Extrait de La Doctrine Secrète : Le mythe de Prométhée
Prométhée le Titan – Son origine dans l’Inde ancienne
The Secret Doctrine, ii, pp. 519-528 – Traduction Adyar (vol. IV, pp. 91-103)
« À notre époque moderne, il n'y a pas le moindre doute dans l'esprit des meilleurs symbologistes Européens, au sujet de la très grande et de la très mystérieuse signification qu'avait le nom de Prométhée dans l'antiquité. Tout en exposant l'histoire de Deucalion, que les Béotiens considéraient comme l'ancêtre des races humaines et qui était le fils de Prométhée, suivant une légende significative, l'auteur de la Mythologie de la Grèce antique ajoute :
Prométhée est donc quelque chose de plus que l'archétype de l'homme : il en est le générateur. De même que nous avons vu Héphæstos modeler la première femme et lui donner la vie, de même Prométhée pétrit l'argile mouillée dont il façonne le corps du premier homme qu'il va douer de l'étincelle animique (Apollodore, I, 7, 1). Après le déluge de Deucalion, Zeus, dit-on, avait ordonné à Prométhée et à Athéna de faire sortir une nouvelle race humaine de la vase déposée par les eaux (Métam. d'Ovide, I. 81. Etym., M., v. Προµηθεύς), et au temps de Pausanias, on montrait encore, en Phocide, le limon dont le héros s'était servi (Pausanias, X. 4, 4). Sur plusieurs monuments antiques, nous voyons en effet Prométhée modelant le corps de l'homme soit seul, soit avec l'aide d'Athéna (Op. cit. p. 264).
Le même auteur nous rappelle un autre personnage, également mystérieux, bien que généralement moins connu que Prométhée, dont la légende présente de remarquables analogies avec celle du Titan. Le nom de ce second ancêtre et générateur est Phoronée, héros d'un antique poème qui n'existe malheureusement plus, les Phonoriades. Sa légende était localisée en Argolide, où une flamme perpétuelle était entretenue sur son autel, pour rappeler qu'il apporta le feu sur la Terre (Pausanias, II, 19, 5 ; cf. 20, 3). Bienfaiteur des hommes, comme Prométhée, il les avait fait participer à toutes les joies de la Terre. Platon (Timée, p. 22), et Clément d'Alexandrie (Strom., I, p. 380) disent que Phoronée fut le premier homme, ou le "père" des mortels". La généalogie, qui lui donne pour père le fleuve Inachos, nous rappelle celle de Prométhée, qui fait de ce Titan le fils de l'Océanide Clymène. Mais la mère de Phoronée était la nymphe Mélia ; descendance significative qui le distingue de Prométhée (Decharme, ibid, p. 265).
Mélia, suivant Decharme, est la personnification du "Frêne", d'où, selon Hésiode, fut issue la race de l'âge de Bronze (1) et qui, chez les Grecs, est l'arbre céleste commun à toutes les Mythologies aryennes. Le frêne, c'est Yggdrasil de l'antiquité scandinave, que les Nornes arrosent journellement avec les eaux de la fontaine d'Urd, pour qu'il ne dessèche pas. Il reste verdoyant jusqu'aux derniers jours de l'âge d'or. Alors les Nornes – les trois sœurs qui scrutent respectivement le Passé, le Présent et le Futur – font connaître le secret d'Orlog ou du Destin (Karma), mais les hommes ne sont conscients que du présent.
(Mais lorsque) Gultweig (le minerai d'or) arrive, la séduisante enchanteresse... qui, jetée par trois fois dans le feu, en sort chaque fois plus belle "auparavant et remplit les âmes des dieux et des hommes d'un désir que rien n'apaise, alors les Nornes… entrent en existence et la paix bénie des rêves de l'enfance s'évanouit et le péché naît, avec toutes ses mauvaises conséquences (et Karma) (Asgard and the Gods, pp, 11, 13).
L'Or trois fois purifié c'est Manas – l'âme consciente.
Chez les Grecs, le Frêne représente la même idée. Ses branches luxuriantes sont le Ciel sidéral, doré le jour et parsemé d'étoiles la nuit – les fruits de Mélia et d'Yggdrasil, sous l'ombre protectrice desquels l'homme vivait durant l'âge d'or, sans désirs, comme sans craintes. "Cet arbre avait un fruit, ou une branche enflammée, qui était l'éclair" – suppose Decharme.
Ici, entre en scène le mortel matérialisme de l'époque, cette tournure particulière de l'esprit moderne qui, pareille au vent du Nord, courbe tout sur son passage et glace toute intuition, sans lui permettre d'intervenir dans les spéculations du jour. Après n'avoir vu dans Prométhée rien de plus que "du feu par frottement", le savant auteur de la Mythologie de la Grèce antique perçoit dans ce "fruit" un soupçon de plus qu'une simple allusion au lieu terrestre et à sa découverte. Ce n'est plus un feu dû à la chute de la foudre, qui enflamme des matières combustibles sèches et révèle ainsi ses inappréciables bienfaits aux hommes paléolithiques – mais, cette fois, quelque chose de plus mystérieux, bien que toujours aussi terrestre !
Un oiseau divin, niché dans ses branches (du Frêne céleste), déroba ce rameau (ou le fruit) et l'apporta dans son bec sur la terre. Or, le mot grec (Φορώνευς) est le rigoureux équivalent du mot sanscrit Bhuranyu "le rapide", épithète d'Agni, considéré comme le porteur de l'étincelle divine. Phoronéé, le fils de Mélia, ou du frêne céleste, correspond donc à une conception peut-être plus ancienne que celle du pramântha (des antiques Hindous Aryens) devenu le Prométhée des Grecs : Il est l'oiseau qui apporte la foudre du ciel sur la terre. Les traditions relatives à la naissance de la génération d'airain, et celles, qui faisaient de Phoronée le père des Argiens, témoignent que cette foudre, comme dam la légende d'Héphæstos et dans celle de Prométhée, avait été l'origine du genre humain (op. cit., p. 266).
Ceci ne nous fournit encore rien de plus que le sens externe des symboles et de l'allégorie. On suppose maintenant que le nom de Prométhée a été déchiffré, mais les Mythologues et les Orientalistes modernes ne voient plus en lui ce qu'y voyaient leurs pères, suivant toute l'antiquité classique. Ils y trouvent seulement quelque chose de bien plus approprié à l'esprit, de l'époque, c'est-à-dire un élément phallique. Mais le nom de Phoronée, tout comme celui de Prométhée, ne comporte pas un seul, ni même deux, mais bien toute une série de sens ésotériques. Tous deux se rapportent aux sept Feux célestes ; à Agni Abhimânin, ses trois fils et leurs quarante-cinq fils, qui constituent les quarante-neuf Feux. Tous ces nombres ne se rapportent-ils qu'au feu terrestre et à la flamme des passions sexuelles ? L'esprit Hindou Aryen ne s'est-il jamais élevé au-dessus de ces conceptions purement sensuelles : cet esprit que le professeur Max Müller déclare être le plus spirituel et le plus enclin au mysticisme de tout le globe ? Rien que le nombre de ces feux aurait dû faire soupçonner une partie de la vérité.
On nous assure qu'il n'est plus permis, à notre époque, de pensées rationnelles, d'expliquer le nom de Prométhée comme le faisaient les anciens Grecs. Il semble que ces derniers :
Se fondant sur l'apparente analogie de (προµηθεύς) avec le verbe (προµανθάνω), voyaient en lui le type de l'homme "prévoyant", auquel, pour la symétrie, ils avaient donné un frère – Epiméthée, "celui qui prend conseil après l'événement" (Ibid., p. 258).
Mais aujourd'hui les Orientalistes en ont décidé autrement. Ils connaissent le véritable sens des deux noms, mieux, que ceux qui les inventèrent.
La légende est basée sur un événement d'une importance universelle. Elle fut créée pour commémorer un grand événement qui avait vivement frappé l'imagination de ses premiers témoins et dont le souvenir ne devait jamais s'effacer de la mémoire populaire (Ibid, p. 257).
Quel est cet événement ? Laissant de côté toutes les fictions poétiques, tous les rêves de l'âge d'or, imaginons-nous – disent les savants modernes – dans un réalisme brutal, le misérable état primitif de l'humanité, dont Lucrèce, après Eschyle, nous a fait un tableau saisissant et dont la science confirme aujourd'hui l'exactitude ; nous pouvons alors mieux comprendre qu'une nouvelle existence commença véritablement pour l'homme, le jour où il vit la première étincelle produite par le frottement de deux morceaux de bois, jaillissant des veines d'un morceau de silex. Comment les hommes auraient-ils pu s'empêcher d'éprouver de la gratitude pour cet être mystérieux et merveilleux qu'ils pouvaient désormais créer à volonté et qui n'était pas plutôt né, qu'il grandissait, se répandait et se développait avec une étrange puissance.
Cette flamme terrestre n'était-elle pas d'une nature analogue à celle qui, d'en haut, leur envoyait sa lumière et sa chaleur, ou qui les épouvantait dans la foudre ? Ne provenait-elle pas de la même source ? Et si elle tirait son origine du Ciel, ne fallait-il pas qu'elle eût été apportée un jour ici-bas sur la Terre ? S'il en était ainsi, quel était l'être puissant, l'être bienfaisant Dieu ou homme, qui l'avait conquise ? Ces questions que dut se poser de bonne heure la curiosité des Aryas trouvaient, en Grèce, leurs réponses dans le mythe de Prométhée (Ibid, p. 258).
La Philosophie de la Science occulte relève deux points faibles dans les réflexions qui précèdent et va les indiquer. L'état misérable de l'humanité décrit par Eschyle et Lucrèce n'était pas plus pitoyable, durant les premiers jours des Aryens, qu'il ne l'est aujourd'hui. Cet "état" était limité aux tribus sauvages et les sauvages qui existent aujourd'hui ne sont en aucune façon plus heureux ou plus malheureux que ne le furent leurs ancêtres, il y a un million d'années.
Un fait accepté par la Science, c'est que "de grossiers ustensiles, ressemblant exactement à ceux qui sont en usage parmi les sauvages actuels, sont découverts dans le gravier des fleuves et dans les cavernes qui, au point de vue géologique, "doivent être d'une énorme antiquité". Cette ressemblance est si grande, nous dit l'auteur de The Modern Zoroastrian, que :
Si la collection des haches et des têtes de flèches en pierre qu'emploient les Bushmen de l'Afrique du Sud et qui se trouvent à l'Exposition Coloniale, était placée à côté d'une des collections du British Museum, d'objets tirée des cavernes du Kent ou de la Dordogne, un expert seul pourrait les distinguer entre elles (Op. cit., p. 145).
S'il existe aujourd'hui, à notre époque de haute civilisation, des Bushmen qui ne sont pas intellectuellement supérieurs à la race d'hommes qui habitait le Devonshire et le midi de la France pendant l'époque Paléolithique, pourquoi ces derniers n'auraient-ils pas pu être les contemporains d'autres races aussi civilisées pour leur époque que nous le sommes pour la nôtre et vivre en même temps qu'elles ? Le fait que la somme des connaissances de l'humanité augmente chaque jour, "mais que la capacité intellectuelle n'augmente pas avec elle", est prouvé lorsqu'on compare l'intellect, sinon le savoir physique, d'Euclide, de Pythagore, de Pânini, de Kapila, de Platon et de Socrate, avec celui de Newton, de Kant et des modernes Huxley et Haeckel. En comparant les résultats obtenus par le docteur J. Barnard Davis, l'anthropologiste (Transactions of the Royal Society, Londres,1868), en ce qui concerne la capacité interne du crâne – son volume étant pris comme base pour juger des capacités intellectuelles – le docteur Pfaff trouve que cette capacité, chez les Français (qui occupent certainement un des plus hauts rangs dans l'humanité), est de 88 pouces cubes et 4 dixièmes, soit "sensiblement inférieure à celle des Polynésiens en général, qui, même chez de nombreux Papous et Alfuras de la plus basse catégorie, atteint 80 pouces cubes et 89 pouces cubes et 7 dixièmes" ; ce qui établit que c'est la qualité du cerveau et non sa quantité qui est la cause de la capacité intellectuelle. La dimension moyenne des crânes parmi les différentes races, ayant été maintenant reconnue comme "un des indices les plus caractéristiques de la différence qui existe entre les diverses races", la comparaison suivante est très suggestive :
La largeur moyenne chez les scandinaves (est) de 75 ; chez les Anglais de 76 ; chez les habitants du Holstein de 77 ; à Brisgau de 80 le crâne de Schiller a une largeur de 82... et les Nadourais de 82 aussi !
Enfin la même comparaison entre les plus anciens crânes connus et ceux des Européens, met en lumière ce fait étonnant que :
La plupart de ces anciens crânes, appartenant à l'âge de pierre, ont un volume plutôt supérieur qu'inférieur au volume moyen du cerveau de L'homme actuel.
Si nous calculons en pouces la hauteur, la largeur et la longueur, prises sur la moyenne des mesures de plusieurs crânes, nous obtenons les résultats suivants :
1. Anciens crânes du Nord, de l'âge de pierre 18,877 pouces
2. Moyenne de 48 crânes de la même époque, d'Angleterre 18,858 –
3. Moyenne de 7 crânes de la même époque, de la principauté de Galles 18,649 –
4. Moyenne de 36 crânes de l'âge de pierre, de France 18,220 –
La moyenne des Européens actuels est de 18,579 pouces ; celle des Hottentots de 16,705 pouces !
Ces chiffres établissent clairement que :
La dimension du cerveau des plus anciens peuples connus de nous n'est pas de nature à les placer sur un niveau inférieur à celui des habitants actuels de la Terre (The Age and Origin of Man).
Ils font en outre disparaître "le chaînon manquant" dans les airs. Nous en reparlerons du reste plus tard : revenons maintenant au sujet que nous traitons.
Comme nous le dit le Prométhée enchaîné d'Eschyle, la race que Jupiter désirait si ardemment "étouffer, afin d'en implanter une nouvelle à sa place" (V. 241), endura des souffrances mentales et non physiques. Le premier bienfait de Prométhée envers les mortels, comme il le dit au Chœur, fut de les empêcher de "prévoir la mort" (V. 256) ; il "empêcha la race mortelle de tomber consumée dans les ténèbres de l’Hadès" (V. 244) et "en outre de cela, il lui donna alors seulement, le feu (V. 260). Ceci établit clairement le caractère, tout le moins double, du mythe de Prométhée, si les Orientalistes se refusent à accepter l'existence des sept clefs qu'enseigne l'occultisme. Ceci a trait au premier épanouissement des perceptions spirituelles de l'homme et non pas à la première fois où il vit ou "découvrit" le feu. En effet, le feu ne fut jamais découvert, mais il exista sur la Terre dès les débuts. Il existait dans l'activité sismique des premiers âges, car les éruptions volcaniques étaient aussi fréquentes et aussi constantes à cette époque que le brouillard l'est aujourd'hui en Angleterre. Et si l'on vient nous dire que l'homme apparut si tard sur la Terre, que presque tous les volcans étaient déjà éteints et que les désordres géologiques avaient fait place à un état de choses plus stable, nous répondrons ceci : Qu'une nouvelle race d'hommes – qu'elle descende des Anges ou, des Gorilles – apparaisse aujourd'hui sur un point inhabité quelconque du Globe, sauf peut-être le Sahara, et il y aurait, mille chances contre une pour qu'il ne s'écoulât pas une année ou deux avant qu'elle ne "découvrît le feu", grâce à la foudre qui enflammerait les herbes ou autre chose. Cette croyance que l'homme primitif vécut longtemps sur la Terre avant de connaître le feu, est, entre toutes, une des plus cruellement illogiques. Mais le vieil Eschyle était un Initié et savait bien ce qu'il disait (2).
Aucun Occultiste connaissant le symbolisme et, sachant que la Sagesse nous est venue de l'Orient, ne niera un seul instant que le mythe de Prométhée a passé de l'Aryâvarta en Europe. Il ne niera probablement pas non plus que, dans un sens, Prométhée représente "le feu par frottement". Aussi admirera-t-il la sagacité de M. P. Baudry, qui, dans "Les Mythes du Feu et du Breuvage célestes" (3), décrit un des aspects de Prométhée et son origine indienne. Il montre au lecteur le processus primitif supposé qui était employé pour obtenir du feu et qui est encore en usage maintenant aux Indes pour allumer la flamme du sacrifice. Voici ce qu'il dit :
Ce processus, tel qu'il est minutieusement décrit dans les Soutras Védiques, consiste à faire tourner rapidement un bâton dans un trou creusé au centre d'une pièce de bois. Le frottement développe une chaleur intense et finit par faire prendre feu aux éléments ligneux en contact. Le mouvement du bâton, n'est pas une rotation constante, mais une série de tours en sens contraire, au moyen d'une corde fixée au milieu du bâton ; l'opérateur en tient un bout dans chaque main et tire alternativement l'une et l'autre... L'acte entier est désigné en sanscrit par le verbe manthâmi, mathnâmi qui veut dire "frotter, agiter, secouer et obtenir par frottement" et s'applique spécialement au frottement rotatoire, comme le prouve son dérivé mandala qui signifie un cercle... Les pièces de bois qui servent à produire le feu ont chacune un nom en sanscrit. Le bâton qui tourne est dit pramantha ; le disque qui le reçoit s'appelle arani et "arant" ; "les deux aranis" désignent l'ensemble de l'instrument (4).
Il reste à voir ce que les Brahmanes ont à répondre à cela. Mais en supposant même que Prométhée, sous un des aspects de son mythe, eût été considéré, comme le producteur du feu au moyen du Pramantha, ou comme un Pramantha animé et divin, ceci impliquerait-il que le symbolisme n'avait que le seul sens phallique qui lui est attribué par les symbologistes modernes ? Decharme, tout au moins, semble avoir entrevu une lueur exacte de la vérité, car il corrobore inconsciemment tout ce qu'enseignent les Sciences Occultes au sujet des Mânasa Dévas, qui ont doté l'homme de la conscience de son âme immortelle – de cette conscience qui empêche l'homme "de prévoir la mort" et lui fait savoir qu'il est immortel (5). "Comment Prométhée entra-t-il en possession de l'étincelle (divine) ?" demande-t-il.
Le feu ayant son séjour dans le ciel, c'est là qu'il dut aller le chercher avant de le communiquer aux hommes et, pour approcher des Dieux, il a fallu qu'il fût lui-même de race divine (Op. cit., p. 259).
Les Grecs le tenaient pour un membre de la Race Divine, "fils du Titan Japet" (Ίαπετιονιδης. Theog. p. 528) ; les Hindous le tenaient pour un Déva.
Mais, le feu céleste appartenait d'abord aux Dieux seuls ; c'était un trésor qu'ils se réservaient... sur lequel ils veillaient avec un soin jaloux... "Le prudent fils de Japet, dit Hésiode, trompa Jupiter en dérobant et en cachant dans le creux d'un narthex, l'infatigable feu à l'éclat resplendissant" (Theog., 565 )… Le bien dont Prométhée venait de gratifier les hommes était une conquête faite dans le ciel. Or, suivant les Grecs (identiques sur ce point, à celles des Occultistes), cette conquête arrachée à Jupiter, cet empiétement des humains sur la propriété des Dieux, entraînait nécessairement une expiation... Prométhée appartenait, en outre, à la race des Titans révoltés (6) contre les Dieux et que le maître de l'Olympe précipita dans le Tartare ; comme eux, il est un génie du mal, condamné à subir une peine cruelle (Decharme, op. cit., pp. 259, 260).
Ce qu'il y a de plus révoltant dans les explications qui suivent, c'est le point de vue exclusif auquel on se place pour étudier ce mythe important entre tous. Les écrivains modernes qui possèdent le plus d'intuition, ne peuvent pas ou ne veulent pas hausser leurs conceptions au-dessus du niveau de la Terre et des phénomènes cosmiques. On ne nie pas que l'idée morale dans le mythe, tel qu'il est présenté dans la Théogonie d'Hésiode, ne joue un certain rôle dans les conceptions grecques primitives. Le Titan est plus qu'un voleur du feu céleste. Il représente l'humanité – active, industrieuse, intelligente, mais en même temps ambitieuse, qui vise à égaler les pouvoirs divins. C'est en conséquence l'humanité qui est punie dans la personne de Prométhée, mais il n'en est ainsi que pour les Grecs. Pour eux, Prométhée n'est pas un criminel, si ce n'est aux yeux des Dieux. Dans ses rapports avec la Terre, lui-même est, au contraire, un Dieu, un ami de l'humanité (Φιλάνθρωπος) qu'il éleva jusqu'à la civilisation et qu'il initia à la connaissance de tous les arts ; c'est une conception qui trouva en Eschyle son interprète le plus poétique. Mais pour toutes les autres nations – qu'est-ce que Prométhée ? L'Ange Déchu, Satan, comme le voudrait l'Eglise ? Point du tout ! Il est simplement l'image des redoutables et pernicieux effets de la foudre, Il est le "feu malfaisant" (mal feu) (Ibid., p. 263.) et le symbole du divin organe mâle de reproduction.
Réduit à sa plus simple expression, le mythe que nous cherchons à expliquer n'est donc qu'un génie (cosmique) du feu (Ibid., p. 261).
C'est la première idée (l'idée phallique) qui était éminemment Arienne, si nous en croyons Adalbert Kuhn (Die Herabkunft des Feuers und des Göttertranks, Berlin ; 1859). et F. Baudry. Car :
Le feu dont l'homme se servait étant le résultat de l'action du pramantha dans l'arani, les Aryas durent supposer (?) que le feu céleste avait la même origine et ils durent (7) s'imaginer (?) qu'un dieu armé du pramantha, ou qu'un pramantha divin, exerçait au sein des nuages une friction violente qui donnait naissance à l'éclair et à la foudre (Decharme, op. cit., p. 262).
D'après le témoignage de Plutarque (Philosoph. Placit., III, 3), les Stoïciens croyaient que le tonnerre est un combat de nuées, et l'éclair un embrasement par friction, et Aristote voyait dans la foudre le résultat de nuages qui se froissent l'un contre l'autre. Qu'était-ce que cette théorie sinon la traduction savante de la production du feu par friction ?... Il y a donc tout lieu de croire que, dès l'antiquité la plus haute, avant la dispersion des Aryas, on pensait que le pramantha allumait le feu dans la nuée orageuse aussi bien que dans les aranîs (Baudry, Revue Germanique, 14 avril 1861, p. 368).
Ainsi des suppositions, de simples hypothèses, sont représentées comme des vérités qui auraient été découvertes. Les défenseurs de la lettre-morte biblique ne pouvaient aider les auteurs de traités à l'usage des missionnaires, plus effectivement que ne le firent les Symbologistes en tenant ainsi pour certain que les anciens Aryens basaient leurs conceptions religieuses sur des idées qui ne dépassaient pas le niveau physiologique.
Mais il n'en est pas ainsi et l'esprit même de la Philosophie Védique s'oppose à une pareille interprétation. En effet, si, comme l'avoue Decharme lui-même :
Cette idée de la puissance créatrice du feu est expliquée... par l'antique assimilation de l'âme humaine à l'étincelle céleste (Op. cit., pp. 264, 265), comme le prouvent les images souvent employées dans les Védas lorsqu'il est question d'Aranî, cela signifierait quelque chose de supérieur aux grossières conceptions sexuelles. On cite comme exemple un hymne à Agni qui se trouve dans le Véda :
Voici le pramantha : le générateur est prêt. Amenez la maîtresse de la race (l'aranî femelle). Produisons le feu par attrition, suivant l'ancien usage.
Ceci n'est rien de pire qu'une idée abstraite exprimée dans le langage des mortels. L'Aranî femelle, la "maîtresse de la race", c'est Aditi, la Mère des Dieux, ou Shékinah, la Lumière Eternelle – dans le Monde de l'Esprit, le "Grand Abîme" et le chaos ; ou bien c'est la substance Primordiale dans son premier passage du sein de l'Inconnu dans le Cosmos manifesté. Si, bien des âges plus tard, le même qualificatif est appliqué à Dévakî, la mère de Krishna ou du Logos incarné et si le symbole, en raison de la diffusion graduelle et irrésistible des religions exotériques, peut être maintenant considéré comme ayant une signification sexuelle, ceci ne change en rien la pureté originale de l'image. Le subjectif a été transformé en objectif ; l'Esprit est tombé dans la matière. La polarité cosmique universelle de l'Esprit Substance s'était transformée dans l'esprit humain, en union mystique, mais néanmoins sexuelle, de l'Esprit et de la Matière et avait ainsi revêtu une teinte anthropomorphique qu'elle n'avait jamais eue au début. Il existe, entre les Védas et les Pourânas, un abîme dont ils sont les pôles, comme le sont le septième principe, l'Atmâ, et le premier ou principe inférieur, le Corps Physique, dans la constitution septénaire de l'Homme. Le langage primitif et purement spirituel des Védas, conçu des dizaines de milliers d'années avant l'époque des récits pouraniques, trouva son expression purement humaine pour décrire les événements qui se passaient il y a 5.000 ans, lors de la mort de Krishna, époque à laquelle le Kali Youga, ou Age noir, commença pour l'humanité.
De même qu'Aditi est appelée Sourârani, la Matrice ou "Mère" des Souras ou Dieux, de même Kunti, la mère des Pandavas, est appelée dans le Mahâbhârata Pândavârani (8) – et le terme est maintenant pris physiologiquement. Mais Dévakî, l'antétype de la Madone Catholique Romaine, est une forme anthropomorphisée postérieure d'Aditi. Cette dernière est la Déesse-mère, ou Déva-mâtri, de sept Fils (les six et les sept Adityas de l'époque védique primitive) ; la mère de Krishna, Dévakî, renferme six embryons déposés dans sa matrice par Jagad-dhâtri, la "Nourrice du Monde", le septième, Krishna, le Logos, étant transféré dans celle de Rohinî. Marie, la Mère de Jésus, est la mère de sept enfants, de cinq fils et de deux filles (transformation de sexe ultérieure) dans l'Evangile de saint Matthieu (XIII, 55, 56). Aucun des adorateurs de la Vierge Catholique Romaine ne se refuserait à réciter en son honneur la prière adressée par les Dieux à Dévakî. Que le lecteur en juge.
Tu es cette Prakriti (essence), infinie et subtile, qui jadis renfermait Brahmâ dans son sein... Toi, l'être éternel, renfermant dans ta substance l'essence de toutes les choses créées, tu étais identique à la création ; tu étais la mère du triple sacrifice, devenant le germe de toutes choses. Tu es le sacrifice, d'où procèdent tous les fruits ; tu es l'Aranî, dont l'attrition engendre le feu (9). Comme Aditi, tu es la mère des dieux... Tu es la lumière (Jyotsna, le crépuscule du matin) (10), qui donne naissance au jour. Tu es l'humilité (Samnati, une fille de Daksha), la mère de la sagesse ; tu es Niti, la mère de l'harmonie (Naya) (11)205 ; tu es la modestie, la progénitrice de l'affection (Prashraya, expliquée par Vinaya) ; tu es le désir d'où naît l'amour... Tu es... la mère du savoir (Avabodha) ; tu es la patience (Dhriti), la mère de la force d'âme (Dhairya) (Vishnou Pourâna. Trad. de Wilson, IV, pp. 264, 265).
Ceci prouve que l'Aranî n'est autre chose que le "Vase d'Élection" Catholique Romain. Quant à sa signification primitive, elle était purement métaphysique. Dans l'esprit ancien, aucune pensée impure ne traversait ces conceptions. Même dans le Zohar – bien moins métaphysique dans sa symbologie que tous les autres symbolismes – l'idée est une abstraction et rien de plus. Ainsi, quand le Zohar, dit :
Tout ce qui existe, tout ce qui a été formé par les anciens, dont le nom est saint, ne peut exister qu'à l'aide d'un principe mâle et d'un principe femelle (III, 290)
Cela signifie tout simplement que l'Esprit de Vie s'unit sans cesse à la Matière. C'est la volonté de la Divinité qui agit et l'idée est purement de l'école de Schopenhauer.
Lorsque Attikah Kaddosha, l'ancien et le caché des cachés, voulut former toutes choses, il forma tout comme mâle et femelle. Cette sagesse englobe tout lorsqu'elle se manifeste.
Aussi représente-t-on Chokmah (la Sagesse mâle) et Binah (la Conscience femelle ou Intellect) comme créant tout à elles deux – le principe actif et le principe passif. De même que l'œil expert du joaillier discerne, sous la rude et grossière coquille d'huître, la perle pure et immaculée, cachée dans son sein et que sa main ne touche à la coquille que pour arriver à son contenu, de même l'œil du véritable Philosophe lit entre les lignes des Pourânas les sublimes vérités védiques et corrige la forme à l'aide de la Sagesse Védantine. Cependant nos Orientalistes n'aperçoivent jamais la perle sous l'épais revêtement de la coquille et agissent en conséquence.
Par tout ce qui a été dit dans cette Section, on voit clairement qu'il y a un abîme entre le Serpent et l'Eden et le Diable du Christianisme. Seul le marteau à deux mains de l'Antique Philosophie est capable de détruire ce dogme.
Notes
(1). Opera et Dies, 142-145 : Suivant renseignement occulte, trois Yougas se sont écoulés durant le cours de la Troisième Race-Mère, à savoir : le Satyà, le Tréta et le Dvâpara Youga, qui correspondent à l'Age d'or dans son ignorance primitive, à l'Age d'Argent lorsqu'elle atteignit sa maturité et à l'Age de Bronze lorsque, se séparant en deux sexes, elle devint les puissants demi-ieux de l'Antiquité.
(2). La tentative moderne de certains savants grecs (ils auraient passé pour de pauvres savants et des pseudo-savants à l'époque des antiques auteurs grecs !) ayant pour but d'expliquer le sens réel des Idées d'Eschyle – qui n'étant qu'un Ignorant Grec antique, ne pouvait les exposer aussi bien lui-même – est risiblement absurde.
(3). Revue germanique, 1861, pp. 356 et seqq. Voyez aussi les Mémoires de la Société de Linguistique, I, pp. 337 et seqq.
(4). Cité par Decharme, op. cit, pp. 258 à 259. Il y a une pièce de bois supérieure et une inférieure, qui sont employées pour produire le feu sacré, par attrition, lors des sacrifices, et c'est l'Arani qui renferme l'alvéole. Ceci est établi par une allégorie que l'on trouve dans la Vayou Pourâna et dans d'autres Pouranas et qui, nous raconte que Némi, le fils d'Ikshvâkou, n'avait, pas laissé de successeur et que les Richis, redoutant de laisser la Terre sans souverain, introduisirent le corps du roi dans l'alvéole d'un Arani comme d’un Arani supérieur et produisirent ainsi un prince appelé Janaka.
"Ce fut à cause de la singulière façon dont il fut engendré qu'il reçut le nom de Janaka." Voyez aussi le Sanscrit Dictionary de Goldstucker, sub voce (Vishnou Pourana, Traduction de Wilson. III. 330). Dévaki, mère de Krishna, est appelée dans une prière qui lui est adressée, "l'Arani dont l'attrition engendre le feu".
(5). La Monade de l'animal est aussi immortelle que celle de l'homme mais la brute n'en sait rien ; elle vit d'une vie animale de sensations, exactement, comme auraient vécu les premiers humains, en atteignant le développement physique au cours de la Troisième Race, n'eût été l'intervention des Agnishvâttas et des Mânasa Pitris.
(6). Les Anges Déchus, par conséquent ; les Asouras du Panthéon Indien.
(7). Les italiques sont de nous ; elles montrent comment les suppositions sont, de nos jours, élevées au rang de lois.
(8). Voyez la Vishnou Pourana, trad. de Wilson, V, 96, note.
(9). "Matrice de Lumière", "Vase Sacré", sont des qualificatifs de la vierge.
(10). On invoque souvent la Vierge en l'appelant "Étoile du matin" et "Étoile du Salut".
(11). Wilson traduit ainsi : "Tu es la politique royale, la mère de l'ordre".