« Tous les hommes ne peuvent pas être des Occultistes, mais ils peuvent tous être des Théosophes. Beaucoup de personnes qui n’ont jamais entendu parler de la Société sont des Théosophes, sans même qu’elles le sachent elles-mêmes, car la base de la Théosophie est la mise en parfaite harmonie du divin et de l’humain dans l’homme, l’ajustement de ses aspirations et qualités divines, et leur prépondérance sur les passions terrestres et animales en lui. La Bonté, l’absence de tous mauvais sentiments ou d’égoïsme, la charité, la bonne volonté envers tous les êtres, et la parfaite justice pour les autres comme pour soi-même, sont les principales caractéristiques de la Théosophie. Celui qui enseigne la Théosophie prêche l’évangile de la bonne volonté, et l’inverse est également vrai : celui qui prêche l’évangile de la bonne volonté enseigne la Théosophie. » ꟷ H.P. Blavatsky.

Tous ceux qui réfléchissent ne manqueront pas de connaître les symptômes universels de la maladie mondiale à laquelle nous faisions allusion dans l’éditorial de The Aryan Path de novembre dernier (*), mais le fait que tant de personnes ont constaté ces symptômes doit nous donner confiance pour l’avenir. C’est la maladie qui ne peut pas être diagnostiquée, qui ne peut être vaincue par le médecin, et le cancer caché profondément dans le corps, que l’on ne voit ni ne sent, est le plus mortel de tous les maux.

Dans l’histoire de la civilisation, la maladie interne a souvent été cachée ainsi sous des masques apparents de santé. Des guerres de conquête, des révolutions, le développement du commerce, l’augmentation considérable de la richesse nominale produite par le crédit, tous ces faits ont été, à des degrés divers, considérés comme des choses importantes et splendides par la majorité des hommes. Lorsque les symptômes de la maladie vinrent trop près de la surface, comme – pour ne citer qu’un seul exemple – dans les dernières années du règne de Louis XVI, les efforts faits pour obtenir la guérison se traduisent par un changement du mal. Les pauvres avaient été opprimés et affamés ; on massacra l’aristocratie. Les pauvres ayant la majorité numérique, il s’ensuivit un soulagement momentané jusqu’à ce que l’abcès eût commencé à se reformer et à suppurer à un autre point du corps.

De même, dans les religions dominantes, le masque d’apparente santé a trompé l’humanité, et lui a fait croire que tout était bien dans le monde. A la surface tout semblait bien, mais la vitalité était lentement paralysée par la croissance presque invisible du manque de sincérité. Par exemple, Jésus prêcha la simplicité dans la vie personnelle, mais les cathédrales élevées en son honneur étaient destinées à attirer l’attention, ses prêtres revêtus de robes compliquées et coûteuses lisaient aux fidèles ses recommandations à ses disciples : « ne prenez pas non plus deux manteaux ». Un semblable phénomène peut être observé dans d’autres religions.

Mais à présent, la maladie du monde ne peut être niée, même par ceux qui manquent presque totalement de perception morale ; les hommes qui se sont institués eux-mêmes les médecins de l’humanité préconisent activement leurs divers palliatifs, qui ne sauraient être des remèdes efficaces. En Amérique, le dernier traitement est connu sous le nom de Technocratie, l’érection en idole de la machine sur une nouvelle base économique. En Europe et dans les Dominions britanniques, le principal remède a consisté à essayer de stimuler le commerce extérieur et la production en taxant les importations, forme flagrante de l’erreur médicale courante qui consiste à soigner les symptômes au lieu des causes. Comme mesure secondaire, les principaux pays d’Europe se rencontrent à Genève pour discuter la réduction des armements, et, chacun d’eux doutant profondément de la bonne foi de son voisin, il leur est à chaque fois impossible de se mettre d’accord.

Mais ces remèdes, comme tous les autres, n’ont qu’un seul but : élever le standard économique, soit par une reprise des affaires sous le système capitaliste actuel, soit par une distribution plus équitable de la richesse du monde. Les leçons de l’histoire à ce sujet ne comptent pas. Nous avons vu dans le passé une longue succession de périodes au cours desquelles diverses nations sont devenues riches et prospères, chacune de ces périodes étant suivie par une période correspondante de déclin ; et si nous pouvons formuler une loi d’après ces précédents historiques, c’est simplement que ces changements sont inévitables. Il est évident dans ces conditions que les remèdes offerts par nos économistes et nos politiciens ne sont des palliatifs temporaires pour la présente maladie du monde. Ils ne peuvent éviter le retour de la maladie chronique. La dépression actuelle est particulièrement rigoureuse, mais la prochaine le sera peut-être plus encore.

Voyons donc quel est le seul et unique remède. Il est bien connu, mais cela ne sert pas beaucoup. Il a été exprimé par tous les Instructeurs-Adeptes depuis l’aurore du présent cycle de l’histoire mondiale, et constitue l’héritage de la Religion-Sagesse qui est antérieure aux Védas eux-mêmes. Tous les Maîtres et Mystiques ont été des exemples vivants de leur premier article de Foi. Et, sauf les plus aveugles des égoïstes, personne ne peut douter de l’efficacité de ce simple remède pour guérir tous les maux du monde. Dans sa forme la plus directe et la plus compréhensible, il peut être exprimé par le commandement : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Bien qu’il ne soit pas difficile de comprendre pourquoi ce commandement n’est suivi que dans la lettre par les églises, mosquées et temples, comment pouvons-nous expliquer les échecs de si nombreuses personnes qui se disent Théosophes ? Car, si regrettable que soit ce fait, il faut avouer que ces échecs sont souvent évidents. Dans certains cas, il semble que l’acceptation de ce premier principe de la Fraternité Universelle soit devenu une simple formalité, et ait fait place à un intérêt égoïste pour la théorie du développement spirituel personnel, au désir de montrer des connaissances occultes, et d’acquérir le prestige d’« un professeur de mystères ». Dans d’autres cas, et ce sont les plus nombreux, cette acceptation ne se traduit que par des paroles. Ceux qui ne veulent pas supporter une gêne personnelle ou des sacrifices matériels pour aider un voisin, ne peuvent avoir aucune idée de la véritable intention et du véritable sens de la Compassion Universelle.

Nous pouvons montrer ce que peut être cette intention en examinant le sens profond de l’amour. Ceux qui souscrivent joyeusement à cet article de la nécessité de la Fraternité Universelle doivent commencer par se demander eux-mêmes s’il y a vraiment un être humain qu’ils aiment dans le sens le plus profond et le plus vrai de ce mot ? Y a-t-il quelqu’un pour qui ils sacrifieraient avec joie leur propre bonheur, sans aucun désir de récompense ou même de reconnaissance ; quelqu’un dont la réussite leur soit plus chère que la leur ; quelqu’un qu’ils ne jugeraient pas d’après leur propre façon d’agir ou de penser ? Car, à moins que nous n’ayons un tel amour pour quelques-uns de nos parents ou amis, nous ne sommes pas encore en vue du sentier qui mène au portail de la Sagesse Divine. « L’amour intéressé » n’est pas un idéal théosophique. L’amour sans aucun esprit de retour, de gratitude ou de récompense est le premier pas pour l’homme de ce monde ; il doit commencer par apprendre à distinguer entre les deux : le premier est fascination, le second est sympathie.

Dans La Voix du Silence, nous trouvons quelques règles succinctes pour trouver le Vrai Sentier, dont le premier pas est l’amour désintéressé. Le premier commandement pour son développement et sa pratique est : « Tu ne laisseras pas tes sens faire de ton mental un champ de plaisir ». Comme ce conseil paraît simple ; comme il est difficile à suivre ! Car le mot « sens » se rapporte ici à d’autres qu’à ceux simplement attachés à la satisfaction de nos appétits charnels. La Luxure, l’avarice et la paresse peuvent ne pas trouver place dans la pensée, et le mental peut cependant être le lieu de désirs appartenant essentiellement au monde et à notre recherche personnelle égoïste – ce monde pouvant être le monde occulte – et cette recherche l’aspiration mystique. Nous lisons plus loin qu’il est nécessaire de « séparer le corps du mental, de dissiper l’ombre et de vivre dans l’Éternel » ; en d’autres termes, il faut que nous réalisions notre vrai Soi, que nous nous rendions compte de l’illusion de la matière, et que nous allions au-delà d’elle pour avoir un aperçu de l’éternelle réalité. Mais ceux qui sont appelés les « Bouddhas égoïstes » agissent également ainsi.

Cependant, même en pratiquant un peu seulement l’Amour désintéressé, nous dépassons les limitations de la grande majorité des hommes. Ce pas préliminaire est immense, mais il doit être fais par l’aspirant sérieux qui désire pratiquer la discipline personnelle pour pouvoir non seulement obtenir l’émancipation de l’existence physique, mais encore développer le pouvoir d’y renoncer.

Si une telle ambition est trop élevée à notre stade actuel de développement, il y a un idéal qui avant tous les autres doit être toujours présent dans notre mental : l’Idéal de la Renonciation, en opposition avec celui de l’Émancipation. Ayant donc toujours devant nous cette haute ambition comme le but que nous devrons atteindre si nous voulons conserver notre immortalité consciente, nous devons commencer sur les pentes les plus basses de cette longue ascension, à cultiver une modération et une bienveillance plus grande envers l’ensemble de l’humanité. Il ne serait pas bon de haïr ce que nous considérons comme mauvais. La haine, qui a son origine dans l’amour de soi-même, fait toujours naître la haine chez les autres. Nous haïssons parce que notre amour propre est blessé. Il peut l’être par une personne dont les paroles et les actes sont en désaccord avec nos principes de pensée ou d’action les plus chers ; il peut l’être par une nation étrangère qui a des idéals ou des traditions différents des nôtres ; ou bien il peut l’être par la croyance d’une autre communauté religieuse, croyance à laquelle nous ne pouvons pas souscrire. Mais dans chaque cas, l’origine de notre antipathie se trouve dans notre révolte contre cette blessure de notre amour-propre.

Ce n’est pas le vrai Soi, le Principe Immortel, qui est blessé. Il arrive quelquefois que nous ressentions, si faiblement que ce soit, une protestation intérieure contre notre colère. Le soi qui est blessé est la personnalité que nous développons pour nous-mêmes au cours de la vie. Elle est due à notre hérédité et à notre éducation, par l’encouragement de tendances innées, dont beaucoup viennent d’appétits corporels et dont d’autres non moins trompeuses sont issues de nos goûts et facultés intellectuels. Et nous développons la personnalité que nous croyons représenter notre égo réel par l’opposition de ces tendances, qui sont presque toujours contraires les unes aux autres à quelque point de vue, un groupe ou l’autre étant prédominant selon la force ou la faiblesse de la volonté qui les domine. La personnalité est une chose éphémère. Après la mort, elle se désagrège lentement, mais c’est ce soi et lui seul qui est responsable de cette folle vanité qui ne peut pas supporter la contradiction.

Dans l’état actuel de misère du monde, le devoir de tous ceux qui connaissent ces vérités est donc de cesser de s’occuper de « clubs de miracles » et de poursuivre de tout cœur leur recherche du sentier qui conduit à la première porte du Cœur. En faisant cela, non seulement ils serviront leur propre progrès éternel, mais aussi le bien de l’humanité. Nous pouvons commencer par apprendre la signification profonde de l’amour dénué de toute trace d’égoïsme pour un autre être humain, mari, femme, enfant ou ami. De là nous pouvons arriver à avoir une plus grande tolérance pour tous les hommes. Mais ce n’est pas avant que nous n’ayons, par ces moyens, réalisé le vrai Soi, que nous pourrons pratiquer cette Compassion universelle qui est le Signe de Caste du vrai Mahatma.

Le magnétisme du pur amour est le producteur de toute chose créée, et l’homme sans désirs terrestres ni sensualité peut guérir les maladies les plus « incurables ».

Et il est temps maintenant de commencer ce grand traitement.

B.P. Wadia

Cet article est traduit de la revue The Aryan Path (Bombay, Inde) d’avril 1933. Publié en français dans la Revue Théosophie, Volume IX, n°5.

Note (*) : Paru dans Théosophie d’avril 1933, page 169.

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