Les trois sortes de foi
Tout être humain possède une foi - foi en quelque chose, en un idéal, une conception, une religion un système - mais, tandis que la foi des différents individus vise tel ou tel objet, la foi elle-même procède du Suprême, est inhérente au cœur de tous les être. La foi est à la base même de notre nature. Quelle que soit notre voie, nous la choisissons en raison de la foi que nous avons, c’est-à-dire de la conviction qu’il s’agit de la meilleure démarche possible. Si le monde regorge de fausses fois c’est en raison de la diversité des idées, de croyances et des philosophies, qui ont pour effet de limiter la foi elle-même aux moyens jugés nécessaires pour atteindre l’objectif d’une foi particulière.
Dans le dix-septième chapitre de la Bhagavad-Gîtâ, il est dit qu’il existe trois sortes de foi : celle de la qualité de satva, désignant ce qui est bon et vrai ; celle de la qualité de rajas, relative à l’action et à la passion ; et celle de la qualité appelée tamas, caractérisant l’indifférence et l’ignorance. Ces trois qualités attribuées à la foi sont en fait les trois limites que chaque être humain lui fixe ; nonobstant, le pouvoir de la foi elle-même est illimité. Nous restreignons sans cesse ce pouvoir à son mode opératoire dans un cadre limité à quelques objets ou idéal mineur, fondé sur des apparences extérieures. “L’âme incarnée étant douée de foi chaque être humain est de la même nature que celle de l’idéal auquel sa foi est attachée”.[1] L’homme présente la qualité de foi qui est conforme à ses dispositions ; il adopte aussi continuellement la nature de l’idéal auquel sa foi est fixée. Il est donc évident que nous devrions être sûrs de la nature de la foi sur laquelle notre idéal se fonde. Si l’on place sa foi en une réalité extérieure, quelle qu’elle soit - dieux, hommes, religions ou système de pensée - c’est à un roseau brisé qu’elle est fixée ; on a limité ainsi le pouvoir même de son propre esprit dans sa capacité de dépasser les limites de son idéal. Si nous sommes d’avis, par exemple, que seul est réel ce qui peut être vu, entendu, goûté, senti ou touché, nous avons placé notre foi sur une base très peu élevée.
Il doit y avoir une raison à cette façon erronée de penser et d’agir une fois que nous avons pris l’instant présent pour le seul existant, le monde terrestre extérieur et la seule existence actuelle pour le seul cadre de vie possible, que nous allons quitter pour aller Dieu seul sait où, en ignorant toujours la raison d’être de tout ce qui s’est passé. Considérer tous les êtres selon nos propres limitations mentales, ou celles de notre champ de perception, et, de même, ne capter de leur langage ou de leurs actes que l’aspect extérieur, ne permet pas de les voir tels qu’ils sont en réalité. Croire en un Dieu ou un Diable extérieur, en une Loi extérieure, en rémission extérieure des péchés, s’en tenir à l’idée que le péché soit autre chose que le reniement de notre propre nature spirituelle (ce qui est le péché impardonnable), voilà autant d’exemple d’une foi qui est de la nature de tamas, de l’ignorance. L’ignorance conduit toujours à la superstition, la superstition à une fausse croyance, et la fausse croyance, à une foi erronée. Nous sommes en permanence en conflit les uns avec les autres, en raison d’une foi fondée sur de fausses bases, pour la bonne raison que la foi, quelque soit son objet, entraîne des effets, et que les hommes sont rendus aveugles à la foi réelle et authentique par les effets même d’une foi erronée. Cependant, tant que notre foi sera erronée, nous continuerons de nous forger des vies misérables. Les conséquences d’une foi erronée en quelque idéal égoïste impliquent forcément de mauvais effets et des circonstances néfaste. Ce sont les limites mêmes que nous nous sommes imposées par de fausses croyances, dans d’autres incarnations, et il nous faudra revenir, maintes fois, dans un corps, jusqu’à ce que nous ayons corrigé les défauts de notre nature, engendrés par ces fois artificielles. Il nous faut acquérir une base de réflexion et d’action supérieure à celle de la fausse foi attachée aux attractions et répulsions obtenues par hérédité. Nous avons certes produit les effets que nous constatons, mais nous ne sommes pas obligés de répéter continuellement les mêmes erreurs, vie après vie, si toutefois nous acceptons de changer d’idéaux. Il nous faut trouver une véritable base pour notre foi. Nous devons faire reposer notre foi sur ce qui est intérieur, et non extérieur.
La véritable source de tous les types de pouvoirs en notre possession est la Source Intérieur et cette Source est identique en chaque être vivant. A la racine même de notre être réside le Soi immuable, que nous ne pouvons connaître qu’en nous même. Pour y accéder et l’atteindre, il nous faut d’abord nous débarrasser de toutes nos idées - de tout ce qui est notre nature changeante. En premier lieu, l’homme doit se défaire de l’idée qu’il est son corps. Il l’occupe, il l’utilise, mais il sait qu’il change sans cesse, et qu’à aucun moment, il n’est identique à ce qu’il était l’instant d’avant. Qu’il se défasse en outre de l’idée qu’il est son mental, car il peut lui-même changer les concepts dont il est formé - les rejeter en bloc pour en adopter d’autres, parfaitement antagonistes, s’il le décide - ce qui ne l’empêcherait pas d’agir sur la base de ces autres concepts. Nous ne sommes ni notre corps, ni notre mental, ni une combinaison des deux, mais nous sommes Cela qui les utilise et les sous-tend tous deux. À travers tous les changements passés, présents et à venir, nous sommes et resterons toujours nous-mêmes. Même quand la mort viendra, nous continuerons d’opérer, bien que sur un mode différent de celui du corps physique. La base du Soi Immuable met l’univers entier à la portée du mental de tous les êtres - c’est une base stable pour la pensée, l’action et la réalisation intérieure.
Il y a trois choses que nous devons connaître : chacun est le Soi dans sa nature la plus intime ; tous les pouvoirs qu’il détient prennent naissance dans ce Soi ; tout être, quel qu’il soit, est conscient, et il a la possibilité d’étendre son champ de perception et d’action, alors que tout instrument résulte d’une limitation de la conception de la nature réelle de l’individu. L’homme ne pourra jamais appréhender son unité avec la Grande Vie Une en observant les autres êtres, ni grâce à une foi quelconque ; il ne peut y parvenir qu’en explorant sa propre nature. Cette nature réelle se réalise en discernant ce qui ne relève pas de la nature du Soi. En effet, tout ce qui est susceptible d’être vu, entendu, ressenti, goûté ou perçu, n’est pas le Soi, mais uniquement une perception du Soi. Le Soi perçoit ce qui peut être perçu en fonction de ses propres idées, de sa propre foi, mais l’objet de cette perception ne peut jamais être le Soi. Le Soi réside dans chaque être dont nous obtenons une action quelconque, dont nous percevons quoi que ce soit, mais nous ne percevons pas Cela. Ce n’est qu’en Le réalisant au sein de nous-même que nous réaliserons son existence dans tous les autres êtres. Honorez donc la nature spirituelle de chaque être, et essayez de l’aider à reconnaître par lui-même le vrai sentier qui lui permettra de réaliser sa nature véritable ! Nous devrions tous penser et agir en prenant pour guide cette nature authentique qui est la nôtre.
De tous côtés, nous nous trouvons empêchés d’adopter l’attitude correspondant à notre nature réelle. Cela paraît impossible. Mais ce n’est là qu’une illusion créée par la foi erronée que nous avons adoptée. Nous avons établi des concepts, des attractions, des répulsions et des sentiments qui reviennent encore et encore, conformément à la loi du retour permanent des impressions. Lorsque nous tentons d’adopter un comportement antagoniste, nous nous trouvons confrontés à la résultante des actions combinées de toutes ces forces en nous. C’est ce que nous pouvons appeler “la guerre dans le ciel” - celle qui se déroule dans la nature personnelle de l’homme. Mais s’il reste fidèle à sa propre nature spirituelle, il vaincra forcément. S’il a foi en la loi de sa nature propre, il ira de l’avant et, progressivement, les obstacles tomberont. Mais il faut pour cela nous “accrocher farouchement” et avoir confiance et foi en Cela, la seule Réalité qui soit - la Vie elle-même - la Conscience. Alors toutes les entraves que nous nous étions fabriquées disparaîtront. Toutes les forces de la nature commenceront à agir pour nous, et avec nous, car nous n’auront plus de désirs personnels, si ce n’est pour le bien et le salut de tous. Chaque âme, et chaque chose, semblera travailler dans notre intérêt, mais non pas parce que nous le voudrons. Nous commencerons à percevoir la signification spirituelle de l’affirmation selon laquelle “celui qui veut sauver sa vie doit la perdre”. S’il renonce à tout profit personnel, en consacrant tous les pouvoirs qu’il détient ou acquiert au service d’autrui, l’univers tout entier sera à ses pieds. Il pourra tout prendre, pourvu que tout ce qu’il prendra soit destiné à être redonné, et tout ce qu’il acceptera, soit mis à la disposition des autres !
Il ne saurait être question de péché, ou de pécheur, de bien ou de mal. La seule question qui se pose est la suivante : travaillez-vous pour vous-même, tels que vous vous comprenez, ou est-ce pour le soi, comme vous devriez concevoir que vous êtes, et non pour quoique ce soit d’autre ? Si vous ne voulez rien pour vous-mêmes, ne réclamez rien pour ce corps qui est le vôtre et ne pensez qu’à agir pour autrui : ce dont vous avez besoin viendra, conformément à la loi de la force même pour laquelle vous créez une attraction. Le soutien viendra de toutes parts. L’ensemble de votre nature - spirituelle, intellectuelle, astrale et physique – s’en trouvera renforcé, et même votre environnement s’améliorera. C’est notre manque de foi, notre défiance par rapport à Cela, qui nous place dans des situations indésirables pour nous. Nier la présence du Christ, de Krishna, de l’Esprit en nous, c’est là le “péché impardonnable”, et tant que nous crucifierons ce Christ intérieur, aussi longtemps nous souffrirons sur la croix des passions et des désirs humains. Ne servir que soi-même est un acte de création qui enchaîne à des situations néfastes. À une condition seulement il nous est permis de nous efforcer d’avoir un meilleur lot, en ce qui concerne le corps, la position sociale, les possessions de toutes sortes, les qualités ou la compréhension des choses que le motif en soit de nous rendre plus aptes à aider et instruire les autres.
La seule foi véritable est celle qui vise le Suprême – l’Immuable, Cela en quoi réside la nature intime de chaque être. La seule voie authentique consiste à faire confiance à la loi de notre propre nature spirituelle. Les hommes peuvent bien abandonner une foi pour une autre, croire en une chose puis en une autre, en allant d’une vie à l’autre en récoltant des effets conformes à la nature de l’idéal sur lequel s’est fixé leur foi, mais la seule issue qui peut s’offrir à eux tient à une foi dans la nature spirituelle essentielle de tous les êtres. Et pour être humain, il n’y a pas de don plus précieux que cette vérité inaltérable qu’il est en son pouvoir - et en celui de tout autre - de la réaliser. C’est un élément d’une ancienne connaissance détenue par quelques-uns, suivie par quelques-uns, qu’Ils ont toujours répandue dans un monde de fausses croyances, en essayant de l’enseigner au grand public.
Ceux qui suivent le Sentier de la vraie foi ne vivent pas à l’écart de leurs semblables. Au contraire, ces semblables prennent plus d’importance pour l’homme éclairé qu’ils n’en eurent jamais auparavant. Il les considère avec plus de lucidité. Il voit plus clairement les difficultés qu’ils rencontrent et désire les aider par tous les moyens. Ainsi, il devient plus un homme vivant. Plus que les autres, il agit en connaissance de cause. Il obtient une plus grande aide de la nature qu’eux parce qu’il considère l’ensemble, ainsi que tous les aspects individuels qui le constituent. Il profite autant de cette vie, sinon plus, voire beaucoup plus que celui qui ne vit que pour son plaisir et son bien-être et dont les ambitions sont personnelles. Pourtant il ne vit pas pour lui-même. Le seul but de sa vie est de faire connaître ces vérités aux hommes : il sait en effet que la connaissance entraîne la destruction des fausses fois, et, par conséquent, celle de l’ensemble des souffrances et des horreurs de l’existence physique. Ainsi, l’évolution continuera, par sauts et par bons. Les hommes sortiront des ornières où ils se sont mis et évolueront sans restriction, dans un univers de possibilités infinies. Quand nous aurons rejeté toutes nos fausses croyances, nos désirs et nos passions, nos attractions et nos répulsions, comme autant de vieux vêtements, quand nous aurons retrouvé notre nature qui est divine, alors nous serons en mesure de construire une civilisation aussi supérieure à la présente que nous soyons capables de l’imaginer. Car nous ne pouvons échapper au Karma de la race à laquelle nous appartenons, et les effets que nous avons produits ensemble devront également être éliminés ensemble. La meilleure méthode, la plus élevée et la plus sûre, consiste à avancer en suivant la ligne de notre propre nature intérieure, et, en faisant cela, à suggérer aux autres celle qui leur permettra de réaliser la leur. Alors, en nous fondant sur Cela, qui est immortel, permanent, illimité, ce qui est notre véritable soi et le Soi de toutes les créatures, la réalisation viendra - petit à petit mais sûrement.
Robert Crosbie
Cahier Théosophique n°188 - © Textes Théosophiques.
[1] Bhagavad-Gîtâ, XVIII, 3 [N.d.T] [Retour texte]