Dans la vie du disciple en probation, le principe directeur est le Discernement entre le Réel et l'Irréel. Mais, pour lui, ces termes renferment un sens spécial ; il ne s'agit pas du discernement ordinaire que l'on fait entre l'âme et les sens, entre le mental et la matière, l'Être-té et l'Être, mais du discernement qui doit être fait entre l'Oubli de soi et l'Égoïsme considérés comme des principes cosmiques ultimes. Si le disciple en probation s'efforce d'atteindre la Libération, son discernement suit un certain canal ; s'il s'agit du Renoncement, cette démarche taille une voie différente. Dans le premier cas, l'aspiration du néophyte vise à se libérer du monde de l'humanité égarée et à accéder à l'état de béatitude spirituelle. Sur le Sentier du Renoncement, tout son intérêt se porte sur l'Humanité — sans se préoccuper de réaliser lui-même l'ineffable Béatitude, mais avec le souci d'apporter au mental des hommes la béatitude de l'illumination. La connaissance qui est nécessaire pour la Réalisation spirituelle du Soi est limitée ; mais celle qui est nécessaire pour le service des autres âmes est vaste et complexe. La Philosophie Ésotérique, qui appelle ses disciples à prendre le Sentier du Renoncement, exige qu'ils acquièrent cette dernière sorte de connaissance.

Le premier pas requis indiqué par le Second Traité de notre livre, « Les Deux Sentiers », est celui du Buddhi-Yoga du deuxième chapitre de la Bhagavad Gita, mais avec une différence importante. Non seulement il est recommandé de chercher asile dans la consécration mentale et d'accomplir son propre devoir sans se préoccuper des fruits de l'action, mais encore il est ajouté : « Gagne des Siddhi pour ta future naissance ».

« Suis la roue de la vie ; suis la roue du devoir envers race et famille, ami et ennemi, et ferme ton mental aux plaisirs comme à la douleur. Épuise la loi de la rétribution Karmique. Gagne des Siddhi pour ta future naissance. »

Pratiquer l'art le plus difficile qui consiste à faire du bien aux autres requiert une connaissance exceptionnelle. Il n'est pas suffisant de parvenir à « délivrer son mental de la servitude par .la seule cessation du péché et des fautes ».

Il ne s'agit pas de la cessation des péchés, mais de quelque chose de plus ; non plus de la suppression du vice mais de son élimination. L'homme qui recherche et obtient Mukti [la libération], la libération, non seulement abandonne l'humanité mais laisse derrière lui un ensemble particulier de ses skandha qui devront obligatoirement l'attirer de nouveau à l'existence incarnée, même si c'est dans un autre Manvantara. Parmi les faiblesses et les conditions que doit surmonter le futur Adepte, il y a non seulement « les désirs de possession et de puissance » mais également « les devoirs qui, pour honorables qu'ils soient, appartiennent encore à ce monde terrestre ». II y a là une différence subtile dans l'évaluation du Devoir par rapport à l'appréciation qu'on en a d'habitude, une différence que doit bien noter celui qui se destine à la pratique du Renoncement. Dans les tout débuts et pour le disciple en probation, le développement du renoncement juste consiste en l'accomplissement des devoirs ; il n'est pas question de les esquiver mais de s'en acquitter. Tout en s'en acquittant, le disciple en probation doit cependant apprendre la leçon contenue dans leur accomplissement et développer le pouvoir qui accompagne cet accomplissement. La libération résulte de l'acquittement de nos dettes à l'égard de tous les devoirs. Mais, à moins qu'un effort soutenu dans une direction particulière ne soit fait, les pouvoirs qui résultent de cet accomplissement ne se développeront pas dans la conscience du disciple en probation et le cheminement sur le Sentier du Renoncement sera impossible.

Il existe deux catégories de Siddhi— les Siddhi inférieurs et psychiques et les autres supérieurs et spirituels. Quand il est enjoint au disciple : « Gagne des Siddhi pour ta future naissance », il s'agit des pouvoirs de la deuxième catégorie — ceux qui appartiennent à Buddhi-Manas. Dans l'accomplissement du devoir, il faudrait pratiquer non seulement le détachement du soi personnel inférieur et des résultats de l'action, mais aussi l'attachement au soi égoïque supérieur afin que s'élargisse le champ du Dharma-yagna, le service sacrificiel. Celui qui désire la Libération s'acquitte de ses devoirs de façon à ne plus créer de nouvelles causes — sa méthode consiste à épuiser le Karma. Par contre, celui qui aspire à parcourir le Sentier du Renoncement accomplit des actions de manière à créer de nouvelles opportunités de servir le mental d'un nombre d'hommes de plus en plus grand. Chacune de ses actions de sacrifice, se développant naturellement à partir de ses devoirs propres (Karma-Dharma), peut être comparée à une pierre lancée dans un lac — les cercles de Karma qu'elle forme s'agrandissent de plus en plus. Mais l'aspirant est refoulé dans son ancienne sphère si, en raison d'un manque de connaissance et d'une perception limitée, il n'épanouit pas les Siddhi spirituels en servant. Chaque action de sacrifice approfondit la vision intérieure spirituelle, à condition qu'elle soit, tant dans le motif que dans la méthode, en accord avec les enseignements de la Philosophie Ésotérique. L'Occultisme enseigne les moyens de transformer les forces du mal en bien et, à moins que l'aspirant en probation sur le Sentier du Renoncement n'apprenne cela et ne gagne ainsi des Siddhi, son succès sera très lointain. C'est pourquoi il est dit 

« Pour vivre et récolter l'expérience, il faut au mental de la largeur, de la profondeur et des pointes pour l'attirer vers l'Âme Diamant [voir Vajrsattva]. Ne cherche pas ces pointes dans le royaume de Mâyâ ; mais plane au-delà des illusions, cherche l'éternel et l'inchangeable SAT, en te méfiant des fausses suggestions de l'imagination. Car le mental est comme un miroir, il ramasse la poussière tout en reflétant. Il faut les douces brises de la sagesse-de-l'Âme pour balayer la poussière de nos illusions. Cherche, ô Débutant, à fusionner ton mental et ton âme. »

L'homme ordinaire n'a pour horizon que sa rue, son pouvoir intérieur de vision s'arrête à la surface des choses et les pointes de son aiguille aimantée le dirigent vers ses appétits. Il vit dans un état créé par ses sens, état qui lui apparaît comme un monde réel mais qui ne constitue aucun des sept Mondes du Repos éternel. Son mental étant soumis à ses sens, et ses sens à ses appétits, il va de mort en mort. L'homme qui a commencé à vivre, qui reconnaît que, comme la vie est une probation, les afflictions sont des opportunités, cet homme-là regarde au-delà de sa rue. L'éducation moderne lui donne en fait une certaine largeur de vue, mais pas de profondeur ; et de là vient le hiatus entre sa connaissance et sa pratique, entre sa mentalité et sa vie morale, entre ses croyances sacrées et ses actions temporelles. La Théosophie éduque le mental humain pour l'amener à gagner en profondeur, regarder sous la surface et pénétrer jusqu'au cœur de la forme. Lorsque l'horizon de l'étudiant est élargi, que la vision de celui qui pratique s'est approfondie et que, par conséquent, il a commencé à vivre, il doit se munir de la boussole de la vie supérieure. En navigation, par le moyen du compas magnétique, on utilise la force directrice de la Terre — le grand aimant — qui agit sur une aiguille librement suspendue, et cela est indispensable. Également indispensable, sinon plus encore, est l'instrument correspondant pour naviguer sur l'Océan du Samsara. La profondeur du pouvoir intérieur de vision développe le discernement-Viveka et, pour l'âme apprentie, l'aspect particulier de ce discernement qui lui permet de sélectionner les idées et les aphorismes qui sont nécessaires selon Karma et son stade particulier. Les pointes de son aiguille aimantée lui indiquent la voie vers Sat — la Vérité. Il appartient au mental humain de maintenir la largeur et la profondeur acquises en ne permettant pas aux désirs ni aux fantaisies d'exercer leur pouvoir de suggestion et de l'entraîner ainsi vers le royaume de Mâyâ. Voilà ce qui doit être accompli par le mental qui fusionne avec l'Âme.

Chaque jour, voire même chaque heure, s'élève la poussière qui provient de la sphère de la mémoire et elle se dépose sur le mental en lui ôtant sa capacité de refléter les Idées Divines d'Akasha. C'est pourquoi chaque jour, et chaque heure, le miroir du mental doit être dépoussiéré, et c'est l'étude de la Philosophie Ésotérique qui réalise cela. Un effort soutenu pour refléter les Idées Divines polit le mental en transformant le miroir et en lui donnant la capacité supérieure de reproduire, avec de plus en plus de précision, les Images Vivantes des Dévas et des Dhyani, des Buddhas et des Bodhisattva. Ces reproductions sont les pointes réelles qui attirent l'Âme-Chéla vers le Vajrasattva, le « Seigneur de tous les Mystères ».

C'est au cours du processus d'élimination de la poussière des illusions, de fusion du mental et de l'âme, d'élévation dans la sphère de Sat, que le choix de fouler le Sentier du Renoncement se confirme, car nous voyons les significations cachées et les implications occultes de ce choix. Le Grand Choix vient à la fin, lorsque la connaissance concernant les deux Voies est obtenue :

« Tu as désormais la connaissance concernant les deux Voies. Le temps de ton choix viendra, ô toi à l'Âme ardente, quand tu auras atteint le terme et franchi les sept Portails. Ton mental est clair. Tu n'es plus pris au filet des pensées illusoires, car tu as tout appris. Sans nul voile, la Vérité se dresse devant toi et te fixe d'un regard austère.

« Elle dit : « Doux sont les fruits du Repos et de la Libération obtenus pour Soi ; mais plus doux encore sont ceux du long et amer devoir. Oui, les fruits du Renoncement pour le bien des autres, pour l'amour des frères qui souffrent ».

« Celui qui devient Pratyeka Bouddha ne fait sa soumission qu'à son Soi. Le Bodhi-sattva qui a gagné la bataille, qui tient le prix dans la paume de sa main, et dit cependant dans sa divine compassion :

 « Pour l'amour d'autrui j'abandonne cette grande récompense », accomplit le plus grand Renoncement.

« UN SAUVEUR DU MONDE, VOILÀ CE QU'IL EST.

« Regarde ! Le but de la béatitude et le long Sentier de souffrance se trouvent à la fin suprême. Tu peux choisir l'un ou l'autre, ô aspirant à la Douleur dans les cycles à venir !

« OM VAJRAPÂNI HUM. »

B.P. Wadia

Note : L’étudiant ferait bien de consulter le Theosophical Glossary et de réfléchir sur les termes : Pratyeka Buddha, Vajrapani, Vajrasattva, et Vajradhara.

[Traduit du Theosophical Movement, Vol. X, pp.173-4.]

↑ Remonter la page