La « Doctrine de l’Œil » et la « Doctrine du Cœur »
La « Doctrine de l’Œil » et la « Doctrine du Cœur », ou le “Sceau du Cœur”
Le professeur Albrecht Weber avait raison quand il déclarait que Bouddhisme du Nord :
« Seul possédait ces Écritures [bouddhistes] complètes. » (1)
Si les bouddhistes du Sud n'ont aucune idée de l'existence d'une doctrine ésotérique – enchâssée comme une perle dans la coquille de toute religion – les Chinois et les Tibétains par contre en ont conservé de nombreuses traces. Dégénérée, déchue comme l'est aujourd'hui la doctrine prêchée publiquement par Gautama, elle est pourtant préservée dans ces monastères de Chine placés hors d’atteinte des visiteurs. Et même si depuis plus de deux millénaires chaque nouveau « réformateur », a retiré quelque chose de l’original, pour le remplacer par ses propres spéculations, la présence de la vérité persiste encore aujourd’hui dans le cœur des masses. Mais ce n’est que dans les forteresses transhimalayennes – vaguement localisées au Tibet – dans les endroits les plus inaccessibles du désert et des montagnes, que la « Bonne Loi » ésotérique – le « Sceau du Cœur » – vit jusqu’à nos jours dans toute sa pureté immaculée.
Emanuel Swedenborg avait-il tort quand il remarquait à propos du Mot oublié et perdu depuis longtemps :
« Cherchez-le en Chine ; peut-être que vous le trouverez dans la Grande Tartarie » (2).
Il avait obtenu cette information, disait-il à ses lecteurs, de la part certains « Esprits », qui lui expliquaient qu'ils accomplissaient leur culte selon cette Parole ancienne (perdue). À ce sujet, il a été noté dans Isis Dévoilée (IU, ii, p. 470) que :
« D’autres étudiants en sciences occultes ont reçu plus que la parole de « certains esprits » sur lesquels s’appuyer, car dans ce cas particulier : ils ont vu les livres »
qui contiennent la « Parole » (3). Par chance le nom de ces « Esprits » qui ont rendu visite au grand Théosophe suédois étaient orientaux. La parole d'un homme d'une intégrité aussi indéniable et reconnue, d'un homme dont les connaissances en mathématiques, en astronomie, en sciences naturelles et en philosophie étaient bien en avance sur son époque, ne peut être prise à la légère et rejetée sans ménagement comme s'il s'agissait d’une déclaration d'un Théosophe moderne ; en outre, il prétendait pouvoir passer à volonté dans cet état où le Soi Intérieur se libère entièrement de tous ses sens physiques, pour vivre et respirer dans un monde où chaque secret de la Nature est un livre ouvert pour l'œil de l'Âme (4). Malheureusement, les deux tiers de ses écrits publics sont également allégoriques dans un sens ; et, comme ils ont été réduits à une compréhension à la lettre, les critiques n’ont pas moins épargné le grand Voyant suédois qu’ils ne l’ont fait pour les autres Voyants.
Après ce regard panoramique sur les sciences et la magie secrètes des Adeptes européens, il nous faut maintenant considérer le cas des initiés Orientaux. Si la présence d’un ésotérisme dans les Saintes Écritures occidentales commence à peine aujourd’hui à être suspectée, après près de deux mille ans de foi aveugle en leur sagesse verbatim, il en est de même pour les Livres sacrés d'Orient. Par conséquent, ni le système indien ni le système bouddhiste ne peuvent être compris sans l’aide d’une clé, et l’étude des religions comparées ne pourra devenir une « science » tant que les symboles de chaque religion n’auront pas livré leurs derniers secrets. Sinon, au mieux, une telle étude restera une perte de temps, un jeu de cache-cache.
Sous couvert d'une Encyclopédie japonaise, Rémusat (5) montre que le Bouddha, avant sa mort, confia les secrets de son enseignement à son disciple, Kashyapa, et à qui seul fût confiée la préservation sacrée de l'interprétation ésotérique. On l'appelle en Chine Ching-fa-yin-Tsang (« le Mystère de l'œil de la bonne doctrine »). Pour tout étudiant de l’ésotérisme bouddhiste, l’expression « Mystère de l’œil » montre l’absence de tout ésotérisme. Si à sa place, le mot « Cœur » avait été utilisé, alors il aurait signifié sans ambiguïté ce qu'il affirme aujourd’hui transmettre. La « Doctrine de l’Œil » signifie dogme et lettre morte, ritualisme ecclésiastique destiné à ceux qui se contentent de formules exotériques. La « Doctrine du Cœur » ou le « Sceau du Cœur » (le Sin Yin) est la seule véritable doctrine. Ceci peut être trouvé corroboré par Hiuen Tsang. Dans sa traduction du Mahâ-Prajñâ-Pâramitâ (Ta-poh-je-King), en cent vingt volumes, on lit qu’après l’entrée en Nirvâna de son grand Maître, ce fut Ananda, le « disciple préféré de Bouddha », qui fut chargé par Kashyapa de promulguer « l'Œil de la Doctrine », tandis que le « Cœur » de la Loi restait confié aux seuls Arhats.
La différence essentielle qui existe entre les deux doctrines – de « l’Œil » et du « Cœur », ou la forme extérieure et le sens caché, la froide métaphysique et la sagesse divine – est clairement expliquée dans plusieurs ouvrages sur le « bouddhisme chinois », écrits par divers missionnaires. Ces derniers, même s’ils ont vécu des années en Chine, n’en savent guère plus que ce qu'ils ont appris de ces écoles prétentieuses qui se disent ésotériques, et pourtant ils communiquent librement aux ennemis déclarés de leur foi des manuscrits et des ouvrages qu’ils disent être ésotériques et anciens ! Cette ridicule contradiction entre affirmation et pratique n’a jamais, semble-t-il, frappé aucun des historiens et révérends occidentaux sur les principes secrets des autres peuples. Ainsi, de nombreuses écoles ésotériques sont mentionnées dans son Chinese Buddhism par le révérend Joseph Edkins, qui croit très sincèrement avoir procédé à « un examen minutieux » de ces principes secrets des bouddhistes dont les œuvres « étaient jusqu'à peu inaccessibles dans leur forme originale ». Il n’est vraiment pas exagéré de dire et d’affirmer d’emblée que la véritable littérature ésotérique est encore « inaccessible » à ce jour, et le respectable monsieur qui a été inspiré au point de déclarer :
« . . . qu’il ne semble pas qu'il y ait eu une doctrine secrète que ceux qui la connaissaient ne divulgueraient pas, »
a commis une grave erreur s'il a cru à ce qu'il avait dit à la page 161 de son ouvrage. Faites-lui savoir immédiatement que tous ces Yu-luh (« Recueils des paroles ») d'enseignants célèbres sont simplement des voiles, aussi opaques – sinon plus – que ceux des Purânas des Brâhmanes. Il est inutile d'énumérer la liste interminable des meilleurs savants orientalistes ou de mettre en avant les recherches de Rémusat, Burnouf, Koppen, Saint-Hilaire et Saint-Julien, à qui on attribue d'avoir permis de dévoiler l'ancien monde hindou, en révélant les livres sacrés et secrets du bouddhisme : le monde qu'ils révèlent n'a jamais été voilé. Les erreurs de tous les orientalistes peuvent être jugées par l’erreur de l’un des plus populaires, sinon le plus grand d’entre eux : le Professeur Max Müller. On fait en référence au mot Ka qu’il traduit, d’un ton moqueur, par le « dieu Qui ».
« . . . les auteurs des Brâhmanas avaient complètement rompu avec le passé, au point d’oublier le caractère poétique des hymnes et la dévotion ardente des poètes envers le « Dieu inconnu », qu’ils attribuèrent un pronom interrogatif à une divinité et reconnurent un dieu Ka (ou qui ?) … partout où apparaissent des versets interrogatifs, l'auteur déclare que Ka est Prajapati, ou le Seigneur des Créatures. Ils ne se sont pas non plus arrêtés là. Certains des hymnes dans lesquels le pronom interrogatif apparaissait s'appelaient Kadvat, c'est-à-dire, avoir Kad ou Quid. Mais bientôt un nouvel adjectif fut formé, et non seulement les hymnes, mais aussi le sacrifice offert au dieu furent appelés Kaya, ou “Qui”-est. … À l'époque de Panini, ce mot avait acquis une telle légitimité qu'il justifiait d’avoir une règle distincte pour expliquer son sens. . . Le commentateur traduit ici Ka par Brahman. » (6)
Mais si le commentateur avait traduit Ka par Parabrahman, il aurait eu d’avantage raison qu'en le traduisant par « Brahman ». On ne voit pas pourquoi le Nom-Mystérieux secret et sacré de l'Esprit le plus élevé, non-sexué et sans forme, l'Absolu, que personne n'ose associer aux Déités manifestées, ni même inclure dans la nomenclature primitive du Panthéon symbolique, ne puisse être exprimé par un pronom interrogatif. Serait-ce à ceux qui appartiennent à la religion la plus anthropomorphique du monde d’avoir le droit de reprocher aux anciens philosophes une telle crainte respectueuse et une ferveur religieuse exagérée ?
Mais ici nous nous intéressons au bouddhisme. Son ésotérisme et son instruction orale, tels qu’ils sont consignés et conservés en exemplaires uniques par les plus hauts chefs des véritables écoles ésotériques, sont révélés par l'auteur du San-kiau-yi-su. Opposant Bodhidharma à Bouddha, il déclare :
« …“Julai” (le Tathâgata), enseigna de grandes vérités et les causes des choses. Il devint l'instructeur des hommes et des dévas. Il sauva des multitudes et dévoila l’équivalent de plus de cinq cents ouvrages. C’est ainsi que naquit la branche Kiau-men, ou branche exotérique de la doctrine, que l'on croyait être la tradition des paroles de Bouddha. Bodhidharma a apporté du Paradigme occidental [Shamballa] le « sceau de vérité » (le vrai sceau) et a ouvert la fontaine de contemplation en Orient. Il dévoila directement le cœur et la nature du Bouddha, balaya l’excroissance parasitaire et étrangère de l'enseignement livresque et établit ainsi le Tsung-men, la branche ésotérique du système, qui préserve la tradition du cœur de Bouddha. » (7)
Quelques remarques de l’auteur du Chinese Bouddhism révèlent au grand jour les idées erronées et universelles des orientalistes en général, et plus particulièrement des missionnaires au « pays des Gentils ». Elles interpellent avec beaucoup de force l’intuition des théosophes, plus particulièrement ceux en Inde. Les phrases à remarquer sont en italique :
« Le mot commun [chinois] désignant les écoles ésotériques est dan, en sanskrit Dhyâna… En Chine, le bouddhisme orthodoxe s’est lentement mais sûrement dégradé en hétérodoxe. Le bouddhisme des livres et des traditions anciennes est devenu le bouddhisme de la contemplation mystique… L'histoire des anciennes écoles qui naquirent il y a longtemps dans les communautés bouddhistes de l'Inde ne peut aujourd'hui être que très partiellement retracée. Il est possible que la Chine jette un peu de lumière sur l'histoire religieuse du pays d'où est issu le bouddhisme (8). Probablement nulle part ailleurs au cours de l'histoire n’y a-t-il eu de meilleure opportunité de retrouver le savoir perdu que dans l’enseignement des patriarches, dont la lignée aboutit à Bodhidharma. Dans la quête de la meilleure explication sur les histoires chinoises et japonaises des patriarches et des sept bouddhas qui se termine par Gautama, ou Shâkyamuni, il est important de considérer les traditions jaïns du début du sixième siècle de notre ère, quand le patriarche Bodhidharma émigra en Chine…
« Quand on analyse l'expansion des différentes écoles du bouddhisme ésotérique, il faut garder à l'esprit qu’on retrouve en chacune un principe quelque peu similaire au dogme de la succession apostolique. Toutes prétendent dériver leurs doctrines d'une succession d'enseignants, chacun instruit personnellement par son prédécesseur, on remonte ainsi jusqu'à l'époque de Bodhidharma, et puis jusqu'à Shâkyamuni lui-même et aux Bouddhas qui l’ont précédé. » (9)
On regrette plus loin, et on mentionne un abandon du strict bouddhisme orthodoxe, quand les Lamas venant du Tibet furent reçus à Pékin avec le plus grand respect par l'Empereur.
Les passages suivants, tirés de différentes parties de son livre, résument les vues d’Edkin :
« Il n'est pas rare de rencontrer des ermites à proximité des grands temples bouddhistes... leurs cheveux pouvant pousser sans être coupés… La doctrine de la métempsycose est rejetée… Le bouddhisme [est] une forme de panthéisme fondée sur la doctrine de la métempsycose qui accorde à toute la nature un instinct de vie, et que cette vie est la Déité qui assume différentes formes de personnalité. Cette Déité n'est pas une Première personne consciente d'elle-même, agissant comme cause Première, mais est un esprit omniprésent. Les bouddhistes ésotériques de Chine, s'en tiennent fermement à leur unique doctrine (10), ne disent rien de la métempsycose… ou de toute autre partie plus matérielle du système bouddhiste… Le paradis occidental promis aux dévots d'Amida-Bouddha est . . . incompatible avec la doctrine du Nirvâna [?] (11). Il promet l'immortalité et non l'anéantissement. La grande antiquité de cette école ressort clairement au vu de l’ancienneté de la traduction de l'Amida Sütra, qui provenait des mains de Kumarajiva, et de Wu-liang-sheu-king, et datant de la dynastie Han. L’ampleur de son influence se voit dans l'attachement des Tibétains et des Mongols au culte de ce Bouddha, et dans le fait que le nom de ce personnage fictif [?] est plus couramment entendu dans la conversation quotidienne du peuple chinois que n'est celui du Bouddha historique Shâkyamuni. (12)
Nous craignons qu’un auteur si savant ne fasse fausse route au sujet du Nirvâna et d’Amita-Bouddha. Cependant, nous avons ici le témoignage d’un missionnaire qui démontre qu’il existe plusieurs écoles de bouddhisme ésotérique dans l’Empire Céleste. Lorsque l’utilisation abusive des écritures bouddhistes orthodoxes et dogmatiques eut atteint son paroxysme et que le véritable esprit de la philosophie du Bouddha fut presque perdu, plusieurs réformateurs apparurent en Inde et établirent un enseignement oral. Ce furent le cas de Bodhidharma et d’Nâgârjuna, auteurs des ouvrages les plus importants de l’École contemplative chinoise des premiers siècles de notre ère. On sait en outre, comme il est dit dans Chinese Buddhism, que Bodhidharma devint le principal fondateur des écoles ésotériques, divisées en cinq branches principales. Les données fournies sont tout à fait correctes, mais toutes les conclusions, sans aucune exception, sont fausses. Il est dit dans Isis Unveiled que :
« Le Bouddha enseigne la doctrine d'une nouvelle naissance aussi clairement que le fait Jésus. Désirant rompre avec les anciens Mystères, auxquels il était impossible d'admettre les masses ignorantes, le réformateur hindou, bien que muet, en général, au sujet de plus d'un dogme secret, indique clairement sa pensée dans différents passages. C'est ainsi qu'il dit : "Quelques personnes sont nées de nouveau ; les malfaiteurs vont en Enfer [Avichi] ; les justes vont au Ciel [Devachan] ; ceux qui se sont libérés de tout désir terrestre entrent au Nirvâna" (Dhammapada, verset 126). D'autre part le Bouddha dit que "il est meilleur de croire à une vie future dans laquelle on ressentira la félicité ou la souffrance ; car si cette croyance est enracinée dans le cœur, il laissera de côté le péché et s'adonnera à la vertu ; et même si une telle résurrection [renaissance] n'existe pas, une vie comme celle-là imposera la considération des hommes et un bon renom. Mais ceux qui croient à l'extinction après la mort, ne manqueront pas de commettre n'importe quel péché, à cause de leur manque de foi en un avenir" ». (13)
En quoi l’immortalité est-elle alors « incompatible avec la doctrine du Nirvâna » ? Ce qui précède ne sont que quelques-unes des pensées ouvertement exprimées par le Bouddha à l'intention de ses Arhats choisis ; le grand saint en a dit bien plus encore. En guise de commentaire aux vues erronées exprimées en notre siècle par les orientalistes, « qui tentent en vain de scruter les pensées du Tathâgata », et par les Brâhmanes, « qui répudient encore aujourd'hui le grand Instructeur », voici quelques pensées originales exprimées en relation au Bouddha et à l'étude des Sciences Secrètes. Elles sont tirées d'un ouvrage écrit en chinois par un Tibétain, et publiées au monastère de Tientai [Tiantai] pour être diffusées parmi les bouddhistes :
« qui vivent dans des pays étrangers et risquent d'être corrompus par les missionnaires, »
comme le dit avec raison l’auteur, chaque converti est non seulement « spolié » de sa propre croyance, mais devient aussi une piètre acquisition pour le christianisme. Une traduction de quelques passages, aimablement tirées de cet ouvrage pour les lecteurs d’aujourd’hui, est maintenant donnée :
« Aucune oreille profane n'ayant entendu les puissants Chau-yan [préceptes secrets et éclairants] de Wu-Wei-chen-jen [Bouddha dans le Bouddha] (14), de notre Seigneur et Bodhisattva bien-aimé, comment peut-on savoir quelles étaient vraiment ses pensées ? Le saint Sang-gyas-Panchen (15) n'a jamais offert un aperçu de la Réalité Unique aux Bhikkus non réformés [non-initiés]. Rares sont ceux, même parmi les Tu-fon [Tibétains], qui le savaient ; quant aux écoles Tsung-men [Ndt : Tsung-mi] (16), elles se dégradent chaque jour davantage... Même les Fa-hsiang-Tsunga (17) ne peuvent donner la sagesse enseignée dans le vrai Naljor-chod-pa (18) [Sanskrit : Yogacharyâ] : . . . ce n’est que la Doctrine de « l'Œil », et rien de plus. La perte d'un guide sûr, depuis que les Tch'-an-si [instructeurs] [Ndt : École Chan] de méditation intérieure [contemplation du soi ou Tchung-kwan] sont devenus rares, et que la Bonne Loi est remplacée par le culte des idoles [Siang-kyan]. C'est de ce [culte de l'idole ou de l'image] que les barbares [les peuples occidentaux] ont entendu parler et ne connaissent rien du Bas-pa-Dharma [le Dharma ou la doctrine secrète]. Pourquoi la vérité se cache-t-elle comme une tortue dans sa carapace ? Parce qu’on découvre maintenant qu'elle est devenue, comme le couteau à tonsure du Lama (19), une arme trop dangereuse d’utilisation même par un Lanoo. Par conséquent, personne ne peut recevoir la connaissance [la Science Secrète] avant son temps. Les Chagpa-Thog-med sont devenus rares, et les meilleurs se sont retirés auprès deTushita le Bienheureux. » (20)
Plus loin, un homme qui cherche à pénétrer les mystères de l'ésotérisme avant d'avoir été déclaré prêt à les recevoir par les Tch'-an-si (instructeurs) initiés, est comparé à :
« Celui qui, sans lanterne et par une nuit sombre, se rendrait dans un endroit plein de scorpions, déterminé à en tâter tout le sol à la recherche d'une aiguille que son voisin aurait fait tomber. »
Ou encore :
« Celui qui souhaite acquérir la Connaissance Sacrée devrait, avant de poursuivre, « allumer sa lampe de compréhension intérieure », puis « avec l'aide d'une si précieuse lumière » utiliser toutes ses actions méritoires comme un chiffon pour éliminer l’ensemble des impuretés de son miroir mystique (21), afin qu’il puisse voir avec tout son lustre le reflet fidèle du Soi… ceci en Premier ; puis Tong-pa-nyi (22), et in fine : Samma Sambouddha (23).
Dans le Chinese Buddhism [pp. 163-64] une corroboration de ces déclarations se trouve dans les Aphorismes de Lin-tsi :
« Dans le corps qui ouvre aux sensations, qui acquière la connaissance, pense et agit, se trouve le « véritable homme sans position » Wu-wei-chen-jen [Ndt. : Wu-wei = inactif] . Il se rend clairement visible, et aucun voile, si ténu soit-il, ne le cache. Pourquoi ne le reconnaissez-vous pas ? . . . Si le mental [inférieur ratiocinant] ne l’entrave pas, la délivrance se produit partout… Qu'est-ce que Bouddha ? Réponse : Un esprit pur et en repos. Quelle est la loi ? Réponse : Un esprit clair et éclairé. Qu’est-ce que Tau ? Réponse : Partout et toujours, l’absence d'obstacles et la pure illumination. Les trois ne font qu’un (24).
Le révérend auteur du Chinese Bouddhism se moque du symbolisme de la discipline bouddhiste. Pourtant, les souffrances auto-infligées par des « claques sur la joue » et des « coups sous les côtes » ont leurs pendants dans les mortifications du corps et l'autoflagellation – « la discipline du fouet » – des moines chrétiens dès les premiers siècles du Christianisme et qui perdurent de nos jours. Quant à lui ledit auteur protestant, substitue la mortification et la discipline, par le bien vivre et le confort. La phrase du Lin-tsi fait écho en riant :
« Le “véritable homme, sans position”, Wu-wei-chen-jen, est enveloppé dans une coquille épineuse, comme la châtaigne. Il ne peut être approché. C'est Bouddha-le Bouddha en vous. »
Vraiment : « Un enfant ne peut comprendre les sept énigmes ! » (25)
Notes
(1) – [The History of Indian Literature, traduction de John Mann et Theodor Zachariae, Londres, Trübner & Co., 1882, p. 288.]
(2) – [Voir The Apocalypse Revealed, traduction du Latin par le révérent John Whitehead, Vol. I, ch. I, verset 4, note 11, p. 38 de la Standard Ed. de la Fondation Américaine de Swedenborg, New York, 1947.]
(3) – Op. cit., Vol. II, p. 470.
(4) – À moins d’obtenir les informations exactes et d’avoir la bonne méthode, nos visions, aussi correctes et vraies soient-elles au niveau de la vie de l’âme, ne parviendront jamais à être photographiées dans notre mémoire humaine, et certaines cellules du cerveau vont sûrement brouiller nos souvenirs.
(5) – [Voir, p. 249: Foe-Koue Ki ou Relation des Royaumes Bouddhiques. . . par Abel Remusat. Paris, L’Imprimerie Royale, 1836.]
(6) – [A History of Ancient Sanskrit Literature, pp. 433-34, Londres, Wms. & Norgate, 1859.]
(7) – Chinese Buddhism, p. 158. Le révérend Joseph Edkins, soit l’ignore, soit — ce qui est plus probable — est totalement ignorant de l’existence réelle de telles Écoles, et dans son jugement biaisé par les fausses écoles chinoises, il appelle cet ésotérisme le « Bouddhisme hétérodoxe ». Et il en est bien ainsi dans un sens.]
(8) – Dans ce pays – l’Inde – les archives de ces écoles et de leurs enseignements ne sont devenues inaccessibles qu’au grand public, et en particulier aux orientalistes occidentaux peu réceptifs. Elles sont intégralement conservées dans certains Mathams (lieux de retraite de mystique contemplative). Mais il serait peut-être préférable de les rechercher auprès de leurs détenteurs légitimes, les Adeptes, prétendus « mythiques », ou Mahâtma.
(9) – Chinese Buddhism, pp. 155-159.
(10) – Ils rejettent certainement avec la plus grande force la théorie populaire de la transmigration des êtres humains ou de leurs âmes vers les animaux, mais ne rejettent pas l'évolution des hommes à partir des animaux, tout au moins en ce qui concerne leurs principes inférieurs.
(11) – Au contraire, c'est tout à fait cohérent, si on l'explique à la lumière de la Doctrine Ésotérique. Le « paradis occidental », ou « ciel pur occidental », n’est pas une fiction située dans un espace transcendantal. C'est une véritable localité située dans les montagnes ou, pour être plus précis, encerclée dans un désert au milieu de montagnes. C'est pourquoi ce lieu est destiné à être l’endroit de résidence de ces étudiants de la Sagesse Ésotérique – les disciples du Bouddha – qui ont atteint le rang de Lohans et d'Anâgâmins (Adeptes). On l'appelle « Occidental » par simple considération géographique ; et « la grande ceinture de montagne de fer » qui entoure l'Avichi, et les sept Lokas qui entourent le « paradis occidental » sont une représentation très juste de localités et de choses bien connues de l'étudiant occultiste oriental.
(12) – Op. Cit., pp. 166-67; 171.
(13) – Voir dans Isis Dévoilée la citation de l’ouvrage d’Alabaster, The Wheel of the Law, p. 42. (voir l’édition originale anglaise Isis Unveiled, Vol. II, p. 566).
(14) – Le mot est traduit par les orientalistes par « l’homme vrai sans position » (?), ce qui est très trompeur. Cela signifie simplement que le véritable homme intérieur, l’Ego, ou le « Bouddha dans le Bouddha », signifie qu'il y a un Gautama à la fois intérieur et extérieur.
(15) – Un des noms du Bouddha Gautama au Tibet.
(16) – Les Écoles « Ésotériques », ou sectes, qui sont nombreuses en Chine.
(17) – Une école de contemplation en voie de disparition fondée par, l’itinérant, Hiuen-Tsang. Fa-hsiang-Tsung signifie « l’École qui dévoile la nature intérieure des choses ».
(18) – Ésotérique, ou cachée, enseignement du Yoga (Chinois : Yogi-mi-kean).
(19) – Le « couteau de tonsure » [des moines] est fait de fer météorique et il est utilisé dans le but de couper la « mèche de vœux » ou les cheveux de la tête du novice lors de sa première ordination. Il a une lame à double tranchant, aussi tranchante qu’un rasoir, qui se range et se cache dans la manche creuse d’une corne. En actionnant un ressort, la lame jaillit comme un éclair et se rétracte aussi rapidement. Il faut une grande dextérité pour l'utiliser sans blesser la tête des jeunes Gelong et Gelong-ma (candidats pour devenir prêtres ou nonnes) lors des rites publics préliminaires.
(20) – Chagpa-Thog-med est le nom tibétain d'Âryâsanga, le fondateur de l'école Yogacharyâ ou Naljorchodpa. On dit que ce Sage Initié reçu la « Sagesse » du Bouddha Maitreya Lui-même, le Bouddha de la Sixième Race, à Tushita (une région céleste qu’Il préside), et qu'il a reçu de Lui les cinq livres de Champai-chos-nga. La Doctrine Secrète enseigne cependant qu'il venait de Dejung, ou Sambhala, appelé la « source du bonheur » (« la sagesse acquise ») que certains orientalistes déclarent être un lieu « fabuleux ».
(21) – Il n'est peut-être pas inutile de rappeler au lecteur le fait que le « miroir » faisait partie du symbolisme des Thesmophories [les fêtes en l’honneur de Déméter], qui faisaient partie des Mystères d'Éleusiniens ; et qu'il a été utilisé dans la recherche d'Atoum [Atmu], « Le caché » ou le « Soi ». Dans son excellent article sur les mystères mentionnés ci-dessus, le Dr Alexander Wilder de New York relate : « . . . Malgré l'affirmation d'Hérodote et d'autres selon laquelle les Mystères bachiques étaient égyptiens, il existe une forte probabilité qu'ils aient leur origine soit en Inde et qu'ils soient sivaïtes ou bouddhiques. Coré-Perséphone n'était que la déesse Paraśu-pani ou Bhâvanî, la patronne des Thugs, appelée aussi Gorée ; et Zagreus est originaire de Chakra, un pays qui s'étend d'un océan à l'autre. S'il s'agit d'une histoire touranienne ou tartare, nous pouvons facilement reconnaître les « Cornes » comme le croissant porté par les prêtres Lamas : et traduire les noms de dieux comme de simples désignations sacerdotales suppose que toute la légende [du mythe de Dionysos-Zagreus] est basée sur le récit d’une succession et d’une transmigration de Lamas… Toute l’histoire d’Orphée… a partout une consonance hindoue » [citation, p. xv note, dans The Eleusinian and Bacchic Mysteries, de Thomas Taylor, Wizards Bookshelf, réédition de 1980.] L'histoire de « la succession et la transmigration des Lamas » ne trouve pas son origine chez les Lamas, qui ne remontent eux-mêmes qu'au septième siècle, mais chez les Chaldéens et encore bien avant, chez les Brâhmanes.
(22) – L’état de liberté absolue de tout péché ou désir. [Ndt. : Tongpanyi, correspond aussi à la "vacuité", l"ainsité, ou mode réel des choses : voir Dictionnaire encyclopédique du Bouddhisme de Philippe Cornu].
(23) – L'état [de vacuité] pendant lequel un Adepte voit la longue série de ses naissances passées et revit toutes ses incarnations précédentes dans ce monde et dans les autres (lire l'admirable description dans La Lumière d’Asie, Livre VII ; p. 166, dans l’édition originale anglaise de 1884).
(24) – [Voir The Recorded Sayings of Chan Master Lin-chi . . . traduit par R.F. Sasaki, Kyoto, de l’Institute for Zen Studies, 1975.]
(25) – [Loc. cit.]