Extraits d’Isis dévoilée – I – pp. 587-595

Extraits d’Isis dévoilée – I – pp. 587-595

28 Mai, 2019

H.P. Blavatsky : Les Dix points d’Isis dévoilée. 
(Extraits du Vol. II, pp. 587 à 595 de l'édition originale en anglais)

Pour comprendre les principes de la loi de la nature à l'œuvre dans les divers phénomènes décrits plus loin dans ce livre, le lecteur doit garder à l'esprit les propositions fondamentales de la philosophie orientale que nous avons mises en lumière successivement.

Récapitulons très brièvement :

1. Il n'y a pas de miracle. Tout ce qui se produit est le résultat de la loi, éternelle, immuable, toujours active. Un miracle apparent n'est dû qu'à l'action de forces en opposition avec ce que le Dr. W.B. Carpenter, F.R.S (1) — homme de grand savoir mais de peu de connaissance — appelle « les lois bien établies de la nature ». Comme beaucoup de ses confrères le Dr. Carpenter ignore qu'il puisse exister des lois, aujourd'hui inconnues de la Science, qui ont pu être « connues » jadis.

2. La Nature est une unité triple : il y a une nature visible objective ; une nature invisible, intérieure et source d'énergie, le modèle exact de la précédente et son principe vital ; et, au-dessus de ces deux aspects, l'Esprit, source de toutes forces [ou énergies], seul éternel et indestructible. Les deux natures inférieures sont en constant changement mais non la troisième.

3. L'homme est aussi une unité triple: il a son corps objectif, physique, son corps vitalisateur astral (ou âme), l'homme réel ; et ces deux aspects sont couronnés (2) par le troisième qui les illumine — le souverain, l'Esprit immortel. Lorsque l'homme réel réussit à fusionner avec ce dernier, il devient une entité immortelle.

4. La Magie, en tant que science, est la connaissance de ces principes et de la façon dont l'omniscience et l'omnipotence de l'Esprit, ainsi que son contrôle sur les forces de la nature, peuvent être acquis par l'individu alors qu'il est encore dans le corps. La Magie, en tant qu'art, est l'application de cette connaissance dans la pratique.

5. La connaissance secrète appliquée à des fins mauvaises est la sorcellerie ; employée pour le bien, elle est la véritable Magie ou SAGESSE.

6. La médiumnité est à l'opposé de l'état d'adepte; le médium est l'instrument passif d'influences étrangères, l'adepte exerce un contrôle actif sur lui-même et sur toutes les puissances inférieures.

7. Toutes choses qui furent jamais, qui sont, ou seront, étant imprimées sur la lumière astrale, le registre de l'univers invisible, l'adepte initié, utilisant la vision de son propre Esprit, peut apprendre tout ce qui a été connu ou peut être connu.

8. Les races humaines diffèrent en dons spirituels [ou psychiques] comme en couleur, stature ou n'importe quelle autre qualité extérieure ; la clairvoyance prévaut de façon naturelle chez certains peuples ; chez d'autres, c'est la médiumnité. Certains s'adonnent à la sorcellerie et transmettent les règles secrètes de sa pratique de génération en génération, avec comme résultat une gamme de phénomènes psychiques plus ou moins étendue.

9. Un des aspects de l'art du magicien consiste à retirer volontairement et consciemment l'homme intérieur (la forme astrale) de l'homme extérieur (le corps physique). Ce retrait peut se produire chez certains médiums, mais il est inconscient et involontaire. Chez ceux-ci le corps se trouve alors dans un état plus ou moins cataleptique ; mais dans le cas d'un adepte, l'absence de forme astrale ne saurait se remarquer, car les sens physiques sont vigilants et l'individu paraît seulement comme plongé dans une profonde rêverie.

Aux déplacements de la forme astrale en mouvement, le temps et l'espace n'offrent aucun obstacle. S'il est pleinement expérimenté en science occulte, le thaumaturge peut provoquer — en apparence sa disparition (du moins celle de son corps physique), ou donner l'impression qu'il prend une forme quelconque de son choix. Il peut rendre sa forme astrale visible, ou lui donner des aspects protéens aux yeux des spectateurs. Dans les deux cas, ces résultats sont obtenus par hallucination mesmérique des sens de tous les témoins, provoquée simultanément. Cette hallucination est si parfaite que le sujet jurerait sur sa vie qu'il a vu une réalité, alors qu'il s'agissait seulement d'une image dans son mental, imprimée sur sa conscience par la volonté irrésistible du mesmériseur.

Cependant, bien que la forme astrale puisse aller n'importe où, traverser n'importe quel obstacle et être vue à une distance quelconque du corps physique, ce dernier est assujetti aux modes ordinaires de déplacement. Dans des conditions magnétiques définies, il peut s'élever par lévitation, mais non passer d'un lieu à l'autre, si ce n'est de la manière usuelle. Aussi n'ajoutons-nous aucun crédit à toutes les histoires de vol aérien du corps de médiums, car un tel vol serait un miracle, et nous rejetons tout miracle. Dans certains cas, et sous certaines conditions, la matière inerte peut être désintégrée, traverser les murs, et se recombiner (3) mais cela est impossible à des organismes animaux vivants.

Selon la croyance des disciples de Swedenborg, et l'enseignement de la science occulte, il arrive maintes fois que l'âme abandonne le corps encore en vie et que nous rencontrions chaque jour de tels cadavres vivants, dans toutes les conditions de l'existence. Cela peut résulter de causes diverses, telles qu'une peur terrifiante, une douleur extrême, un désespoir accablant, une attaque violente de maladie, ou une sensualité excessive. II peut arriver que le corps inoccupé soit pénétré et habité par la forme astrale d'un adepte en sorcellerie, ou d'un élémentaire (une âme humaine désincarnée attachée à la terre) ou, très rarement, par un élémental. Bien entendu, un adepte en magie blanche a le même pouvoir mais, à moins d'avoir à réaliser un objectif très élevé et exceptionnel, il ne consentira jamais à se polluer en occupant le corps d'une personne impure. Dans les cas de folie, l'être astral du patient peut être semi-paralysé, plongé dans un état de confusion et soumis à l'influence de toute espèce d'esprit de passage, ou bien avoir quitté pour toujours le corps, qui devient la possession de quelque entité vampirique (proche de sa propre désintégration, et désespérément accrochée à la terre) qui trouve dans cet expédient le moyen de prolonger, pendant une brève durée, la jouissance des plaisirs sensuels.

10. La pierre angulaire de la MAGIE est une connaissance pratique approfondie du magnétisme et de l'électricité, de leurs qualités, leurs correspondances et interactions, et effets potentiels. Il est particulièrement nécessaire d'être familiarisé avec tout ce qu'ils peuvent produire tant dans le règne animal et dans l'homme que sur eux. Dans bien d'autres minéraux que la pierre d'aimant [magnétite], il y a des propriétés occultes, tout aussi étranges, que chaque praticien de la magie doit connaître, et dont la Science dite exacte est complètement ignorante. Les plantes, elles aussi, ont de semblables propriétés mystiques, à un degré tout à fait étonnant, et les secrets des herbes productrices de rêves et d'enchantements ne sont perdus que pour la Science européenne, et ignorés d'elle, cela va sans dire, à l'exception de quelques exemples connus, comme l'opium et le haschisch. Cependant, même dans ces rares cas, les effets psychiques provoqués dans l'organisme humain sont considérés comme des manifestations évidentes d'un désordre mental temporaire. Les magiciennes de Thessalie (4) et d'Épire (5), les femmes hiérophantes des rites de Sabazius (6), n'ont pas emporté leurs secrets avec la ruine de leurs sanctuaires : ils sont encore bien gardés ; et quiconque est informé de la nature du Soma (7) connaît aussi bien les propriétés d'autres plantes.

Pour résumer en quelques mots, la MAGIE est la SAGESSE spirituelle ; la Nature est l'alliée matérielle, l'élève et la servante du magicien. Un seul principe vital commun pénètre toutes choses et il peut être maîtrisé par la volonté humaine pleinement développée. L'adepte peut stimuler les mouvements de forces naturelles, dans les plantes et les animaux, à un degré qui dépasse ce qui est naturel. De telles expériences ne sont pas des obstructions opposées à la nature, mais des accélérations des processus naturels : les conditions sont réunies pour une action vitale plus intense. (8)

L'adepte peut agir sur les sensations et modifier l'état où se trouvent les corps physique et astral d'autres personnes (non des adeptes) ; il peut aussi, à son choix, commander et employer les esprits des éléments. Il ne peut se rendre maître de l'esprit immortel d'aucun être humain — vivant ou mort — car tout esprit de cette sorte est semblablement une étincelle de l'Essence Divine qui ne peut être soumise à une quelconque domination étrangère.

Il y a deux sortes de clairvoyance : celle de l'âme et celle de l'esprit. La voyance de la pythonisse de jadis, ou du sujet moderne mesmérisé, ne se distingue que par le moyen artificiel adopté particulièrement pour induire l'état de clairvoyance. Mais, étant donné que, chez l'un comme l'autre, les visions dépendent de l'acuité plus ou moins grande des sens du corps astral, elles diffèrent très largement de l'état spirituel omniscient parfait ; car, dans le meilleur des cas, le sujet ne peut obtenir que des éclairs fugitifs de vérité à travers le voile qu'interpose la nature physique. Le principe astral, ou le mental, que les yogis hindous appellent jîvâtman, est l'âme sensible inséparable de notre cerveau physique, qu'elle tient sous sa coupe — tandis qu'elle-même est également entravée par lui. C'est là l'ego (9), le principe de vie intellectuel de l'homme — son entité consciente. Tant qu'il demeure à l'intérieur du corps physique, la clarté et l'exactitude de ses visions spirituelles sont fonction de son rapport plus ou moins intime avec son Principe supérieur. Lorsque ce rapport est tel qu'il permet aux parties les plus éthérées de l'essence de l'âme d'agir indépendamment de ses particules plus grossières, et du cerveau, il lui est possible de comprendre sans erreur ce qu'il voit ; c'est seulement ainsi qu'il est l'âme suprasensible, pure et rationnelle. Cet état est connu en Inde comme le samâdhi : c'est la plus haute condition de spiritualité possible à l'homme sur la terre. Les fakirs essaient d'y parvenir en retenant leur souffle pendant des heures d'affilée au cours de leurs exercices religieux, et ils appellent cette pratique dama-sâdhanâ (10). Les termes hindous prânâyâma, pratyâhâra et dhâranâ (11) ont tous trait à différents états psychologiques, et montrent combien le sanskrit et même la langue hindoue parlée de nos jours (12) sont mieux adaptés à la spécification claire des phénomènes rencontrés par ceux qui étudient cette branche de la science psychologique que les langues des peuples modernes dont les expériences ne les ont pas encore obligés à inventer de tels termes descriptifs.

Quand le corps est dans l'état de dhâranâ une totale catalepsie de l'enveloppe physique — l'âme du clairvoyant peut se libérer et peut percevoir les choses subjectivement. Cependant, du fait que le principe sensible du cerveau est vivant et actif, ces images du passé, du présent et du futur sont généralement teintées des perceptions terrestres du monde objectif : la mémoire physique, et l'imagination incontrôlée (13) tendront souvent à interférer avec la claire vision. Mais le voyant qui est un adepte sait comment suspendre l'action mécanique du cerveau : ses visions seront aussi claires que la vérité elle-même, sans être colorées ni déformées, tandis que le clairvoyant [ordinaire], incapable de maîtriser les vibrations des ondes astrales, ne percevra que des images plus ou moins brisées par le canal du cerveau. Le [vrai] voyant ne peut jamais prendre des ombres mouvantes pour des réalités car, sa mémoire étant aussi complètement soumise à sa volonté que le reste du corps, il reçoit les impressions directement de son esprit. Entre son soi subjectif et son soi objectif, il n'y a aucun intermédiaire qui fasse obstruction. C'est cela la véritable vision spirituelle dans laquelle, selon une expression de Platon, l'âme est élevée au-dessus de tout bien inférieur. C'est alors que nous atteignons « ce qui est suprême, ce qui est simple, pur et inchangeable, sans forme, ni couleur, ni qualité humaine : le Dieu — notre Noûs ».

C'est l'état que des voyants comme Plotin et Apollonius ont appelé l'« Union à la Déité » , que les anciens yogis ont exprimé par le terme Îshvara (14) et les modernes par samâdhi. Mais cet état est aussi loin au-dessus de la clairvoyance d'aujourd'hui que les étoiles sont distantes des vers luisants. Comme on le sait, Plotin a eu des visions de clairvoyant pendant toute son existence, au quotidien, mais il n'a été uni à son Dieu que quatre fois au cours des 66 années de sa vie, comme il l'a confessé à Porphyre (15).

Ammonius Saccas, « celui qui a été instruit par Dieu » [théodidaktos], a affirmé que le seul pouvoir qui soit opposé directement à la faculté de pronostiquer, ou de voir dans l'avenir, était la mémoire (16), Olympiodore (17) l'a appelé phantasia [l'imagination incontrôlée]. Selon cet auteur (cf. Sur le Phédon de Platon), « la phantasia est un obstacle à nos conceptions intellectuelles ; et, en conséquence, lorsque nous sommes agités par l'influence inspiratrice de la Divinité, si cette imagination intervient, l'énergie de l'enthousiasme cesse, car l'enthousiasme et la phantasia se contrarient (18). Si l'on nous demande si l'âme peut devenir active sans cette faculté, nous répondrons que le fait qu'elle perçoive des idées universelles prouve qu'elle en est capable. Elle a donc des perceptions indépendantes de cette phantasia, en même temps, toutefois, cette dernière l'accompagne dans ses mouvements, comme la tempête poursuit celui qui navigue sur la mer ».(19)

De plus, pour induire sa transe, un médium a besoin soit d'une intelligence étrangère — esprit, ou mesmériseur vivant — capable de prendre les commandes de son physique et de son mental, soit de quelques moyens artificiels. Il ne faut à un adepte, et même à un simple fakir, que quelques minutes de « soi-contemplation ». Les colonnes de bronze du Temple de Salomon (20), les clochettes et grenades d'Aaron (21), le Jupiter Capitolin d'Auguste, avec les clochettes harmonieuses suspendues autour de lui (22), et les coupes de bronze des Mystères, servant à appeler la Korè (23), tous ces moyens fournissaient l'aide artificielle requise (24). Même remarque pour les bols de bronze de Salomon, suspendus autour d'une double rangée de 200 grenades, qui servaient de battants à l'intérieur des colonnes creuses. Les prêtresses de Germanie septentrionale, sous la direction des hiérophantes, ne pouvaient jamais prophétiser à moins d'être environnés du grondement des eaux tumultueuses. En regardant fixement les remous formés dans le flot rapide du fleuve, elles s'hypnotisaient elles-mêmes. Également, nous apprenons que Joseph, le fils de Jacob, recherchait l'inspiration divine à l'aide de sa coupe de divination en argent, qui ne devait pas manquer d'avoir un fond très brillant (25). Les prêtresses de Dodone se plaçaient sous le vénérable chêne de Zeus (le dieu pélasgien, non l'olympien (26) et écoutaient attentivement le bruissement des feuilles sacrées, tandis que d'autres concentraient leur attention sur le doux murmure d'une source froide jaillissant de dessous les racines de l'arbre (27). Mais l'adepte, quant à lui, n'a que faire de telles aides extérieures — le simple exercice de son pouvoir de volonté suffit à tout.

L'Atharva Veda (28) enseigne que cet exercice du pouvoir de la volonté est la plus haute forme de prière, et sa réponse instantanée. Désirer c'est réaliser, selon l'intensité de l'aspiration, et cette dernière est à la mesure de la pureté intérieure.

Certains de ces préceptes védântiques des plus nobles, concernant l'âme et les pouvoirs mystiques de l'homme ont été communiqués récemment à un périodique anglais, par un érudit hindou. Cet auteur écrit : « Le Sâmkhya inculque que l'âme (c'est-à-dire le corps astral (29)) possède les pouvoirs suivants (30) : se réduire à une forme minuscule, par laquelle tout se laisse traverser, ou grandir aux dimensions d'un corps gigantesque, ou perdre son poids (pour s'élever en suivant un rayon de l'orbe solaire), ou étendre certains organes d'une façon illimitée (au point de toucher la lune avec le bout d'un doigt), ou faire preuve d'une volonté sans limites (par exemple, pour s'enfoncer dans la terre aussi facilement que dans l'eau), dominer tous les êtres — animés ou inanimés — changer le cours naturel des choses, accomplir tout ce qu'on désire ». Par ailleurs, l'auteur énonce leurs diverses dénominations [sanskrites] : « les noms de ces pouvoirs sont : l. Animan, 2. Mahiman, 3. Laghiman, 4. Gariman, 5, Prâpti, 6. Prâkâmya, 7. Vashitva, 8. lshitva, ou pouvoir divin (31). Le cinquième consiste à prédire les événements futurs, comprendre les langues inconnues, soigner les maladies, deviner les pensées non exprimées, comprendre le langage du cœur. Le sixième permet de changer le vieil âge en jeunesse. Le septième est le pouvoir de mesmériser êtres humains et animaux, et de les plier à sa volonté ; c'est celui qui tient sous contrôle pouvoirs et émotions. Le huitième est l'état spirituel : l'absence des sept premiers prouve que dans cet état le yogi est plein de Dieu ».

Il ajoute encore : « À aucune écriture, révélée ou sacrée, il ne fut reconnu autant d'autorité et de pouvoir de décision que l'enseignement de l'âme. Certains des Rishi paraissent avoir accordé la plus grande importance à cette source suprasensible de connaissance » (32).

Depuis l'Antiquité la plus reculée, le genre humain, pris dans son ensemble, a toujours été convaincu de l'existence d'une entité spirituelle et personnelle dans l'homme physique personnel. Cette entité intérieure était plus ou moins divine suivant son degré de proximité avec la couronne — Christos. Plus cette union était intime, plus la destinée de l'homme était sereine, et moins les conditions extérieures étaient dangereuses. Une telle croyance n'est ni de la bigoterie ni de la superstition, mais un sentiment instinctif toujours présent de la proximité d'un autre monde spirituel et invisible, qui, bien que subjectif pour les sens de l'homme extérieur, est parfaitement objectif pour l'ego intérieur. De plus, ces hommes de l'Antiquité croyaient qu'il y avait des conditions extérieures et des conditions intérieures qui pouvaient influencer la détermination de notre volonté sur nos actions. Ils rejetaient le fatalisme, car le fatalisme suppose l'action aveugle de quelque pouvoir plus aveugle encore. Mais ils croyaient à la destinée [ou karma] que, de sa naissance à sa mort, tout homme tisse fil par fil autour de lui-même, ainsi qu'une araignée sa toile ; et, pour eux, cette destinée était guidée par cette présence que certains appellent l'ange gardien, ou au contraire, par l'homme intérieur astral qui nous est plus familier, mais qui n'est que trop souvent le mauvais génie de l'homme de chair [la personnalité]. Ces deux réalités mènent l'homme extérieur, mais l'une d'elles doit nécessairement l'emporter ; et dès le commencement même de la lutte invisible, la loi de compensation [et de rétribution], sévère et implacable, entre en jeu et accomplit son œuvre en suivant avec vigilance les péripéties du combat. Quand le dernier fil est tissé, et que l'homme paraît comme enveloppé dans le filet qu'il a lui-même ourdi, il se trouve alors complètement sous l'empire de cette destinée qu'il a lui-même créée. Celle-ci l'immobilise alors comme le coquillage inerte au rocher immuable, ou l'emporte comme une plume, dans un tourbillon que ses propres actions ont soulevé (33).

 Les plus grands philosophes de l'Antiquité n'ont trouvé « ni déraisonnable ni surprenant » que « des âmes rencontrant des âmes fassent naître en elles des images [phantasias] de l'avenir, de même que ce n'est pas toujours par la parole, mais aussi bien par l'écriture, ou même par un attouchement, ou par un regard, que nous révélons aux autres beaucoup de faits du passé ou du futur » comme nous le dit Ammonius (34). De plus, Lamprias, avec d'autres, était d'avis que si les esprits, ou âmes [psuchaï] séparés des corps [ou n'ayant jamais été incarnés], pouvaient descendre sur terre et être les gardiens d'hommes mortels (35), « nous ne devrions pas chercher à priver les âmes qui sont encore unies à des corps de cette faculté par laquelle les esprits non incarnés [daïmones] sont naturellement capables de prévoir et de révéler l'avenir. Il n'est guère vraisemblable », ajoutait Lamprias, « que les âmes, lorsqu'elles sortent d'un corps, acquièrent un nouveau pouvoir [de prophétie] qu'elles ne possédaient pas avant ». Nous pouvons plutôt conclure qu'« elles possédaient toujours ces facultés, mais qu'elles les ont à un moindre degré lorsqu'elles sont unies à un corps (...). Tout comme le soleil ne devient brillant que lorsqu'il sort des nuages, alors qu'il n'a jamais cessé de rayonner, son apparence obscure et sombre n'étant due qu'à des brumes, l'âme n'acquiert pas le don prophétique lorsqu'elle sort du corps comme d'un nuage : elle l'a toujours possédé, bien qu'elle ait été aveuglée à cause de son union et association avec l'élément mortel » (36).

Un exemple familier d'un des aspects du pouvoir de manifestation de l'âme, ou du corps astral, est le phénomène appelé la « main fluidique » [spirit-hand]. En présence de certains médiums, ces membres apparemment détachés se forment graduellement à partir d'une nébulosité lumineuse, saisissent un crayon, écrivent des messages, puis se dissolvent sous les yeux des témoins. De nombreux cas de ce genre ont été rapportés par des personnes compétentes et dignes de foi (37). Ces phénomènes sont réels et exigent un sérieux examen. Mais il est arrivé parfois que de fausses « manifestations » soient prises pour des vraies. À Dresde, il nous fut donné de voir une main et un bras, fabriqués pour tromper les témoins, pourvus d'un agencement ingénieux de ressorts permettant à la mécanique d'imiter à la perfection les mouvements du membre naturel, alors que, de l'extérieur, il fallait y regarder de très près pour découvrir son caractère artificiel. Pour s'en servir, le médium malhonnête retirait subrepticement son bras naturel de sa manche et lui substituait le membre artificiel : les deux mains pouvaient alors donner l'impression de reposer sur la table alors qu'en fait l'une d'elles, ainsi libérée, touchait les assistants, se montrait à la vue, donnait des coups sur les meubles et produisait d'autres phénomènes.

En règle générale, les médiums à manifestations réelles n'ont pas la moindre capacité de les comprendre ou de les expliquer. Parmi ceux qui ont écrit de la façon la plus intelligente sur le sujet des mains lumineuses, on peut citer le Dr. Francis Gerry Fairfîeld, auteur de Ten Years With Spiritual Mediums [ = Dix ans avec les médiums spirites] ; un article de sa plume a paru récemment (le 19 juillet 1877) dans The Library Table. Médium lui-même, il n'en est pas moins très hostile à la théorie spirite. En discutant de la « main fantôme », il affirme : « l'auteur en a été témoin personnellement, dans des conditions de contrôle établies par lui-même, dans sa propre chambre et en plein jour, le médium étant assis sur un canapé, à environ 2 mètres de la table au-dessus de laquelle l'apparition (la main) s'est mise à voltiger. L'application des pôles d'un aimant en fer à cheval sur cette main eut pour effet de la faire trembler de façon sensible et de plonger le médium dans de violentes convulsions — preuve assez évidente que la force impliquée dans le phénomène était générée dans son propre système nerveux ».

H.P. Blavatsky

© Textes Théosophiques, Cahier Théosophique n°176

Notes

(1) ["Fellow of the Royal Society" = membre de la « Société Royale », correspondant à notre Académie des Sciences.] [Retour texte]

(2) [L'expression "brooded over" suggère que l'esprit recouvre et enveloppe ces deux natures — qu'il les « couve », en quelque sorte.]  [Retour texte]

(3) [C'est l'explication retenue par H.P.B. pour rendre compte des pluies de pierres, briques et autres projectiles observées dans certains phénomènes de poltergeist. Voir, par exemple, The Theosophist, juin 1882, p.232.]  [Retour texte]

(4) [Les sorcières de Thessalie étaient réputées en Grèce.]  [Retour texte]

(5) [H.P.B. mentionne plus loin les prêtresses de Dodone, en Épire.]  [Retour texte]

(6) [En grec : Sabazios. À l'origine, une divinité thraco-phrygienne dont le nom fut donné plus tard à Dionysos (Bacchus, en latin), et même à Jupiter. Il y avait des mystères de Sabazios, et les Sabazies étaient des fêtes en l'honneur de Bacchus.]  [Retour texte]

(7) [Soma est le nom sanskrit d'une plante grimpante (asclepias acida ou sarcostema viminalis) dont les tiges, récoltées dans des conditions propices, servent à préparer, selon un rituel fixé, un breuvage sacré, également appelé soma, réputé pour provoquer des états profondément modifiés de conscience. Mais H.P.B. laisse entendre que les secrets du vrai Soma ont été perdus en grande partie, et demeurent entre les mains des vrais Initiés. Voir The Secret Doctrine, II, 498-9, Isis Unveiled, l, 357-8, et le Glossaire Théosophique, article Soma.[Retour texte]

(8) [Dans Isis Unveiled (l, 139-40), H.P.B. signale, par exemple, l'utilisation du fluide vital magnétique (appelé en l'occurence âkashâ) dans le phénomène « miraculeux » de croissance accélérée d'une plante (à partir de la graine), produit par un fakir indien, en présence de Louis Jacolliot.]  [Retour texte]

(9) [Cet ego lié à une incarnation donnée, le moi conscient personnel, n'est jamais confondu en Théosophie avec l'Ego permanent, le foyer individuel de la conscience universelle, qui progresse au fil des renaissances terrestres vers sa réintégration dans l'Esprit divin.]  [Retour texte]

(10) [Discipline de contrôle de soi. Dama (le contrôle des organes des sens) est l'une des « 6 grandes vertus » énumérées par Shankarâchârya comme nécessaires à l'étude du Védânta.]  [Retour texte]

(11) [Dans le système classique de Patañjali, ces trois termes apparaissent au Livre II des Aphorismes du Yoga, v.29 ; dans la traduction publiée par W.Q. Judge (p.57), ils sont traduits respectivement par Régulation de la respiration, Contrôle des sens et Attention, avec des explications complémentaires dans les aphorismes 49 à 55, ainsi que dans le début du Livre III. Il se peut que Mme Blavatsky ait en vue des significations plus occultes, qui transparaissent dans le 1er traité de la Voix du Silence, et dans le présent texte, où elle associe à dhâranâ une « totale catalepsie de l'enveloppe physique ».]  [Retour texte]

(12) [L’hindi moderne possède les mêmes mots, liés à la pratique spirituelle.]  [Retour texte]

(13) [H.P.B. utilise ici le mot fancy (« fantaisie », flot d'images issues de l'inconscient) qu'elle oppose généralement au pouvoir royal de l'imagination créatrice, contrôlé par l'adepte. Cette « fantaisie » est à rapprocher du mot phantasia utilisé par Olympiodore, (voir plus loin, p. 10).]  [Retour texte]

(14) Dans son sens général, Ishvara signifie « Seigneur », mais l'Îshvara des philosophes mystiques de l'Inde fut compris précisément comme l'union et la communion des hommes avec la Déité des mystiques grecs. En sanskrit, Îshvara-prasâda signifie littéralement grâce [du Seigneur]. Les deux Mîmâmsâ [deux des 6 darshana, ou grands systèmes doctrinaux de l'Inde, visant à la libération de l'âme], qui traitent des questions les plus abstruses, expliquent karma comme le mérite ou l'efficacité des œuvres, Îshvara-prasâda comme la grâce, et shraddha comme la foi. Les Mîmâmsâ sont l'œuvre de deux des plus célèbres théologiens de l'Inde. Le Pûrva-mimâmsa sûtra fut écrit par le philosophe Jaimini, et l'Uttara-mîmâmsâ (ou le Védânta) a eu pour auteur Krishna Dvaipâyana Vyâsa, qui a réuni ensemble les quatre Veda. (Voir sir William Jones, Colebrooke et d'autres).  [Retour texte]

[On doit naturellement distinguer les Écoles (le mot sanskrit Mîmâmsâ signifiant « investigation ») des textes, ou sûtra, sur lesquels se fondent ces Écoles ; la plus ancienne de celles-ci, ou Pûrva-mîmâmsâ — ou tout simplement Mîmâmsâ — s'appuie sur l'œuvre citée de Jaimini (essentiellement axée sur le rituel des sacrifices) et la plus récente, l'Uttara-mîmâmsâ, qui vise l'obtention de Jñâna, la connaissance, se réfère au Vedanta-sûtra (appelé aussi Brahma-sûtra) diversement attribué à Vyâsa ou à Bâdarâyana.]  [Retour texte]

(15) [Dans sa Vie de Plotin (§23, lignes 14-18), Porphyre écrit : « Plotin... 'eut la vision du but tout proche'. La fin et le but c'était pour lui l'union intime avec le Dieu qui est au-dessus de toute chose. Pendant que je fus avec lui (c'est-à-dire environ 6 ans, à Rome) il atteignit quatre fois ce but, grâce à un acte ineffable, et non pas en puissance ». Porphyre précise encore (lignes 12-14 : « C'est ce Dieu que, pour ma part, je n'ai approché et avec qui je ne me suis uni qu'une seule fois dans ma 68e année ».]  [Retour texte]

(16) [La source de cette affirmation (rappelée dans la Clef de la Théosophie, p.142) reste obscure, vu que, comme l'a plusieurs fois répété Mme Blavatsky elle-même, Ammonius Saccas n'a laissé aucun écrit. Et son disciple direct, Plotin, ne l'a jamais cité dans ses Ennéades. Par contre, dans une Œuvre morale de Plutarque (évoquée plus loin — voir note 34) où intervient, entre autres, le philosophe Ammonius (1er siècle ap. J.-C.), on trouve un passage en rapport avec les oracles antiques qui rappelle cette affirmation : « La faculté de l'âme qu'on appelle la mémoire va en sens contraire de la faculté de divination ». (Sur la disparition des oracles, 539).]  [Retour texte]

(17) [Philosophe néoplatonicien d'Alexandrie (6e siècle ap. J.-C.), auteur de commentaires sur les écrits de Platon et d'Aristote.]  Retour texte]]

(18) [Cette citation est reprise par H.P.B. dans la Clef de la Théosophie, p.142, note3. On voit ici que l'enthousiasme et la phantasia se contrarient, alors que, par suite, probablement, d'une erreur d'impression, la note de la Clef, oppose enthousiasme et extase. Sur le mot phantasia, voir la note du traducteur jointe à cette note 3].  Retour texte]

(19) [Ce passage est tiré d'un ouvrage de Thomas Taylor, Select Works of Porphyry, p.207, note, citant le texte d'Olympiodore, Sur le Phédon de Platon.Retour texte]

(20) [Ce sont les légendaires colonnes creuses de bronze, Yakîn et Boaz, dressées à droite et à gauche devant l'entrée du Temple (l Rois, 7,15-22 ; 2 Chroniques, 3,15-17, etc.).]  [Retour texte]

(21) [Voir Exode, 28,33-35, pour la confection du manteau sacerdotal d'Aaron : « tout autour du bord intérieur, tu mettras des grenades de pourpre violette (...) entremêlées de clochettes d'or : clochettes d'or et grenades alterneront tout autour du bord du manteau. Aaron les portera pour exercer ses fonctions afin que tintent les clochettes quand il entrera dans le sanctuaire (...) et quand il en sortira, ainsi, il ne mourra point ».]  [Retour texte]

(22) Suétone, Vies des Césars, « Auguste », § 91.  [Retour texte]

(23) Plutarque. [Korè, « la jeune vierge » = nom de Perséphone enlevée aux Enfers par Hadès. Les Mystères d'Éleusis célébraient le mythe de cette fille de Déméter qui, chaque année, remontait sur la terre, lors des premières poussées du printemps, pour retourner au monde souterrain, à l'époque des semailles.]  [Retour texte]

(24) Voir Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, XXX, 2 et seq.  [Retour texte]

(25) [Voir Genèse, 44, où est évoquée cette coupe d'argent dont Joseph devait se servir comme d'un miroir magique, d'où son fond « très brillant ».]  [Retour texte]

(26) [Consacré à Zeus et à Dioné, l'oracle de Dodone était le plus ancien d'Épire, en Grèce. Le mot pélasgien renvoie aux Pélasges, peuple de l'antiquité pré-hellénique.]  [Retour texte]

(27) Voir Servius, Commentaires sur l’Énéide de Virgile. [Retour texte]

(28) [Le dernier des quatre Véda, il vise particulièrement la connaissance des formules et incantations magiques, mais certaines des Upanishad les plus célèbres lui sont rattachées (comme la Mundaka, la Prashna et la Mândûkya.]  [Retour texte]

(29) [Parenthèse de H.P.B.. Voir plus haut, p.7, à propos de jivâtman.]  [Retour texte]

(30) [La description qui suit renvoie aux pouvoirs dont les noms sont donnés dans la suite : Animan : devenir petit comme un atome (anu), Mahiman : se grandir immensément, etc...]  [Retour texte]

(31) [Dans une série d'articles anonymes, publiés sous le titre « Yoga Vidya », dans The Theosophist, vol.l, pp.31-2, 44-6 et 84-6, on trouve une intéressante analyse de quelques-uns de ces mêmes pouvoirs, ou siddhi, tels que Krishna les énumère dans le Shrimad Bhâgavata Purâna (Skandha XI, chap.l5), avec la discipline qu'il prescrit pour les obtenir. Le dernier de ces 3 articles évoque les cas de lévitation connus en Occident.]  [Retour texte]

(32) Pyârichânda Mitra, " The Psychology of the Âryas " , in Human Nature, mars 1877. [Également, in On the Soul : its Nature and Development, Calcutta, 1881, pp.48-9. Cet auteur, devenu membre de la S.T., a fourni des contributions à la revue The Theosophist (vol. l, pp. 19 et 280-3) sous le nom orthographié Peary Chand Mitra.]  [Retour texte]

(33) [Ce long passage a été repris intégralement dans le Clef de la Théosophie, pp.195-6, avec de rares ajouts qui ont été rappelés ici entre crochets.]  [Retour texte]

(34) [Voir Plutarque, Œuvres morales. Sur la disparition des Oracles, § 38 (431C). Ce traité met en scène plusieurs interlocuteurs dont Lamprias (le propre frère de Plutarque), et un ami, du nom d'Ammonius, à qui est attribué le passage cité ici. Cet Ammonius (voir note 16), qu'il ne faut pas confondre avec Ammonius Saccas, était un platonicien d'Athènes, maître de Plutarque.]  [Retour texte]

(35) [Allusion aux « démons » (daïmones) qui étaient, selon Hésiode, « Des mortels sur la terre les augustes gardiens » (Travaux et Jours, 123). Chez les Grecs, le daïmon (mot aux sens multiples) pouvait renvoyer à l'âme d'un mort mais aussi au génie attaché à chaque homme. Les Latins ont eu également leur « genius » particulier à chaque individu, qui veillait sur lui dès sa naissance — préfigurant ainsi l'« ange gardien » introduit dans le christianisme par st Basile, au 4e siècle.]  [Retour texte]

(36) [Ibidem, § 39 (431E-432A).]  [Retour texte]

(37) [Le savant William Crookes, par exemple, a observé un phénomène semblable avec la médium Katie Fox. Alors qu'il avait posé du papier sur la table et tenait lui-même un crayon d'une main et les deux mains de Mlle Fox de l'autre, « une main lumineuse descendit du plafond (...) et, après avoir plané près de moi quelques secondes, elle prit le crayon dans ma main, écrivit rapidement sur une feuille de papier, rejeta le crayon et ensuite s'éleva au-dessus de nos têtes et se perdit peu à peu dans l'obscurité (Recherches sur les phénomènes du spiritualisme. Nouvelles expériences sur la force Psychique, (trad. Alidel. Paris, Meyer, 1923).]  [Retour texte]

 

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