La volonté créatrice
Il est absolument impossible de comprendre ou d'expliquer la nature d'un être quelconque si ce n'est par l'Évolution, qui constitue toujours un épanouissement de l'intérieur vers l'extérieur, une expression de l'esprit, ou de la conscience, par l'entremise de l'intelligence acquise. C'est la volonté de l'Esprit en action qui a produit tout ce qui existe.
Si nous comprenons qu'une volonté intelligente sous-tend tout ce qui existe, est la cause de tout ce qui est, opère comme le Créateur dans l'univers, nous serons peut-être capables de nous faire une idée de ce qu'il nous faudrait connaître pour pouvoir utiliser nos facultés d'une manière convenable.
Nous avons tous la position de créateurs au milieu de leurs créations. Aux degrés inférieurs de l'intelligence, il y a aussi des créateurs. Nous avons un statut différent, notre vision est plus large, et plus vaste notre fonds d'expérience ; ainsi nous pouvons concevoir qu'en dessous de nous, infiniment plus bas, existent des êtres si petits qu'une multitude d'entre eux pourraient tenir sur la pointe d'une aiguille. Et cependant, les savants qui les ont observés dans de nombreuses conditions ne peuvent dénier à ces organismes infinitésimaux une certaine forme d'intelligence, une aptitude à rechercher ce qui leur convient et à éviter ce qu'ils n'aiment pas. Depuis ce plus petit point concevable de perception et d'action, il y a une gamme toujours croissante d'expression, d'évolution, un développement qui se déploie sans cesse vers une plus large expression d'existence. Cette évolution de l'intelligence, ou de l'âme, procède très lentement dans les règnes inférieurs, plus rapidement dans le règne animal, pour atteindre chez l'homme le stade où l'être sait lui-même qu'il existe, qu'il est conscient, qu'il peut comprendre, dans une certaine mesure, sa propre nature et celle des êtres moins évolués que lui, et discerner les relations qui les unissent.
L'homme a maintenant gagné un niveau où il commence à se demander ce qui lui resterait encore à connaître. Il a cessé de ne se préoccuper que des choses matérielles ; il perçoit sa propre nature, et s'interroge : « Qui suis-je ? D'où suis-je venu, où vais-je ? »
Si nous avons ces pensées, nous pouvons concevoir qu'il y a eu nécessairement dans le passé des hommes qui se sont posé les mêmes questions que nous aujourd'hui, et qui ont fait la démarche qui les a amenés à un niveau d'expérience et de connaissance supérieur à celui qui est le nôtre actuellement. Ce sont ces mêmes êtres, aujourd'hui plus évolués que nous, qui forment comme une strate de conscience, de connaissance et de pouvoir, (à laquelle nous n'accédons pas) mais qui jadis sont passés par les stades que nous connaissons maintenant. Ce sont de tels hommes précisément qui viennent de temps en temps sur cette terre comme des Sauveurs.
En tant que chrétiens, nous gardons le souvenir d'un tel Être apparu jadis, et nous Le considérons comme unique. Pourtant II n'est venu en Son temps que dans une petite nation ; Lui-même a dit qu'Il n'était venu que pour les Juifs. Mais, ne savons-nous pas que toutes les civilisations, jusqu'à la moindre tribu connue dans l'Histoire, ont conservé la mémoire d'un événement similaire ‒ l'apparition en leur sein de quelque grand Personnage ?
Toutes les religions qui n’ont jamais existé, ont gardé ainsi la trace, ou la tradition, de l'intervention d'un grand Personnage. Et, en étudiant les Écritures et enseignements d'époques révolues, on constate avec étonnement que chacun de ces grands Instructeurs répandait les mêmes doctrines. Il n'y a pas de différence entre les enseignements de Jésus et ceux du Bouddha, même s'ils sont transcrits dans des langues différentes, et si un intervalle de six cents ans sépare ces deux grands Instructeurs. Ce qui est valable pour ces deux personnages l'est également pour tous les autres nombreux Sauveurs, à diverses époques et dans les différentes nations : ils enseignèrent tous les mêmes idées fondamentales.
Cela donne à penser qu'il existe un groupe d'Hommes, élevés à un niveau de perfection ‒ produits de civilisations passées, et d'une évolution antérieure ‒ qui sont, en fait, nos Frères Aînés, qui ont acquis la connaissance et l'expérience accumulées au cours d'immenses périodes de temps, et qui en restent les gardiens. Leur connaissance est effectivement la Science même de la Vie, car elle pénètre tous les domaines de l'existence, de la nature. Ils connaissent ce que sont et comment fonctionnent les êtres inférieurs à l'homme, ainsi que ceux qui les ont dépassés, tout comme nous connaissons les processus à l'œuvre dans notre vie quotidienne. Ils ont préservé et enregistré cette connaissance, et ils en gardent la mémoire, tout comme nous nous souvenons aujourd'hui des expériences et événements de la veille.
Ce n'est pas qu'ils ont développé leur pouvoir de connaissance : nous disposons tous du même pouvoir que le leur. Ils ont simplement développé et étendu la portée des instruments dont ils disposent. Ils ont amélioré ce qu'ils possédaient : ils ont de meilleurs cerveaux, de meilleurs corps. Comment les ont-ils acquis ? En remplissant tous les devoirs auxquels ils étaient confrontés, sans se soucier de ce qui en résulterait pour eux. Ils ne se préoccupèrent nullement de gagner connaissances et pouvoirs pour eux-mêmes : leur seule pensée fut d'acquérir des pouvoirs dont ils pourraient se servir pour le bien de toute créature vivante. Ce faisant, ils ont ouvert les portes au plein exercice du pouvoir de l'Esprit intérieur.
Nous faisons tout le contraire. Nous réduisons l'application du divin pouvoir de l'Esprit qui est en nous au champ ridiculement limité des désirs personnels et de l'égoïsme. Ne le comprenons-nous pas ? Ne voyons-nous pas que nous faisons nous-mêmes obstacle à l'utilisation de notre pouvoir intérieur en raison de la petitesse, de l'égoïsme et de la mesquinerie de nos pensées ?
Le grand travail de l'Évolution procède de l'intérieur vers l'extérieur. L'Âme est le Perceveur et contemple directement les idées (1) La volonté agit par l'entremise des idées qui lui impriment les directions. A idées mesquines, force minime ; à grandes idées, grande force ; cette Force elle-même est inimitable car c'est celle de l'Esprit, infini et inépuisable. Ce qui nous manque ce sont des idées universelles. Nous devons éveiller en nous le pouvoir de perception qui ouvrira pour nous tout le champ de l'être. Un cours d'eau ne peut pas remonter plus haut que sa source.
La nature de l'homme ne pourra jamais être comprise le moins du monde à l'aide des idées et des méthodes que suivent les psychologues et scientifiques modernes, et les religions populaires : elles se fondent toutes sur l'existence physique, et beaucoup d'entre elles sur la base d'une vie unique. En enregistrant toutes sortes d'expériences, sans disposer cependant d'une base solide sur laquelle arrimer la pensée, le raisonnement, on ne parvient jamais à aucune conclusion définitive, ni à aucune connaissance réelle de ce qu'est l'homme, ni des pouvoirs dont il peut faire preuve. Telle est l'utilisation moderne du pouvoir créateur, mais elle est limitée et incorrecte. Ceux qui agissent ainsi ont généralement un objectif égoïste pour base de leurs désirs, un projet qu'ils veulent réaliser pour eux-mêmes, un profit qu'ils envisagent pour eux-mêmes. Ce n'est pas la bonne méthode.
La Théosophie enseigne que lorsque le désir ou l'aspiration est d'une nature désintéressée, noble, universelle, la force qui circule par le canal de l'individu est d'un caractère élevé, noble et universel. Elle déclare, en outre, que chaque être humain possède en lui les mêmes éléments, les mêmes possibilités que tout autre, même que les êtres les plus nobles et les plus grands de notre monde, ou d'un système solaire quelconque. Cela donne à l'homme un statut bien différent de celui que lui accordent nos religions, notre science ou notre philosophie occidentale. Elles traitent toutes l'homme comme s'il était son corps ou son mental, comme s'il était la créature et non le créateur.
Le corps change ; nous changerons notre mental ; mais il y a en nous quelque chose qui ne change pas, qui ne dépend pas du changement, que ce soit du corps, du mental ou des circonstances, et qui est le créateur, le régent, l'expérimentateur de toutes les variétés de changement. C'est de cette partie de notre être ‒ l'Homme réel en nous ‒ que nous devons connaître la nature. Si nous pouvons atteindre un niveau de perception nous permettant de saisir la réalité de l'Esprit en nous, nous aurons gagné du même coup un accès à la connaissance de nous-mêmes ; et, avec une telle connaissance de nous-mêmes, viendra une pénétration de la nature de tous les autres êtres, quels qu'ils soient.
Les grands Instructeurs insistent sur le fait que la base réelle de la nature de l'homme est la Divinité, l'Esprit, Dieu. La Divinité n'est pas un autre être, différent, aussi grand soit-il. Ce n'est pas quelque chose d'extérieur. C'est ce qu'il y a de plus élevé en nous et en tous les êtres. C'est cela qu'il faut entendre par « Dieu », et tout ce qu'un homme peut savoir de cet Esprit c'est ce qu'il connaît en lui-même, de lui-même et par lui-même. Telle est l'idée que professaient tous les Anciens en déclarant qu'il n'y a qu'un Soi, et que nous devons percevoir ce Soi en toutes choses, et toutes choses dans le Soi. C'est ce que nous faisons tous, jusqu'à un certain point ; nous percevons le Soi, plus ou moins. Nous ne voyons rien qui soit extérieur à nous ; tout ce que nous percevons ou connaissons se trouve en nous. Mais nous pensons que le Soi intérieur est mortel, périssable, qu'il n'a pas d'existence en dehors de notre corps et de notre mental, et qu'il est séparé du Soi présent dans toutes les autres formes.
Si nous avions en nous et derrière nous tout le pouvoir qui réside dans l'univers, sans disposer de canaux où ce pouvoir pourrait circuler ‒ serait-ce même un canal étroit, sinueux ou distordu ‒ ce grand Pouvoir ne nous serait d'aucune utilité, il n'aurait aucune existence pour nous. Pour ouvrir ce canal, il nous faut comprendre sa base réelle : le Dieu intérieur, immortel et éternel, Source de tout être, de notre soi lui-même ; et réaliser ensuite que toute action procède de cette Source, de ce Centre de notre être et de tous les êtres.
Vient ensuite la question : qui a tout construit ? Comment cette évolution a-t-elle été produite ? Tous les êtres qui y sont impliqués constituent à la fois le monde et ses habitants ; tout ce qui existe est produit, évolué par le Soi ‒ c'est la création d'êtres spirituels agissant les uns avec les autres, ou par le canal des uns et des autres. Toute la force de l'évolution et tout le pouvoir qui la sous-tend, c'est la volonté humaine, en ce qui concerne l'humanité. Nous ne réalisons pas que chaque forme occupée par un être est composée de Vies, poursuivant chacune son évolution propre, en étant aidée, mise en mouvement, ou entravée, par l'énergie d'une forme de conscience plus élevée qui l'a évoluée. Car cet Univers est de la Conscience incorporée, ou de l'Esprit incorporé. Et de même qu'une seule goutte d'eau contient en elle tous les éléments et caractéristiques de l'océan tout entier, chaque être, aussi rudimentaire que soit son intelligence, contient les potentialités et les possibilités du plus élevé. La volonté de l'Esprit en action a tout produit.
Le grand Message de la Théosophie a fourni à toute personne intéressée le moyen de connaître la vérité à propos d'elle-même et de la nature. Tout comme Ils l'ont fait autrefois, les Frères Aînés ont donné à nouveau ce Message aujourd'hui. Tout ce dont l'Humanité a besoin a été mis à notre portée. Mais peut-on donner à quiconque ne veut pas recevoir ? Peut-on faire entrer dans le mental de quelqu'un ce que ce mental ne veut pas accepter ?
Ce qu'il nous faut avoir c'est un mental ouvert, un cœur pur, un intellect aiguisé, une vision spirituelle sans voiles, pour qu'il y ait le moindre espoir pour nous. Tant que nous sommes préoccupés de nous-mêmes, satisfaits de ce que nous savons et de ce que nous possédons, ce grand Message n'est pas pour nous. Il est destiné à ceux qui sont affamés, fatigués, assoiffés de connaissance, à ceux qui constatent l'indigence absolue de ce qui nous a été présenté comme connaissance par ceux qui se déclarent nos instructeurs ; il est pour ceux qui ne trouvent nulle part d'explications aux mystères qui nous entourent, qui ne savent pas qui ils sont, qui ne se comprennent pas. Pour eux, il y a une voie et pour eux de la nourriture en abondance. C'est pour eux que ce Mouvement est soutenu par une Volonté unique, la Volonté des Frères Aînés, qui ont apporté ces grandes vérités éternelles, contre vents et marées, afin que l'humanité puisse en bénéficier ; Ils n'attendent aucune récompense, aucune reconnaissance. Ils désirent uniquement que Leurs semblables, Leurs frères plus jeunes, puissent savoir, et comprendre ce qu’Ils savent.
Robert Crosbie
© Textes Théosophiques – Cahier Théosophique n°183.
Note (1) Voir Patanjali, Aphorismes du Yoga, Livre II, verset 20 : « L'âme est le Perceveur : elle est assurément la vision elle-même, pure et simple, non modifiée, et elle perçoit directement les idées ».