« Ami, prends garde à l'Orgueil et à l'Égoïsme, deux des pires pièges qui soient tendus sur le chemin de celui qui aspire à gravir les sentiers élevés de la Connaissance et de la Spiritualité. » Mahatma K.H.

Dans ce traité d'une valeur inestimable qu'est la Lumière sur le Sentier, il est enseigné au néophyte de « désirer le pouvoir ardemment », mais il y est ajouté une condition, qui sert de guide et de protection, sans laquelle cet enseignement constituerait un grave danger, menant au suicide spirituel. Cette condition est la suivante : « Et le pouvoir que le disciple convoitera sera celui qui le fera paraître comme rien aux yeux des hommes ».

L'état de disciple est une attitude de l'Âme-Mental vis-à-vis de sa source divine aussi bien que vis-à-vis de la personnalité que l'Âme-Mental pénètre en devenant un élément propre de cette personnalité.

Quand le texte que nous étudions conseille au disciple d'aspirer ardemment au pouvoir, il est sous-entendu que ce pouvoir doit être celui de la Divinité cachée dans les replis les plus profonds du mental. Cette Divinité est suprême en essence : sa nature est Immortalité, Sagesse et Compassion. Elle est dans un état de Devenir. Quand le progrès est à son point culminant, elle est l'Être Universellement Soi-conscient — l'Homme Supérieur, Uttama Purusha. En mettant en garde contre les convoitises terrestres, le texte implique que tous les pouvoirs qui accroissent la force du soi personnel constituent le danger grave et fatal.

« Connais-tu les pouvoirs du Soi, Ô toi qui perçois les ombres extérieures ? Si tu ne les connais pas — alors tu es perdu. »

Cette ombre extérieure, appelée la Personnalité, projette ses ombres multiples. Les prenant pour des réalités, cette ombre qu'est la Personnalité s'écrie : « Voyez comme je suis grande ! Comme je suis merveilleuse ! » Comme l'Homme Personnel ne reconnaît pas cette vérité qu'il est lui-même une ombre impermanente et évanescente, il n'est pas capable d'entrevoir la Divinité Intérieure qui se sert du mental pour donner forme à ses desseins propres.

La première vérité que le néophyte est appelé à apprendre concerne sa nature double — divine et démoniaque. Il sera amené à traiter ces deux aspects de sa nature, d'une manière particulière. Il lui est dit :

- 1 - de faire de l'orgueil et de la considération pour soi-même des serviteurs de la dévotion,

- 2 - de faire de la patience et de la soumission à la Loi des offrandes déposées comme des fleurs odorantes aux pieds du Maître.

Le premier précepte est négatif par rapport au second, qui est positif. L'orgueil et l'estime de soi doivent être dominés. La patience et la pleine reconnaissance de la Loi, exprimées par la vraie Résignation, doivent être pratiquées activement et attentivement.

Maintenant, quels sont ces pouvoirs de l'Homme Personnel qui sont considérés comme des ennemis sur le Sentier de la Vie Spirituelle ?

La source de ces pouvoirs d'ombre est la Fantaisie ou l'imagination indisciplinée. La Fantaisie est à l'homme inférieur ce que l'Imagination est à l'homme Supérieur. La Fantaisie détruit, tandis que l'Imagination crée et soutient. Le débutant en Occultisme se figure qu'il est ceci, cela ou autre chose. Il passe son temps à s'illusionner, avec la pensée qu'il doit incarner tel type d'être particulier, en aspirant à devenir l'un de ces rares Élus qui seront choisis parmi le grand nombre des appelés.

La fantaisie subtile et insidieuse n'est pas contrôlée comme elle le devrait, à la lumière des « Saintes Écritures » de la science et de l'art occultes. C'est ici, sur le seuil même, que se présente une certaine sorte de considération pour soi-même — ainsi que d'orgueil. Loin de les asservir rapidement à la Dévotion, l'aspirant les nourrit et les laisse se développer. Les fausses suggestions de la fantaisie hypnotisent le néophyte et le mènent souvent à sa perte.

Le faux ascétisme, qui torture le corps et l'Âme qui a son siège au plus profond du cœur, est une autre sorte ou une autre expression de la considération pour l'homme inférieur. Les pratiques extérieures et visibles sont des moyens subtils imaginés par la personnalité pour qui l'égotisme et l'orgueil sont comme le souffle de vie. Le véritable ascétisme procède de l'intérieur vers l'extérieur : il n'est pratiqué que parce que l'aspiration vers l'Ineffable s'est éveillée dans l'homme, et qu'elle finit par pénétrer entièrement son mental. C'est dans le silence et le secret que la Discipline de l'Esprit devrait être observée et non pas avec bruit et ostentation.

On peut mentionner ici l'estime de soi et l'orgueil qui transpirent à travers la parole. Les mots sont des pièges construits par l'Égotisme avec les dents que sont la considération pour soi-même et l'orgueil. Les mots ne sont de vivants messagers que lorsque la Patience et la Résignation sont pratiquées.

Il y a ainsi la manière insidieuse de mettre en avant son soi personnel. Cette habitude et la façon de la corriger ne sauraient être mieux décrites que dans ces mots de W.Q. Judge :

« Commencez par essayer de maîtriser cette habitude, presque universelle, de vous mettre en avant. Elle provient de la personnalité. Ne monopolisez pas la conversation. Restez à l'arrière-plan.
« Étouffez en vous le désir de parler de vous, de vos opinions, et de vos expériences...
« Essayez de vous rappeler que vous êtes très peu de chose dans le monde, et que les gens qui vous environnent n'attachent pas un grand prix à votre personne et ne se désolent pas quand vous êtes absent. Votre seule réelle grandeur réside dans votre véritable soi intérieur et ce soi n'est pas anxieux d'obtenir l'approbation des autres. Si vous suivez ces instructions pendant une semaine, vous trouverez qu'elles demandent un effort considérable et vous commencerez à découvrir une partie de la signification de cet aphorisme " Homme connais-toi toi-même ". »

Vient ensuite le manque d'appréciation des efforts des compagnons et des autres membres ; il s'ensuit une critique hostile des autres qui cache de la vanité et le sentiment d'être plus saint que les autres.

Il y a d'autres sortes de paroles qui violent le silence et le secret que l'aspirant-disciple a le devoir de garder.

Il y a ensuite l'ambition de briller aux yeux du monde ; avec subtilité, la personnalité se justifie en disant : « Pour le bien de la Cause je dois aller au milieu d'eux ». Le monde est rempli de courtisans et de flatteurs ; il y en a qui peuvent être sincères dans leurs éloges, mais qui manquent de sens critique. Le néophyte échoue dans cette épreuve s'il se laisse influencer par les vaines paroles des personnes qu'il rencontre dans ce monde ; le fripon rusé et le sot bien intentionné sont tout aussi dangereux pour le néophyte. On doit au Maître le conseil suivant :

« Ne mettez pas un point d'honneur à obtenir des autres l'appréciation et la reconnaissance de la valeur de ce travail...
« La louange et l'enthousiasme des hommes sont de courte durée, dans le meilleur des cas ; le rire du railleur et la condamnation du spectateur indifférent ont toute chance de faire place à la louange admirative des sympathisants et, en général, de l'emporter sur elle...
« La majorité de l'Aréopage public est le plus souvent composée d'hommes qui se sont érigés eux-mêmes en juges et qui n'ont jamais fait une Déité permanente d'aucune autre idole que leur propre personnalité — leur soi inférieur ; car jamais on ne surprendra ceux qui essaient, au cours de leur vie, de suivre les directives de leur lumière intérieure en train de juger, encore moins de condamner, ceux qui sont plus faibles qu'eux. »

Ceci, encore une fois, ne veut pas dire que le monde des mortels doive être méprisé, craint ou négligé. « Sortez des rangs et soyez séparés », de façon à pouvoir de mieux en mieux remplir le devoir du service du monde dans l'esprit qui convient. Soyez dans le monde, mais ne soyez pas de ce monde. La considération pour soi-même et l'orgueil sont de ce monde, la Patience et la Résignation sont indispensables pour vivre, aimer et travailler dans le monde.

Cela ne veut pas dire qu'il faille adopter une attitude supérieure envers « ces pauvres gens qui sont de ce monde », ni sous-estimer la vertu et la valeur de l' « homme du troupeau » ordinaire. Le même Maître a dit : « Ne méprisez pas l'opinion du monde et ne le poussez pas sans nécessité à critiquer injustement ».

Vient ensuite la démangeaison (le terme n'est pas élégant, mais il exprime une vérité psychique) de jouer au Guru. La bienveillance et la sympathie, la serviabilité et même un certain sacrifice sont utilisés pour attirer les jeunes, les nouveaux, les ignorants, moins pour leur bien ou le bien de la Cause que par suite du désir subtil de guider, qui nourrit l'orgueil et l'amour-propre, et qui pousse la personnalité à se mettre au premier rang de ceux qui désirent briller.

Le désir de recevoir des confidences est de même nature. « Comment puis-je aider et instruire si je ne suis pas au courant ? » C'est un précipice. Cette situation apporte une nourriture personnelle aux personnalités de l'un et de l'autre : l'orgueil croît chez le « conseiller », la confiance en soi diminue chez celui qui ainsi se confie. La connaissance communiquée au manas inférieur par un manas inférieur empêtre de plus en plus le « professeur » et « l'élève », et la perception intuitive devient de plus en plus faible.

Vient alors l'esprit d' « indépendance » revendiqué au nom de la troisième Proposition Fondamentale de la Doctrine Secrète, mais qui n'est que fanfaronnade, accompagnée d'obstination, et issue de l'orgueil et de la considération pour soi-même. On entend : « Écoutez-moi ! » mais, « Pourquoi écouterais-je qui que ce soit ? ». Telle est alors l'attitude. « Je ne suis pas un mouton qui suit aveuglément, ni un homme qui-dit-toujours-oui », ni un « gogo » à qui on en fait accroire ni un paillasson pour les pieds des autres. » Ce n'est pas l'Âme qui parle ainsi, mais l'orgueil de l'homme — cet orgueil dirige sa volonté et l'être n'a pas compris le sens de ces paroles significatives du Maître :

« Aucun homme vivant n'est jamais plus libre que nous ne le sommes lorsque nous avons dépassé le stade de disciple. Dociles et obéissants, mais jamais esclaves, voilà ce que nous devons être durant tout ce temps, autrement, et si nous passions notre temps à argumenter, nous n'apprendrions jamais rien du tout ».

Ce que la Discipline Occulte signifie, ce que la chaîne Guruparampara [chaîne des Maîtres et des disciples] implique, demeure lettre morte pour un tel orgueilleux. Les palabres et le vain bavardage l'empêchent absolument de voir le sens réel de la Confiance en Soi, dont le synonyme est — Interdépendance.

Parmi ceux qui voient les pièges et les obstacles de la Vie Intérieure, certains deviennent sans s'en rendre compte naturellement, la proie de la tentation de l'inertie mentale, qui s'exprime dans la vanité et la crainte. « Je ferais mieux de rester tranquille ; si je parle, je risque de montrer mon ignorance ; si j'agis, je vais peut-être mal faire. Il vaut mieux étudier, réfléchir et ne pas s'engager dans une activité quelle qu'elle soit — contacts personnels ou efforts pour répandre impersonnellement l'Enseignement ». C'est là encore un piège et une conception fausse. Une telle attitude relève du péché d'omission.

Ce n'est pas l'action du mental, de la parole ou du corps ; mais l'attitude personnelle, orgueilleuse et inspirée par l'égotisme dans l'accomplissement d'une telle action qui est la matrice de l'échec. Ce ne sont ni nos sens, ni nos organes, ni les objets ou les êtres extérieurs, qui sont les causes de la difficulté ; c'est l'attitude qui est adoptée et par laquelle s'établit entre eux le contact. Faites échec à l'égotisme et le contact sera sans danger : au contraire, il se révélera utile et bon.

Nous pourrions prolonger l'énumération des pouvoirs d'ombre qui trompent l'Homme Personnel. Nous avons parlé de quelques-unes des illusions les plus manifestes qui sont postées à l'entrée du chemin qui conduit l'aspirant vers l'état de Chéla (disciple). Elles sont parmi les plus fortes entre celles qui soutiennent et alimentent le pouvoir astringent du soi égotique. On ne peut s'en protéger qu'en acquérant par soi-même la connaissance de l'Occulte.

« Sois humble, si tu veux atteindre la Sagesse. »

Sur ce sujet, Emerson a donné un avis plein de sagesse, et qui devrait servir d'avertissement :

« Les extrêmes se touchent, et il n'y a pas de meilleur exemple de ce fait que le dénuement hautain et orgueilleux de l'humilité. »

La répétition silencieuse du texte sacré : « Apparais comme rien aux yeux des hommes », la méditation régulière sur ce mantram, l'exercice attentif et persévérant du vrai silence, de la véritable discrétion qui sait garder le secret, de la vraie soumission à la Loi, jour après jour, font avancer l'heure où l'aspirant émergera de la matrice du monde et où une nouvelle personne verra le jour.

Il faut désirer le pouvoir ardemment — le pouvoir de servir, de se sacrifier, de rayonner la Paix ; le pouvoir de savoir et d'enseigner, de respecter la Vie. La Vie unit, et quand il est enjoint à l'homme — l'homme mortel — de désirer le pouvoir, il s'agit de ce Pouvoir de Vie qui unit — caché dans le plus petit atome — mais qui atteint le cœur de celui seul qui a commencé à « paraître comme rien » aux yeux du monde.

Article de B.P. Wadia

Cet article est traduit de la revue « The Theosophical Movement », Volume XX, p.201.

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