Le désir de réconfort
« Le réconfort ne donne pas aux hommes la trempe de l'acier. » - W.Q. JUDGE
C'est notre nature humaine qui nous fait chercher le réconfort dans nos échecs à cause de notre faiblesse morale. C'est naturel, peut-être, mais nous n'en tirons aucune satisfaction permanente. La discipline théosophique fait comprendre que le véritable réconfort ne vient qu'avec la claire perception et la compréhension réelle de l'erreur faite. Aussi, lorsque nous nous sentons misérables après une faute grave vaudrait-il mieux éviter de chercher le réconfort auprès d'un ami ou d'un compagnon théosophe, ou même d'un aîné plus expérimenté ; adressons-nous plutôt à la philosophie impersonnelle et laissons répandre sa lumière sur notre conscience troublée et sur notre erreur. Une conversation apaisante est semblable à un anesthésique et a pour effet d'endormir l'âme. Une personne se sent satisfaite quand elle s'entend dire après une confession pleine de repentir : « Eh bien ! vous avez appris la leçon et vous ne recommencerez plus » ; alors, la conscience qui s'éveillait retourne dans le sommeil de la consolation. Résultat : avant longtemps, la faute sera commise à nouveau. Il vaudrait beaucoup mieux suivre l'exemple de Job qui refusait le réconfort de pieuses platitudes au moment où il cherchait explication et illumination.
Traverser péniblement une expérience désagréable qui nous atteint comme le résultat d'une cause passée a un double effet favorable : nous nous acquittons d'une dette et réglons définitivement un compte ; nous en apprenons la leçon et développons ainsi une capacité ou une vertu nouvelle, ou bien nous renforçons celles que nous avions déjà. Souvent, nous parlons de payer nos dettes karmiques, mais nous oublions de réfléchir sur la façon dont nous nous en acquittons. Quelle est donc cette façon ? C'est en passant par les expériences dans le calme, avec un mental attentif, disposé à observer et à apprendre. La dette n'est pas payée lorsque nous perdons notre équilibre par l'effet des procédés de karma. Nous ajoutons souvent à la somme totale de notre dette par la création de nouvelles causes karmiques. C'est ainsi que karma s'accroît : d'un seul effet surgissent plusieurs nouvelles causes. Recevons donc l'effet dans le calme et nous ne tarderons pas à en percevoir la cause-racine ; ainsi nous apprendrons la leçon de l'expérience : la nécessité d'apprendre cette leçon spéciale cessera aussitôt. C'est ici qu'apparaît le véritable réconfort et, en outre, de cette façon, nous transformons notre cœur de fer et notre mental de plomb en acier fin.
Honoré de Balzac a parlé d'un cœur « trempé comme l'acier, mais non d'acier ». Un homme d'acier n'a pas un cœur dur ni tendre : il a. un cœur dans lequel s'est éveillée la perception. C'est la perception de l'universel qui se cache derrière la mâyâ — l'illusion — de la personnalité séparée. Ce cœur est à même de distinguer entre les cris de douleur qui sont réels et les cris de l'orgueil blessé, de l'égotisme froissé, des désirs inassouvis — bref, du soi personnel. Le cri de véritable douleur est le cri de l'Âme qui aspire ardemment à se libérer de la tyrannie du soi personnel. Nombreux sont les étudiants qui prennent le cri de leur soi personnel pour le cri de l'âme. Le cri qui vient vraiment de l'âme n'a jamais été laissé sans réponse, car l'oreille toujours attentive des Seigneurs de Compassion est toujours ouverte à ce cri : ils ont le pouvoir de réconforter l'aspirant qui mérite ce réconfort en anéantissant sa personnalité, et Ils ne manquent pas de le faire. Le réconfort qu'Ils donnent est le pouvoir de réconforter à leur tour d'autres êtres qui font entendre les cris d'angoisse de l'Âme.
B.P. Wadia.
[Traduction d'un article paru dans la revue The Theosophical Movement, Vol. VI, p. 97.] Cahier Théosophique n°137, © Textes Théosophiques.