et la même en chaque homme, et les différences entre les divers systèmes religieux ont leur cause dans comment les différents aspects de cette lumière sont perçus par les différents peuples.

La vérité est une, mais les formes sous lesquelles elle apparaît diffèrent. Chaque homme, peu importe où il vit ou ce qu’il croit, peut être un temple où réside l’esprit divin. La sagesse est accessible à tous, et l’acquisition de la sagesse par tous rétablit l’unité.

4. L'homme s'élève jusqu'à la lumière divine d’amour et de sagesse par ses idées religieuses et devient ainsi de plus en plus réceptif aux influences bienfaisantes. L'homme, comme tout dans la nature, est soumis aux lois de la nature et, il partage, dans une certaine mesure, de la nature de l’influence des lois auxquelles il s’associe. Il y a eu de tout temps des hommes qui se sont élevés au-dessus des autres au point de s’unir à la source divine ; nous pouvons les considérer comme nos guides et nos enseignants. Les révélations et les traditions que nous avons reçues de tels hommes sont inscrites dans l’histoire et les religions de toutes les nations, et dans chacune d’elles on peut retrouver une certaine similitude et unité. Nous pouvons donc considérer ces hommes comme des agents du divin.

5. L’homme peut accéder à la Divinité grâce à ces agents divins, ou, en d'autres termes, le rayon divin en traversant ces entités ou agents se teinte d’une couleur appropriée à chacun, sinon il serait à jamais incompréhensible par l'homme. Certains anges et prophètes ont pu être des humains, mais ils sont tous des représentations ou des symboles de forces ou de perfections que possédait à l'origine l'homme primordial.

6. Ces agents divins ont établi une communication de pensée reliant le plus haut au plus bas. Ainsi, un mode d'instruction devint possible, par lequel ceux qui ne possédaient pas suffisamment de pouvoir pour s'élever pouvaient y parvenir grâce à leur guide, à travers lequel ils pouvaient recevoir des informations sur l’essence des choses et l'histoire de l'humanité.[viii]

7. Les agents ou messagers divins ont choisi de tous temps certains hommes, auxquels ils communiquaient leurs connaissances, et par l'intermédiaire de ces hommes une lumière de couleur variée fût répandue sur les différentes parties du globe ; en partie par l’enseignement oral, et en partie à travers une tradition basée sur les symboles, les arts ou les coutumes. Au fil du temps, ces traditions se sont perverties au point d’être devenues souvent presque méconnaissables et donner lieu à d'innombrables dérives sectaires.

8. La science et l'histoire de l'humanité se confond avec l'origine et le but de la mythologie et du symbolisme. Il y a beaucoup de fantaisistes dans ces systèmes, mais on peut trouver une identité dans ceux des nations les plus anciennes.

Beaucoup de ces mythologies reposent sur des superstitions, et dans d'autres le sens originel véritable s’est perdu ; mais il reste suffisamment d’éléments de vérité pour démontrer que les plus anciens habitants de notre globe concevaient la destinée de l'homme d’une manière plus élevée qu’un simple passage à travers divers processus chimiques et physiques. Tous ces mythes concernent l'origine de l'homme, les lois de son existence et de sa destinée, et ils nous donnent une vision historique plus ou moins exacte de l'univers visible et invisible.

9. Les célèbres mystères anciens, avec leurs doctrines et leurs initiations, tiraient leur origine de ces anciennes traditions, transmises dès l'Antiquité par les sages et leurs disciples. La perpétuation de ces mystères était nécessaire, et le secret dont ils étaient entourés répondait au désir de les préserver de la profanation et de les garder dans leur intacte pureté originelle.

10. L'un des témoignages de l'Antiquité le plus ancien et le plus fiable est celui des Hébreux.[ix] La Cabale donne une conception très claire de la cosmogonie, et le sens ésotérique de leur symbolisme est extrêmement beau. Malheureusement, son sens ésotérique est actuellement très peu compris, même par les Hébreux eux-mêmes ou par leurs rabbins, et il a été surtout perverti et obscurci par des traductions imparfaites du texte original. [Retour Sommaire]

VI — LA SCIENCE

L’éloignement de l'homme de la vraie source de lumière, fait qu’il lui est plus difficile d'accéder à la vraie connaissance, car pour obtenir cette connaissance, il doit être guidé par la lumière de la vérité.

Néanmoins, un certain degré de connaissance exacte est certainement accessible à l'homme, car chaque être est soumis à la loi sûre et immuable.

La possibilité de cette réalisation trouve son fondement non seulement dans le germe de l’intellect[x] de l'homme, qui est immuable dans sa nature intrinsèque comme l’est le principe dont il est issu, mais aussi par le fait que l'homme, avec sa double nature, est à l’image d’un miroir concentrant toutes les lois du monde des sens et de l’intellect. La connaissance de l’homme est donc le fondement de toutes les connaissances ; celui qui comprend parfaitement l'homme, comprend les lois de l'Intellect et des Sens et pourra tout expliquer. Toutefois dans l'étude de l'homme, il faut se garder de confondre le Sensuel avec l’Intellectuel, et d'attribuer à l'un ce qui appartient à l'autre.

Il n’y a en fait qu’une seule science qui comprend l’Intellectuel et le Sensoriel ; et les deux domaines doivent être étudiés conjointement. La séparation arbitraire des deux aspects de cette science unique a donné naissance et développement à d’innombrables conclusions contradictoires et à des systèmes et dogmes erronés. Chaque fois que l’homme désire accéder à la vérité avec intelligence s’il n’utilise pas les moyens que lui offre la nature, il tombe invariablement dans l’erreur ; et il n'est pas moins dangereux de tenter d'étudier le sensible sans la lumière de l'intellect. Si nous désirons utiliser correctement notre raison, nous devons « diviniser » notre propre cœur et lui permettre ainsi d’approcher la source de toute lumière, qui est hors de portée du raisonnement humain.

La fausse étude du sensible donne naissance au matérialisme et l’étude intellectuelle faussée conduit à la superstition ; mais la vraie science doit se baser surtout sur les principes, plus que sur l’aspect phénoménal des choses. Les deux extrêmes sont dangereux ; car dans un cas nous rampons comme un ver sur un chemin sans voir où il mène ; dans l'autre cas, nous errons si haut que nous nous perdons dans les nuages. La vraie connaissance ne peut être obtenue qu’avec un juste discernement et en prenant en compte les lois du Sensuel, de l'Intellect et du Divin, par lesquelles seul l'homme peut se libérer et retourner à la source universelle de Lumière et de Vérité. [Retour Sommaire]

I - La science des nombres

Le système entier de l'univers repose sur certains principes primordiaux et fondamentaux, desquels résultent la substance, la forme et la possibilité d’action de tout ce qui existe. Ces principes de base sont appelés les nombres de la nature. Celui qui les comprend, comprend les lois qui expliquent comment la nature existe, quelles sont les proportions qui composent ses parties constitutives, de quelle manière son activité se régule, quel lien relie toutes les causes entre elles et quelle mécanique anime le Cosmos.

Ces nombres ne sont pas des symboles arithmétiques, mais de vrais principes ; ils sont à la base de toute science exacte et de toute compréhension par l’intellect.

Le sujet que nous considérons est d'une étendue infinie qui ne peut être comprise que par l'Esprit infini, qui intègre en lui la chaîne complète des causes, proportions et effets, et le langage humain est trop imparfait pour l'exprimer pleinement. Tout effet résulte d’une énergie, et cette énergie est l’expression d’un pouvoir. La puissance développée correspond au nombre essentiel, et la quantité d'énergie au nombre potentiel. Le Principe et la Forme sont deux pôles unis par le lien du Nombre. Par nos sens, nous recevons certaines impressions du sensible présent dans le mouvement des choses, et par notre raison, si nous sommes capables de les appréhender, nous pouvons nous faire une idée de quels sont leurs positions et racines invisibles. Tout dans le monde de l'Intellect comme dans celui du Sensible est qualifié par un nombre, une mesure et un poids, qui ne peuvent être compris que par notre raison ou notre intuition.

Les nombres de l'univers sont infinis, mais leur mouvement est simple et direct, car tout repose sur les premiers nombres : 1 à 10. Ces nombres sont contenus dans quatre nombres de base (1 + 2 + 3 + 4 = 10) ce qui montre le caractère sacré du carré, symbole de la divinité en l'homme. [Retour Sommaire]

II - Quelques remarques sur la signification des nombres.

I. Le nombre 1 représente : 1) L'unité absolue, l'essence et le centre universel de tout Être. 2) Les centres ou principes de toutes les unités individuelles, qui ne sont ni absolus ni conditionnés ; mais ne sont que des radiations directes ou indirectes de l'unité absolue.

II. Le deux signifie : 1) L'unité absolue en condition de mouvement ou de progression, comme une radiation ou une réflexion du 1. 2) La Lumière, ou un rayon qui émane. 3) L'origine de toutes choses, la projection du Divin dans l'Intellect. 4) La double loi d'action et de réaction, le masculin et féminin, le positif et négatif, etc.

III. Le trois est le nombre des résultats. 1) Sans le Trois, il ne peut y avoir de résultat, tant sur le plan de l’intellect que sur le plan physique. Du 1, dérive la possibilité d'existence réelle, du 2, l'énergie et la réaction, et ensemble ils produisent le 3, le résultat ou la forme. 2) La constitution des corps, formés (a) des principes des trois éléments : Terre, Eau et Feu ; (b) des trois actions : Action, Réaction et Cause. 3) Le principe universel immatériel, mais non pensant (la Volonté ?). Le nombre d'êtres non-pensants, mais immatériels (les élémentaux ?) est représenté par 3 x 3 = 9.

IV. Le 4 est le nombre de la perfection. 1) C'est le symbole du carré divin, l'univers pensant. 2) Le symbole du carré du temps. 3) La représentation de l'homme intellectuel dans sa condition primordiale ; et 4) le symbole de l'univers : Nord, Sud, Est et Ouest.

V. Le nombre 5 peut être considéré soit comme 1 + 4, soit comme 2 + 3, soit comme 4 + 1, et dans chaque cas son aspect diffère en conséquence. Le cinq est nécessaire pour produire l’harmonie d’un accord parfait ; mais sous un autre aspect, il est terrifiant et représente le principe du mal en lutte contre le bien. C'est le symbole de l'idolâtrie, de la superstition et de la peur, qui ne peuvent être modérés qu’en s’unissant au 6. C'est le nombre de la souffrance et de la mort, et celui qui s’attache à ce chiffre devient la victime du terrible pouvoir du 65.

VI. Le 6 n'est pas un nombre parfait, mais il permet de bons résultats dans le sensible. Par le 6, comme symbole du 2 x 3, la nature visible vient à l’existence. C'est le symbole du temporel et de la vie changeante.

VII. Le 7 provient du 3 + 4 ; 4 + 3 ; ou 6 + 1. Il représente les sept principes dans leurs différentes combinaisons, les sept planètes et beaucoup d'autres choses. Comme le 16 (4 x 4) et le 9 (3 x 3), le 49 (7 X 7) est aussi d'une grande importance.

VIII. Le 8 (2 x 4) est le nombre du double carré du temps et de l'éternité ; de l'Intellect et du Sensuel et de leur connexion et antiphonie réciproques.

IX. Le 9 (3 x 3) est le nombre du Sensible, de la Sensualité et de la Dégradation ; de tout ce qui est circulaire et matériel. 4 + 9 est le nombre complet de la nature. Les relations entre le 1—3—6—9 et le 1—4—8—16 sont très importantes.

X. Le 10 est l'aboutissement de tout ce qui existe. En lui se combinent toutes les relations binaires, ternaires et quaternaires, et c'est le résultat du 1 + 2 + 3 + 4. [Retour Sommaire]

III - Les Mathématiques occultes, ou l'application des nombres de base au monde spirituel et physique.[xi]

La vraie mathématique est la base de toutes les sciences exactes. Les mathématiques courantes n’en sont que l’ombre, et ne sont infaillibles que quand elles se limitent aux concepts matériels. Toutes les formes et images du monde des sens sont le résultat de principes simples, et l'origine des mathématiques se trouve dans quelque chose qui dépend des lois du Sensible, de la Matière et de la Forme ; mais qui dans le fond n'est pas matériel mais intellectuel. Un homme peut être un très bon mathématicien sur le plan courant, mais être pourtant incapable de résoudre le problème intellectuel ou physique relatif à la cause de sa genèse. Les véritables axiomes mathématiques sont du domaine de l’intellect, et c'est seulement par eux que l'on peut expliquer la constance de toutes les productions du sensuel. Dans une géométrie authentique, nous avons besoin d’une échelle qui puisse s’appliquer à tous les aspects de ses dimensions ; mais une telle échelle n’a aucune élasticité en elle-même. Cette élasticité ne pouvant pas être trouvée dans la Géométrie courante, il faudra la rechercher dans le principe intellectuel d'extension ; et par conséquent il sera impossible à la géométrie courante de résoudre des problèmes tels que, par exemple, celui de la quadrature du cercle.

Si l'on souhaite mesurer une courbe, il faut avant tout se faire une idée correcte d'une ligne droite et d'une ligne courbe. Tenter d'expliquer une ligne courbe comme étant formée d’une succession de lignes droites infiniment petites est inadmissible et irrationnel, et en opposition avec les véritables lois de la nature ; car outre les preuves morales d'unité et de perfection infinies, il y a d'autres raisons pour lesquelles deux opposés tels qu'une ligne droite et une ligne courbe ne peuvent jamais s’unir et pourquoi une telle tentative ne devrait jamais être faite. Tout dans la nature a un nombre qualifiant ses différenciations, et c'est aussi le cas de ces deux lignes. L'émanation dans l'infinitude est l'objet de l'une et le détraquement dans la progression infinie le but de l'autre. Les deux s’opposent ; leurs nombres et actions doivent être différents ; leurs nombres sont dans le rapport du 4 au 9 et dans tous leurs degrés et puissances, cette proportion demeure inchangée. Cette loi explique la différence générique et individuelle entre les natures intellectuelles et sensibles, qui, bien que différentes entre elles, dérivent néanmoins de la même source, possèdent le même nombre originel et sont régies par la même loi.

L'échelle arbitraire utilisée dans la géométrie courante est extrêmement utile pour les besoins de la vie courante, car elle relève des proportions de la matière ; mais si nous essayons d'appliquer cette échelle pour investiguer les vérités essentielles, nous risquons d'être induits en erreur, dont la moindre est de s’aventurer au-delà de son champ d’application, alors que les nombres 4 et 9, en tant que représentation des lignes droites et courbes, restent inchangés dans leurs proportions, et constituent donc l'échelle appropriée à ces vérités.

Il serait inapproprié d'appliquer les mathématiques occultes et la géométrie à la mesure des perceptions sensorielles et des combinaisons ordinaires de matière, et les mathématiques courantes ne peuvent pas non plus être appliquées aux choses spirituelles. La matière n'existe que par et dans le mouvement, mais la matière n'est pas la source du mouvement. [Retour Sommaire]

Cette source doit nécessairement exister dans un principe immatériel, et les phénomènes d'extension et de sensorialité ne sont que des résultats provoqués par l'action de ce principe. Si les principes de la matière dépendent d’une action ou d’une réaction supérieure, à plus forte raison en est-il de l’évolution de ces principes.

Bien que dans le domaine du sensible il n'y ait pas de mouvement sans extension, le sensible en lui-même suggère un mouvement sans extension ; c'est-à-dire une attraction des corps vers un centre commun. Le Sensoriel est toujours guidé par l'Intellect, et il s'ensuit que c’est en ce dernier que doit se trouver la cause du mouvement. Deux mouvements, en sens inverse l’un de l’autre, sont guidés par le nombre 4, qui est le nombre à la base de tout mouvement. Il n’existe donc pas de progression arithmétique dans le domaine de la nature vivante, et la progression géométrique du carré est la seule valable, car elle est le principe de vie et d’action des êtres vivants.

Le nombre de l'extension et aussi de la ligne courbe est le 9, car partout dans la nature, où l'on trouve de l'extension, on trouve aussi des lignes courbes et là les deux sont alors équivalentes. En dernière analyse, toute forme tend vers la forme de l’ovale ou de la sphère. Le nombre des lignes droites appartient aux causes et aux principes ; celui des courbes aux produits et résultats.

Les nombres 4 et 9, la ligne droite et la ligne courbe, représentent donc les deux principales lois de la nature, qu’il ne faut jamais confondre. Depuis qu'il a perdu sa perfection, l'homme a vainement essayé de les unir et a tenté sans succès de résoudre la quadrature du cercle ; or ne peut comprendre une quatrième dimension de l'espace, ou des problèmes qui ne peuvent être saisis que par l’intellect, car leur démonstration n’implique pas le plan physique.

Il faut faire une distinction entre le cercle naturel et le cercle artificiel. Pour le premier la circonférence ne résulte pas d’une série de points reliés entre eux, mais résulte d’une expansion d’une énergie à partir d’un centre.

Le carré ne doit pas être considéré comme résultat d’un développement géométrique, mais comme le symbole du principe créatif universel. Ce principe ne se révèle qu’à travers un triangle formé des trois principes immatériels à l’origine des formes et des corps, et ce triangle en combinaison avec l'unité du premier principe forme la base de tous les phénomènes possibles dans le domaine du Sensible. L'action du principe est cependant une ligne droite.

Les quatre côtés du carré représentent allégoriquement :

L’un premier, la base et la racine des autres, est le symbole de l’unique cause première, dont le nombre est l'unité absolue.

Le second, émane du premier, comme premier rayon ; c’est l'Adam Kadmon ou l’homme primordial, qui par sa double qualité est symbolisé par deux nombres ; il est aussi appelé le « Fils de Dieu ».

Le troisième complète la trinité de toutes les formes existantes dans l'univers visible et invisible ; et le quatrième représente les essences de toutes les catégories et genres, ayant des pouvoirs intellectuels ou étant limités au champ du sensuel, et finalement dans l’homme le quatre est en relation intime avec sa nature mystérieuse. [Retour Sommaire]

VII — LANGAGE ET ÉCRITURE

L'homme PRIMORDIAL possédait l'avantage supérieur de pouvoir connaître directement la nature, les qualités, les pouvoirs et les mouvements des choses. Son lien avec le monde de l'esprit et le monde de la matière était si intime qu'il pouvait lire et comprendre les pensées les plus secrètes de ceux qui lui étaient supérieurs comme de ceux qui lui étaient inférieurs ; et l’homme, même dans son état dégradé actuel, possède encore ce pouvoir, mais à un degré extrêmement atténué. Ce pouvoir ou langage primordial est connu sous le nom du pouvoir d’intuition.

Le devoir de l’homme est de s’efforcer de retrouver ce langage primordial, en cultivant ses facultés d’intuition et en utilisant ce petit rayon de lumière qui, dans son état d’obscurité présent n’apparaît que comme son étoile polaire au lieu d’être son soleil. Il doit le faire en s’attachant constamment aux symboles primordiaux et aux vrais caractères des choses et en les saisissant avec les pouvoirs de son esprit. Cela signifie méditer sur la nature des choses, pénétrer mentalement en leurs centres et comprendre leur véritable signification.[xii] C'était le véritable objet de l'ancienne écriture hiéroglyphique et picturale des écoles de science secrète. Plus les authentiques symboles se sont éloignés des formes réelles de la nature, plus il est difficile d’exprimer la vérité. Mais il y a toujours eu des hommes capables de lire et d’écrire les signes symboliques originaux, et jusqu’à nos jours ces hommes[xiii] conservent et protègent les véritables hiéroglyphes. [Retour Sommaire]

I - Nature et origine du langage.

Les actions de l’homme sont ses écrits. En mettant ses pensées en action, il les exprime et les consigne dans le livre de vie.

La source du langage est dans l’homme ; mais sa condition de naissance ne peut être expliquée simplement par l’organisation, la tradition ou l’instruction ; le langage originel de l’esprit est aussi vieux que les pouvoirs intellectuels de l’homme et sa source remonte très loin dans la nuit des temps, quand l’homme était encore dans sa pureté originelle. L'homme ne peut pas utiliser ses facultés intellectuelles sans l'influence ou le stimulus d'une réaction supérieure ; s'il avait été laissé à lui-même, il n'aurait pas eu l’opportunité de parler. Si par « langage » nous entendons simplement l’expression et la révélation de nos propres pouvoirs, alors nous devons constater que tout dans la nature a son langage[xiv]; car non seulement les pouvoirs de chacun sont intimement liés aux moyens qui leur en permettent l’expression ; mais les deux n’existent qu’en exacte proportion de mesure et de condition ; mais pour éviter toutes erreurs ou confusions, il convient d’appeler « langage » l’expression des pouvoirs intellectuels et moraux, et sous cet aspect il ne peut appartenir qu’aux êtres dotés d’un intellect. [Retour Sommaire]

II - La langue originelle.[xv]

Il n'existe qu'un seul véritable langage humain, dont les symboles sont naturels et intelligibles par tous ; c’est soit la faculté de communication intérieure directe de pensée, soit l’expression extérieure par et pour les sens. Ce langage intérieur est le parent du langage extérieur ; il a sa source dans le rayonnement du suprême, qui est l'unité en laquelle tous les hommes ne font qu'un. Il s'ensuit que si cette irradiation originelle du rayon suprême était restée intacte dans tous les hommes, tous se comprendraient tant par le langage intérieur et qu’extérieur, puisque ce dernier n'est que l'expression du premier via les sens. Tel est bien le cas. Cette langue originelle, autrefois parlée de tous, mais aujourd'hui perdue par presque tous, est encore possédée par quelques hommes, dont le haut degré de pureté les rend à même de comprendre. Cette langue est, pour ainsi dire, le souffle de l'esprit, alors que les langues communes sont limitées par les lettres.

Cette langue est constituée indéniablement de symboles non ambigus, qui ne sont pas des créations arbitraires, mais sont inhérents à la nature des choses et l’expression de la vérité, et elle peut être transmise par le son ou des signes. Celui qui comprend cette langue peut non seulement traduire le Divin, mais peut aussi unir tous les espaces et observer le plus lointain passé. La connaissance de cette langue primitive expliquerait à la fois le processus d'évolution des langues secondaires et le lien intime qui existe entre le développement des diverses langues et le progrès de l'évolution des diverses nations. Ce sera la langue utilisée dans un avenir certain mais très lointain. L'homme dans sa condition actuelle entend la voix qui parle dans cette langue, mais ne la comprend pas ; il voit les symboles sacrés, mais ne les comprend pas ; son oreille est habituée aux paroles humaines ; il cherche dans les livres écrits par des humains, mais reste aveugle aux hiéroglyphes du divin. La clé de cette langue est contenue dans le logos divin, le Christ (ou le septième principe des Occultistes).

Chaque mot dans cette langue est le caractère de la chose elle-même, un signe et un symbole que les hommes cultivent sans le savoir ; le centre de chaque être, est l’expression d’un symbole indélébile, et celui qui s’unit à ce centre possède la parole et le signe. Ces symboles sont les caractéristiques essentielles qui distinguent les hommes en tant que tels des autres êtres existants. Un artiste comprend un autre artiste en contemplant les fruits de son art, sans avoir à lui parler, ni à le rencontrer personnellement. Le véritable esprit transcende les distances de temps et d'espace et est libéré de la contingence de relations fortuites.

Il existe une lumière universelle qui concentre la lumière de tous les êtres, et cette lumière est l'organe vivant de ce langage universel, le symbole et le son universels, dont les types et les harmonies sont offerts par la nature elle-même. Les hommes aspirent depuis longtemps à un langage universel. Une telle langue universelle ne peut être établie arbitrairement car, s’il en était le cas, elle serait plus difficile à apprendre que toute autre. Le vrai langage doit exprimer l’harmonie de notre âme avec la nature des choses, et tant qu’il y a disharmonie, il n’y a pas de langage harmonieux universel possible.

Il existe de nombreux signes pouvant dévoiler cette langue, et de nombreuses traces qui nous y conduisent. Pour l'étudier, nous n'avons pas besoin de quitter la nature visible, nous n’avons qu’à en chercher la source.

Il y a une triple parole de Dieu : physique, intellectuelle et divine. La première est le langage de la nature, la deuxième celle des agents divins et la troisième est la langue du logos ou du Christ. Ces signes sont d'ailleurs contenus dans la nature humaine, leurs produits et leurs imitations, et ils sont particulièrement visibles dans les créations d’un Génie, dans l’expression de pensées supérieures en poésie, musique ou dans l'art, et peuvent donc être considérés comme véhiculant le dialecte des héros et des dieux. [Retour Sommaire]

III - Les langues arbitraires.

Tant que la lumière qui illuminait l'homme primordial était dans sa pureté et sa perfection originelles, son langage intérieur pouvait s’exprimer par des symboles correspondants, de manière claire et indubitable ; mais à mesure que la raison humaine s’est laissée prendre par les activités matérielles, une variété infinie de langages inférieurs, ambigus, incertains et peu fiables ont vu le jour. Tous ont cependant des points de similitude qui prouvent leur origine commune ; mais ce n'est pas notre objet d'étudier ce sujet pour le moment. [Retour Sommaire]

IV - Écriture divine et naturelle.

La sagesse suprême utilise certains symboles invariables pour exprimer certaines idées et chaque pensée divine est représentée par un signe allégorique précis. En outre, il existe un autre langage originel déterminé, constitué des caractères collectifs de la nature qui, comme un livre ouvert, sont sous nos yeux. La première langue concerne les choses divines et son alphabet comprend allégoriquement quatre lettres, qui sont les quatre nombres primitifs (1 + 2 + 3 + 4 = 10.) La seconde se rapporte aux fruits de l’intellect et des sens et elle a 22 lettres.[xvi] Chaque être est un symbole caractéristique et une image extérieure vivante de son intérieur, et l'univers est la collection de ces symboles, représentant la nature, les qualités, proportions, compositions, et aspects dynamiques et passifs des choses. Chaque corps est le symbole d'un pouvoir invisible et correspondant, et l'homme, selon son origine, est l'expression la plus noble de Dieu et une copie parfaite de sa divinité invisible. L'homme est la plus belle lettre des alphabets sur terre, et celui qui peut lire et comprendre cette lettre n'a plus rien à apprendre ; car il aura obtenu la sagesse des siècles et sera devenu lui-même un Dieu. [Retour Sommaire]

VIII — EXPLICATIONS DE QUELQUES UNES DES PRINCIPALES ALLÉGORIES

1. L'armure impénétrable. — On entend par là le corps éthéré de l'homme, qui entourait son principe spirituel, avant que son immersion dans la matière n’obligeât qu’il soit protégé par un corps physique. Ce corps primitif était et est toujours indestructible, immortel et non soumis aux influences hostiles des éléments. Il n’est pas dit si ce corps correspond à la forme actuelle de l’homme ; mais certains philosophes le considèrent dans sa perfection comme une sphère rayonnante (la sphère étant la forme la plus parfaite) dont la circonférence n’a pas de limite.

2. L'épée de feu fait référence à sa puissance spirituelle, exprimée par la parole vivante[xvii] ou par la force irrésistible de sa Volonté, quand celle-ci est mise en œuvre.

3. La forêt aux sept arbres symbolise les sept émanations ou évolutions primordiales du « logos » divin, sous l'influence duquel tout vit et existe.

4. Les dix feuilles du livre de vie représentent l'univers, ou l'abondance et la complétude de toute chose. On les appelle les dix feuilles à cause de la signification occulte de ce mot. L’homme primordial pouvait voir et comprendre les dix feuilles à la fois, mais nous, nous devons étudier péniblement chaque feuille l’une après l’autre.

5. Le carré intellectuel symbolise la totalité de tous les êtres pensants et leurs pouvoirs. En lui, tout est esprit, vie et pouvoir. C'est le trône, de celui qu'on appelle l'alpha et l'oméga, le plus élevé que les êtres pensants puissentgagner, un temple d'activité et de repos, de pure lumière et de béatitude. On l'appelle aussi le paradis et ses quatre fleuves (ou Nirvana).

6. Le temple de l'esprit détruit et à reconstruire signifie la nature humaine dans sa pureté originelle et le grand travail de reconstruction ou de régénération de celle-ci. Les colonnes de ce temple sont représentées par les sages de toutes les nations, ceux qui sont illuminés par la vraie lumière ; et l’autel aux lampes inextinguibles fait référence au pouvoir toujours présent dans l’homme lui permettant d’exercer son droit divin de dévotion, de méditation, d’actions de charité et de sacrifice de soi.

7. Le grand nom des Hébreux se réfère au Logos ou Christ, c’est la première émanation de la divinité, et les saints noms représentent les sept puissances divines, qui sont les sources de toute la vie qui irrigue les êtres, et sont les moyens ultimes pour approcher le nom indicible, source suprême de tout ce qui vient à l’existence. [Retour Sommaire]

Un Bouddhiste américain

[Nom de plume de Franz Hartmann – https://theosophy.wiki/en/Franz_Hartmann]

Compilé et traduit de l'allemand, par Franz Hartmann.
Publié dans The Theosophist, Vol. 5, avril à juillet 1884, pp. 162, 193, 216 et 233.


Notes

[i] [Nous ne savons pas de quel ouvrage et de quelle édition de Saint-Martin l’auteur du présent article s’est inspiré. Les deux ouvrages suivants publié en français, et disponibles en PDF sur Internet, sont utiles et en lien avec l’article :

1/ Correspondance inédite de L.C. de Saint-Martin (dit le philosophe inconnu et Kirchberger, Baron de Liebistorf), publié par L. Schauer et Alp. Chuquet, Paris 1862.

2/ Réflexions sur les idées de L.C. de Saint-Martin, le Théosophe, suivi d’une correspondance inédite entre Saint-Martin et Kircher, par L. Moreau, Paris 1850, pp. 263 à 317.

3/ Beaucoup d’informations sur L.C. de Saint-Martin sont disponibles sur le site https://www.philosophe-inconnu.com dont la page intéressante : « La vie miraculeuse de Johan Georg Gichtel », par J.W. Uberfeld son disciple]

[ii] S'ils avaient parlé de deux triangles et d'un carré comme étant un, ils auraient été plus près de la véritable classification occulte et—de la Vérité. — Éd.

[iii] Cette mort est la mort spirituelle. Lorsque la communication est rompue entre un être humain et son divin Atma immortel, son « logos », le résultat est la mort spirituelle de l'homme. — T.S. Éd.

[iv] Le chiffre 4 représente le carré sacré, qui est le symbole du logos manifesté ; le 4 devient 9 quand le logos ou la monade spirituelle s'attache aux 5 principes [inférieurs - NDT] restants dans l'homme. C'est la descente de l'esprit dans la matière qui est ténèbres. — T.S. Éd.

[v] De tels hommes sont les véritables instigateurs de la Société Théosophique actuelle. — Trad.

[vi] Le nombre 56 (7 x 8) est celui de la huitième sphère. 5 (la moitié de 10) est le nombre de l'idolâtrie et 6 est la sphère de Lumière. Les deux nombres combinés sont le symbole de l’exclusion du mal du cercle du bien (64), composé de la Lumière (6) et de ses habitants exaltés (4).

[vii] Cela risque d’être mal compris. Il lui faudra peut-être lire un bon nombre de livres avant d'arriver au point où il n'en aura plus besoin. – Trad.

[viii] Ces agents sont les Dhyan Chohans. Le premier instructeur qui enseigna les principes de l'ancienne Religion-Sagesse sur cette planète, nous dit la doctrine occulte, fût un Dhyan Chohan. Un Dhyan Chohan réapparaîtra sur cette planète en tant qu'instructeur et gourou à la fin de la 7ème Race-Racine – T.S.

[ix] Au moment où ce livre fût écrit, la mythologie et les traditions des Hindous et des Égyptiens étaient peu connues. –Trad.

[x] Le germe est en fait le 6ème principe dans l'homme, dans lequel réside son individualité supérieure. – T. S.

[xi] Nous renvoyons l'étudiant aux notes en bas de la page 82 des Miscellanées théosophiques (écrits inédits d'Éliphas Lévi), qui insistent particulièrement sur le nombre sacré sept. — Éd.

[xii] Autrement dit, il doit apprendre à écrire avant de savoir lire.

[xiii] Les Mahatmas.

[xiv] Ce serait une étude intéressante d’investiguer la relation qui existe entre les facultés ou attributs des êtres, et les moyens par lesquels ils peuvent exprimer leurs sentiments.

[xv] Le mot « langage » doit ici être considéré comme véhiculant un sens plus élevé que celui qu'il a habituellement. « Langage » signifie dans ce cas un rayonnement de la lumière divine dans l'esprit humain et son reflet dans les domaines de l’intellect et du physique. L’homme en état de pureté étant une image et une expression extériorisée de la divinité, doit pouvoir refléter et reproduire la vérité divine dans sa pureté originelle ; et les expressions de l’homme devront alors reproduire parfaitement, ou être l’écho des impressions divines qu’il reçoit. Mais tant que l'homme est immergé dans la matière, il ne reçoit que des rayons divins réfractés et ne peut donc les reproduire que de manière imparfaite ou réfractée. L'acte de parler présuppose un acte de penser, et une méthode de penser s'avérera meilleure qu'une autre méthode, mais la meilleure de toutes est d’être un pur reflet de la lumière divine. Penser et parler étant étroitement liés l'un à l'autre et dépendant pour leur expression de certains symboles, il s'ensuit que l'existence d'un mode universel d'expression par des symboles est possible. Si nous sommes capables de pensées et de sentiments, qui ne peuvent pas s’exprimer par des symboles, il ne s'ensuit pas que de tels symboles n'existent pas, mais seulement que nous ne les connaissons pas.

De même que la lune reflète la lumière du soleil, de même l’esprit de l’homme reflète l’esprit suprême. L'âme humaine n'est pas un instrument de musique qui joue seul, mais on peut la comparer à une harpe qui résonne harmonieusement si elle est touchée par la main d'un maître ; on peut la comparer à une « tablette de smaragdine », sur laquelle les pensées du Suprême se gravent en lettres de lumière. Les voyants et prophètes de tous les temps ont entendu et compris ce langage divin ; mais ils ne pouvaient le reproduire qu'imparfaitement avec les langues imparfaites de leur époque. — H.

[xvi] Cela signifie allégoriquement 2 + 2, ou l'intellect et le sensoriel. Une nouvelle dégradation de l'homme produirait un alphabet de 88 lettres ; c'est-à-dire 8 + 8 qui signifie une sensualité multipliée par quatre, qui éloigne l'homme de quatre degrés de plus de la source de lumière.

À ces trois vraies langues s'opposent à trois fausses langues, dont la première contient le 2, la seconde le 5, et la troisième aurait le 10 (2 et 5 sont la division du 4 et 10, et c’est par la division que le mal et les ténèbres furent créés). Le troisième nombre se rapporte aussi bien au 5 qu'au 22. — H.

[xvii] Bulwer Lytton l’appelle le « Vril » dans son ouvrage La race à venir.


 

Il existe beaucoup de passages dans les écrits de H.P. Blavatsky qui jettent une nouvelle lumière Théosophique sur ce Lien entre l’Orient et l’Occident, comme aussi entre un cycle ancien et un nouveau. Nous attirons l’attention des étudiants que ce sujet intéresse, sur La Doctrine Secrète qui traite de « La Croix et la Décade Pythagoricienne » (v. The Secret Doctrine, II, pp. 573-589).

Dans la tradition hindoue, Pythagore n’est pas oublié. Il est connu sous le nom de Yavanacharya, l’Instructeur Ionien, ou le jeune instructeur, c'est-à-dire l’instructeur appartenant à la jeune et nouvelle race. On y fait aussi allusion comme au père de tous les Gourous, et ainsi de suite. Les Editeurs.)

Vers la fin de son mémorable article sur Pythagore dans l’Encyclopédie de la Religion et de la Morale de Hastings, le Professeur Burnet fait cette déclaration importante : « Il est certain que Pythagore a le droit d’être appelé le père de la science, et il devient de plus en plus clair que toutes les religions et morales européennes, pour autant qu’elles ne sont pas nées en Palestine, peuvent se rattacher à lui. » Cette prétention formidable en faveur de Pythagore fut avancée délibérément, par l’autorité européenne la plus en vue, sur la philosophie grecque primitive.

Nous connaissons peu de choses sur Pythagore lui-même ; mais ceux qui ont essayé de rassembler les fils fragiles qui permettent de remonter jusqu’à lui, se trouvent obligés d’admettre avec Burnet qu’ils s’approchent d’un très grand homme de vérité. Ils ont le sentiment d’entrer dans le champ d’influence d’un Prométhée, d’un héros majeur de l’humanité, d’un être dont les fidèles pouvaient dire avec raison, selon ce que dit Aristote : c'est-à-dire qu’il y avait trois sortes « d’animaux rationnels » : Dieu, les hommes et « ceux qui ressemblent à Pythagore ». Et cette position, à mi-chemin, entre le divin et l’humain, qui était attribuée à Pythagore n’était pas, comme nous le verrons, une simple et vague extravagance de culte porté à un héros. Elle correspondait réellement à l’effort conscient et au succès d’un des plus grands Européens.

Platon, quoique son œuvre soit imprégnée de l’influence Pythagoricienne, comme Burnet l’a clairement prouvé, ne fait que de rare allusions directes aux Pythagoriciens, et une seule dans le dixième livre de la République à Pythagore lui-même, en le nommant. Mais l’allusion est précieuse. Les prétentions d’Homère, quant à la source légendaire de la sagesse grecque, sont durement critiquées par Socrate. Homère ne fit aucun bien public. Enseigna-t-il aux hommes en particulier ? Transmit-il à ses disciples, et par eux, à l’humanité « quelques modes de vie spécial, comme le fit Pythagore, qui fut très aimé pour ce qu’il fit, de sorte que ceux qui vinrent après lui, l’appellent encore maintenant le mode de vie Pythagoricien, et se distinguent par-là du reste des hommes ? » Un mode de Vie - la phrase nous est proche et chère aujourd’hui. Elle a un sens intime pour le chercheur moderne, comme elle en avait clairement un pour Platon lui-même. Le sens en est même incarné dans le titre de cette revue, - Le Sentier Aryen.

Pythagore donna aux hommes un Sentier et fut fort aimé pour ce don aux hommes. Pour les Grecs, quand Pythagore fit sa découverte, c’en fut une en vérité. La religion en Grèce, avant lui, dans ce qu’elle avait de réel, était primitive et consistait presque uniquement dans l’accomplissement du rituel et l’observance des tabous. Les divinités olympiques des envahisseurs du Nord ne donnaient aucun développement au sentiment religieux. Les spéculations scientifiques des Ioniens primitifs étaient purement matérialistes, et sans aucun rapport avec la conduite de l’homme. Pythagore fit une unité de la religion et de la science en les approfondissant toutes deux. Cette synthèse caractérise tout ce qu’il y a de plus noble dans la pensée grecque, c’est à elle que Platon doit son pouvoir éternel et dans une mesure moindre, Aristote, d’avoir influencé le mental européen. Aristote l’hérita de Platon, et Platon de Pythagore.

Quelle fut l’intuition fondamentale de Pythagore ? Peut-être pourrons-nous mieux la comprendre par la phrase qu’on lui impute : « La Vie est comme une grande fête olympique où l’on rencontre trois classes de visiteurs. Les plus bas sont ceux qui viennent vendre et acheter ; ensuite ceux qui s’y rendent pour participer aux jeux : la meilleure classe est composée de ceux qui viennent pour regarder ». « Theorein » le mot traduit par « regarder » est l’un des plus grands legs de la langue grecque à la pensée européenne. « Théorie » en dérive directement ; mais « théoria » signifie du détachement. Arriver par la discipline de soi-même, et par l’étude de ces questions qui s’élèvent au-dessus du remous des choses, à un état de détachement, de compréhension et de purification – tel était pour Pythagore le but vers lequel tous les hommes devraient tendre ; en l’atteignant, ils réalisaient leur libération de la roue des naissances et des morts.

Les grandes découvertes scientifiques de Pythagore – la 47e proposition d’Euclide (bien que probablement la plus grande partie des six premiers livres d’Euclide dérive de lui), la sphéricité de la terre, et la découverte du rapport numérique des intervalles, de la gamme – eurent une portée immédiate sur son enseignement religieux. Il lui semblait évident que l’harmonie était à la base de la réalité. Dans le rapport numérique des intervalles de la gamme – une découverte par laquelle les choses en apparence si différentes que le ton aigu et le ton grave étaient unies par une admirable loi fixe – il voyait une solution manifeste de ce conflit des opposées qui troublait tant la spéculation grecque primitive ; et il lui semblait que c’était là une clef au mystère de la réalité. C’était une sorte de musique obéissant aux lois mathématiques d’harmonie divinement établie. Ainsi, c’est dans l’homme lui-même, que le but de la vraie connaissance serait atteint, lorsqu’il comprendrait que les oppositions en lui sont unies par une loi basique d’harmonie. Quand il s’est rendu compte de ce fait, il devient sensible aux harmonies de l’Univers. De là est venue la belle doctrine de l’harmonie des sphères, ou plus strictement de l’orbite des planètes à laquelle Shakespeare donna une immortalité nouvelle.

Voyez comme la voûte du ciel est profondément incrustée de plaques d’or pur :

« Pas le moindre petit astre que tu contemples qui ne chante comme un ange [dans son  mouvement.]
« Et ne fasse signe aux chérubins au regard jeune ;
« Une telle harmonie réside dans les âmes immortelles ;
« Mais tant que ce boueux vêtement de corruption
« L’enferme grossièrement, nous ne pouvons l’entendre. »

C’est du pur Pythagorisme ; et l’enseignement de Pythagore disait que les hommes doivent s’entraîner à entendre l’harmonie céleste et universelle. C’est là la signification du précepte pythagoricien : « Suivez Dieu », un précepte qui était tout à fait révolutionnaire pour la Grèce à qui il s’adressait. En créant l’harmonie en nous-mêmes, nous devenons de la même nature que l’harmonie divine ; de même, inversement, en étudiant l’harmonie divine, nous créons l’harmonie en nous-mêmes. Par ce moyen, nous atteignons la libération du monde de mouvement et de conflit. La soi-perfection est le vrai moyen de libération. Et ceci est manifestement concordant avec l’allusion bien connue aux doctrines ésotériques des Pythagoriciens dans le Phédon. Socrate est surpris que Simmias et Cèbes qui étaient des disciples exotériques de Philolaüs, un fameux Pythagoricien, n’aient pas été instruits de la raison pour laquelle il est illégal qu’un homme s’enlève la vie. La doctrine ésotérique enseigne que les hommes sont dans la vie comme des prisonniers sur parole ; ils ne doivent pas chercher à s’échapper. Les hommes, en outre, sont les créatures des Dieux qui sont leurs bergers, et ils doivent attendre le signal. Ceci peut paraître une doctrine simpliste pour être appelée ésotérique ; mais elle n’a un pouvoir réel que pour ceux qui croient qu’il existe une harmonie de but et de dessein à la base de la vie des hommes. C’est, en fait, une profonde doctrine religieuse et éthique.

Il est impossible, du moins dans l’état actuel de nos connaissances, de distinguer clairement entre les doctrines de Pythagore lui-même, et celles des Pythagoriciens. Rien n’est plus fermement établi dans la tradition que le fait que Pythagore enseigna la doctrine de la réincarnation ; mais il nous est impossible de savoir combien il insista sur cette doctrine. En outre, il est certain qu’un fameux Pythagoricien de la génération qui le suivit immédiatement, Alméon de Crotone, enseigna que l’âme était une harmonie du corps – une doctrine qui est irréconciliable avec la doctrine de la réincarnation, même sous ses formes les plus grossières. Il me semble que la solution la plus probable de la divergence apparente, c’est que Pythagore ne voulait pas qu’on comprit la réincarnation d’une façon littérale, mais plutôt symbolique, comme montrant clairement les périls de l’esclavage du cycle de la naissance et de la mort, et le devoir qui incombe à l’homme de s’en libérer en s’efforçant de devenir comme Dieu ». Mais ceci n’est qu’une supposition personnelle et il se peut que je sois trop subtil en la faisant [voir H.P. Blavatsky, Isis DévoiléeIsis Unveiled, I, p. 291]

Ce qui est raisonnablement certain, c’est que pendant les 200 ans qui suivirent la mort de Pythagore, ses disciples s’étaient divisés en deux branches distinctes : ceux qui le regardaient en premier lieu comme un chef religieux et suivaient implicitement la « règle » complexe d’abstinences qu’il imposait à ses disciples, et ceux qui le considéraient comme le père de la science mathématique et de la spéculation idéaliste.

Les premiers qui étaient connus sous le nom d’ « Akousmatikoi», les disciples de l’enseignement oral étaient plutôt méprisés par les seconds qui s’appelaient « mathématikoi » et semblent avoir pris en mauvaise part le fait que Pythagore était un instructeur religieux, et avoir fait de leur mieux pour dissimuler cet élément dans son enseignement. Cela ne fut pas facile, car le prestige personnel de Pythagore dans les années qui suivirent fut prodigieux, et un immense respect s’attachait à ses paroles mêmes (le « ipse dixit », est encore proverbial même de nos jours). Mais sans doute Burnet avait-il raison en expliquant l’étrange silence de Platon au sujet de Pythagore et des Pythagoriciens, comme étant dû à cette confusion dans les rangs de ses fidèles. « Pythagoricien », du temps de Platon, pouvait signifier deux choses très différentes ; dans le cas extrême, cela pouvait dire soit un homme de science purement matérialiste, ou un fanatique religieux. Et il y avait une raison plus forte encore à la réticence de Platon. C’est qu’il était lui-même essentiellement le plus authentique Pythagoricien de tous. Le cœur de sa propre doctrine était dérivé de Pythagore. Et c’est surtout parce que Burnet estimait que Platon dérivait de Pythagore qu’il fut amené à formuler cette formidable prétention en faveur de Pythagore, qui fut citée au début de cet article. La grande parole du Socrate Platonicien que « la philosophie est la musique suprême » est purement pythagoricienne : c’est presque certainement une maxime de Pythagore lui-même. Elle doit être comprise d’abord en fonction de l’enseignement de Pythagore se rapportant à l’ « harmonie» et ensuite, de sa maxime qui dit que la « musique » purifie l’âme comme un médicament purifie le corps. » Cela signifie que la « philosophie » dans le sens le plus haut (et ce sens est lui-même Pythagoricien), n’est pas l’effort en vue d’acquérir la simple connaissance, mais un accord de l’âme humaine avec l’harmonie universelle ; et que la vraie philosophie qui ne produit pas cette perfection intérieure n’est pas la vraie philosophie. En d’autres mots, la vraie science et la vraie religion ne font qu’une.

C’est là, comme le comprit si bien Madame Blavatsky, une doctrine fondamentale de la sagesse indienne. Pas un étudiant impartial ne peut manquer d’être frappé par la ressemblance étonnante de l’enseignement pythagoricien avec l’enseignement du plus pur bouddhisme. Soit, comme le croyait Madame Blavatsky, que la ressemblance doive s’expliquer par un contact réel entre Pythagore et les instructeurs indiens, soit comme le soutient Burnet, qu’elle soit simplement due au fait que la méditation des natures profondes sur des faits de l’expérience humaine, doive, en fin de compte, conduire aux mêmes conclusions ; je n’ai pas la prétention d’en décider. Cela ne me semble pas d’ailleurs un point d’une grande importance. Ce qui est important, ce que, me semble-t-il, Madame Blavatsky travaillait héroïquement à transmettre, à un monde matérialiste et sceptique, c’est la vérité de l’identité entre les principes fondamentaux de la plus haute sagesse en Grèce et aux Indes, qui renferment une doctrine positive et indiscutable – une pure « théosophie ». Pythagore, soit par son propre génie natif sans aucune aide, ou par son contact avec les Sages de l’Orient, parvint à cette théosophie et l’enseigna à ses disciples. Et de cet enseignement de Pythagore, d’une façon immédiate ou médiate, dériva tout ce que deux mille cinq cents ans ont prouvé être la chose la plus durable, la plus féconde, et la plus précieuse dans la religion-sagesse de la Grèce. De Pythagore, cette sagesse se transmit, par Platon, aux Néo-pythagoriciens et aux Néo-platoniciens : d’eux, elle passa dans le mysticisme de l’Église Chrétienne, et lorsque cette Eglise devint rigide et formaliste, elle en sortit de nouveau. Elle pouvait s’unir, naturellement à l’enseignement de Jésus, comme celui-ci se fondait naturellement dans l’enseignement de Bouddha ; mais elle ne pouvait pas se fondre dans une orthodoxie extérieure. Toujours aussi bien au début qu’à la fin, ce fut un chemin de vie, un Sentier, ouvert à tous les hommes, essentiellement universel sur lequel les chercheurs sincères de toutes les nations se rencontrent et se reconnaissent vraiment tous comme frères. Rien d’étonnant alors que Pythagore qui révéla ce sentier au monde grec, fut « très aimé » pour son don aux hommes.

P.S. J’ai négligé, dans cette brève esquisse, d’essayer tant soit peu de traiter la doctrine pythagoricienne des nombres. « Les choses sont des nombres », est son affirmation traditionnelle. Plus tard, il y’eut des Pythagoriciens qui prirent cette assertion trop à la lettre, et donnèrent des nombres variés comme réalité essentielle des choses et créatures diverses. Burnet me parait s’arrêter à mi-chemin dans son interprétation. Il a raison d’insister sur le fait que le système pythagoricien de notation était différent de tout autre qui nous est familier ; et que le système (dont la tétraktys :

Image Ttraktys Rrticle Pythagore

peut servir d’exemple) joua un rôle important dans l’enseignement de Pythagore : mais en dépit de son admission que la tradition pythagoricienne doit être cherchée dans les écrits des Pythagoriciens qui vinrent plus tard, il ne tient aucun compte de la signification symbolique évidente de tels arrangements numériques. Il n’y a aucun doute que la « Tétraktys » et le pentagramme servaient de signes secrets dans l’Ordre Pythagoricien primitif. La « Tétraktys » considérée comme un simple nombre, ne se serait pas vu attribuer une signification aussi importante. C’était aussi, je crois, un symbole visible de l’émanation graduelle du monde d’existence, hors de la Monade. Dans ce sens plus ésotérique aussi, « les choses étaient des nombres »

John Middleton Murry

Cet article publié en français dans la revue Théosophie, volume XI, n°4. Il est traduit de la Revue The Aryan Path, de Bombay (Inde), de novembre 1931.

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