Tous ceux qui cherchent à approfondir la vie et qui ont un peu réfléchi à la question admettront volontiers que, pour obtenir une réussite quelconque dans n'importe quel domaine, il faut soumettre son soi inférieur à un contrôle. Tous les contrôles, cependant, ne sont pas salutaires, ni toutes les contraintes recommandables. Il doit toujours en être ainsi, car le motif qui provoque et soutient tout effort peut être diabolique ou divin, infernal ou céleste. Le mirage produit par la passion humaine est tel que l'homme perçoit rarement son mobile réel, et pense trop souvent qu'il travaille pour le bien alors que dans son cœur c'est au mal qu'il rend un culte. C'est pour cette raison qu'au début de toute tentative il est demandé au néophyte de marquer un temps d'arrêt, et de s'assurer que c'est bien le divin seul qui guide et tempère son enthousiasme, et non pas le désir violent de la stature personnelle.

Cette aspiration à se mettre sous la tutelle du divin ne se traduit pas par le simple fait de préférer le bien au mal, ou de se retirer loin du tumulte du monde, dans un ermitage ou un monastère. Elle exige une orientation entièrement nouvelle, car il n'est plus question alors pour l'homme de compter sur une habileté à se tirer d'affaire et sur des expédients, et il doit nécessairement s'affronter lui-même. La nouveauté même de la situation agit comme un aiguillon sur l'âme ardente qui cherche des directives provenant du divin. Cependant, trop souvent le désespoir survient, car le divin semble au débutant aussi inaccessible que le point le plus éloigné de l'Univers.

C'est ici que la Théosophie vient à notre aide avec son message plein de conseils et d'instructions. La Science Royale affirme que le divin qui est dans l'homme peut être éveillé par l'étude de la Sagesse Divine. Mais cette étude de la philosophie ne fait avancer l'étudiant que d'un pas. Même s'il a acquis la Divine Connaissance, il demeure encore un être de ce monde. Il respire encore les effluves empoisonnés du monde des désirs et ses poumons ont encore à apprendre l'art d'aspirer l'atmosphère divine. Pour apprendre cet art, chaque chapitre de L'Océan de Théosophie, comme chaque précepte de La Voix du Silence, doit être utilisé dans la vie et expérimenté sur soi-même. L'étudiant doit faire l'application de chaque enseignement, en y infusant son Prana vital, de telle sorte que l'enseignement devienne vivant pour lui. C'est son propre magnétisme, chargé de ses émanations particulières, qui doit être employé pour vitaliser chacun des aspects de la philosophie en vue de l'application aux circonstances de la vie. Pour cela, il est indispensable d'être constamment conscient, ce qui, au début, est fatigant. Chacune des circonstances de la vie, au fur et à mesure qu'elle se présente, exige l'application de la formule philosophique correcte. Chaque difficulté est ainsi susceptible d'être résolue ; il n'y a pas un seul mauvais jour, une calamité, ni une seule heure de doute ou de désespoir pour lesquels les enseignements n'indiquent pas une façon correcte de les aborder et un mode d'action approprié.

C'est cet effort soutenu en vue de vivre la vie du disciple qui seul peut éveiller la divinité endormie et lui donner la chance de survivre dans l'atmosphère étouffante de l'existence physique. Cet effort pour appliquer les enseignements, et pour en faire un pouvoir vivant dans notre vie, non seulement nous amène à nous tourner vers le divin pour en recevoir les directives, mais aussi purifie les passions et élève les désirs. En fait, par cette pratique, l'étudiant commence à redécouvrir la philosophie dans sa propre vie. Ce faisant, il lance un appel à l'aide vers les Êtres ineffables qui sont l'incarnation du divin, et cet appel est toujours respecté et n'est jamais laissé sans réponse.

Mais cet éveil du divin doit lui-même être contrôlé et guidé par une force qui lui est supérieure. La vertu, l'abnégation, la maîtrise de soi, l'acquisition des pouvoirs supérieurs, l'établissement d'une parenté plus étroite avec les éléments divins de la Nature sont les fruits de la divinité. Ils élèvent l'Âme de l'homme ; mais, seuls, ils sont impuissants à amener l'homme à sa véritable grandeur. Pourquoi donc en est-il ainsi ? La fin de toute existence n'est-elle pas d'atteindre la divinité ? La Théosophie explique que l'aspect divin de l'homme, qui réside en lui, n'est que l'un de ses différents aspects et que, par-delà, planant au-dessus de lui, se trouve l'Éternel, — c'est-à-dire, ce qui n'est séparé de l'Absolu que par un pas, pour ainsi dire.

L'élément divin dans l'homme doit servir le dessein de l'Éternel. De même que la personnalité doit se prêter au divin comme un outil et un instrument consentants, de même, à son tour, le divin doit rendre hommage à l'Éternel et remplir les conditions qui seules peuvent permettre à celui-ci de se manifester. Le souffle divin doit lui-même être placé dans l'Éternel qui se tient derrière toute chose et en former une partie consciente, vivante et vitalisante. C'est dans le contexte de ces enseignements que les préceptes de la Lumière sur le Sentier commencent à avoir un sens et un but. Ces préceptes sont :

« Ne désire que ce qui est en toi.
« Ne désire que ce qui est au-delà de toi.
« Ne désire que ce qui est inaccessible. »

Si on peut établir un contact avec le divin par l'étude et par sa mise en pratique, comment peut-on entrer en contact avec l'Éternel ? L'Éternel est caché derrière le divin, comme le Soleil Véritable est caché derrière le vase d'or que nous voyons et appelons à tort le Soleil. L'Éternel n'a pas de nom, on ne parle pas de lui dans les philosophies exotériques, mais il peut être perçu par celui qui désire cette perception. Pour l'atteindre, aucun Marga (sentier) n'existe. On ne peut l'atteindre ni par la voie de Jnyana (connaissance) seule, ni par celle de Bhakti (dévotion) seule, ni par celle de Karma (action) seule. Aucun Darshana (École) de la Philosophie Aryenne n'a le pouvoir de le révéler. Krishna parle de cet aspect caché et Éternel de lui-même quand II dit (B. Gîtâ, ch. XI, v.47) : « Cette forme qui est mienne... est difficile à percevoir... même les dieux sont toujours anxieux de la contempler. Mais je ne peux être vu... ni par l'étude des Védas, ni par les mortifications, ni par les aumônes, ni par les sacrifices. » Comment donc Arjuna apprendra-t-il à entrer en contact avec l'Éternel ? La réponse doit se trouver dans le ch.XVIII v.61 où la méthode et sa base philosophique sont données à Arjuna. L'Avatar dit : « II y a dans le cœur de chaque créature, Ô Arjuna, le Maître — lshwara — ... que ce Maître soit ton seul sanctuaire, Ô fils de Bharata, choisis-le de toute ton âme ; par sa grâce, tu obtiendras le bonheur suprême, le lieu éternel. »

Ce Maître — lshwara — qui réside en tout lieu et en toute créature, peut donner sa grâce. En Lui seul est le vrai sanctuaire. Et c'est seulement en son sein que se trouve le lieu éternel. L'hommage à cet lshwara omniprésent ne devient un hommage véritable que lorsque la Fraternité est réalisée à ce point complètement que Ishwara est vu partout, entendu partout, salué et respecté partout, dans toutes les choses et dans toutes les créatures. Il n'y a pas un seul enseignement de la philosophie de la Théosophie qui ne porte la marque et l'empreinte de l'Éternel.

C'est pour conserver ceci toujours présent aux yeux de l'étudiant que La Voix du Silence donne cette Règle de pratique :

« Restreins ton Soi inférieur par ton Soi Divin,
« Restreins le Divin par l'Éternel. »

Article de B.P. Wadia

Traduit du Theosophical Movement. Vol. XXVIII, p. 169.

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