– III –
Dans ce monde, toute chose organisée, visible ou invisible, a un élément qui lui est approprié. Le poisson vit et respire dans l'eau ; la plante absorbe l'acide carbonique qui provoquerait la mort des animaux et des hommes ; certains êtres sont organisés pour les couches d'air raréfié d'autres existent seulement dans les couches les plus denses. La vie de certains dépend du soleil, celle d'autres des ténèbres et ainsi la sage économie de la nature adapte à toute condition existante une forme vivante. Ces analogies nous permettent de conclure que non seulement il n'y a pas de partie inoccupée dans la nature universelle, mais également que, pour chaque chose qui possède la vie, des conditions spéciales sont fournies et, étant fournies, elles sont nécessaires. Maintenant, en admettant que l'univers a un côté invisible, cette caractéristique habituelle de la nature permet de déduire que ce second aspect est occupé comme le premier et que chaque espèce d'occupants se trouve dans les conditions indispensables à son existence. Il est aussi illogique de supposer que des conditions semblables sont fournies à tous qu'il le serait de maintenir une théorie semblable au sujet des habitants du domaine de la nature visible. Le fait qu'il existe des « esprits » implique qu'il en existe une grande diversité ; car les hommes diffèrent et les « esprits » humains ne sont que des hommes désincarnés.
II est aussi absurde de dire que tous les « esprits » sont semblables, adaptés à la même atmosphère, doués des pouvoirs semblables ou dirigés par les mêmes attractions — électrique, magnétique, odique, astrale, peu importe — qu'il serait absurde de dire que toutes les planètes ont la même nature ou que tous les animaux sont amphibies ou que tous les hommes peuvent être nourris avec les mêmes aliments. Tout d'abord, ni les élémentaux, ni les élémentaires eux-mêmes ne peuvent être appelés des « esprits ». Il est raisonnable de supposer que, de tout cet ensemble d'êtres, les natures les plus grossières doivent être ravalées dans les plus grandes profondeurs de l'atmosphère spirituelle, ou, en d'autres termes, se trouver le plus près de la terre. Inversement, les plus pures doivent en être les plus éloignées. Dans ce que nous pourrions appeler — si nous pouvions forger un mot nouveau — la « psychomatique » de l'occultisme, il est aussi peu soutenable de prétendre que l'une quelconque de ces sortes d'êtres éthérés puisse occuper la place d'une autre, ou vivre dans les conditions qui conviennent à cette autre, qu'il le serait en hydraulique de supposer que deux liquides de densités différentes puissent échanger les degrés mesurés pour chacun d'eux sur l'aréomètre de Baumé.
Görres, décrivant une conversation qu'il eut avec des Hindous de la côte de Malabar, rapporte que, leur ayant demandé s'ils avaient des esprits parmi eux, ils répondirent :
« Oui, mais nous savons que ce sont de mauvais bhûta (esprits, ou plutôt des entités « vides », des « coques ») ... ceux qui sont bons ne peuvent pour ainsi dire jamais apparaître. Ce sont surtout les esprits des suicidés et des assassins ou de ceux qui moururent de morts violentes. Ils restent constamment autour de nous et apparaissent sous forme de fantômes. La nuit leur est favorable. Ils séduisent les hommes faibles d'esprit et tentent les autres de mille façons différentes. » (1)
Porphyre nous présente des faits horribles dont l'exactitude est confirmée par l'expérience de tout étudiant de la magie. Il écrit :
« L'âme (2) ayant, même après la mort, une certaine affection pour son corps, une affinité proportionnée à la violence avec laquelle leur union fut brisée, nous voyons de nombreux esprits planant, désespérés, autour de leurs restes terrestres. Nous les voyons même cherchant avec avidité les restes putréfiés d'autres cadavres, mais c'est surtout le sang fraîchement répandu qui semble leur donner pour un moment quelques-uns des pouvoirs de la vie. » (3)
Bien que les spirites les discréditent tant, ces esprits de la nature — de même que les « élémentaires », ou les « coques vides », comme les Hindous les appellent — sont des réalités. Si les gnomes, les sylphes, les salamandres et les ondines des Rose-Croix existaient de leurs jours, ils doivent exister maintenant. Le « Gardien du Seuil » de Bulwer Lytton est une conception moderne modelée sur l'ancien type du Sulanuth des Hébreux et des Égyptiens qui est mentionné dans le Livre de Jasher (4)
Les chrétiens ont grand tort de les traiter sans discrimination comme des « diables », des « suppôts de Satan » et de leur donner d'autres noms de même espèce. Les élémentaux ne sont pas du tout cela, mais simplement des créatures de matière éthérée, irresponsables et ni bons, ni mauvais, à moins qu'ils ne soient influencés par une intelligence supérieure. Il est vraiment extraordinaire d'entendre des catholiques dévôts les accuser à tort et se faire une idée complètement fausse sur ce que sont ces esprits de la nature, alors que l'une de leurs plus grandes autorités, Clément d'Alexandrie, a décrit ces créatures telles qu'elles sont réellement. Clément, qui a peut-être été un théurgiste en même temps qu'un néoplatonicien, et pouvait donc parler en connaissance de cause, fait remarquer qu'il est absurde de les appeler des diables (5) alors que ce sont simplement des anges inférieurs : « des pouvoirs qui habitent les éléments, qui font souffler le vent et distribuent les pluies et qui, comme tels, sont les agents de Dieu et lui sont soumis. » (6). Origène qui, avant de devenir chrétien, avait aussi appartenu à l'École platonicienne, partage cette opinion. Porphyre, comme nous l'avons vu, décrit ces daïmons, plus soigneusement que quiconque.
La Doctrine Secrète enseigne que l'homme, s'il gagne l'immortalité, restera à jamais la trinité septuple qu'il est dans la vie et continuera ainsi à travers toutes les sphères. Le corps astral qui, dans cette vie, est recouvert d'une enveloppe physique grossière, devient à son tour — lorsqu'il est débarrassé de cette couverture par le processus de la mort corporelle, — la coque d'un autre corps plus éthéré. Celui-ci commence à se développer au moment de la mort et devient parfait lorsque le corps astral de la forme terrestre s'en sépare finalement. Ce processus, dit-on, est répété à chaque nouvelle transition d'une sphère de vie à une autre. Mais l'âme immortelle, « l'étincelle d'argent », observée par le Dr. Fenwick dans le cerveau de Margrave (dans Strange Story de Bulwer-Lytton) et qui ne se trouve pas dans les animaux, ne change jamais, mais reste à l'abri de l'atteinte de « tout ce qui peut briser son tabernacle ». Les descriptions données par Porphyre, Jamblique et d'autres sur les esprits des animaux qui habitent la lumière astrale sont confirmées par celles de nombreux clairvoyants, les plus dignes de foi et les plus intelligents. Quelquefois, les formes animales en étant matérialisées sont même rendues visibles aux personnes d'un cercle spirite. Dans son livre People from the Other World H. S. Oclott décrit un écureuil matérialisé qui suivit une femme-esprit à la vue de tous les spectateurs, qui disparut et réapparut à leurs yeux plusieurs fois et qui finalement suivit l'esprit dans un placard. Les faits donnés dans la littérature spirite moderne sont nombreux et beaucoup d'entre eux sont dignes de foi.
En ce qui concerne l'esprit humain, les notions des plus anciens philosophes et des cabalistes médiévaux, tout en différant dans certains détails, étaient d'accord dans l'ensemble et la doctrine des uns peut être considérée comme étant la doctrine des autres. La différence la plus importante tenait à la localisation de l'esprit immortel ou divin de l'homme. Tandis que les anciens néoplatoniciens considéraient que l'Augoeides ne descend jamais hypostatiquement dans l'homme vivant, mais seulement projette plus ou moins sa radiation sur l'homme intérieur — l'âme astrale — les cabalistes du Moyen Âge affirmaient que l'esprit, se détachant de l'océan de lumière et d'esprit, entrait dans l'âme de l'homme où il demeurait emprisonné durant la vie dans la capsule astrale. Cette différence était due à la croyance des cabalistes chrétiens qui prenaient plus ou moins à la lettre l'allégorie de la chute de l'homme. L'âme, disaient-ils, devint, par la « chute d'Adam », contaminée par le monde de matière, ou Satan. Avant qu'elle ne puisse paraître devant l'Éternel, avec l'esprit divin qu'elle contient, elle devait se purifier des impuretés des ténèbres. Ils comparaient :
« ... l'esprit emprisonné dans l'âme à une goutte d'eau enfermée dans une capsule de gélatine et jetée dans l'océan ; aussi longtemps que la capsule reste intacte, la goutte d'eau reste isolée ; brisez l'enveloppe et la goutte devient une partie de l'océan, — son existence individuelle cesse. Il en est de même pour l'esprit. Aussi longtemps qu'il est enfermé dans son intermédiaire plastique, ou âme, il a une existence individuelle ; brisez la capsule — ce qui peut être produit par les souffrances d'une conscience atrophiée par le crime ou une maladie morale — et l'esprit retourne à sa demeure primitive. C'en est fait de son individualité ».
D'autre part, les philosophes qui expliquaient « la chute dans la génération » à leur façon considéraient que l'esprit était absolument différent de l'âme. Ils pensaient que sa présence dans la capsule astrale se limitait aux émanations ou rayons spirituels de « l'être brillant ». L'homme et son âme spirituelle ou la monade — c'est-à-dire l'esprit et son véhicule — devaient conquérir leur immortalité en s'élevant vers l'unité à laquelle, s'ils y parvenaient, ils étaient finalement reliés, puis absorbés pour ainsi dire dans son sein. L'individualisation de l'homme après la mort dépendait de l'esprit et non de son âme astrale ou humaine — Manas et son véhicule kâmarûpa — ni du corps. Bien que le mot « personnalité » , dans le sens dans lequel on le comprend généralement, soit une absurdité lorsqu'on l'applique littéralement à notre essence immortelle, cette dernière est cependant une entité distincte, immortelle et éternelle per se, et lorsque (comme c'est le cas pour des criminels sans rédemption possible) le fil brillant qui relie l'esprit à l'âme depuis la naissance de l'enfant est violemment coupé et que l'entité personnelle désincarnée est abandonnée pour partager le sort des animaux inférieurs, se dissoudre graduellement dans l'éther, et tomber dans le terrible état d'avîchi ou disparaître entièrement dans la huitième sphère où toute la personnalité est annihilée — même alors, l'esprit reste un être distinct. Il devient un esprit planétaire, un ange, car les dieux des païens ou les archanges des chrétiens, les émanations directes de la Cause Unique, ne furent jamais et ne deviendront jamais des hommes, tout au moins sur notre planète, en dépit des affirmations audacieuses de Swedenborg.
Cette spécialisation a été de tout temps la pierre d'achoppement des métaphysiciens. Tout l'ésotérisme de la philosophie bouddhiste est basé sur cet enseignement mystérieux compris par si peu de personnes et si profondément défiguré par beaucoup de nos plus grands érudits.
Même les métaphysiciens sont trop enclins à confondre l'effet avec la cause. Une personne peut avoir gagné sa vie immortelle et rester le même soi intérieur qu'elle était sur terre à travers toute l'éternité ; mais ceci n'implique pas nécessairement qu'elle doive rester soit le M. Dupont ou Durand qu'elle était sur terre, ou perdre son individualité. Par conséquent, l'âme astrale, c'est-à-dire la personnalité, comme le corps terrestre et la portion inférieure de l'âme humaine de l'homme, peut, dans le sombre au-delà, être absorbée dans l'océan cosmique des éléments sublimés et cesser de sentir son individualité personnelle, si cette dernière ne mérite pas de s'élever plus haut, et l'esprit divin ou l'individualité spirituelle peut rester une entité inchangée, bien que cette expérience terrestre de ses émanations puisse être totalement effacée au moment de la séparation avec son indigne véhicule.
Si « l'esprit », ou la partie divine de l'âme, préexiste de toute éternité comme un être distinct, comme Origène, Synésius et d'autres Pères et philosophes chrétiens l'enseignèrent, et si c'est la même chose et rien de plus que l'âme métaphysiquement objective, comment peut-il être autrement qu'éternel ? Et qu'importe, dans ce cas, si l'homme mène une vie animale ou une vie pure si, quoi qu'il fasse, il ne peut jamais perdre sa personnalité ?
Cette doctrine est aussi pernicieuse dans ses conséquences que celle de la rémission des péchés. Si ce dernier dogme — ainsi que l'idée erronée que nous sommes tous personnellement immortels — avait été montré au monde sous son vrai jour, l'humanité eût été améliorée par sa propagation. Le crime et le péché seraient évités non par crainte d'une punition terrestre ou d'un enfer ridicule, mais au nom de ce qui est le plus profondément enraciné dans notre nature intérieure : le désir d'une vie personnelle et distincte dans l'au-delà, l'assurance positive que nous ne pouvons pas obtenir le royaume des cieux « à moins de le prendre par la violence » , et la conviction que ni des prières humaines, ni le sang d'un autre homme ne nous sauveront de la destruction personnelle après la mort, à moins que nous ne nous attachions fermement pendant la vie à notre propre esprit immortel, notre seul Dieu personnel.
Pythagore, Platon, Timée de Locres et toute l'École d'Alexandrie disaient que l'âme procédait de l'Ame Universelle du monde ; selon leurs propres enseignements, l'éther était un aspect de cette dernière — cet éther étant d'une nature si subtile que seule notre vue intérieure peut le percevoir. Ce ne peut donc pas être l'essence de la Monas, ou Cause (7), parce que l'Anima Mundi n'en est que l'effet, l'émanation objective. L'âme spirituelle divine et l'âme humaine préexistent toutes deux. Mais tandis que la première existe comme une entité distincte individualisée, l'âme (véhicule de la première) n'existe que sous forme de matière préexistante, partie inconsciente d'un tout intelligent. Toutes deux procédèrent à l'origine de l'Océan Éternel de Lumière ; mais, comme les théosophes l'ont exprimé, il y a dans le feu un esprit visible comme un esprit invisible. Ils ont fait une différence entre l'Anima Bruta et l'Anima Divina. Empédocle croyait fermement que tous les hommes et les animaux possédaient deux âmes ; et dans l'oeuvre d'Aristote, nous voyons qu'il appelle l'une d'elles l'âme raisonnable, noûs, et l'autre l'âme animale psuchè. Selon les philosophes, l'âme raisonnable vient de l'extérieur de l'Âme Universelle (c'est-à-dire d'une source plus élevée que l'Âme Universelle — dans son sens cosmique ; il s'agit donc ici de l'Esprit Universel, le septième principe de l'Univers dans son ensemble), et l'autre vient de l'intérieur. Cette région supérieure et divine, dans laquelle se place la déité invisible et suprême, était considérée par eux (par Aristote lui-même, qui n'était pas un initié) comme un cinquième élément — alors que dans la philosophie ésotérique, c'est le septième, ou Mûlaprakriti — purement spirituel et divin, tandis que l'Anima Mundi proprement dite était considérée comme constituée d'une essence fine, ignée et éthérée, répartie dans tout l'Univers ; en un mot, l'Éther (8).
Les stoïciens, les grands matérialistes des temps anciens, refusaient au seul Principe Divin et à l'Âme Divine une telle nature corporelle. Leurs commentateurs et admirateurs modernes, saisissant avidement cette occasion, en déduisent l'hypothèse que les stoïciens ne croyaient ni en Dieu, ni à l'âme, l'essence de la matière. Il est bien certain qu'Épicure ne croyait pas à Dieu ni à l'âme suivant la conception des théistes anciens ou modernes. Mais Épicure, que sa doctrine, en opposition formelle avec l'idée de l'intervention d'un Être Suprême et des Dieux dans la formation ou la direction du monde, place bien au-dessus des stoïciens dans l'athéisme et le matérialisme, enseigna néanmoins que l'âme est d'une essence fine et délicate et formée des atomes les moins rudes, les plus ronds et les plus fins — description qui nous amène encore au même éther sublimé. En outre, il croyait aux dieux. Bien qu'ils fussent chrétiens, Arnobe, Tertullien, lrénée et Origène croyaient, avec les Spinoza et Hobbes modernes, que l'âme était corporelle bien que d'une nature très fine — autrement dit quelque chose d'anthropormorphe et de personnel, c'est-à-dire de corporel, de fini et de conditionné. Peut-elle, dans ces conditions, devenir immortelle ? Ce qui est changeant peut-il devenir immuable ?
La doctrine qui enseigne la possibilité de perdre son âme, et par suite son individualité, milite en faveur de théories idéalistes et d'idées progressistes de certains spirites, bien que Swedenborg les adopte entièrement. Ils n'accepteront jamais la doctrine cabalistique affirmant que seule l'observation de la loi d'harmonie permet d'obtenir la vie individuelle dans l'au-delà et que plus l'homme intérieur et extérieur s'écarte de cette fontaine d'harmonie dont la source est dans notre esprit divin, plus il lui est difficile de regagner le terrain perdu.
Mais alors que les spirites et d'autres adeptes du christianisme ne se rendent que peu ou pas du tout compte de la possibilité de la mort et de l'anéantissement de la personnalité humaine par l'effet de la séparation des aspects immortels et périssables, quelques swedenborgiens — tout au moins ceux qui suivent l'esprit d'une philosophie et non la lettre morte d'un enseignement — le comprennent parfaitement. L'un des prêtres les plus respectés de la Nouvelle Église, le Rév. Chauncey Giles, de New York, dans une conférence publique, expliqua récemment le sujet comme suit : la mort physique ou la mort du corps est une disposition nécessaire de l'économie divine pour le bien de l'homme, au moyen de laquelle il atteint les sommets supérieurs de son être. Mais il y a une autre mort, qui est l'interruption de l'ordre divin et la destruction de tout élément humain dans la nature de l'homme et de toute possibilité de bonheur humain. C'est la mort spirituelle qui se produit avant la dissolution du corps. « Le mental naturel de l'homme peut être développé sans que ce développement soit accompagné d'une parcelle d'amour divin ou d'amour humain altruiste ». Lorsque l'on tombe amoureux du soi et du monde avec ses plaisirs, en perdant l'amour divin de Dieu et de son prochain, on tombe de la vie dans la mort. Les principes supérieurs qui constituent les éléments essentiels de notre humanité périssent et l'on vit seulement sur le plan naturel de ses facultés. Physiquement on existe ; spirituellement on est mort. Eu égard à tout ce qui appartient au plan d'existence supérieur qui est le seul à subsister, on est aussi mort que le devient le corps à toute activité, plaisir ou sensation de ce monde lorsque l'esprit l'a quitté. Cette mort spirituelle provient de la désobéissance aux lois de la vie spirituelle, suivie du même châtiment que la désobéissance aux lois de la vie naturelle. Mais ceux qui sont spirituellement morts ont encore leurs joies, ils ont leurs dons et leurs pouvoirs intellectuels et des activités intenses. Tous les plaisirs bestiaux sont leurs et il y a des multitudes d'hommes et de femmes pour qui cela constitue l'idéal le plus élevé du bonheur humain. La poursuite incessante de richesses, d'amusements et de distractions dans la vie sociale ; la culture de bonnes manières, de goût dans l'habillement, d'avancement social, de récompenses scientifiques intoxiquent et fascinent ces morts-vivants. Mais comme l'éloquent prédicateur le fait remarquer : « ces créatures avec toutes leurs grâces, leurs riches costumes et leurs hauts faits sont morts aux yeux du Seigneur et des anges et lorsqu'ils sont mesurés avec la seule vraie mesure immuable, elles n'ont pas plus de vie véritable que des squelettes dont la chair est tombée en poussière. »
Bien que nous ne croyions pas « au Seigneur et aux anges », tout au moins dans le sens donné par Swedenborg et ses disciples, nous admirons néanmoins ces sentiments et sommes tout à fait d'accord avec les opinions de cette honorable personne.
Un haut développement des facultés intellectuelles n'implique pas une vie spirituelle et véritable. La présence dans un être d'une âme humaine et intellectuelle très développée (le cinquième principe, ou Manas) peut très bien se trouver en l'absence de Buddhi ou de l'âme spirituelle. À moins que le premier n'émane et ne se développe des rayons bienfaisants et vivifiants du second, il ne sera jamais que la créature directe des principes terrestres inférieurs, stérile en perceptions spirituelles. Un sépulcre magnifique et luxueux plein d'ossements secs et de matière en décomposition à l'intérieur. Beaucoup de nos plus grands savants ne sont que des cadavres animés ; ils n'ont pas de vie spirituelle parce que leur esprit les a laissés ou plutôt ne peut les atteindre. Nous pourrons ainsi traverser tous les siècles, examiner toutes les occupations, peser toutes les œuvres humaines et explorer toutes les formes de société, et partout nous trouverons ces êtres spirituellement morts.
Bien qu'Aristote lui-même, devançant les physiologistes modernes, ait considéré l'âme humaine comme une substance matérielle et ait ridiculisé les hylozoïstes, il n'en croyait cependant pas moins à l'existence d'une âme double, ou d'un ensemble âme plus esprit, comme on peut le voir dans De Generat et Corrupt. (Livre II). Il se moqua de Strabon parce que ce dernier croyait que des particules de matière pouvaient, per se, avoir suffisamment de vie et d'intelligence en elles-mêmes pour créer, degré par degré, un monde aussi multiforme que le nôtre (9). Aristote était redevable de la sublime moralité de son Éthique à Nicomaque à une étude approfondie des Fragments Éthiques de Pythagore, car il est facile de montrer que ce dernier a été la source à laquelle il a puisé ses idées, bien qu'il puisse n'avoir jamais juré « par celui qui trouva la Tetraktys » (10). Mais, en fait, nos hommes de science ne connaissent rien de certain au sujet d'Aristote. Sa philosophie est si obscure qu'il laisse constamment le soin au lecteur de fournir par son imagination les chaînons manquants de ses déductions logiques. De plus, nous savons que ses ouvrages avant d'avoir pu atteindre nos érudits spécialistes qui se complaisent dans ses arguments d'apparence athéiste pour justifier sa doctrine du destin, passèrent par de trop nombreuses mains pour être restés intacts. De Théophraste, son légataire, ils passèrent à Néleus dont les héritiers les laissèrent moisir dans des cavernes souterraines pendant près de 150 ans ; après quoi, nous apprenons que ses manuscrits furent copiés et considérablement augmentés par Apellicon de Téos qui remplaça les paragraphes devenus illisibles par des conjectures dont beaucoup étaient probablement tirées des profondeurs de sa conscience intérieure. Tous nos érudits du dix-neuvième siècle pourraient certainement tirer profit de l'exemple d'Aristote s'ils devaient l'imiter pratiquement avec autant d'ardeur qu'ils jettent sa méthode d'induction et ses théories matérialistes à la tête des platoniciens. Nous les invitons à rassembler des faits aussi soigneusement qu'il le fit, au lieu de nier ceux au sujet desquels ils ne connaissent rien.
Ce que nous avons dit ici et ailleurs de la variété des esprits et autres êtres invisibles développés dans la lumière astrale, et ce que nous voulons dire maintenant des médiums et de la tendance de leur médiumnité n'est pas basé sur des suppositions, mais sur une expérience et des observations véritables. Nous croyons qu'il n'y a pas une seule sorte de médiumnité, quelle qu'elle soit, dont nous n'ayons vu des exemples au cours de ces 35 dernières années dans divers pays. L'Inde, le Tibet, Bornéo, le Siam, l'Égypte, l'Asie Mineure, l'Amérique (du Nord et du Sud) et d'autres parties du monde nous ont toutes montré leur aspect particulier des phénomènes médiumniques et des pouvoirs magiques. Notre expérience variée a complètement confirmé les enseignements de nos Maîtres et de la Doctrine Secrète et nous a montré deux vérités importantes : tout d'abord, pour l'exercice de la médiumnité, une pureté personnelle et l'exercice d'une volonté entraînée et indomptable sont indispensables, et en second lieu, les spirites ne peuvent jamais s'assurer de l'authenticité des manifestations médiumniques, à moins qu'elles n'aient lieu à la lumière et dans des conditions raisonnables de vérification telles qu'une tentative de fraude puisse être décelée immédiatement.
De crainte d'être mal compris, nous ferons remarquer que, bien que les phénomènes physiques soient produits en règle générale par les esprits de la nature, de leur propre mouvement et sous l'impulsion des élémentaires, de vrais esprits humains désincarnés peuvent, dans des circonstances exceptionnelles — telles que l'aspiration d'un cœur pur et aimant ou sous l'influence de quelque pensée intense ou d'un désir non satisfait au moment de la mort — manifester leur présence, en rêve ou sous forme de vision, ou même projeter leur apparence objective, si cela a lieu peu de temps après la mort physique. Des messages peuvent être produits directement, avec l'écriture véritable de l'« esprit » , le médium étant alors influencé par un processus aussi inconnu de lui-même qu'il l'est — craignons-nous — des spirites modernes. Mais ce que nous maintenons, et maintiendrons toujours, c'est qu'aucun esprit humain véritable ne peut se matérialiser, c'est-à-dire revêtir sa monade d'une forme objective. Même dans les autres cas, il faut qu'il y ait une attraction vraiment puissante pour attirer un esprit pur désincarné de l'état dévachanique radieux, qui est sa demeure, dans l'atmosphère malsaine dont il s'est échappé en quittant son corps terrestre.
Lorsque la nature possible des intelligences qui se manifestent, que la science imagine comme une « force psychique » et les spirites comme les « esprits des morts » eux-mêmes, sera mieux connue, alors les académiciens et les croyants chercheront à s'informer auprès des anciens philosophes. Ils pourront alors dans leur orgueil invincible, qui devient souvent de l'entêtement et de l'arrogance, faire comme a fait le Dr. Charcot de la Salpêtrière de Paris, nier pendant des années l'existence du mesmérisme et de ses phénomènes pour ensuite l'accepter et finalement le prêcher dans des conférences publiques — mais seulement sous le nom d'hypnotisme.
Nous avons trouvé dans des journaux spirites de nombreux cas où des apparitions de chiens et d'autres animaux ont été vues. Par conséquent, sur ces témoignages spirites, nous devons penser que de tels « esprits » des animaux apparaissent, bien que nous nous réservions le droit de penser avec les anciens que ces formes sont seulement des illusions créées par les élémentaux. En dépit de toute preuve et probabilité, les spirites maintiendront cependant que ce sont les « esprits » des êtres humains décédés qui agissent même dans la « matérialisation » des animaux. Avec leur permission, nous examinerons maintenant le pour et le contre de cette question difficile. Imaginons pour un instant un orang-outan intelligent ou quelque autre singe anthropoïde africain désincarné, c'est-à-dire, privé de son corps physique et en possession d'un corps éthéré, astral sinon immortel. Lorsque la porte de communication entre le monde terrestre et le monde spirituel est ouverte, qu'est-ce qui empêche le singe de produire des phénomènes physiques semblables à ceux qu'il voit produire par les esprits humains ; et pourquoi ceux-ci ne dépasseraient-ils pas souvent en habileté et en ingéniosité beaucoup de ceux qui ont été observés dans les cercles spirites ? Que les spirites répondent. L'orang-outan de Bornéo est très peu inférieur en intelligence au sauvage, si toutefois il l'est. M. Wallace et d'autres grands naturalistes citent des exemples de son intelligence merveilleuse bien que son cerveau soit inférieur en volume à celui du moins développé des sauvages. Il ne manque à ces singes que la parole pour être des hommes de degré inférieur. Les sentinelles placées par les singes, les endroits sélectionnés et aménagés par les orangs-outans pour dormir, leur prévision du danger et leurs calculs qui montrent plus que de l'instinct, leur choix de chefs auxquels ils obéissent et l'exercice de nombreuses de leurs facultés leur font mériter une place pour le moins au même niveau que bien des sauvages australiens à tête plate. M. Wallace dit : « Les besoins intellectuels des sauvages et les facultés dont ils se servent généralement sont très peu au-dessus de ceux de ces animaux. »
Les gens prétendent, il est vrai, qu'il ne peut pas y avoir de singes dans l'autre monde parce que les singes n'ont pas d'« âme » . Mais il semble que les singes ont autant d'intelligence que certains hommes ; pourquoi donc ces hommes, qui ne sont en rien supérieurs aux singes, auraient-ils des esprits immortels alors que les singes n'en auraient pas ? Les matérialistes répondront que ni les uns ni les autres n'ont d'esprit et que l'annihilation les attend tous à la mort physique. Mais les philosophes spiritualistes de tous les temps sont d'accord sur le fait que l'homme — du dernier des sauvages au plus sage des philosophes — occupe un échelon d'un degré plus élevé que l'animal et possède ce quelque chose qui manque à l'animal. Comme nous l'avons vu, les anciens enseignaient que l'homme est une trinité septuple composée d'un corps, d'un esprit astral et d'une âme immortelle, alors que l'animal n'est qu'une dualité, c'est-à-dire qu'il possède cinq principes au lieu de sept. C'est un être pourvu d'un corps physique avec son corps astral, son principe de vie et son âme animale et le véhicule qui l'anime. Les savants peuvent ne pas distinguer de différence entre les éléments composant les corps des hommes et ceux des animaux et les cabalistes sont d'accord avec eux lorsqu'ils disent que les corps astraux (ou comme les médecins disent, le principe de vie) des animaux et des hommes sont identiques en essence. L'homme physique n'est que le plus haut développement de la vie animale. Si, comme les savants nous le disent, même la pensée est matière et toute sensation de souffrance ou de joie, tout désir transitoire, s'accompagne d'une perturbation dans l'éther ; si, comme le croient ces spéculateurs audacieux, les auteurs de Unseen Universe, la pensée est conçue pour « influencer la matière d'un autre univers en même temps que celle de celui-ci » , pourquoi donc alors la pensée brute et grossière d'un orang-outan ou d'un chien ne s'imprimerait-elle pas sur les vagues éthérées de la lumière astrale de la même manière que celle de l'homme, assurant ainsi à l'animal une continuité de vie après la mort ou un « état futur » ?
Les cabalistes prétendaient et prétendent encore qu'il est antiphilosophique d'admettre que le corps astral de l'homme puisse survivre à la mort physique et affirment en même temps que le corps astral du singe est désagrégé en molécules indépendantes. Ce qui survit comme individualité après la mort du corps est l'âme astrale que Platon, dans le Timée et le Gorgias, appelle l'âme mortelle, car, selon la doctrine hermétique, elle rejette ses particules de matière à chaque changement progressif vers une sphère supérieure.
Avançons encore d'un pas dans notre argument. S'il y a quelque forme d'existence dans le monde spirituel après la mort du corps, ceci doit se produire en conformité avec la loi d'évolution. Elle prend l'homme où il se trouve — au sommet de la pyramide de la matière — et l'élève dans une sphère d'existence où la même loi inexorable le suit ; et si elle le suit, pourquoi n'en serait-il pas de même pour tout le reste de la nature ? Pourquoi n'en serait-il pas de même des animaux et des plantes qui ont tous un principe de vie et dont la forme grossière se décompose comme celle de l'homme lorsque ce principe de vie les quitte ? Si le corps astral de l'homme devient plus éthéré en atteignant l'autre sphère, pourquoi n'en serait-il pas de même pour celui des animaux et des plantes ? (11).
H.P. Blavatsky.
Publié par Blavatsky, dans la revue Lucifer d’août 1893. Traduction © Textes Théosophiques, Cahiers Théosophiques n°52-53.
Notes
(1) Görres, Mystique, III, 63.
(2) Les anciens appelaient « âmes » les esprits des méchants ; l'âme était la « larve » et le « lemure » ; les bons esprits humains devenaient des « dieux ».
(3) Porphyre, De Sacrificiis. Chapitre sur le vrai Culte.
(4) Chap. LXXX. 19, 20. « Et lorsque les Égyptiens se cachèrent à cause de l'essaim (l'une des plaies que l'on prétend avoir été apportée par Moïse)... ils fermèrent leurs portes derrière eux et Dieu commanda au Sulanuth... (un monstre marin, explique naïvement le traducteur dans une note) qui était alors dans la mer d'en sortir et d'aller en Égypte... il avait de longs bras, longs de 10 coudées... et il monta sur les toits et découvrit les poutres de la toiture et les coupa... et plongea un bras dans la maison et enleva la serrure et le verrou et ouvrit la maison d'Égypte... et l'essaim détruisit les Egyptiens et leur fit un tort considérable. »
(5) Strom. VI. 17. Paragraphe 159.
(6) Ibid., VI. 3. Paragraphe 30.
(7) Comme le dit Krishna — qui est tout à la fois purusha et prakriti dans leur totalité et le septième principe, l'esprit divin dans l'homme — dans la Bhagavad-Gîta ; « Je suis la cause, la production et la dissolution de tout l'univers, toutes les choses sont suspendues à moi comme les gemmes précieuses à un fil » (Ch. VIl). « Bien que je sois non-né, d'essence immuable et le Seigneur de tout ce qui existe, néanmoins en dirigeant la nature (prakriti) qui est mienne, je nais uniquement par ma propre mâyâ (le pouvoir mystique de la soi-idéation, la pensée éternelle dans le mental éternel) » (Ch. IV).
(8) L'Éther est l'Akâsha des Hindous. Akâsha est prakriti ou la totalité de l'Univers manifesté, tandis que purusha est l'Esprit Universel, supérieur à l'Âme Universelle.
(9) De Part. i, I.
(10) Un serment pythagoricien. Les pythagoriciens juraient par leur Maître.
(11) L'article se termine brusquement ici et l'on ne peut dire s'il n’a jamais été fini ou si une partie du manuscrit a été perdue. (Les Editeurs de Lucifer).