Sommaire : Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III
« La terre entière, continuellement imbibée de sang, n'est qu'un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche... » Comte Joseph De Maistre, Soirées de st. Petersburg, vo1.II, p.35
Nombreuses sont en Orient les « superstitions religieuses du temps jadis » que les nations occidentales tournent souvent en dérision, sans sagesse : mais aucune n'est autant raillée et méprisée dans la pratique que le grand respect voué par l'Oriental à la vie animale. Les gens carnivores ne peuvent sympathiser avec ceux qui s'abstiennent totalement de viande. Nous, Européens, sommes des nations de barbares civilisés, que quelques millénaires seulement séparent de nos ancêtres cavernicoles qui suçaient le sang et la moelle des os crus. Ainsi, il est bien naturel que ceux qui font si bon marché de la vie humaine dans leurs guerres fréquentes, et souvent iniques, ne se soucient absolument pas des conditions atroces où meurent les bêtes, et sacrifient chaque jour des millions de vies innocentes et inoffensives ; car nous sommes trop épicuriens pour dévorer des biftecks de tigre ou des côtelettes de crocodile il nous faut de tendres agneaux et des faisans au plumage doré. Tout cela est bien conforme à notre période de canons Krupp et de vivisecteurs scientifiques. Et il n'y a pas lieu d'être trop surpris si l'Européen, que rien n'arrête, se moque de l'hindou plein de douceur qui frémit d'horreur à la seule pensée de tuer une vache, ou s'il refuse de sympathiser avec les bouddhistes, ou les jaïns, dans le respect qu'ils ont pour la vie de chaque créature ― de l'éléphant au moucheron.
Mais si, parmi les nations occidentales, le régime camé est vraiment devenu une nécessité vitale ― prétexte que se donne le tyran ―, si dans chaque ville, bourg et village du monde civilisé, il faut absolument que des légions de victimes soient quotidiennement massacrées dans des temples dédiées à la divinité qu'a dénoncée st Paul et à laquelle rendent un culte les hommes « dont le Dieu est leur ventre », si tout cela, et bien plus, ne peut être évité dans notre « âge de fer », qui peut mettre en avant la même excuse quand il s'agit de tuer pour se distraire ? La pêche, le tir aux animaux vivants, la chasse à courre ― les plus passionnants de tous les ―amusements― de la vie civilisée ― sont certainement les plus répréhensibles du point de vue de la philosophie occulte, les plus coupables aux yeux de ceux qui suivent les systèmes religieux qui viennent en droite ligne de la Doctrine Ésotérique ― l'hindouisme et le bouddhisme. Est-ce vraiment sans une bonne raison que les fidèles de ces deux religions, qui sont maintenant les plus vieilles du monde, considèrent l'ensemble des animaux ― depuis l'énorme quadrupède jusqu'à l'insecte infiniment petit ― comme leurs « frères cadets », aussi ridicule que paraisse cette idée à un Européen. Cette question recevra dans ce qui suit la considération qu'elle mérite.
Quoi qu'il en soit, aussi exagérée que semble cette notion, il est certain que peu d'entre nous sont capables de se représenter, sans frémir, les scènes qui ont lieu tôt chaque matin dans les innombrables abattoirs du monde soi-disant civilisé, ou même celles qui se déroulent journellement pendant la « saison de la chasse ». Le premier rayon du soleil n'a pas encore éveillé la nature endormie que, de tous les points cardinaux, des myriades d'hécatombes se préparent pour saluer le lever du luminaire. Jamais le Moloch païen ne s'est réjoui autant d'un cri d'agonie de ses victimes comparable au misérable gémissement qui, dans tous les pays chrétiens, retentit comme un hymne sans fin de souffrance dans toute la nature, jour après jour et du matin au soir. Dans l'ancienne Sparte ― dont les sévères citoyens étaient toujours les moins sensibles aux délicats sentiments du cœur humain ― un garçon reconnu coupable d'avoir torturé un animal par amusement était mis à mort, comme un être dont la nature était à ce point complètement avilie qu'on ne pouvait lui permettre de vivre. Mais, dans l'Europe civilisée, ― qui fait de rapides progrès en tout sauf en vertus chrétiennes ― la force reste à ce jour synonyme de droit. La pratique, entièrement inutile et cruelle, consistant, par simple amusement, à tirer au fusil d'innombrables quantités d'oiseaux et de quadrupèdes n'a nulle part de plus grands fervents que dans l'Angleterre protestante, où la miséricorde prêchée par le Christ n'a guère attendri le coeur humain plus qu'il n'était aux jours de Nemrod ― « le puissant chasseur devant le Seigneur ». La morale chrétienne se transforme tout aussi commodément en syllogismes paradoxaux que celle des païens. Un jour, l'auteur de cet article a entendu d'un chasseur l'avis suivant : puisque « pas un moineau ne tombe au sol sans la volonté du Père », celui qui, pour se distraire, en tue, disons, une centaine, fait de la sorte cent fois la volonté de son Père !
Un sort misérable est bien celui des pauvres créatures animales, rendu plus dur par la main de l'homme qui en fait une fatalité implacable. L'âme rationnelle de l'être humain semble née pour devenir la meurtrière de l'âme irrationnelle de l'animal ― dans le plein sens du tenue, vu que la doctrine chrétienne enseigne que l'âme de l'animal meurt avec son corps. La légende de Caïn et d'Abel ne pourrait-elle pas avoir une double signification ? Voyez aussi cette autre honte, de notre époque cultivée : les abattoirs scientifiques appelés « salles de vivisection ». Entrez dans l'une de ces salles à Paris, et regardez faire Paul Bert et quelques autres de ces hommes ― appelés à. si juste titre « les bouchers savants de l'Institut » ― occupés à leur tâche affreuse. Je n'ai ici qu'à rapporter la vigoureuse description d'un témoin oculaire qui a étudié dans le détailla façon d'opérer de ces « bourreaux », un auteur français bien connu, Eudes de Mirville [Des Esprits, etc., vol. VI, Appendice G, pp.1 00-1] :
« Mais il est une autre spécialité, celle des abattoirs scientifiques, où la torture, savamment économisée par des bourreaux académiciens, s'attaque pendant des journée entières, des semaines, des mois, à toutes les fibres d'une seule et même victime, s'obtient par toutes les armes, s'analyse devant un auditoire sans pitié, se confie dès le matin à dix apprentis à la fois, dont l'un s'essaye sur l'œil, tel autre sur le pied, tel autre sur le cerveau, tel autre sur la moelle, et dont les mains novices n'en parviennent pas moins, après une journée de travail assidu, à mettre à jour toute cette carcasse vivante qu'on leur a prescrit de sculpter et que, le soir, on serre avec soin dans une cave, pour la reprendre au point du jour pour peu qu'il lui reste encore de respire et de sensibilité. On sait que les gardiens de la loi Grammont ayant essayé de s'insurger contre cette abomination, Paris s'est montré plus inexorable que Londres et Glasgow. »
Toutefois, ces messieurs se vantent du grand objectif poursuivi et des grands secrets découverts par eux. « Horreur et mensonges ! » s'exclame le même auteur.
« En fait de secrets, à part les quelques localisations de facultés et de mouvements cérébraux dont nous parlions plus haut, nous n'en connaissons qu'un seul qui leur appartienne en propre ; c'est celui de la torture éternisée, auprès de laquelle, jusqu'à eux, n'étaient rien et la terrible légalité de la nature, et les horreurs de la guerre, et les joyeux massacres de la chasse, et les supplices du fourneau. Gloire à eux ! Ils ont tout dépassé et demeurent incontestablement les rois de l'angoisse et du désespoir artificiels. » [Ibid.p.161.]
L'excuse courante mise en avant pour découper en morceaux, tuer et même torturer légalement les animaux ― comme on le fait en vivisection ― est prise dans un verset ou deux de la Bible et dans sa signification mal digérée par la soi-disant scolastique, représentée par Thomas d'Aquin. Même de Mirville, cet ardent défenseur des droits de l'Église appelle de tels textes
« ... des tolérances bibliques, arrachées après le déluge, comme tant d'autres et fondées sur la déchéance de nos forces. » [Op. cit.].
Quoi qu'il en soit, ces textes sont amplement contredits par d'autres dans la même Bible. Le mangeur de viande, le chasseur par plaisir, et même le vivisecteur ― s'il y en a dans cette catégorie qui croient en une création spéciale et dans la Bible ― citent généralement pour se justifier le verset de la Genèse (I, 28) où Dieu donne au double Adam [= créé homme-femme] « domination sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du cie1 et sur tout animal qui se meut sur la terre » ― et par conséquent, comme le chrétien le comprend, pouvoir de vie et de mort sur tout animal du globe. À cela, le brâhmane, ou le bouddhiste, avec bien plus de philosophie, pourrait rétorquer : « Pas du tout. L'évolution, pour élaborer les futures humanités, commence son travail dans les degrés inférieurs de l'être. Aussi, en tuant un animal supérieur, ou même un insecte, nous arrêtons le progrès d'une entité en marche vers son but final dans la nature ― L'HOMME ». Et à cela, l'étudiant de la philosophie occulte peut dire « Amen », et ajouter que non seulement cet acte retarde l'évolution de cette entité mais il arrête aussi celle de la race humaine en préparation qui arrivera plus parfaite.
Lequel des deux partis en présence a raison, lequel est le plus logique ? Bien entendu, la réponse dépend surtout de la croyance personnelle de l'arbitre choisi pour trancher de ces litiges. S'il croit dans une création spéciale ― à ce qu'on dit ― alors, à la question claire et nette : « pourquoi l'homicide devrait-il être considéré comme un péché tout à fait abominable contre Dieu et la nature, tandis que le meurtre de millions de créatures vivantes pourrait passer pour une simple distraction ? », sa réponse sera : « Parce que l'homme a été créé à l'image même de Dieu, et qu'il tourne ses regards en haut vers son Créateur, et son lieu de naissance ― le Ciel (os homini sublime dedit [Citation d'un passage d'Ovide, Métamorphoses, livre l, II, 85-86 : « os homini sublime dedit : cœlumque tueri, jussit et erectos (ad) sidera tollere vultus » ; = il donna à l'homme une figure sublime, et lui commanda de regarder le ciel, et de tourner les yeux levés vers les étoiles]) ― et que les yeux de l'animal se fixent vers le bas ― son lieu de naissance qui est la terre. Car Dieu a dit : « que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail, des reptiles et des bêtes de la terre, selon leur espèce » (Genèse, 1, 24) ». Et, encore une fois, « parce que l'homme est doué d'une âme immortelle, alors que l'animal muet n'a pas d'immortalité, pas même une brève survivance après la mort ».
À cela un logicien candide pourrait répondre que, si la Bible doit être notre autorité sur ce point délicat, il ne s'y trouve pas la moindre preuve que le lieu de naissance de l'homme se trouve au Ciel, plus que celui de la dernière des bêtes rampantes ― bien au contraire, car, dans la Genèse, nous trouvons que si Dieu a créé « 'l'homme »', et « les » a bénis (1,27-28), de même, il a créé « les grandes baleines » et « les a bénies » (I, 21-22). En outre, « le Seigneur Dieu a formé l'homme de la poussière du sol » (2, 7) : la poussière est assurément de la terre pulvérisé, n'est-ce pas ? Salomon, le roi et prédicateur, est bien certainement une autorité ; il passe aux yeux de tous pour avoir été le plus averti des sages bibliques : dans l'Ecclésiaste, il prononce une série de vérités qui auraient dû à ce moment régler toute discussion sur le sujet. Il déclare, dans le chapitre 3 : « Au sujet des enfants des hommes, Dieu veut leur faire connaître et voir qu'ils sont quant à eux-mêmes des bêtes » (v. 18), « le sort des enfants des hommes et le sort de la bête sont communs aux deux » [...] « l'homme n'a nulle supériorité sur la bête » (v. 19), « tous deux vont au même lieu, les deux viennent de la poussière et les deux retournent à la poussière » (v. 20), « et qui sait si l'esprit de l'homme va vers le haut et si l'esprit de la bête descend en bas vers la terre » (v. 21). En effet, « qui sait » ? En tout cas, ce n'est ni la science ni la « divine école » [scolastique].
Si ces lignes avaient pour but de prêcher le végétarisme, sur l'autorité de la Bible ou du Veda, ce serait tâche très facile. Car, s'il est bien vrai que l'Adam mâle-femelle du premier chapitre de la Genèse (qui n'a guère à voir avec notre ancêtre sous la coupe de sa femme, du deuxième chapitre) a reçu de Dieu « domination sur toute créature vivante », nous ne trouvons nulle part que le « Seigneur Dieu » ait commandé à l'Adam ou à l'autre de dévorer la création animale ou de la détruire, histoire de se distraire. C'est tout le contraire. Car, désignant le règne végétal et le « fruit d'un arbre portant semence », Dieu déclare sans ambages : « Ce sera pour vous (les hommes) votre nourriture » (Genèse, 1, 29).
Si vive était la conscience de cette vérité parmi les premiers chrétiens que, pendant les premiers siècles, ils ne touchèrent jamais à la viande. Dans son ouvrage Octavius, Tertullien écrit à Minucius Felix :
« ... il ne nous est pas permis de voir ni d'entendre relater (novere) [Plus probablement : noscere, prendre connaissance de quelque chose, ou mieux, audire, entendre parler de quelque chose] un homicide, nous chrétiens, qui refusons de goûter à des mets où du sang animal a pu être mélangé. » [Ce passage forme la dernière phrase du chap. XXX de l'Octavius, dont l'auteur est, en réalité, Minucius Felix. À noter que Tertullien, défenseur du christianisme comme Minucius Felix, a abordé le même sujet dans son Apologétique (chap. IX). Le texte de l'Octavius est ainsi libellé : « Notre loi divine ne nous permet ni de voir ni d'entendre relater (audire) un homicide, et nous nous gardons à tel point du sang humain, que nous n'admettons dans nos aliments même pas le sang d'animaux comestibles ». Voir à ce propos, Lévitique (17, 10-14) : « La vie de toute chair est dans le sang... vous ne mangerez le sang d'aucune chair... quiconque en mangera sera retranché... »].
Mais l'auteur ne prêche pas le végétarisme en défendant simplement les « droits de l'animal » et en tâchant de montrer ce qu'il y a de fallacieux à mépriser ces droits sur l'autorité de la Bible. De plus, argumenter avec ceux qui voudraient raisonner sur la base d'interprétations erronées serait tout à fait inutile. Quiconque rejette la doctrine de l'évolution trouvera toujours sa route pavée de difficultés ; en conséquence, il n'admettra jamais qu'il serait bien plus conséquent, avec les faits et la logique, de considérer l'homme physique simplement comme le parangon [le modèle idéal] reconnu des animaux, et l'Ego spirituel qui l'anime comme son principe à mi-chemin entre l'âme de l'animal et la déité. Il serait vain de lui dire qu'à moins d'accepter non seulement les versets qu'il cite pour se justifier mais aussi toute la masse de contradictions et d'apparentes absurdités qui s'y trouvent, il n'obtiendra jamais la clef de la vérité ― car il n'y croira pas. Pourtant, toute la Bible est pleine de l'idée de charité envers les hommes et de miséricorde et amour envers les animaux. Le texte hébreu original du Lévitique (chap. 24) est, ici très éloquent. Au lieu de la traduction courante du verset 18 : « Et celui qui frappera mortellement une bête la remplacera, bête pour bête ». Dans l'original ; on lit : « Vie pour vie » (1), ou plutôt « âme pour âme », nephesh ta 'hat nephesh (2). Et si la rigueur de la loi n'allait pas jusqu'à tuer ― comme à Sparte ― l'« âme » d'un homme pour le prix de l'« âme » d'une bête, même si le fautif remplaçait l'« âme » tuée par une vivante, une lourde punition lui était infligée par surcroît.
Mais ce n'est pas tout. Dans l'Exode (20, 10 et 23, 11-12), le repos imposé le jour du sabbat s'étendait au bétail et à tous autres animaux, « Le septième jour est un sabbat (3) [qui appartient à Yahweh] : tu ne feras aucun travail, ni toi... ni ton bétail ». [Quant à l'année de sabbat, le texte prescrit : « Pendant six années, tu ensemenceras la terre et en récolteras les produits, mais [...] la septième année, tu la laisseras en jachère et en abandonneras les fruits... [les bêtes des champs mangeront ce qui restera]. « Le septième jour, tu te reposeras afin que ton bœuf et ton âne se reposent eux-mêmes ». Si tout cela a un sens, on peut y voir la preuve que les anciens Hébreux n'excluaient même pas la création animale d'une participation au culte rendu à leur déité et qu'en maintes occasions elle était tenue au même niveau que l'homme. Toute la question repose sur la conception erronée que l'« âme », nephesh est entièrement distincte de l'esprit, rua'h (4). Et cependant, il est clairement indiqué que « Dieu insuffla dans les narines (de l'homme) le souffle de vie et il devint une âme vivante », nephesh, ni plus ni moins qu'un animal, car l'âme d'une bête est appelée aussi nephesh. C'est en se développant que l'âme devient esprit, ces deux termes renvoyant aux -degrés inférieur et supérieur d'une seule et même échelle dont la base est l'ÂME UNIVERSELLE ou Esprit.
Cette affirmation ne manquera pas de surprendre tous ces braves gens qui, même s'ils sont pleins d'affection pour leur chat ou leur chien, restent trop attachés aux enseignements de leurs Églises respectives pour pouvoir admettre jamais une telle hérésie. À coup sûr, ils vont s'exclamer : « L'âme irrationnelle d'un chien ou d'une grenouille serait divine et immortelle comme la nôtre ? » Eh bien ! Oui. Et ce n'est pas l'humble auteur de cet article qui le dit mais rien moins qu'une autorité reconnue par tout bon chrétien : celle du roi des prédicateurs : st. Paul. Ceux qui s'opposent ici à nous et refusent avec tant d'indignation d'écouter les arguments de la science moderne, ou de la science ésotérique, prêteront peut-être une oreille plus bienveillante à ce que leur propre saint et apôtre a à dire sur le sujet, en suivant en outre l'interprétation véritable de ses paroles, qui n'est due ni à un théosophe, ni à l'un de ses adversaires mais à un homme qui égalait tout autre chrétien en bonté et en piété : Jean Chrysostome, un saint lui aussi, qui donna des explications et commentaires sur les Épîtres de Paul, et fut tenu dans la plus haute estime par les devins des Églises catholique romaine et protestante. Les chrétiens ont toujours constaté que la science expérimentale ne se rangeait pas à leurs côtés ; ils pourraient bien être encore plus désagréablement surpris en découvrant qu'aucun hindou ne pourrait plaider avec plus de sincérité pour la vie animale que ne l'a fait st. Paul en s'adressant aux Romains. En fait, les hindous demandent miséricorde pour l'animal privé de parole en s'appuyant seulement sur la doctrine de la transmigration et, par suite, sur l'identité du principe ou de l'élément qui anime l'homme comme la bête. St. Paul va plus loin. Il montre (Rom., 8, 21) que l'animal vit dans l'espérance, et l'attente de la même délivrance « de la servitude de la corruption » que tout bon chrétien. Les expressions précises employées par le grand apôtre et philosophe seront citées plus loin dans le présent Essai, et leur véritable sens mis en lumière.
Le fait que tant d'interprètes ― Pères de l'Église et théologiens scolastiques ― se soient évertués à ne pas voir le vrai sens des mots de st. Paul ne témoigne pas contre sa signification intérieure mais plutôt contre l'impartialité de ces théologiens dont l'inconséquence sera mise en lumière dans ce cas particulier. Mais il y a des gens pour soutenir jusqu'au bout leurs propositions, aussi erronées soient-elles.
D'autres, reconnaissant leur première erreur, feront amende honorable (5) vis à vis du pauvre animal, comme on le voit avec Cornelius a Lapide. En spéculant sur le rôle assigné par la nature à la création des bêtes dans le grand drame de la vie, il déclare :
« Toutes les créatures ont pour but le service de l'homme. De là vient qu'elles attendent leur rénovation en même temps que celle de leur maître (cum homine renovationem suam expectant). » (6)
Être au service de l'homme ne peut sûrement signifier être torturé, tué, abattu d'un coup de feu sans nécessité ou être mis à mal d'autre manière. Bien qu'il soit presque inutile d'expliquer le mot rénovation, les chrétiens le comprennent comme la rénovation des corps après la seconde venue du Christ et la limitent à l'homme, à l'exclusion de l'animal. Ceux qui étudient la Doctrine Secrète (7) l'expliquent par le renouvellement et le perfectionnement successifs des formes sur l'échelle de l'être, objectif et subjectif, et cela dans une très longue série de transformations évolutives, depuis l'animal jusqu'à l'homme, et au-delà, dans le sens ascendant.
Bien entendu, cette conception sera, une fois de plus, rejetée par les chrétiens avec indignation. On va nous dire que ce n'est pas ainsi qu'on leur a expliqué la Bible, et qu'elle ne peut jamais vouloir dire cela. Inutile donc d'insister. Nombreuses, et bien amères dans leurs résultats, ont été les interprétations erronées de ce que les gens se plaisent à appeler la « Parole de Dieu ». La phrase : « Maudit soit Canaan ! Il sera le serviteur des serviteurs de ses frères » (Genèse, 9, 25) a été la cause de siècles de misères et de malheurs immérités infligés aux infortunés esclaves noirs. C'est le clergé des Etats-Unis, qui se montra l'ennemi le plus acharné dans les débats sur (l'abolition de l'esclavage, où il opposa sa résistance Bible en min. Cependant, il est prouvé que l'esclavage a été la cause du déclin naturel de chaque pays et même Rome la superbe a connu la chute parce que, comme le remarque Geijer, à juste titre, « la majorité du monde antique était faite d'esclaves ». Mais, en tous temps, les meilleurs des chrétiens, et les plus intellectuels, ont été si terriblement imbus de ces multiples interprétations fausses de la Bible que même Milton, l'un des plus grands poètes, n'accorde au pauvre animal pas la moindre parcelle du droit à la liberté qu'il défend pour l'homme :
« Il (Dieu) nous accorda seulement sur bête, poisson ou oiseau,
Domination absolue ; ce droit nous le tenons
Du don qu'il nous fit, mais il n'a pas conféré à l'homme
D'être un seigneur pour l'homme : ce titre, à lui-même
Il le réserve, l'humain restant libre de l'humain. » (8)
Cependant, tout comme le meurtre, l'erreur doit « éclater au jour » : inévitablement, une absurdité doit se présenter chaque fois que des conclusions erronées sont soutenues pour combattre ou pour défendre une question jugée d'avance. Ceux qui s'opposent au philozoïsme [amour des animaux] oriental offrent ainsi à leurs critiques une arme formidable pour balayer leurs plus habiles arguments, par l'inconséquence qui sépare prémisses et conclusions ; faits postulés et conclusions tirées.
C'est l'objet du présent Essai de jeter un rayon de lumière sur ce sujet éminemment sérieux et intéressant. Dans l'intention de démontrer l'authenticité des nombreuses résurrections miraculeuses d'animaux produites par leurs saints, les auteurs catholiques en ont fait le sujet de débats sans fin. Selon l'opinion de Bossuet, l'âme chez les animaux pose « la plus difficile comme la plus importante de toutes les questions .philosophiques ».
Face à la doctrine ecclésiastique qui veut que, sans être dépourvus d'âme, les animaux n'aient pas en eux d'âme permanente ou immortelle, et que le principe qui les anime meure avec le corps, il devient bien intéressant d'apprendre comment théologiens scolastiques et devins d'Église arrivent à réconcilier cette affirmation avec le fait mis en avant que des animaux peuvent être ressuscités, et qu'il y a eu de tels cas observés, de façon fréquente et miraculeuse.
Bien qu'il soit seulement une tentative modeste ― il faudrait écrire des volumes pour entrer dans tous les détails ― le présent Essai, qui dénonce l'inconsistance des interprétations scolastiques et théologiques de la Bible, vise à convaincre les gens du grand crime qui s'attache au meurtre des animaux, particulièrement dans la chasse pour le plaisir et a vivisection. En tout cas, son but est de montrer qu'aussi absurde que soit l'idée qu'homme ou anima puisse être ressuscité, une fois que le principe de vie a quitté le corps à jamais, de telles résurrections ― si elles étaient vraiment authentiques ― ne seraient pas plus impossibles dans le cas d'une bête privée de la parole que d'un homme, car ou bien l'un et l'autre sont doués par nature de ce que nous appelons « âme », d'une manière si vague, ou bien ni l'un ni l'autre n'en sont pourvus. [Retour sommaire]
Quelle chimère est-ce donc que l'homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradictions, quel prodige ! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre ; dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur ; gloire et rebut de l'univers. Pascal (9)
Nous allons maintenant examiner quelles sont les vues de l'Église chrétienne concernant la nature de l'âme dans la bête, voir comment elle réconcilie des faits incompatibles ― la résurrection d'un animai mort et l'extinction présumée de son âme en même temps que son corps ― et considérer quelques miracles en rapport avec les animaux. Avant que soit porté le coup final et décisif à toute cette doctrine égoïste qui est devenue si féconde en cruelles pratiques ignorant toute charité envers le pauvre monde animal, il faut d'abord que le lecteur soit informé des premières hésitations des Pères de l'époque patristique eux-mêmes à propos de l'interprétation correcte des paroles de st. Paul sur la Question.
Il est plaisant de noter comment le karma de deux des plus infatigables défenseurs de l'Église romaine, MM. des Mousseaux et de Mirville (dans les œuvres desquels sont rapportés les quelques miracles dont il sera question), les a conduits l'un et l'autre à fournir les armes qui se retournent maintenant contre leurs vues sincères mais fort erronées (10).
Etant donné que la grande bataille du Futur doit se livrer entre, d'une part, les « créationnistes » (ou les chrétiens, ainsi que tous ceux qui croient en une création spéciale et un dieu personnel), et, d'autre part, les « Évolutionistes » (ou les hindous, les bouddhistes, tous les libres penseurs, et finalement la grande masse des hommes de science, qui ne sont pas les moins actifs), il paraît souhaitable de récapituler les positions respectives :
- Le monde chrétien postule son droit sur le monde animal : (a) Sur la foi des textes bibliques cités et des interprétations scolastiques ultérieures ; (b) sur l'absence présumée de tout ce qui pourrait ressembler à une âme divine ou humaine dans les animaux. L'homme survit à la mort, ce qui n'est pas le cas de la bête.
- Basant leurs déductions sur leurs grands systèmes philosophiques, les Évolutionnistes orientaux maintiennent que c'est un crime contre l'œuvre et le progrès de la nature de tuer un être vivant quelconque, pour les raisons données dans les pages précédentes.
- Armés des toutes dernières découvertes de la science, les Évolutionnistes occidentaux ne se soucient pas plus des chrétiens que des païens. Certains scientifiques croient à l'évolution, d'autres non. Néanmoins, ils s'entendent sur un point : la recherche physique, exacte, n'offre aucune base pour admettre que l'homme ― pas plus que son chien ― soit doué d'une âme divine immortelle.
Ainsi, tandis que les Évolutionnistes orientaux ont un comportement envers les animaux qui s'accorde avec leurs vues scientifiques et religieuses, ni l'Église ni l'école matérialiste de la science ne sont logiques dans les applications pratiques de leurs théories respectives. La première enseigne que toute créature vivante est l'objet d'une création unique et spéciale de Dieu ― comme c'est le cas de n'importe quel bébé humain ― et que cette créature se trouve, de la naissance à la mort, placée aux soins vigilants d'une sage et bonne Providence, mais, en même temps, elle n'accorde à la création inférieure qu'une âme temporaire. Quant à la science, si elle considère l'homme et l'animal comme des produits sans âme de quelques forces naturelles inconnues jusqu'à présent, dans la pratique, elle n'établit pas moins un abîme entre les deux. Un homme de science ― le matérialiste le plus irréductible qu'on voudra ― qui fait de la vivisection sur une bête vivante le plus froidement du monde, frémirait à l'idée de se mettre à estropier ― et, pire encore, à torturer à mort ― un de ses semblables. Et on ne trouve pas non plus, parmi les grands matérialistes qui furent des hommes inclinés vers la religion, des gens qui se sont montrés conséquents et logiques dans une définition du vrai statut moral de l'animal sur cette terre et de droits que l'homme aurait sur lui.
Il convient maintenant de présenter quelques exemples prouvant les accusations formulées. Comme nous nous adressons aux esprits sérieux et cultivés, il nous faut supposer que les vues des diverses autorités citées ne sont pas étrangères au lecteur. Aussi suffira-t-il simplement de donner de brefs résumés des conclusions obtenues ― en commençant par les hommes d'Église.
Comme indiqué plus haut, l'Église exige que l'on croie aux miracles accomplis par ses grands saints. Parmi leurs divers prodiges, nous retiendrons pour le moment ceux qui sont en rapport direct avec notre sujet : les cas de résurrection miraculeuse d'animaux morts. Il va de soi que si l'on accorde à l'homme une âme immortelle, indépendante du corps qu'elle anime on peut aisément croire que, par quelque miracle divin, l'âme peut être rappelée et obligée à revenir dans le tabernacle qu'elle avait déserté pour toujours, selon toute apparence. Mais comment accepter la même possibilité pour un animal, si la foi enseigne que celui-ci n'a pas d'âme indépendante, vu qu'elle serait annihilée à la mort du corps ? Depuis plus de deux cents ans, à la suite de Thomas d'Aquin, l'Église n'a-t-elle pas soutenu, de toute son autorité, l'idée que l'âme de la bête meurt avec son organisme ? Qu'est-ce qui pourrait bien alors revenir dans la forme d'argile pour lui redonner vie ? C'est ici qu'intervient la pensée scolastique : saisissant la difficulté à pleine main, elle réconcilie l'irréconciliable.
Elle commence par dire que les miracles de la résurrection des animaux sont innombrables, et aussi bien authentifiés que « celle de Notre Seigneur Jésus-Christ » (11). Les Bollandistes (12) donnent des exemples sans nombre. Comme un hagiographe du 17e siècle, le Père Burigny, le remarque plaisamment, à propos des outardes ressuscitées par st. Rémi :
« Quelqu'un de ces charmants esprits qui se disent forts, me dira peut-être en souriant qu'il faudrait être grue soi-même pour ajouter foi à ces petits contes d'oiseaux, et je m'attends qu'il me demandera où l'âme de celui-ci était allée et me fera tout plein de jolies questions à ce sujet. Je ne lui répondrai qu'une chose, c'est que s'il me dispute cette histoire, il lui faudra rayer aussi de la vie de saint Isidore d'Espagne (13) qu'il ait ressuscité le cheval de son maître, dé celle de saint Nicolas, de Tolentino, qu'il ait rendu la vie à une perdrix au lieu de la manger ; de celle de saint François, qu'il ait retiré un agneau des cendres d'une fournaise et fait nager dans leur sauce des poissons ressuscités [...] mais surtout il faudra que le sceptique accuse plus de cent mille témoins, parmi lesquels plusieurs, pour le moins, devaient avoir le sens commun, de n'avoir été que des menteurs ou des dupes. » (14)
Une autorité bien supérieure à celle du Père Burigny, le pape Benoît XIV, corrobore ce genre de témoignage et en affirme la véracité. De plus, les noms des témoins oculaires de ces résurrections, tels que st. Sylvestre, François de Paule, Séverin de Cracovie, et une légion d'autres, sont tous cités chez les Bollandistes. Selon ce pape (comme le rappelle le cardinal de Ventura citant Benoît XIV) :
« ... la résurrection, pour mériter ce titre, exigeant la reproduction identique et numérique de la forme (15), et de la matière de la créature morte, et la forme (ou âme) de la brute ayant été anéantie avec son corps, conformément à la doctrine de saint Thomas, Dieu se trouvait alors obligé d'en créer une nouvelle ; d'où il suivait que la brute n'était plus tout à fait identique à ce qu'elle était avant la mort (non idem omnino esse) » (16)
Il faut dire que cela ressemble terriblement à l'une des mâyâ [prodiges illusoires] de la magie. Cependant, même si la difficulté n'est pas absolument expliquée, il apparaît clairement ce qui suit : vu que le principe qui animait la bête pendant sa vie (et qu'on appelle l'âme) est mort ou dissipé après l'extinction du corps, « une sorte d'âme-forme » (selon le terme employé par le pape et le cardinal) est créée par Dieu, aux fins d'un miracle ― cette âme étant en outre différente de celle d'un homme qui, quant à elle, est une entité indépendante, éthérée et permanente ».
En dehors de l'objection naturelle qui s'impose (on ne peut dire que ce genre de résurrection soit un « miracle » produit par le saint, si c'est simplement Dieu qui, derrière son dos, crée, pour sa propre glorification, une âme entièrement nouvelle ainsi qu'un nouveau corps), toute la doctrine de st Thomas s'expose à la critique. Car, comme Descartes l'a très justement remarqué :
« Si l'âme des bêtes est distincte de leur corps (c'est à dire immatérielle), il nous semble que l'on ne pourra guère s'empêcher de la reconnaître pour spirituelle, c'est-à-dire pour intelligente. » [Cité par de Mirville, op. cit., vol. VI, App. G, p. 152.]
Il n'est guère nécessaire de rappeler au lecteur que Descartes tenait l'animal vivant pour un simple automate, une « horloge bien remontée », selon Malebranche. Aussi celui qui suivrait la théorie cartésienne sur les bêtes ferait aussi bien d'accepter d'emblée les opinions des matérialistes modernes. Car, vu qu'un tel automate est capable de sentiments, tels qu'amour, gratitude, etc. et est doué indéniablement de mémoire, tous ces attributs doivent constituer des « propriétés de la matière », comme nous l'enseigne le matérialisme. Mais si l'animal est bien un « automate », pourquoi pas l'Homme ? La science exacte ― anatomie, physiologie, etc. ― ne découvre pas la moindre différence de constitution physique entre l'homme et la brute. Et qui sait ― comme, à juste titre, se demande Salomon ― si l'esprit de l'homme s'« élève vers les hauteurs » plus que celui de la bête ? [Voir plus haut, citation de l'Ecclésiaste, 3,21]. Ainsi, Descartes métaphysicien nous apparaît aussi inconséquent qu'un autre.
Mais que dit st Thomas de tout cela ? Tout en accordant une âme (anima) à la bête, et la déclarant immatérielle, il lui refuse en même temps la qualification de spirituelle. Parce que, selon lui, « cela impliquerait l'intelligence ― une vertu et une opération spéciale uniquement réservées à l'âme humaine » [Cité par de Mirville, op.cit., vol. VI, App. G, p. 153.]. Mais, comme au 4e Concile de Latran, il avait été décidé que
« ... Dieu avait créé deux substances distinctes, la corporelle (mundanam) et la spirituelle (spiritualem) et que quelque chose d'incorporel devait nécessairement être spirituel. » [Voir le premier Chapitre de ce Concile tenu en 1215.]
St Thomas devait recourir à une sorte de compromis, qui ne peut éviter d'être appelé subterfuge que lorsque c'est un saint qui l'emploie :
« L'âme de la brute n'est ni esprit ni corps : elle est de nature intermédiaire. » (17)
C'est là une bien malheureuse déclaration. Car, ailleurs, st Thomas dit que
« ... toutes les âmes, même celles des plantes, sont la forme substantielle de leurs corps » (18).
Si c'est vrai des plantes, pourquoi pas des animaux ? Une âme n'est certainement ni « esprit » ni pure matière, mais de l'essence que st Thomas appelle une « nature intermédiaire ». Dès lors, une fois sur le bon chemin, pourquoi lui refuser une survivance ― pour ne pas dire une immortalité ? La contradiction est si flagrante que de Mirville s'exclame, désespéré :
« Nous voici en présence de trois substances, au lieu de deux uniques signalées par le concile [de Latran]... » [De Mirville, op. cit. p.153.]
et il se met à contredire ― autant qu'il l'ose, le « Docteur angélique ».
Dans son , le grand Bossuet analyse le système de Descartes et le compare à celui de st Thomas. Personne ne peut lui en vouloir de donner la préférence en matière de logique à Descartes. Il trouve que l'invention cartésienne ― faisant de l'animal un automate ― se « tire mieux d'affaire » que celle de st Thomas, pleinement acceptée par l'Eglise catholique. C'est l'occasion pour le Père de Ventura de s'indigner contre Bossuet pour avoir accepté « une aussi misérable et erreur » . Et tout en accordant à l'animal une âme, avec toutes ses qualités d'affection et de sensation ― en restant ainsi fidèle à son maître st Thomas― il lui refuse aussi l'intelligence et les pouvoirs de raisonnement.
Et Bossuet est d'autant plus coupable, ajoute le Père, qu'il avait dit : « Je prévois qu'une grande guerre se prépare contre l'Église sous le nom de philosophie cartésienne ». [Ibid. p.l54, cf. Ventura, op.cit., II, 406.] (19)
En cela il a raison, car de la « matière capable de sentir » du cerveau de la bête découle tout naturellement la matière pensante de Locke, et de là toutes les écoles matérialistes de notre siècle. Mais là où il s'égare c'est quand il soutient la doctrine de st Thomas qui est pleine de points faibles et d'évidentes contradictions. Car si, comme l'enseigne l'Église catholique, l'âme de la bête est un principe informel, immatériel, il saute aux yeux que, si elle est indépendante de l'organisme physique, elle ne peut « mourir avec l'animal » plus que dans le cas de l'homme. Si nous admettons qu'elle subsiste et survit, sous quel rapport diffère-t-elle de l'âme de l'homme ? Et elle doit être éternelle, si nous devons accepter l'autorité de st Thomas sur n'importe quel sujet ― bien qu'il se contredise ailleurs.
L'âme de l'homme est immortelle et l'âme de l'animal périt, déclare-t-il (Summa. vol V, p. 164), après s'être demandé, dans un autre passage de son œuvre considérable, (vol. II, p. 256) :
« ...Y a-t-il des êtres qui rentrent dans le néant ? »
et avoir répondu lui-même :
« ...Non, car dans l'Ecclésiaste (3,14) il est dit : « quoi que Dieu fasse, ce sera pour toujours ». Avec Dieu, il n'y a « pas de changement » (Jacques, 1, 19) ».
Ainsi donc, poursuit st Thomas :
« ... Ni dans l'ordre naturel des choses, ni par l'effet des miracles, il n'y a de créature qui rentre dans le néant (est annihilée) ; il n'y a rien dans la créature qui s'anéantisse, car ce qui montre avec le plus d'éclat la bonté divine, c'est la conservation perpétuelle des créatures » (20).
Cette affirmation est commentée et confirmée, dans l'annotation du traducteur, l'abbé Drioux, qui remarque
« Rien ne s'anéantit ; c'est un principe qui est devenu aux yeux de la science moderne une sorte d'axiome... » [De Mirville, op.cit. p.158.]
Mais s'il en est ainsi, pourquoi faudrait-il qu'il y ait une exception à cette règle invariable de la nature, reconnue par la science, comme par la théologie, et cela dans le seul cas de l'âme de l'animal ? Même si celle-ci était dépourvue d'intelligence ― postulat contre lequel s'élèvera toujours, et très énergiquement, tout penseur impartial.
Voyons cependant, en abandonnant la philosophie scolastique pour les sciences naturelles, ce que le naturaliste aurait à objecter à ce que l'animal ait en lui une âme intelligente et, par ce fait même, indépendante. Il y a près de deux millénaires, Cicéron a écrit :
« Quoi que ce soit qui pense, qui comprend, qui agit est quelque chose de céleste et de divin et pour cette raison même d'éternel par nécessité. » (21)
Nous devons bien comprendre ― même si Mr Huxley contredit la conclusion ― que st Thomas d'Aquin, le « roi des métaphysiciens », a cru fermement aux miracles accomplis par st. Patrick (22).
Vraiment, quand de telles prétentions ― comme ces fameux miracles - sont avancées par l'Eglise et imposées aux fidèles, ses théologiens devraient faire plus attention à ce que leurs plus hautes autorités au moins ne se contredisent pas elles-mêmes, en montrant ainsi une ignorance dans des questions qui sont pourtant élevées au rang d'une doctrine.
Ainsi donc on refuserait à l'animal progrès et immortalité parce qu'il est un automate. A en croire Descartes, il n'a pas d'intelligence, conformément à la scolastique médiévale ― rien que de l'instinct, c'est-à-dire des impulsions involontaires, à en croire les matérialistes ― ce que nie l'Eglise.
Cependant, Frédéric et Georges Cuvier ont amplement discuté de l'intelligence et de l'instinct chez les animaux (23). Leurs idées sur le sujet ont été réunies et éditées par Flourens, le savant Secrétaire de l'Académie des Sciences. Voici ce que Frédéric Cuvier (qui fut pendant 30 ans le directeur du Département de Zoologie du Muséum d'Histoire Naturelle au Jardin des Plantes) a écrit à ce propos :
« La faute de Descartes, ou plutôt la faute générale, est de n'avait jamais assez distingué entre l'intelligence et l'instinct. Buffon lui-même était tombé dans cet oubli, et faute de cette distinction tout était contradictoire dans sa philosophie zoologique. Il accordait à la bête un sentiment supérieur au nôtre, et la conscience de son existence actuelle, mais en même temps il lui ôtait la pensée, la réflexion, la mémoire, et par conséquent toute possibilité d'avoir des idées. (Buffon, Discours sur la nature des Animaux, in-12°, vol.VII p.57) [Cité par de Mirville, op.cit. vol. VI, App. G, p.155.]
Cependant, comme il pouvait difficilement s'en tenir là, il admit que la bête avait une sorte de mémoire, active, étendue, et plus fidèle que notre mémoire (humaine) (ibid. p.77). Et alors, après lui avoir refusé une intelligence quelconque, il n'en admit pas moins que l'animal « consultait son maître, l'interrogeait et entendait très bien les signes de sa volonté » (ibid. vol. X, Histoire du chien, p.2) [Cf. de Mirville, ibid.].
On n'aurait guère pu s'attendre à trouver chez un grand homme de science une telle accumulation remarquable d'affirmations contradictoires.
L'illustre F. Cuvier a donc raison de remarquer à son tour que
« ... ce nouveau mécanisme de Buffon est encore plus inintelligible que celui de Descartes. » [Biographie Universelle, etc. 1847. Article de F. Cuvier sur la vie de Buffon, p.119.].
Comme le note le critique, il convient de tracer une ligne de démarcation entre instinct et intelligence. La construction des niches par les abeilles, comme l'édification des barrages par le castor, que ce soit au milieu du parquet sec du naturaliste ou dans la rivière, sont des actes et des efforts de l'instinct, à jamais incapable de modification ou de changement, alors que l'on doit chercher les interventions de l'intelligence dans des actions combinées par l'animal, quand entre en jeu non l'instinct mais la raison, que son éducation et son entraînement sollicitent et rendent susceptibles de perfectionnement et de développement. L'homme est doué de raison, le jeune enfant d'instinct ; et le jeune animal fait montre de plus de l'une et de l'autre que l'enfant.
A vrai dire, chacun des controversistes sait aussi bien que nous qu'il en est ainsi. Si aucun matérialiste n'accepte de l'avouer c'est par orgueil. Lui qui refuse une âme autant à l'homme qu'à la bête, rechigne à admettre que celle-ci soit douée d'intelligence comme lui-même, fût-ce à un degré infiniment moindre. De leur côté, l'homme d'Eglise, le naturaliste aux penchants religieux, le métaphysicien moderne répugnent à avouer que l'homme et l'animal sont l'un et l'autre doués d'une âme et de facultés, sinon égales en développement et en perfection, au moins identiques en nom et essence. Chacun d'eux sait, ou devrait savoir, que l'instinct et l'intelligence sont deux facultés complètement opposées par nature, deux ennemis qui se font face, en constant conflit, et que, s'ils ne veulent pas admettre l'idée de deux âmes, ou deux principes, il leur faut au moins reconnaître la présence de deux potentialités d'action dans l'âme, chacune ayant dans le cerveau un siège différent dont la localisation leur est bien connue puisqu'ils sont à même d'isoler et de détruire l'un ou l'autre de façon distincte, selon l'organe, ou la partie des organes, qu'ils choisissent méthodiquement de torturer dans leurs terribles vivisections. Qu'est-ce sinon la pensée de l'orgueil humain qui a fait dire à Pope :
« Demande pour qui brillent les corps célestes,
Pour servir qui, la terre ? C'est pour moi, répond l'orgueil.
Pour moi, la bonne nature éveille son génial pouvoir,
Nourrit chaque herbe, épanouit chaque fleur.
Pour moi, chaque année revivent la vigne et la rose,
Coule le nectar du fruit, se répand la douce rosée.
Pour moi, la mine dispense mille trésors
Pour moi, de mille sources, jaillit la santé.
Les mers roulent pour me porter ; pour m'éclairer se lèvent les soleils.
La terre est mon marchepied, le ciel me sert de dais. » (24).
Et c'est le même orgueil inconscient qui a amené Buffon à faire ses paradoxales remarques concernant la différence entre l'homme et l'animal. Celle-ci tenait chez l'animal à l'absence de réflexion car, déclara-t-il, « il ne sent pas qu'il sent ». Comment Buffon pouvait-il le savoir ? « Il ne pense pas qu'il pense », ajouta-t-il après avoir dit à son public que l'animal se souvenait, souvent délibérait, comparait, et choisissait ! [Discours sur la nature des animaux]. Qui a jamais prétendu qu'une vache ou un chien pouvait être un idéologue ? Mais l'animal peut bien penser et savoir qu'il pense, d'une façon d'autant plus nette qu'il ne peut parler ni exprimer ses pensées. Comment Buffon, ou qui que ce soit d'autre, pourrait-il savoir ? Au moins il y a une chose qui est mise en évidence par les observations exactes des naturalistes c'est que l'animal est doué d'intelligence ; une fois ce point établi il ne nous reste plus qu'à répéter la définition qu'a donnée Thomas d'Aquin de l'intelligence ― comme la prérogative de l'âme immortelle de l'homme ― pour voir que la même chose doit être accordée à l'animal.
Mais, en toute justice à l'égard de la vraie philosophie chrétienne, nous sommes à même de montrer que le christianisme primitif n'a jamais prêché des doctrines aussi atroces qui sont la vraie cause de la défection de tant des meilleurs hommes, comme des plus hautes intelligences qui se sont écartés des enseignement du Christ et de ses disciples. [Retour sommaire]
"Ô Philosophie ! Guide de la vie et révélatrice de la vertu !" Cicéron
"La philosophie est une humble profession ; elle est toute réalité et conduite droite. Je hais la solennité et le faux semblant, qui n'ont au fond que l'orgueil". Pline
La destinée de l'homme, du plus brutal et grossier comme du plus saint, étant l'immortalité, selon ce qu'enseigne la théologie, quelle est la destinée future des innombrables légions du règne animal ? Si on en croit divers auteurs catholiques comme le cardinal de Ventura, le comte de Maistre et bien d'autres, l'âme animale est une force.
Il est bien établi - à ce que déclare de Mirville qui se fait leur écho ― que l'âme de l'animal a été produite par la terre, car c'est biblique :
« Toutes les âmes vivantes et remuantes (nephesh, ou principe de vie) viennent de la terre ; mais, entendons-nous bien, non pas uniquement de la poussière comme leur corps et comme le nôtre, mais de la puissance de la terre, c'est-à-dire de sa force, immatérielle comme toutes les forces du monde, et dont il est si souvent question dans tous les livres saints, conjointement avec la puissance de la mer, de l'air, etc. Tout ceci rentre dans ces principautés élémentaires dont nous nous sommes tant occupés ailleurs. » (à savoir : Des Esprits 2° mém. chap.XII ― Cosmolâtrie).
Ce qu'entend le marquis Eudes de Mirville par cette expression c'est que chaque « Élément » dans la nature est un domaine peuplé et gouverné par ses esprits invisibles respectifs. Les Kabbalistes occidentaux et les Rose-Croix les ont appelés sylphes, ondines, salamandres et gnômes ; les mystiques chrétiens, comme de Mirville, leur donnent des noms hébreux, et classent les uns et les autres parmi les diverses sortes de démons sous l'empire de Satan ― avec la permission de Dieu, bien entendu.
Le marquis, lui aussi, se rebelle contre la décision de st. Thomas qui enseigne la destruction de l'âme de l'animal avec son corps. « C'est donc une force », dit-il, « que l'on nous propose d'anéantir, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus substantiel au monde, une force qui s'appelle âme animale », laquelle selon le Révérend Père Ventura est « l'âme la plus respectable après celle de l'homme ».
Il venait à peine de la dénommer force immatérielle qu'il l'appelle maintenant « ce qu'il y a de plus substantiel au monde ». [Ibid.]
Mais qu'est-ce que cette force ? Georges Cuvier et l'académicien Flourens nous livrent son secret. Le premier écrit [comme le rappelle de Mirville : op. cit. vol. VI, App. G, p. 158.] :
« La forme ou la force des corps [forme signifiant âme dans ce cas, ne l'oublions pas], leur est plus essentielle que la matière puisque [sans être détruite] celle-ci change sans cesse tandis que l'autre [la tonne] SE CONSERVE. »
À ce propos, Flourens observe :
« Dans tout ce qui a vie la tonne est plus persistante que la matière... (car) ce qui constitue l'ÊTRE du corps vivant, et par suite son identité, sa mêmeté, est précisément ce qui ne change pas, c'est à dire sa forme, sa force. » [De la Longévité humaine et de la Quantité de Vie sur le Globe, p. 58.]
Comme le remarque à son tour de Mirville, à propos d'« Être, un principe magistral, gage philosophique de notre propre immortalité » [Op. cit. vo1.VI, App. G, p.158.], il doit s'ensuivre que l'âme, tant humaine qu'animale, est visée sous ce terme trompeur. C'est plutôt, je suppose, ce que nous appelons la VIE UNE.
Quoi qu'il en soit, la philosophie, tant profane que religieuse, corrobore cette assertion que les deux âmes sont identiques ― dans l'homme et la bête. Leibniz, le philosophe chéri de Bossuet, semble avoir, jusqu'à un certain point, accrédité ridée de la « résurrection animale ». La mort ne faisant pour lui qu'« envelopper temporairement la personnalité », il la compare à la préservation des idées dans le sommeil, ou du papillon dans sa chenille. Pour lui, déclare de Mirville :
« ... La résurrection (25) est une loi générale de la nature, qui ne devient le plus grand des miracles sous la main du thaumaturge qu'en raison de l'heure tardive, des circonstances, et du mode au milieu desquels il l'opère. » [Op. cit. p. 163.]
En cela, sans le savoir, Leibniz est un véritable Occultiste. La croissance et l'épanouissement d'une fleur, ou d'une plante, opérés en cinq minutes au lieu de plusieurs jours et semaines, la germination et le développement forcés d'une plante, d'un animal ou d'un homme, sont des faits conservés dans les archives des Occultistes. Ce ne sont des miracles qu'en apparence : l'effet des forces productrices naturelles accélérées et mille fois intensifiées par les conditions induites selon des lois occultes connues de l'Initié. La croissance anormalement rapide est obtenue par les forces de la nature, (aveugles ou attachées à des intelligences mineures soumises au pouvoir occulte de l'homme) amenées à agir collectivement sur le développement de la chose appelée à se manifester à partir de ses éléments chaotiques. Mais pourquoi appeler un tel phénomène tantôt un miracle divin, tantôt un subterfuge de Satan, tantôt un prodige frauduleux ?
Toujours comme un vrai philosophe, Liebniz se trouve obligé, même dans la dangereuse question de la résurrection des morts, d'inclure la totalité du règne animal dans sa grande synthèse, et de dire :
« Je pense que l'âme des animaux est impérissable (...) et je trouve que rien n'est plus propre à établir notre immortelle nature. ». [Leibniz, Opera philos.]
Soutenant Leibniz, Dean, le vicaire de Middleton, a publié en 1748 deux petits volumes sur le sujet. Pour résumer ses idées, il déclare :
« L'Écriture sainte insinue en divers endroits que les brutes existeront dans un état à venir. Cette doctrine a été soutenue par quelques Père de l'Église. La raison, en nous apprenant que les bêtes ont une âme, nous enseigne par cela même qu'elles existeront dans un état à venir. Le système de ceux qui croient que Dieu anéantit l'âme des bêtes n'est appuyé sur aucun fondement solide, etc., etc. » (26)
Bien des hommes de science du siècle dernier défendirent l'hypothèse de Dean, en la déclarant hautement probable, en particulier l'un d'eux, un savant théologien protestant, Charles Bonnet, de Genève. Ce théologien fit paraître un ouvrage extrêmement curieux appelé par lui Palingenesis (27) ― ou « La nouvelle naissance » ― qui se produit, comme l'auteur cherche à le prouver, grâce à un germe invisible existant en chacun. Pas plus que Leibniz, Bonnet ne peut comprendre qu'il faille exclure les animaux d'un système qui, en leur absence, ne serait pas une unité vu que système signifie « collection de lois » (28). Il écrit :
Les animaux sont des Livres admirables où le GRAND ÊTRE a rassemblé les Traits les plus frappants de sa SOUVERAINE INTELLIGENCE. L'Anatomiste doit ouvrir ces Livres pour les étudier et connaître mieux sa propre Structure : mais, s'il est doué de cette sensibilité délicate et raisonnée qui caractérise l'Homme moral, il ne s'imaginera point en les feuilletant qu'il feuillette une Ardoise. Jamais il ne multipliera les Victimes malheureuses de son instruction et ne prolongera leurs souffrances au-delà du But le plus raisonnable de ses Recherches. Jamais il n'oubliera un instant que tout ce qui est doué de Vie et de Sensibilité a droit à sa commisération.
L'Homme risquerait de corrompre bientôt ses Mœurs, s'il se familiarisait trop avec les Souffrances et le Sang des Animaux. Cette Vérité morale est si saillante, qu'il serait superflu de la développer : ceux qui sont chargés par état de diriger les Hommes ne la perdront jamais de vue. Je regarderais l'Opinion de l'Automatisme des Bêtes, comme une sorte d'Hérésie philosophique, qui deviendrait dangereuse pour la Société, si tous ses Membres en étaient fortement imbus. Mais, il n'est pas à craindre qu'une Opinion qui fait violence au Sentiment, et qui contredit sans cesse la Voix de la Nature, puisse être généralement adoptée. (...)
Si mon Hypothèse est vraie, la SOUVERAINE BONTÉ aurait beaucoup plus fait encore pour ces innocentes Victimes des Besoins toujours renaissants d'un Maître souvent dur et ingrat. ELLE leur aurait réservé les plus grands dédommagements dans cet État Futur. (29) (...)
Si les Bêtes ont une Âme, cette Âme est aussi indivisible, aussi indestructible par les Causes secondes que celle de l'homme : c'est qu'une Substance simple ne peut être ni divisée ni décomposée. L'Âme des Bêtes ne peut donc périr que par l'anéantissement ; et je ne vois pas que la RELIGION annonce en terme,s exprès cet anéantissement. (...)
Les Philosophes qui par des motifs louables, ont soutenu [comme Descartes] l'Automatisme des Brutes, n'avaient-ils point à craindre qu'on ne se servit de leurs arguments subtils pour défendre l'Automatisme de l'Homme ? (30)
Notre école moderne de biologistes a abouti à la théorie de l'« homme-automate », mais ses disciples peuvent bien être laissés à eux-mêmes et à leurs conclusions. Ce qui à présent m'intéresse c'est d'apporter la preuve finale et absolue que ni la Bible ni ses interprètes les plus philosophiques ― aussi dénués de claire vision qu'ils aient pu être dans, d'autres questions ― n'ont jamais dénié, sur l'autorité de l'Ecriture, une âme immortelle à aucun animal, pas plus qu'ils n'y ont découvert de preuve concluante d'une existence d'une telle âme dans l'homme ― en se fondant sur l'Ancien Testament. Il suffit de lire certains passages de Job et de l'Ecclésiaste (3, 17-22) (31). La vérité en la matière est que pas un seul mot n'y fait allusion à l'état futur de l'homme et de la bête. Mais, par ailleurs, si on ne trouve dans l'Ancien Testament que des indications négatives concernant l'âme immortelle des animaux, dans le Nouveau Testament celle-ci est aussi clairement affirmée que celle de l'homme lui-même, et c'est pour le bien et l'édification de ceux qui tournent en ridicule le philozoïsme des hindous, qui s'arrogent le droit de tuer les animaux à volonté, et pour le plaisir, et qui leur refusent une âme immortelle, que je vais donner maintenant une preuve finale et définitive.
St Paul a été mentionné à la fin de la première partie comme le défenseur de l'immortalité de toute la création animale. Heureusement, cette affirmation n'est pas de celles que les chrétiens peuvent rejeter avec dédain comme une de ces « interprétations hérétiques et blasphématoires de la Sainte Ecriture par un groupe d'athées et de libres-penseurs ». Plût au ciel que chacune des paroles pleines de profonde sagesse de l'apôtre Paul ― un Initié, indépendamnent de tout ce qu'il a pu être par ailleurs ― fût aussi clairement comprise que celles qui ont trait aux animaux. Car alors (comme il apparaîtra plus loin) l'indestructibilité de la matière, enseignée par la science matérialiste, la loi d'éternelle évolution rejetée par l'Église, l'omniprésence de la VIE UNE, ou l'unité de l'ÉLÉMENT UN et sa présence pénétrant la totalité de la nature, comme le prêche la philosophie ésotérique, et le sens secret des remarques de st Paul aux Romains (8, 18-23), tout cela serait démontré, sans doute ni discussion possible, comme renvoyant à une seule et même chose. En vérité, quelle autre signification peut-on donner aux paroles de ce grand personnage historique ― à ce point évidemment pénétré de la nouvelle philosophie platonicienne alexandrine (32) ― dans son Epître dont je transcris les termes en les commentant à la lumière de l'Occultisme, pour mieux faire comprendre ce que je veux dire ?
L'apôtre commence par dire (Rom, 8, 16-17) que « l'Esprit lui-même » (Paramâtma) « rend témoignage à notre esprit » (âtman) « que nous sommes enfants de Dieu » ; et « si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers » ― héritiers bien sûr de l'éternité et de l'indestructibilité de l'essence éternelle ou divine en nous-mêmes. Ensuite, il nous dit (8, 18) :
« Les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée en nous. »
La « gloire », nous l'affirmons, n'est pas une « nouvelle Jérusalem », symbolique représentation du futur dans les révélations kabbalistiques de l'Apocalypse de st Jean, mais qualifie les périodes de devachan [état posthume subjectif de grande félicité de l'âme] et la série des renaissances dans les races successives, au long desquelles, après chaque nouvelle incarnation, nous nous trouverons à un degré plus élevé, et plus parfaits, physiquement comme spirituellement, et au bout desquelles, finalement, nous deviendrons tous les « fils » et les « enfants de Dieu » lors de la « dernière Résurrection » ― que les gens l'appellent chrétienne, nirvânique ou Parabrahmique, qu'importe puisque tous ces noms désignent une seule et même chose. Car, vraiment (8. 19),
« Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. »
La créature (33) attend avec un ardent désir la manifestation des fils de Dieu. Par créature, il faut entendre l'animal, comme il sera démontré plus loin sur l'autorité de st Jean Chrysostome. Mais qui sont ces « fils de Dieu » dont toute la création attend avec impatience la manifestation ? Sont-ils les « fils de Dieu » au milieu de qui « Satan est venu aussi » (voir Job, 1,6-2,1) ? Ou les sept anges de l'Apocalypse ? Désignent-ils seulement des Chrétiens, ou les « fils de Dieu » du monde entier [Voir Isis Dévoilée, vol. I.] ? Une telle « manifestation » est promise à la fin ,de chaque manvantara (34), ou période de monde, par les Ecritures de chaque grande religion, et dans nulle autre aussi clairement que dans les Veda ― à l'exception de ce que doilent les interprétations ésotériques de ces Ecritures. Dans les Veda, il est dit qu'à la fin de chaque manvantara vient le pralaya, ou la destruction du monde ― dont une seulement est connue des chrétiens, et attendue par eux ― à laquelle ne survivront que les shishtâ (ou restes) : sept Rishis et un guerrier, avec tous les germes pour servir à la prochaine vague ou marée [de Vie] de la Ronde suivante (35). Mais la question importante qui nous préoccupe ici n'est pas de savoir si c'est la théorie chrétienne, ou l'hindoue, qui est la plus correcte, mais de montrer ce qui suit : en enseignant que les germes de toutes les créatures sont préservés, lors de la destruction totale, périodique et temporaire, de toutes les choses visibles, avec les « fils de Dieu », ou les Rishis, qui se manifesteront à l'humanité future, le Brâhmane ne dit rien d'autre que ce que prêche st. Paul lui-même. L'un et l'autre associent toute vie animale à l'espérance d'une nouvelle naissance et d'une rénovation dans un état plus parfait, lorsque toute créature qui, pour l'heure, « attend avec un ardent désir », se réjouira à la « manifestation des fils de Dieu ». Parce que, comme l'explique st. Paul,
La créature elle-même (et ipso creatura) sera aussi délivrée de la servitude de la corruption.
Autrement dit, le germe ou l'âme animale indestructible, qui n'atteint pas l'état de devachan tant que cette âme est dans sa condition élémentaire, ou animale, accédera à une forme supérieure et continuera, en même temps que l'homme, à progresser jusqu'à des états et des formes plus élevés, pour terminer ― animal et homme, tout ensemble ― dans « la glorieuse liberté des enfants de Dieu » (8, 21).
Et cette « glorieuse liberté » ne peut s'atteindre que par l'évolution, ou le progrès karmique, de toutes les créatures. La bête privée de parole, après avoir évolué depuis le stade de la plante à moitié sensible, doit parvenir à se transformer, par degrés, en homme, esprit, Dieu, etc., ad infinitum. Car, dit st. Paul (8, 22),
« Nous savons [« nous », les Initiés] que la création tout entière [omnis creatura (créature) dans la Vulgate] gémit et souffre les douleurs de l'enfantement jusqu'à maintenant. » (36)
C'est dire sans ambages que l'homme et l'animal sont à la même enseigne, pour ce qui est de souffrir, dans leurs efforts évolutifs vers le but, et en accord avec la loi karmique. Mais l'expression « jusqu'à maintenant » veut dire jusqu'à la cinquième Race. Pour éclairer encore son propos, le grand Initié chrétien donne l'explication suivante (8, 23) :
« Et ce n'est pas elle [la créature] seulement mais nous aussi, nous qui avons les prémices de l'Esprit, gémissons en nous-mêmes, dans l'attente de l'adoption, la rédemption de notre corps. »
Oui, c'est nous, les hommes, qui avons les « prémices de l'Esprit » ― la lumière directe de Parabrahm, l'Âtma ou le 7e principe en nous-mêmes, grâce à la perfection de notre 5e principe, Manas, qui est bien moins développé dans l'animal. Cependant, en compensation, leur karma est bien moins lourd que le nôtre. Mais ce n'est pas une raison pour qu'ils ne puissent atteindre un jour la perfection qui doit conférer à l'homme pleinement évolué la forme Dhyan-chohanique.
Rien ne saurait être plus clair, même pour un critique profane non initié, que ces paroles du grand Apôtre, qu'on les interprète à la lumière de la philosophie ésotérique, ou a celle de la scolastique médiévale. L'espérance de rédemption ou de délivrance, pour l'entité spirituelle qui survit, de « la servitude de la corruption » (ou la succession des formes matérielles temporelles) est pour , et non pour l'homme seulement.
Mais on ne pourrait guère s'attendre à ce que le « modèle idéal » des animaux, qui est déjà proverbialement injuste envers ses semblables, partage ses attentes avec son bétail et sa basse-cour. Le fameux commentateur de la Bible, Cornelius a Lapide, fut le premier à attirer l'attention sur le point, en accusant ses prédécesseurs d'avoir cherché, avec une intention consciente et délibérée, à faire tout leur possible pour éviter d'appliquer le mot creatura aux créatures inférieures de ce monde. Par lui, nous apprenons que st Grégoire de Naziance, Origène et st Cyrille (qui, selon toute vraisemblance, refusa de voir en Hypatie une créature humaine, et la traita comme un animal sauvage) (37), déclarèrent avec insistance que le mot creatura, dans le passage cité plus haut, était appliqué par l'Apôtre simplement aux anges ! Mais, comme le remarque Cornelius, qui fait appel à st. Thomas pour confirmation,
« ... cette opinion est par trop distordue et abusive (distorta et violenta) ; elle est de plus invalidée par le fait que les anges sont déjà délivrés de la servitude de la corruption. »
La suggestion de st Augustin n'est d'ailleurs pas plus heureuse : il met en avant l'hypothèse que les « créatures » dont parle st Paul étaient « les infidèles et les hérétiques » de tous les âges ! Cornelius contredit le vénérable Père aussi hardiment qu'il s'est opposé à ses fières, les saints de jadis. Car, dit-il,
« ... dans le texte cité, les créatures que l'Apôtre a en vue sont évidemment des êtres distincts des hommes, car il dit : non seulement elles mais nous-mêmes également ; donc, ce qu'il entend ce n'est pas la délivrance du péché mais l'affranchissement de la mort à venir » (38)
Mais le brave Cornelius lui-même finit par s'inquiéter de l'opposition générale et décide que, par le mot créatures, st. Paul a pu vouloir dire (comme st Ambroise, st Hilaire et d'autres l'ont déclaré avec insistance) les éléments (!!), à savoir le soleil, la lune, les étoiles, la terre, etc., etc.
Malheureusement pour les saints spéculateurs et auteurs scolastiques, et fort heureusement pour les animaux ― s'ils devaient jamais profiter des polémiques ― leur avis ne tient pas devant une autorité bien plus grande qu'eux, en la personne de st. Jean Chrysostome, déjà mentionné. L'Eglise catholique le tient en la plus haute vénération, sur le témoignage de l'évêque Proclus qui fut son secrétaire à un certain moment. En fait, st. Jean Chrysostome fut le « médium » de l'Apôtre des Gentils ― si un tel mot « profane » (de nos jours) peut s'appliquer à u,n saint. Dans la substance de son Commentaire sur les Epîtres de st. Paul, st Jean est considéré comme directement inspiré par l'Apôtre lui-même, en d'autres termes comme ayant écrit ses commentaires sous la dictée de st Paul. Voici ce qu'on lit dans ces commentaires sur le 8e chapitre de l'Épître aux Romains (39) :
« Nous devons toujours gémir en raison du délai imposé à notre émigration [notre mort], car si, comme dit l'Apôtre, la créature privée de raison [mente et non anima, qui signifierait « âme »] et de parole [si creatura mente et verbo carens] gémit et souffre les douleurs de l'enfantement, plus grande doit être notre honte si nous ne faisons pas de même. »
C'est pourtant bien notre cas et, fort piteusement, nous ne parvenons pas à nourrir ce désir d'« émigration » vers des terres inconnues. Si les gens étudiaient les Ecritures de toutes les nations et en interprétaient le sens à la lumière de la philosophie ésotérique, nul ne manquerait de devenir, sinon anxieux de mourir, au moins indifférent à la mort. Alors, nous saurions tirer un bon parti du temps passé sur la terre pour nous préparer en paix, dans chaque incarnation, en vue de la prochaine naissance, pour accumuler du bon karma.
Mais l'homme est un sophiste par nature. Et, même après avoir lu cette opinion de st Jean Chrysostome, qui règle pour toujours la question de l'âme immortelle dans les animaux ―ou devrait, en tout cas, la régler dans l'esprit de chaque chrétien ― nous craignons bien, tout compte fait, que les pauvres bêtes privées de parole ne tirent pas un grand béné¬fice de la leçon : car, le subtil casuiste, condamné de sa propre bouche, pourrait venir nous dire que, quelle que soit la nature de l'âme logée dans l'animal, il lui fait encore une faveur, en s'acquittant lui-même d'un acte méritoire, lorsqu'il tue la pauvre créature ; car, de la sorte, il met un terme à ses « gémissements dus aux retards imposés à son émigration » pour entrer dans la gloire éternelle.
L'auteur de cet article n'a pas la simplicité de croire que tout un British Museum rempli d'ouvrages contre le régime camé aurait le pouvoir d'empêcher les nations civilisées d'avoir des abattoirs, ou de leur faire renoncer à leur bifteck et à leur dinde de Noël. Mais si ces quelques lignes, écrites en toute humilité, pouvaient amener quelques lecteurs à apprécier la réelle valeur des nobles paroles de st Paul et, en conséquence, de tourner sérieusement leur pensée vers toutes les horreurs de la vivisection, alors l'auteur pourrait s'estimer satisfaite. Car, en vérité, lorsque le monde sera convaincu ―et cela ne peut manquer d'arriver un jour en ce qui concerne cette vivisection ― que les animaux sont des créatures aussi éternelles que nous le sommes, alors le spectacle de la vivisection et d'autres tortures permanentes infligées journellement aux pauvres bêtes, après avoir suscité un tollé de malédictions et de menaces du sein de la société en général, forcer à tous les gouvernements à mettre fin à ces pratiques barbares et honteuses.
H.P. Blavatsky
Cet article est publié par Textes Théosophiques, Paris, dans les Cahiers Théosophiques n°170 et 171.
[Traduction de l'article : « Have Animals Souls ? » rédigé par Mme Blavatsky, probablement vers la fin de 1885, et publié dans la revue The Theosophist en trois parties, jan., fév. et mars 1886.]
Notes :
(1) [C'est cette formule que l'on trouve dans les traductions actuelles de la Bible] [Retour texte]
(2) Comparer également les différences de traduction du même verset dans la Vulgate [« qui percusserit animal, reddet vicarium, id est, animam pro anima] et les textes de Luther et de Wette. [Retour texte]
(3) [Un sabbat, à l'image du "Jour de repos" qui succéda aux 6 jours de la création. Sabbat signifie précisément « jour de repos ».] [Retour texte]
(4) [Bien que ces deux mots possèdent parmi toutes leurs significations le même sens de souffle, vie, âme (comme bon nombre de termes correspondants, comme anima et spiritus, en latin, psyché et pneuma en grec, etc.), mis en opposition, le terme nephesh rappelle l'anima latine, et rua'h l'animus, qui est généralement propre à l'homme, bien que Cicéron déclare que animus des animaux est dépourvu de raison (Tusculanes, 1,80).] [Retour texte]
(5) [En français dans le texte.] [Retour texte]
(6) Commentaires sur l'Apocalypse ch. V, p.137. [Passage cité par de Mirville : Des Esprits, vo1.VI, App. G, p.168, édition Pélagaud.] [Retour texte]
(7) [À l'époque de la rédaction de cet article, Mme Blavatsky était précisément occupée à écrire l'oeuvre monumentale qui serait intitulée La Doctrine Secrète ― parue en 1888.] [Retour texte]
(8) (« Paradise Lost » [= « Paradis Perdu »), livre XII, lignes 67-71.] [Retour texte]
(9) [Pensées. Section VII, Pensée 434 (numérotation de l'édition de Brunschvicg). N.B. : les mots gloire et rebut ont été mis en italiques par H.P.B.] [Retour texte]
(10) Il n'est que juste d'accorder ici à M. de Mirville d'être le premier à reconnaître l'erreur de l'Église dans ce détail, et à défendre la vie animale, autant qu'il peut oser le faire. [Retour texte]
(11) De Beatificatione, etc. du pape Benoît XIV. [Retour texte]
(12) [Émules de Jean de Bolland (1596-1665), qui travailla à un vaste recueil sur la vie des saints (Acta Sanctorum).] [Retour texte]
(13) [Très probablement, Isidore de Séville (-570-636), archevêque de Séville.] [Retour texte]
(14) [Passage cité par de Mirville, Des Esprits, voI.VI, app.G, pp.150-1.] [Retour texte]
(15) Dans la philosophie scolastique, le mot « forme » s'applique au principe immatériel qui in-forme ou anime le corps. [On s'est souvenu ici d'Aristote, soutenant que l'âme était la « forme » du corps.] [Retour texte]
(16) De Beatificatione, etc. livre IV, ch. XXI, art.6 [cité par de Mirville, ibid.] [Retour texte]
(17) [Cité par le cardinal de Ventura dans sa Philosophie Chrétienne, vol. II, 386. Cf. de Mirville, op.ci., vol VI, App. G, p. 157] [Retour texte]
(18) [Cité par de Mirville (ibid), qui se réfère à de Ventura, op. cit. p. 139.] [Retour texte]
(19) [Ibid, où le lecteur est renvoyé à Ventura, Phil. Chrét. II, 394.] [Retour texte]
(20) Summa. [passages cités par de Mirville op. cit. p. 158, tirés de la traduction française de l'abbé C.J. Drioux, 8 vol, 1851]. [Retour texte]
(21) [Cf Tusculanes, I, XXVI (66). Cicéron écrit : « Ita quidquid est illud, quod sentit, quod sapit, quod vivit, quod viget, caeleste et divinum ob eamque rem aeternum sit est ».] [Retour texte]
(22) On prétend que st. Patrick a christianisé « le pays le plus satanisé du globe, l'Irlande, ignorante en toute chose sauf en magie, pour en faire 1'« Ile des Saints », en ressuscitant « soixante hommes décédés des années auparavant ». « Suscitavit sexaginta mortuos », est-il dit dans le Bréviaire romain (Lectio I et II) de 1520. Dans le manuscrit qui passe pour la fameuse confession de ce saint, conservé à la cathédrale de Salisbury (De Script. Hibern. Livre II, chap. l), saint Patrick écrit dans une lettre autographe : « A moi, le dernier des hommes et le plus grand pécheur, Dieu a néanmoins donné ― contre les pratiques magiques de ce peuple barbare ― un don de miracles qui n'avait pas été accordé au plus grand de nos apôtres, puisqu'il a permis, entre autres choses (comme la résurrection d'animaux et d'êtres rampants), que je redonne vie à des corps morts, réduits en cendres depuis maintes années ». Vraiment, devant un tel prodige, la résurrection de Lazare apparaît comme un incident bien insignifiant ! [Ces faits sont empruntés par H.P.B. à de Mirville, op. cit., vol. VI, pp.333-36 et 341]. [Retour texte]
(23) Plus récemment, le Dr Romanes et le Dr Butler ont jeté une grande lumière sur la question. [Retour texte]
(24) [An Essay on Man, Épître I, vers 131-140. Alexander Pope (1688 ¬ 1744), poète et critique anglais.] [Retour texte]
(25) Les occultistes l'appellent « transformation » au long d'une série d'existences aboutissant finalement à la résurrection nirvânique. [Retour texte]
(26) Voir vo1.XXIX de la Bibliothèque des sciences, 1er trimestre 1768. [Ici, H.P.B. cite en fait de Mirville, op.cit. vo1. VI, App. G, pp.163-4]. [Retour texte]
(27) Des mots grecs γείνομαι, être engendré [ou γίγνομαι, naître] et πέλιν, de nouveau. [Retour texte]
(28) Voir vol. II de La Palingénésie philosophique. Également : de Mirville, op. cit., vo1. VI, App. G, p.164. [Retour texte]
(29) Nous croyons également en des « états futurs » pour l'animal, depuis le degré le plus élevé jusqu'aux infusoires, mais à une série de renaissances, chacune se faisant dans une forme supérieure, jusqu'à l'homme, pour le dépasser plus tard ― en bref, nous croyons à l'évolution au sens le plus plein du terme. [Retour texte]
(30) [Cf. de Mirville op.cit. p.164. Ce passage est emprunté au livre de Charles Bonnet, vol. II, pp. 122-3, 125-6 et 77-8, publié en français à Genève en 1769, avec comme sous-titre : « Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans » (sic).] [Retour texte]
(31) [Ce passage de l'Ecclésiaste a été évoqué dans la première partie de cet article.] [Retour texte]
(32) [H.P.B. emploie l'expression « neo-Platonic Alexandrian philosophy » qu'on ne saurait rendre par « philosophie néoplatonicienne d'Alexandrie », laquelle n'a vu le jour, avec Ammonius Saccas, qu'au 3e siècle. Mme Blavatsky vise sans doute des courants de renouveau du platonisme, où se sont illustrés des philosophes juifs comme Philon d'Alexandrie (~ 13-54 ap. J.-C.).] [Retour texte]
(33) [Le mot grec κτίσις (ktisis) est rendu par creatura dans la Vulgate.] [Retour texte]
(34) Ce que signifiait vraiment l'expression « fils de Dieu » dans l'Antiquité est maintenant exposé pleinement dans La Doctrine Secrète, dans la première partie, concernant la période archaïque, qui est maintenant presque achevée. [En 1886, H.P.B. voulait sans doute parler de la première rédaction de cette partie, qu'elle avait alors presque terminée.] [Retour texte]
(35) Ceci représente la version hindoue orthodoxe, comme la doctrine ésotérique. Dans son article du Bangalore Picture « Qu'est-ce que la religion hindoue ? », Dewan Bahadur Raghunath Rao, de Madras, déclare : « À la fin de chaque manvantara a lieu l'annihilation du monde; mais un seul guerrier, sept Rishis et les germes sont sauvés de la destruction. Dieu (ou Brahm) leur communique les Lois, ou les Veda, ... dès que commence un manvantara ces lois sont promulguées... et prennent force ... jusqu'à la fin de ce manvantara. Ces huit personnes sont appelées shishtâ, ou « ceux qui restent », parce que seuls ils demeurent après la destruction de tous les autres. Leurs actes et préceptes sont, pour cette raison, connus comme shishtâchâra. Ils sont aussi désignés par le mot sadachara parce que ces actes et préceptes sont ceux seulement qui ont toujours existé". [Retour texte]
Telle est l'explication orthodoxe. La version secrète fait état de sept Initiés qui ont atteint au niveau de Dhyan Chohan vers la fin de la Septième Race sur la terre, et qui demeurent sur cette terre pendant sa période d"'obscuration", avec les germes de toute vie ― minérale, végétale et animale, qui n'avait pas eu le temps d'évoluer jusqu'à l'homme, en vue de la prochaine Ronde, ou période de monde. Voir de A.P. Sinnett, Esoteric Buddhism (Le Bouddhisme Ésotérique), cinquième édition, avec les annotations pp.146-7. [Retour texte]
[N.B. Le mot shista, dérivé d'un autre verbe, peut avoir aussi le sens de « bien ordonné, enseigné, prescrit », d'où le terme shishtâchâra qui signifie alors « dont les actes sont supérieurs, ou reflètent la bonne règle ― un sens qui s'appliquerait par excellence à ces êtres d'exception. Dans le Glossaire de la Clef de la Théosophie, H.P.B. donne pour Dhyan-Chohan la définition « Seigneur de Lumière ». Le terme renvoie aux « Intelligences divines chargées de la supervision du Kosmos », répondant aux archanges de l'Église romaine.] [Retour texte]
(36) La traduction latine [de la Vulgate] dit : « Scimus enim quod omnis creatura ingemiscit, et parturit usque adhuc. » [Retour texte]
(37) [On sait que la vierge Hypatie, liée au néoplatonisme alexandrin, fut sauvagement massacrée par une foule de fanatiques dressés contre elle par des moines chrétiens. La responsabilité de ce meurtre a été attribuée en définitive à Cyrille.] [Retour texte]
(38) Cornelius, édition Pélagaud, vo1.IX, p. 114. [Cf. aussi, de Mirville, op.cit., vo1.VI, App. G pp. 166-7.] [Retour texte]
(39) Homélie XIV, 6, Sur l'Épître aux Romains. [H.P.B. emprunte ce passage à de Mirville (op. cit., vol. VI, App. G, p.168) qui est plus un résumé qu'une traduction mot à mot du latin.] [Retour texte]