– II –
Une autre classe est constituée par ces êtres élémentaux qui ne deviendront jamais des hommes dans le manvantara actuel, mais qui occupent pour ainsi dire un échelon spécial sur l'échelle de l'être et qui, en comparaison avec les autres, peuvent être à juste titre appelés les esprits de la nature, ou les agents cosmiques de la nature, chacun étant confiné à son propre élément et ne transgressant jamais les limites des autres. Ces élémentaux sont ce que Tertullien appela les « princes des pouvoirs de l'air ».
Dans les enseignements des cabalistes orientaux et des alchimistes et rosicruciens occidentaux, on en parle comme des créatures formées par l'évolution dans chacun des quatre règnes — la terre, l'air, le feu et l'eau. Ils sont respectivement appelés gnomes, sylphes, salamandres et ondines. Étant des Forces de la nature, ils produisent des effets soit comme agents serviles de la loi générale, soit en étant employés — comme on l'a montré plus haut — par les esprits désincarnés, purs ou impurs, et par des adeptes vivants de la magie ou de la sorcellerie, pour produire certains phénomènes désirés. De tels êtres ne deviennent jamais des hommes (1).
Sous la désignation générale de fées, ces esprits des éléments apparaissent dans les mythes, les fables, les traditions, ou la poésie de toutes les nations anciennes et modernes. Leurs noms sont légion : péris, devs, djinns, sylvains, satyres, faunes, elfes, nains, gnomes, nornes, nises, kobolds, brownies, neeks, strœmkarls, ondines, nixes, lutins, feux follets, fées, génies des eaux, habitants des marécages, bonnes gens, bons voisins, mégères, hommes de paix, dames blanches et bien d'autres encore. Ils ont été vus, craints, bénis, bannis et invoqués dans toutes les parties du globe et dans tous les âges. Devons-nous admettre que tous ceux qui les ont vus étaient hallucinés ?
Ces élémentaux sont les principaux agents des « coques » désincarnées, mais jamais visibles, qui sont prises pour des esprits aux séances spirites et ils produisent, comme on l'a montré, tous les phénomènes, sauf les phénomènes subjectifs.
Au cours de cet article, nous adopterons le terme « élémental » pour désigner uniquement ces esprits de la nature et sans y attacher l'idée d'un autre esprit ou d'une monade ayant vécu dans une forme humaine.
Comme on l'a déjà dit, les élémentaux n'ont pas de forme, et en essayant de décrire ce qu'ils sont, il est préférable de dire qu'ils sont des « centres de forces » ayant des désirs instinctifs mais pas de conscience telle que nous la comprenons. Par conséquent, leurs actes peuvent être indifféremment bons ou mauvais.
On dit de cette classe qu'elle ne possède qu'un seul des trois principaux attributs de l'homme. Ils n'ont ni esprit immortel, ni corps tangible, mais seulement des formes astrales qui participent à un degré marqué de l'élément auquel ils appartiennent, et aussi de l'éther. Ils sont une combinaison de matière sublimisée et de mental rudimentaire. Certains restent sans changement à travers différents cycles, mais n'ont cependant pas d'individualité séparée, agissant pour ainsi dire collectivement. D'autres, relevant de certains éléments et espèces, changent de forme selon une loi fixe que les cabalistes expliquent. Le plus dense de leurs corps est généralement juste assez immatériel pour ne pas tomber sous la perception de notre vue physique, mais il n'est pas suffisamment non-substantiel pour que la vision intérieure ou clairvoyante ne puisse le distinguer parfaitement.
Non seulement ils existent et peuvent tous vivre dans l'éther, mais encore ils peuvent s'en servir et le diriger pour la production d'effets physiques, aussi facilement que nous pouvons comprimer de l'air ou de l'eau pour le même but au moyen de machines pneumatiques ou hydrauliques ; dans ces opérations, ils sont aidés facilement par les coques ou les élémentaires humains. Plus encore, ils peuvent le condenser de façon à s'en faire des corps tangibles auxquels ils peuvent ensuite, grâce à leurs pouvoirs protéens, faire prendre l'apparence qu'ils désirent, en prenant comme modèles les portraits qu'ils trouvent imprimés dans la mémoire des personnes présentent. Il n'est pas nécessaire que ceux qui assistent à la séance pensent au moment donné à la personne qui est représentée. Son image peut avoir disparu des années auparavant. Le mental reçoit une impression indélébile même de rencontres fortuites ou de personnes avec lesquelles on ne s'est trouvé qu'une fois en relation. Une exposition de quelques secondes de la plaque photographique sensible est tout ce qui est nécessaire pour conserver indéfiniment l'image du sujet et il en est de même pour le mental.
Suivant la doctrine de Proclus, les régions supérieures, depuis le Zénith de l'Univers jusqu'à la Lune, appartiennent aux dieux ou aux esprits planétaires, selon leurs hiérarchies et leurs classes. Les plus élevés parmi eux sont les douze Huper-ouranioi, ou dieux supra-célestes qui ont des légions entières de daïmons subalternes sous leurs ordres. Ils sont immédiatement suivis, en rang et en pouvoir, par les dieux intra-cosmiques, les egkosmioi, dont chacun préside sur un grand nombre de daimons à qui ils communiquent leur pouvoir qu'ils passent à volonté de l'un à l'autre. Il s'agit là évidemment des forces personnifiées de la nature et de leurs corrélations mutuelles, lesquelles sont représentées par la troisième classe — celle des élémentaux que nous venons de décrire.
Proclus montre en outre, d'après le principe de l'axiome hermétique, — des types et des prototypes, — que les sphères inférieures ont leurs subdivisions et leurs classes d'êtres comme les sphères supérieures célestes, les premières étant toujours subordonnées aux plus élevées. Il maintient que les quatre éléments sont tous peuplés de daïmons, et assure, comme Aristote, que l'univers est plein et qu'il n'y a pas de vide dans la nature. Les daïmons de la terre, de l'air, du feu et de l'eau sont d'une essence élastique, éthérée et semi-corporelle. Ce sont ces classes qui servent d'agents intermédiaires entre les dieux et les hommes. Bien qu'inférieurs en intelligence au sixième ordre des Daïmons supérieurs, ces êtres président directement aux éléments et à la vie organique. Ils dirigent la croissance, la floraison, les propriétés et les divers changements des plantes. Ils sont les idées ou vertus personnifiées de la divine Hylê (matière primordiale) dans la matière inorganique ; et comme le règne végétal est d'un degré plus élevé que le minéral, ces émanations des dieux célestes prennent forme et vie dans la plante et deviennent son âme. C'est ce que la doctrine d'Aristote appelle la forme dans les trois principes des corps naturels, classifiés par lui comme étant la privation, la matière et la forme. Sa philosophie enseigne qu'à côté de la matière originelle un autre principe est nécessaire pour compléter la nature triple de chaque particule : c'est la forme ; il s'agit d'un être invisible mais cependant, dans le sens ontologique du mot, substantiel, vraiment distinct de la matière proprement dite. Ainsi, dans un animal ou dans une plante — à côté des os, de la chair, des nerfs, du cerveau et du sang pour l'animal, de la pulpe, des tissus, des fibres et de la sève pour la plante — sang et sève qui, en circulant dans les veines et les fibres nourrissent toutes les parties de l'animal ou de la plante — et à côté des esprits animaux, qui sont les principes du mouvement, et de l'énergie chimique qui est transformée en énergie vitale dans la feuille verte, il doit y avoir une forme substantielle qu'Aristote appelle dans le cheval, l'âme du cheval, Proclus, le daïmon de tout minéral, plante ou animal, et les philosophes médiévaux, les esprits élémentaires des quatre règnes.
Dans notre siècle, tout ceci est considéré comme « métaphysique poétique » et superstition grossière. Cependant sur la base de principes strictement ontologiques, il y a dans ces vieilles hypothèses une trace de probabilité, une certaine clé aux chaînons manquants si controversés par la science exacte. Celle-ci est devenue dernièrement si dogmatique que tout ce qui se trouve au-delà de la connaissance de la science inductive est taxé d'imaginaire ; et nous trouvons le Professeur Joseph Le Conte affirmant que quelques-uns des meilleurs savants « tournent en ridicule l'emploi du terme " force vitale " ou vitalité, comme étant un restant de superstition » (2). De Candolle suggère le terme « mouvement vital » au lieu de force vitale (3), préparant ainsi un saut scientifique définitif qui transformera l'homme pensant immortel en un automate muni d'un mouvement d'horlogerie intérieur. « Mais », objecte Le Conte, « pouvons-nous concevoir le mouvement sans force ? Et si le mouvement est particulier, il en est de même de la forme de la force. »«»
Dans la Cabale juive, les esprits de la nature étaient désignés sous le nom générique de shedim et divisés en quatre classes. Les Hindous les appellent bhûta et deva, les Persans les nommaient tous dev, et les Grecs, sans faire de nuance, daïmons ; les Égyptiens les connaissaient comme afrites. Les anciens Mexicains, nous dit Kaiser, croyaient en l'existence de nombreuses demeures des esprits ; dans l'une de celles-ci les ombres des enfants innocents s'y trouvaient jusqu'à leur délivrance ; dans une autre, située dans le soleil, montaient les âmes vaillantes des héros, tandis que les spectres hideux des pécheurs incorrigibles étaient condamnés à errer désespérés dans des lieux souterrains, enchaînés dans le sein de l'atmosphère terrestre, sans vouloir ni pouvoir se libérer. Ceci prouve d'une façon très claire que les anciens Mexicains connaissaient en partie les doctrines du kâma loka. Les spectres passaient leur temps à communiquer avec les mortels et à effrayer ceux qui pouvaient les voir. Certaines tribus africaines les connaissent sous le nom de yowahous. Dans le panthéon indien, comme nous l'avons souvent fait remarquer, il n'y a pas moins de 330 000 000 de sortes différentes d'esprits, y compris les élémentaux, dont certains étaient appelés daitya par les Brahmanes. Les adeptes savent que ces êtres sont attirés vers certaines régions des cieux par quelque influence manifestant la même propriété mystérieuse qui fait tourner l'aiguille aimantée vers le nord et obéir certaines plantes à la même attraction. Si nous voulons bien nous rappeler le fait que le mouvement rapide des planètes dans l'espace doit créer nécessairement un trouble aussi profond dans le milieu plastique et raréfié de l'éther que le passage d'un boulet de canon dans l'air ou celui d'un bateau dans l'eau, mais sur une échelle cosmique, nous pourrons comprendre, si l'on admet que nos principes sont justes, que certains « aspects » planétaires peuvent produire une agitation beaucoup plus violente et mettre en mouvement des courants beaucoup plus forts dans une direction donnée que d'autres. Nous pouvons aussi voir pourquoi selon les différents aspects des étoiles, ces légions d'élémentaux amicaux ou hostiles peuvent être précipités sur le plan de notre atmosphère ou dans une certaine partie de celle-ci et rendre le fait tangible par les effets qui s'ensuivent. Si nos astronomes royaux peuvent parfois prédire des cataclysmes tels que des tremblements de terre et des inondations, les astrologues et les mathématiciens de l'Inde peuvent le faire et l'ont fait avec encore beaucoup plus de précision et d'exactitude en se servant de données qui apparaîtraient parfaitement ridicules à nos sceptiques modernes. On admet aussi que les diverses classes d'esprits ont une sympathie spéciale pour certains tempéraments humains et peuvent agir plutôt sur les uns que sur les autres ; ainsi une personne bilieuse, lymphatique, nerveuse ou sanguine serait affectée favorablement ou défavorablement par les conditions des corps planétaires. Ayant atteint ce principe général, après avoir noté des observations s'étendant sur une série indéfinie d'années ou d'âges, il doit suffire à l'astrologue-adepte de connaître les aspects planétaires à une date antérieure donnée et d'appliquer sa connaissance des changements successifs des corps célestes, pour pouvoir suivre avec une exactitude approximative, les fortunes changeantes de la personne dont l'horoscope est demandé, et même prédire l'avenir. Bien entendu, l'exactitude de l'horoscope ne dépend pas moins des connaissances astronomiques de l'astrologue que de sa connaissance des forces occultes et des classes d'esprits de la nature.
Pythagore enseigne que l'univers tout entier est une vaste série de combinaisons mathématiques correctes, et, pour Platon, la Déité géométrise. Le monde est soutenu par la même loi d'équilibre et d'harmonie que celle sur laquelle il fut construit. La force centripète ne pourrait pas se manifester sans la force centrifuge dans les révolutions harmonieuses des sphères ; toutes les formes sont le produit de cette force double dans la nature. Ainsi, pour illustrer notre cas, nous pouvons assimiler l'esprit à l'énergie spirituelle centrifuge et l'âme à l'énergie spirituelle centripète. Lorsqu'elles sont en harmonie parfaite, ces deux forces produisent un résultat ; brisez ou empêchez le mouvement centripète de l'âme terrestre tendant vers le centre qui l'attire ; arrêtez son progrès en la chargeant d'un poids de matière plus lourd que celui qu'elle peut porter et l'harmonie du tout qui était sa vie est détruite. La vie individuelle ne peut se poursuivre que soutenue par cette force double. La moindre perturbation de cette harmonie l'endommage et, lorsqu'elle est détruite au-delà de toute rédemption, les forces se séparent et la forme est graduellement annihilée. Après la mort des dépravés et des méchants arrive le moment critique. Si, pendant la vie, le dernier effort désespéré que fait le soi intérieur pour se réunir à la lueur vacillante de sa monade divine est négligé ; s'il est permis à la croûte de plus en plus dense de matière d'empêcher progressivement cette faible lueur de la traverser, l'âme, une fois libérée du corps, suit ses attractions, terrestres, attirée puis maintenue magnétiquement dans les brouillards épais de l'atmosphère matérielle du käma loka. Elle commence alors à sombrer de plus en plus bas jusqu'à ce qu'elle se trouve, quand elle est revenue à la conscience, dans ce que les anciens nommaient le Hadès, et nous avîchi. L'annihilation d'une telle âme n'est jamais instantanée ; elle peut durer des siècles peut-être, car la nature ne procède jamais par sauts ni par bonds et l'âme astrale de la personnalité étant formée d'éléments, la loi d'évolution requiert un certain temps pour son œuvre. Alors commence la terrible loi de compensation, le yin-youan des initiés bouddhistes.
Cette classe d'esprits est appelée les « terrestres » ou « élémentaires terrestres » par opposition aux autres classes, comme nous l'avons montré au début. Mais il existe encore une autre classe bien plus dangereuse. En Orient, il en est question sous le nom de « Frères de l'Ombre » . Ce sont des hommes vivants, possédés par les élémentaires attachés à la terre ; quelquefois, ces hommes sont leurs maîtres, mais ils finissent toujours par devenir les victimes de ces terribles êtres. Au Sikkim et au Tibet, on les appelle dugpas (bonnets rouges) par opposition aux gelugpas (bonnets jaunes) auxquels la plupart des adeptes appartiennent. Nous devons ici prier le lecteur de ne pas interpréter ceci faussement, car bien que tout le Bhoutan et le Sikkim appartiennent à l'ancienne religion des bhons, généralement connus maintenant sous le nom de dugpas, nous ne voulons pas dire que toute la population soit possédée, en masse, ou que tous les gens soient des sorciers. Parmi eux, on peut trouver des hommes aussi bons que n'importe où ailleurs et nous ne parlons ici que de « l'élite » de leurs lamaseries, d'un noyau de prêtres, de « danseurs du diable » et d'adorateurs de fétiches dont les rites épouvantables et mystérieux sont absolument inconnus de la plus grande partie de la population. Ainsi il y a deux classes de ces terribles « Frères de l'Ombre », les vivants et les morts. Les uns et les autres, rusés, bas, vindicatifs, cherchent à reporter leurs souffrances sur l'humanité ; ils deviennent, jusqu'à l'annihilation finale, des vampires, des goules et des acteurs de premier plan dans les séances spirites. Ce sont les « stars » des grands spectacles spirites de « matérialisation », phénomènes qu'ils accomplissent avec l'aide des plus intelligentes parmi les authentiques créatures « élémentales », qui flottent autour d'eux et les accueillent avec délice dans leurs propres sphères. Henry Khunrath, le grand cabaliste allemand, dans son ouvrage rare Amphitheatrum Sapientiæ Æternæ, a inséré une planche qui illustre les quatre classes de ces « esprits élémentaires » humains. Dès que l'adepte a passé le seuil du sanctuaire de l'initiation, lorsqu'il a soulevé le voile d'Isis, la Déesse mystérieuse et jalouse, il n'a plus rien à craindre, mais avant ce moment, il reste en danger constant.
Les mages et les philosophes théurgiques s'élevaient très énergiquement contre « l'évocation des âmes ». « Ne la (l'âme) faites pas venir, de crainte qu'en repartant elle n'emmène quelque chose », dit Psellos. « II ne vous sied pas de les contempler avant que votre corps ne soit initié car, par l'effet d'une tromperie constante, elles séduisent les âmes de ceux qui ne sont pas initiés », dit encore le même philosophe.
Ces philosophes s'élevaient contre de telles évocations pour diverses bonnes raisons : 1° il est extrêmement difficile de distinguer un bon daïmon d'un mauvais, dit Jamblique. 2° Si la coque d'un homme bon réussit à pénétrer la densité de l'atmosphère terrestre - toujours oppressive, souvent répugnante - il y a cependant un danger qu'elle ne peut éviter : l'âme ne peut pas venir à proximité du monde matériel « sans en retenir quelque chose en repartant », c'est-à-dire qu'elle souille sa pureté, ce dont elle a plus ou moins à souffrir après son départ. Par conséquent, le véritable théurgiste évitera de causer plus de souffrance à un pur habitant des sphères supérieures qu'il n'est absolument nécessaire dans l'intérêt de l'humanité. Il n'y a que les praticiens de la magie noire ― tels que les dugpas du Bhoutan et du Sikkim ― qui, par de puissantes incantations de nécromancie, forcent la présence des âmes souillées d'êtres ayant eu des vies mauvaises, et qui sont disposés à les aider dans leurs desseins égoïstes.
En ce qui concerne les rapports avec l'Augoeides par les pouvoirs médiumniques des médiums subjectifs, nous abordons ailleurs le sujet.
Les théurgistes employaient des produits chimiques et des substances minérales pour chasser les mauvais esprits. Parmi ces dernières, une pierre appelée Mnizurin était l'un des agents les plus puissants. « Lorsque vous verrez un daïmon terrestre s'approcher, sacrifiez la pierre Mnizurin » , dit un oracle zoroastrien. (Psel., 40).
Ces « daïmons » cherchent à s'introduire dans les corps des simples d'esprit et des idots et y restent jusqu'à ce qu'ils en soient expulsés par une volonté puissante et pure. Jésus, Appollonius et certains des apôtres avaient le pouvoir de chasser les esprits en purifiant l'atmosphère à l'intérieur et autour du patient, de façon à obliger cet indésirable occupant à s'enfuir. Certains sels volatils leur sont particulièrement contraires. Zoroastre se voit confirmé à ce point de vue par M. C.F. Varley et la science antique est confirmée par la science moderne. Les effets de certains produits chimiques mis dans une soucoupe et placés sous le lit par M. Varley, de Londres (4), dans le but d'éviter la nuit certains phénomènes physiques désagréables confirment cette grande vérité. Les esprits humains purs ou même simplement inoffensifs n'ont rien à craindre, car s'étant libérés de la matière terrestre, des composés terrestres ne peuvent les influencer en aucune façon. De tels esprits sont semblables à un souffle. Il n'en est pas de même des âmes liées à la terre et des esprits de la nature.
C'est pour ces larves charnelles et terrestres, ces esprits humains dégradés, que les anciens cabalistes entretenaient un espoir de réincarnation, mais quand et comment ? À un moment favorable, si l'âme est aidée par le désir sincère de son amélioration et de son repentir nourri par quelques personnes fortes et sympathisantes, ou si intervient la volonté d'un adepte, ou même un désir émanant de l'esprit errant lui-même, pourvu qu'il soit assez fort pour lui faire rejeter son fardeau de matière pécheresse. Perdant toute conscience, la monade, jadis brillante, est attirée une fois de plus dans le tourbillon de notre évolution terrestre et repasse à travers les règnes inférieurs et respire à nouveau comme un enfant vivant. Calculer le temps nécessaire pour tout ce processus serait impossible et, puisqu'il n'y a pas de perception de temps dans l'éternité, la tentative serait simplement un pur gaspillage de travail. Porphyre dit en parlant des élémentaires :
« Depuis longtemps ces êtres invisibles reçoivent des honneurs comme des dieux de la part des hommes ; selon une croyance universelle, ils seraient capables de devenir très malveillants ; cela prouve que leur haine est dirigée contre ceux qui négligent de leur rendre un culte légitime » (5).
Homère les décrit dans les termes suivants :
« Nos dieux nous apparaissent lorsque nous leur offrons des sacrifices... s'asseyant a nos tables, ils partagent nos festins. Chaque fois qu'ils rencontrent dans ses voyages un Phénicien solitaire, ils lui servent de guides et manifestent leur présence d'autre façon. Nous pouvons dire que notre piété nous rapproche d'eux autant que le crime et le meurtre sanglant unissent les Cyclopes et la race féroce des Géants » (6).
Ceci prouve que ces dieux étaient des daïmons bons et bienfaisants et, qu'ils aient été des esprits désincarnés ou des élémentaux, ils n'étaient pas pour cela des « diables ».
Le langage de Porphyre, qui était lui-même un disciple direct de Plotin, est encore plus explicite en ce qui concerne la nature de ces esprits :
« Les daïmons sont invisibles mais ils savent se revêtir de formes et de configurations sujettes à de nombreuses variations, ce qui peut être expliqué par le fait que leur nature a beaucoup de corporel en elle-même. Leur demeure se trouve dans le voisinage de la terre... et lorsqu'ils peuvent échapper à la surveillance des bons daïmons, il n'y a pas de crimes qu'ils n'osent commettre. Un jour, ils emploient la force brutale ; un autre jour, la ruse » (7).
II dit plus loin :
« C'est un jeu d'enfant pour eux d'éveiller en nous de viles passions, de donner aux sociétés et aux nations des doctrines dangereuses, de provoquer des guerres et des révoltes et autres calamités publiques et de dire ensuite que « tout ceci est l'œuvre des dieux... » Ces esprits passent leur temps à tromper les mortels, créant autour d'eux des illusions et des prodiges ; leur plus grande ambition est d'être pris pour des dieux et des âmes (esprits désincarnés) » (8).
Jamblique, grand théurgiste de l'École néo-platonicienne et homme habile dans la magie sacrée, déclare :
« Les bons daïmons nous apparaissent en réalité, tandis que les mauvais ne peuvent se manifester que sous la forme brumeuse de fantômes. »
Plus loin, il confirme ce que dit Porphyre et explique :
« Les bons ne craignent pas la lumière tandis que les mauvais ont besoin des ténèbres... Les sensations qu'ils excitent en nous nous font croire à la présence et à la réalité des choses qu'ils nous montrent, bien que celles-ci soient absentes » (9).
Même les théurgistes les plus entraînés coururent parfois des dangers dans leurs rapports avec certains élémentaires, et nous voyons que Jamblique écrit :
« Les dieux, les anges et les daïmons, de même que les âmes, peuvent être appelés par l'évocation et la prière... Mais si, au cours d'opérations théurgiques, une erreur est faite, attention ! N'imaginez pas que vous communiquez avec des divinités bienveillantes qui ont répondu à votre prière sincère ; non, car ce sont de mauvais daïmons sous le déguisement de bons ! Car les élémentaires prennent souvent l'apparence des bons daïmons et prétendent à un rang bien supérieur à celui qu'ils occupent en réalité. Leur vantardise les dénonce ! » (10).
Les anciens, qui ne désignaient que quatre éléments, firent de l'éther un cinquième et, du fait que son essence est rendue divine par l'invisible présence, ils le considéraient comme un intermédiaire entre ce monde et le suivant. Ils affirmaient que lorsque les intelligences directrices se retiraient d'une partie quelconque de l'éther, (l'un des quatre règnes soumis à leur surveillance) l'espace était abandonné à la possession du mal. Un adepte qui se préparait à converser avec l' « invisible » devait bien connaître son rituel et être parfaitement au courant des conditions requises pour l'équilibre parfait des quatre éléments dans la lumière astrale. Tout d'abord, il devait purifier l'essence et, dans le cercle où il cherchait à attirer les esprits purs, équilibrer les éléments, de façon à éviter l'intrusion des élémentaux dans leurs sphères respectives. Mais malheur au chercheur imprudent pénétrant sans le savoir sur un terrain défendu ! Dans ce cas le danger l'entoure à chaque pas ; il évoque des puissances qu'il ne peut maîtriser, il éveille des sentinelles qui ne laissent passer que leurs maîtres, car selon les termes du rosicrucien immortel :
« Une fois que tu as résolu de devenir le coopérateur de l'esprit du Dieu vivant, prends soin de ne pas Le gêner dans Son œuvre, car, si ta chaleur dépasse la proportion naturelle, tu as éveillé la colère des natures humides (11) et elles s'élèveront contre le feu central et le feu central contre elles et il y aura une division terrible dans le chaos » (12).
L'esprit d'harmonie et d'union n'existe plus dans les éléments dérangés par la main imprudente et les courants de forces aveugles sont immédiatement infestés par d'innombrables créatures de matière et d'instinct — les mauvais démons des théurgistes, les diables de la théologie ; les gnomes, les salamandres, les sylphes et les ondines assaillent sous des formes aériennes multiples l'expérimentateur maladroit. Incapable d'inventer quoi que ce soit, ils fouillent votre mémoire jusque dans ses dernières profondeurs ; de là, la dépression nerveuse et l'oppression mentale de certaines natures sensitives aux séances spirites. Les élémentaux ramènent au jour des souvenirs du passé oubliés depuis longtemps, des formes, des images, de doux souvenirs et des sentences familières, sortis depuis longtemps de notre souvenir, mais fidèlement conservés dans les inscrutables profondeurs de notre mémoire et dans les tablettes astrales du « Livre de Vie » impérissable.
L'auteur du système de philosophie des Homoeoméries, Anaxagore de Clazomène, croyait fermement que les prototypes spirituels de toutes les choses ainsi que leurs éléments devaient se trouver dans l'éther sans limite où ils étaient engendrés, d'où ils évoluaient et où ils retournaient lorsqu'ils revenaient de la terre. De même que les Hindous qui avaient personnifié leur Akâsha et en avaient fait une entité déifiée, les Grecs et les Latins avaient déifié l'Æther. Virgile appelle Zeus, Pater Omnipotens Æther (13), Magnus, le Grand Dieu, l'Éther.
Ces êtres, les esprits élémentaux des cabalistes (14) sont ceux que le clergé chrétien dénonce comme étant les « diables », les ennemis de l'humanité !
H.P. Blavatsky
Article publié dans la revue Lucifer, d’août 1893. © Textes Théosophiques, Cahiers Théosophiques n°51-52.
Notes
(1) Les personnes qui croient au pouvoir de la clairvoyance, mais qui sont peu portées à croire à l'existence dans la nature d'autres esprits que les esprits humains désincarnés seront certainement intéressées par le récit de certaines observations de clairvoyance qui furent publiées dans le Spiritualist de Londres, du 29 juin 1877. À l'approche d'un orage, la voyante vit « un esprit brillant émerger d'un nuage sombre et passer à travers le ciel avec la vitesse de l'éclair, suivi quelques minutes plus tard d'une ligne diagonale d'esprits sombres, dans les nuages ». Ce sont les marut des Veda.
La conférencière, auteur et clairvoyante bien connue, Mrs Emma Hardinge Britten a publié des récits de ses fréquentes expériences avec ces esprits élémentaux. Si les spirites acceptent ses expériences « spirituelles », ils pourront difficilement rejeter ses témoignages en faveur des théories occultes
(2) Corrélation des forces vitales avec les forces chimiques et physiques, par J. Le Conte.
(3) Archives des Sciences, XIV. 345. Décembre 1872.
(4) M. Cromwell F. Varley, le savant électricien bien connu, de l'Atlantic Cable Company, communiqua le résultat de ses observations au cours d'un débat à la Société Psychologique de Grande-Bretagne, qui est publié dans le Spiritualist (Londres, 14 avril 1876 ; pages 174-175). Il pensa que les effets de l'acide nitrique libre dans l'atmosphère pouvaient chasser ce qu'il appelait « les esprits désagréables. II pensa que ceux qui étaient dérangés chez eux par des esprits désagréables trouveraient un remède en versant une once de vitriol sur deux onces de salpêtre en poudre fine dans une soucoupe et en mettant le tout sous le lit. Voici un savant dont la réputation s'étend sur deux continents, qui donne une recette pour chasser les esprits mauvais ; et cependant le grand public se moque comme d'une « superstition » des herbes et des encens employés dans le même but par les Hindous, les Chinois les peuplades de l'Afrique et d'autres races !
(5) Des sacrifices aux Dieux et aux Daïmons, (chapitre II).
(6) Odyssée, VII.
(7) Porphyre, Des sacrifices aux Dieux et aux Daïmons, chap. II.
(8) Ibid.
(9) Jamblique, De Mysteriis Egyptorum.
(10) Ibid., Sur la différence entre les Daïmons, les Âmes, etc…
(11) [1] « Moyst natures ». Nous donnons ici les mots avec l'orthographe de ce cabaliste, qui vécut et publia ses ouvrages au dix-septième siècle. Il est généralement considéré comme l'un des plus célèbres alchimistes parmi les philosophes hermétiques.
(12) Les plus positifs des philosophes matérialistes sont d'accord sur ce point que tout ce qui existe évolua de l'éther ; il s'ensuit que l'air, l'eau, la terre et le feu, les quatre éléments primordiaux, doivent découler aussi de l'éther et du chaos, la première duade ; tous les impondérables, qui sont maintenant connus ou non, procèdent de la même source. S'il y a une essence spirituelle dans la matière et que cette essence l'oblige à se mouler selon des millions de formes individuelles, pourquoi est-il illogique d'affirmer que chacun de ces royaumes spirituels dans la nature est peuplé d'êtres évolués de ses propres matériaux ? La chimie nous enseigne que dans le corps de l'homme il y a de l'air, de l'eau, de la terre et de la chaleur ou feu — l'air est présent dans ses composants ; l'eau dans les sécrétions ; la terre dans les constituants inorganiques et le feu dans la chaleur animale. Le cabaliste sait par expérience qu'un esprit élémental contient seulement l'un de ceux-ci et que chacun des quatre règnes a ses esprits élémentaux particuliers. L'homme étant plus élevé qu'eux, la loi d'évolution se trouve illustrée par la combinaison des quatre en lui-même.
(13) Virgile, Georgiques, livre II.
(14) Porphyre et d'autres philosophes expliquent la nature de ces habitants : ils sont méchants et trompeurs, bien que certains soient parfaitement doux et inoffensifs, mais si faibles qu'ils ont la plus grande difficulté à communiquer avec les mortels dont ils recherchent constamment la compagnie. Les premiers ne sont pas mauvais sciemment. La loi d'évolution spirituelle n'ayant pas encore transformé leur instinct en intelligence dont la lumière la plus haute n'appartient qu'aux esprits immortels, leurs pouvoirs de raisonnement sont à l'état latent et ils sont donc eux-mêmes irresponsables.
Mais l'Église Latine contredit les cabalistes. St. Augustin a même à ce sujet une discussion l'opposant à Porphyre, le néo-platonicien. « Ces esprits » dit-il, « sont trompeurs, non de par leur nature comme le prétend Porphyre le théurgiste, mais par méchanceté. Ils se font passer pour des dieux et pour les âmes des défunts ». (Civit. Dei. X. 2). Jusqu'ici, Porphyre est d'accord avec lui ; « mais ils ne prétendent pas être des démons (lisez des diables) car c'est ce qu'ils sont en réalité » , ajoute l'Êvêque d'Hippone. Jusqu'ici, tout est correct et il a raison. Mais alors dans quelle classe placer les hommes sans tête que St. Augustin nous dit avoir vus ; ou les satyres de St. Jérôme qui, nous dit-il, furent montrés pendant très longtemps à Alexandrie ? C'étaient nous dit-il, « des hommes avec des pattes et des queues de chèvres » ; et si nous l'en croyons, un de ces satyres fut mis en conserve et envoyé dans une caisse à l'Empereur Constantin ! ! !