La Théosophie est-elle une Religion ?

La Théosophie est-elle une Religion ?

30 Mar, 2019

" La religion est la meilleure armure que l'homme puisse avoir ; mais elle est le plus mauvais manteau." (Bunyan).

Il n'est pas exagéré de dire qu'il n'y eut jamais, en ce siècle du moins, un mouvement social ou religieux plus terriblement, pour ne pas dire plus absurdement incompris et dénaturé que la Théosophie, considérée théoriquement en tant que code de morale, ou pratiquement, dans son expression objective : la Société Théosophique.

Année après année, jour après jour, nos dirigeants et nos membres se sont vus obligés de protester énergiquement auprès de personnes qui parlaient de la Théosophie comme si elle était une " religion ", et de la Société Théosophique, comme d'une sorte d'église ou d'organisation religieuse. Bien pis, on en parle souvent comme d'une « secte nouvelle ». Est-ce un préjugé tenace, une erreur, ou les deux à la fois ? Fort probablement cette dernière alternative. Les gens les plus étroits et les plus notoirement malveillants ont besoin d'un prétexte plausible, d'un « porte-manteau » pour accrocher leurs remarques peu charitables et leurs calomnies formulées d'un air innocent. Et quel meilleur et plus solide « porte-manteau » en l'occurrence, qu'un système en « isme », ou une « secte » ? La grande majorité serait fort au regret de devoir admettre qu'elle s'est trompée, et que la Théosophie n'est ni une religion, ni une secte. Le nom leur plaît, et ils prétendent ignorer qu'il est mal appliqué. Mais il y en a d'autres, plus ou moins sympathisants, qui nourrissent sincèrement la même erreur. C'est à ceux-ci que nous disons : Le monde a sûrement déjà assez souffert des éteignoirs intellectuels appelés croyances dogmatiques, sans que nous lui infligions encore une nouvelle forme de foi. Trop de gens portent leur foi, ainsi que l'a dit Shakespeare avec beaucoup de raison, vraiment « comme un chapeau » qu'ils changent constamment « à chaque nouvelle mode ». De plus, la véritable raison d'être de la Société Théosophique fut, dès le début, une protestation énergique et une guerre ouverte contre tous les dogmes et les croyances basées sur la foi aveugle.

Il peut paraître étrange et paradoxal ― mais c'est la pure vérité ― de dire que, jusqu'à présent, les travailleurs les plus capables dans le champ de la Théosophie pratique, les membres les plus dévoués furent recrutés dans les rangs des agnostiques et mêmes des matérialistes. Aucun chercheur authentique et sincère de la vérité ne se rencontre jamais parmi les croyants aveugles de la « Parole Divine », que celle-ci prétende venir d'Allah, de Brahmâ ou de Jéhovah, et qu'elle soit contenue dans le Coran, les Purânas ou la Bible ; car : « La foi ne naît pas de l'effort de la raison, mais de son inactivité ».

Celui qui croit en sa religion sur la foi, considère celle de son semblable comme un mensonge, et la hait en vertu de cette même foi. D'autre part, à moins que celle-ci n'enchaîne notre raison et n'aveugle complètement toutes nos perceptions en dehors de notre foi particulière, nous ne pouvons parler de foi, mais simplement de croyance temporaire, qui nous enserre dans ses mailles d'illusions, à un moment donné de notre vie. Comme l'a très justement défini Coleridge : « La foi sans principes n'est qu'une expression flatteuse cachant un entêtement obtus ou un fanatisme sensuel ».

Qu'est-ce donc alors, que la Théosophie, et comment peut-on la définir, si on l'envisage sous la forme récente qu'elle a assumée à la fin du XIXe siècle ?

La Théosophie, disons-nous, n'est pas une religion.

Il existe cependant, comme chacun le sait, certaines croyances philosophiques, religieuses et scientifiques qui, en ces dernières années, ont été si intimement associées au mot de « Théosophie », que le public en général a fini par les prendre pour la Théosophie elle-même. De plus on nous dira que ces croyances ont été avancées, expliquées et défendues par les fondateurs mêmes de la Société, qui ont cependant déclaré que la Théosophie n'était pas une religion. Quelle est alors l'explication de cette contradiction apparente ? Comment un certain ensemble de croyances et d'enseignements, une doctrine bien élaborée, peut-elle en fait être dénommée « Théosophie », et acceptée tacitement comme telle par les neuf dixièmes des membres de la S. T., si la Théosophie n'est pas une religion, nous demande-t-on.

Le présent article a pour but de répondre à cette question. Il peut être utile, tout d'abord, d'expliquer que l'affirmation que « la Théosophie n'est pas une religion », n'exclut en aucune façon le fait suivant : « la Théosophie est la Religion » elle-même. Une Religion, au seul sens correct et vrai du terme, est un lien qui unit les hommes entre eux, non un ensemble particulier de dogmes et de croyances. En soi, la Religion est ce qui lie non seulement tous les Hommes, mais aussi tous les Êtres et toutes les choses de l'univers entier, en un grand tout unique. Voilà notre définition théosophique de la Religion ; tandis qu'ordinairement, cette définition varie avec chaque croyance et chaque pays, et n'est même pas identique pour deux Chrétiens. Nous trouvons cela chez plus d'un auteur éminent. Par exemple, Carlyle, en des termes qui expriment d'une façon prophétique le sentiment qui devient dominant dans notre génération actuelle, définit la religion protestante de son époque comme étant « en grande partie, un sentiment prudent et sage, basé sur le simple calcul ; une question, ainsi qu'il est de règle actuellement, de convenance et d'utilité ; un moyen d'échanger une petite quantité de jouissances terrestres, contre une quantité beaucoup plus grande de joies célestes. Ainsi, la religion également est une question de profit, de travail à gages ; il ne s'agit pas de vénération, mais vulgairement d'espoir ou de crainte ».

À son tour, Mme Stowe, consciemment ou non, semble avoir eu le Catholicisme Romain en vue plutôt que le Protestantisme lorsque, parlant de son héroïne, elle dit :

« Elle considérait la religion comme un billet, portant le nombre exact d'indulgences achetées et payées, qu'on met soigneusement de côté dans un portefeuille, pour le présenter à la porte du ciel, afin d'être admis à y entrer... »

Mais les théosophes, les vrais théosophes veux-je dire, qui n'acceptent pas de rédemption par médiation, pas de salut par le sacrifice sanglant d'un innocent, qui ne songent nullement à « travailler à gages » dans la religion Une et Universelle, ces théosophes ne peuvent souscrire entièrement qu'à une seule définition de la religion, donné par Miller. Combien réelle et théosophique est sa description lorsqu'il dit :

« ............................. la véritable religion
Est toujours douce, propice et humble ;
Elle ne joue pas au tyran, n'implante pas sa foi dans le sang,
Et n'apporte pas la destruction sur les roues de son char ;
Mais elle se penche pour adoucir, secourir et remédier,
Bâtissant sa grandeur sur le bien de tous. »

Voilà une définition correcte de ce qu'est ou devrait être la vraie Théosophie. (Parmi les croyances, le Bouddhisme est la seule qui soit une philosophie basée sur l'amour et l'union entre les hommes, parce qu'il n'est pas une religion dogmatique.) A cet égard, comme tout vrai théosophe a pour devoir et pour tâche d'accepter et de pratiquer ces principes, l'on peut dire que la Théosophie est la RELIGION, et la Société, son Eglise une et universelle, le temple de la Sagesse de Salomon (Note 1), temple dont l'édification se poursuivit « sans qu'on entendit nul bruit de marteau, ni de hache, ni d'aucun outil de fer dans le bâtiment en construction » (I. Rois VI) ; car ce « temple » n'est pas fait de main d'homme, ni bâti en un endroit de la terre, mais il s'édifie en vérité dans le sanctuaire profond du cœur humain, où seule règne l'âme éveillée.

La Théosophie n'est donc pas une religion, mais la RELIGION elle-même, le seul lien d'unité, si vaste et si universel dans sa portée, qu'aucun homme, aucun point de   l'univers, des dieux aux mortels et jusqu'aux animaux, jusqu'au brin d'herbe et à l'atome, ne peut se trouver en dehors de sa lumière. C 'est pourquoi toute organisation ou tout groupement de ce nom, doit nécessairement être une FRATERNITE UNIVERSELLE.

S'il en était autrement, la Théosophie ne serait qu'un nom de plus ajouté à des centaines d'autres analogues, aussi sonores que prétentieux et vides de sens. Envisagée comme une philosophie, la Théosophie dans son œuvre pratique, est l'alambic des alchimistes du Moyen-Age. Elle transmute le métal apparemment vil de chaque croyance dogmatique et ritualiste (y compris le Christianisme), en l'or de la réalité et de la vérité, produisant ainsi véritablement une panacée universelle pour les maux de l'humanité. C'est pourquoi, il n'est jamais demandé à ceux qui sollicitent leur admission dans la Société Théosophique quelle est leur religion ou quelles sont leurs opinions sur la divinité. Ces vues sont leur propriété personnelle et n'ont rien à voir avec la Société, car la Théosophie peut être pratiquée par un chrétien ou un païen, par un Juif ou un gentil, par un agnostique ou un matérialiste, ou même un athée, pourvu qu'aucun ne soit un bigot fanatique se refusant à reconnaître comme frères ceux qui ne se rallient pas à sa religion ou à sa croyance particulière. Le comte Léon N. Tolstoï ne croit pas à la Bible, à l'église ou à la divinité du Christ, et cependant aucun chrétien ne le surpasse dans l'application pratique des principes qui furent dit-on, prêchés au mont des Oliviers. Et ces principes sont ceux de la Théosophie, non parce qu'ils furent donnés par le Christ chrétien, mais parce qu'ils expriment l'éthique universelle, et furent prêchés par Bouddha et Confucius, par Krishna et tous les grands sages, des milliers d'années avant que ne fût écrit le Sermon sur la Montagne. Aussi, dès que nous commençons à vivre selon de tels principes, la Théosophie devient vraiment une panacée universelle, car elle panse les blessures infligées à l'âme sensible de tout homme naturellement religieux par les grossières aspérités des sectes en « isme ». Combien de ces hommes, brutalement arrachés au cercle étroit de la croyance aveugle et tombés dans les rangs de l'incrédulité aride, par la réaction impulsive de la désillusion, ont retrouvé une aspiration digne d'espoir simplement en entrant dans notre Fraternité, aussi imparfaite soit-elle.

Si on nous objecte à ceci, que plusieurs membres éminents ont quitté la Société, déçus de la Théosophie comme ils l'avaient été dans d'autres associations, nous ne serons nullement embarrassés de répondre à cette objection. Car, à l'exception de quelques cas excessivement rares, remontant aux premiers temps de la S. T., où certains membres démissionnèrent parce qu'on ne pratiquait pas le mysticisme dans l'organisme général comme eux l'entendaient, ou parce que les « chefs manquaient de spiritualité », et étaient « anti-théosophiques, par conséquent, infidèles aux règles », la majorité, voyez-vous, quitta les rangs parce que la plupart étaient tièdes dans leur enthousiasme ou imbus de leur opinion personnelle; ils portaient en eux-mêmes une église et un dogme infaillible. Certains s'en allèrent aussi sous des prétextes vraiment futiles, disant par exemple que le « Christianisme (il serait plus juste de dire la bigoterie ou le faux Christianisme) était traité trop durement dans nos revues », comme si nous avions mieux traité ou défendu les autres religions fanatiques. Ainsi donc, tous ceux qui quittèrent la Société ont bien fait, et on ne les a jamais regrettés.

De plus, il est juste d'ajouter que le nombre de ceux qui ont démissionné n'est guère comparable au nombre de ceux qui ont trouvé dans la Théosophie réponse à tous leurs espoirs. Ses doctrines, si elles sont sérieusement étudiées, stimulent les facultés du raisonnement, et éveillent l'homme intérieur dans l'animal, et ainsi elles mettent en action tous les pouvoirs bienfaisants jusqu'alors latents en nous, et amènent la perception du vrai et du réel, en opposition au faux et à l'irréel. Déchirant d'une main sûre le voile épais de la lettre morte qui recouvrait toutes les anciennes écritures sacrées, la Théosophie scientifique, versée dans le subtil symbolisme antique, révèle à celui qui se raille de la Sagesse des âges l'origine des croyances et des sciences du monde. Elle ouvre de nouveaux aperçus au-delà des anciens horizons des croyances cristallisées en un despotisme inerte ; et transformant la foi aveugle en une connaissance raisonnée, fondée sur les lois des mathématiques (la seule science exacte), elle démontre au sceptique, sous des aspects plus profonds et plus philosophiques, la réalité de ce qu'il avait depuis longtemps rejeté comme un conte pour enfants ayant été rebuté par la grossièreté de son interprétation à la lettre. Elle donne à tout homme ou à toute femme sincère, appartenant à n'importe quelle classe de la société, à n'importe quel degré de culture et d'intelligence, un but clair et bien défini dans la vie, un idéal vers lequel tendre. La Théosophie pratique n'est pas une Science unique, mais elle embrasse toutes les sciences de la vie, morale et physique. En résumé, on peut la considérer avec raison comme un répétiteur universel, un professeur d'une connaissance et d'une expérience universelle, d'une érudition qui non seulement aide les élèves à passer avec succès un examen destiné à les préparer à toute tâche morale et scientifique sur terre, mais les équipe pour les vies à venir, à condition que ces élèves étudient l'univers et ses mystères en eux-mêmes, au lieu de les examiner à travers les lentilles de la science ordinaire et des religions orthodoxes.

Mais qu'aucun lecteur n'interprète faussement ce qui précède. C'est à la Théosophie elle-même qu'on prête une telle omniscience universelle, et non à aucun membre individuel de la Société, ni même à un Théosophe. Il ne faut pas confondre les deux : la Théosophie et la Société Théosophique sont respectivement comme le récipient et l'olla podrida qu'il contient. La première en tant que Sagesse Divine idéale, est la perfection elle-même ; l'autre, une pauvre chose imparfaite, s'efforçant de marcher dans l'ombre terrestre de la première, ou se contentant même de la poursuivre. Aucun homme n'est parfait ; pourquoi donc espérer qu'un membre de la S. T. soit un phénix de toutes les vertus humaines ? Et pourquoi l'organisation tout entière serait-elle critiquée et blâmée pour les fautes réelles ou imaginaires de certains de ses membres, ou même de ses chefs ? En tant qu'organisme concret, la Société n'a jamais été à l'abri de tout reproche, ni sans péché, pas plus qu'aucun de ses membres (errare humanum est). C'est donc plutôt sur ces membres, dont beaucoup se refusent à être guidés par la Théosophie, que le blâme doit retomber. La Théosophie est l'âme de sa Société ; celle-ci n'est que le corps grossier et imparfait de la première. Aussi, invitons-nous ces Salomon modernes, qui prétendent s'asseoir sur le Siège du Jugement et parler de ce qu'ils ignorent, à s'instruire d'abord de ce que sont les théosophes et la théosophie, avant de les calomnier et de considérer par ignorance ceux-là comme une "secte d'imposteurs et de fous", et celle-ci comme un « fatras de croyances insensées ».

Négligeant cet avertissement, les amis et les ennemis de la Théosophie en parlent comme si elle était une religion, quand ils n'en font pas une secte. Examinons comment ces croyances particulières, associées au nom de la Théosophie, ont fini par s'identifier à elle, et comment il se fait qu'aucun dirigeant de la Société n'a jamais songé à désavouer ces doctrines, et qu'elles en font partie de droit.

Nous avons dit que nous croyons à l'unité absolue de la nature. L'unité implique la possibilité pour un élément d'un certain plan de venir au contact d'un autre élément se trouvant sur un autre plan ou en provenant. Telle est notre croyance.

La Doctrine Secrète qui vient d'être publiée, montrera quelles étaient les idées universelles de l'antiquité au sujet des instructeurs primitifs des premiers hommes et des trois premières races. La genèse de la Religion Sagesse, à laquelle tout Théosophe croit, remonte à cette époque. Ce qu'on appelle l' « Occultisme » ou plutôt la Science Esotérique doit son origine à ces êtres qui, guidés par le Karma, se sont incarnés dans notre humanité, faisant retentir ainsi la note tonique de la Science Secrète que d'innombrables générations ultérieures d'Adeptes ont depuis lors développée au cours des âges, tandis qu'ils vérifiaient ses doctrines par l'observation et l'expérience personnelles. L'ensemble de cette connaissance, qu'aucun homme n'est capable de posséder dans son entier, constitue ce que nous appelons maintenant Théosophie ou « Sagesse Divine ». Des êtres d'autres mondes plus élevés peuvent la posséder entièrement ; nous ne pouvons en avoir qu'un fragment approximatif.

Ainsi, l'unité de tout dans l'univers implique et justifie notre croyance en l'existence d'une connaissance à la fois scientifique, philosophique et religieuse, prouvant la nécessité et la réalité d'un lien entre l'homme et tout ce qui existe dans l'univers ; cette connaissance devient essentiellement RELIGION, et, considérée dans son intégrité et son universalité, elle doit être appelée du nom distinctif de « RELIGION-SAGESSE ».

C'est de cette RELIGION-SAGESSE que sont nées toutes les diverses « Religions », appelées ainsi à tort, Religions qui ont formé à leur tour, des ramifications et des branches, ainsi que toutes les croyances mineures, ayant toujours leur origine dans quelque expérience psychologique personnelle. Chacune de ces religions ou sectes religieuses, qu'on la considère orthodoxe ou hérétique, sage ou insensée, a jailli à l'origine, comme une eau claire et pure de la Source-Mère. Le fait qu'elles ont toutes été polluées par des spéculations et même des inventions humaines dues à des motifs intéressés, ne les empêche pas d'avoir été essentiellement toutes pures à leurs débuts. Il y a de ces croyances ― appelons-les religions ― qui ont été entachées d'éléments humains à un point tel qu'elles sont devenues méconnaissables ; d'autres commencent à peine à montrer les premiers signes de décadence, mais aucune n'a échappé à l'œuvre du temps. Cependant, toutes sont d'origine divine parce qu'elles sont de source naturelle et vraie ; oui certes, le Mazdéisme, le Brahmanisme, le Bouddhisme aussi bien que le Christianisme. Ce sont les dogmes et l'élément humain de ce dernier qui ont conduit directement au Spiritisme moderne.

Naturellement, on protestera de part et d'autre, si nous disons que le Spiritisme en lui-même, débarrassé de ses spéculations malsaines, qui furent édifiées sur les dires de deux petites filles et de leurs « Esprits » très peu dignes de foi, est néanmoins beaucoup plus vrai et beaucoup plus philosophique qu'aucun dogme ecclésiastique. Le Spiritisme « fait chair » récolte maintenant son Karma. Ses premiers innovateurs, les deux petites filles de Rochester, cette Mecque du Spiritisme moderne, ont grandi, et sont devenues de vieilles femmes, depuis le temps où en produisant les premiers coups frappés elles ouvrirent toutes larges les portes qui séparaient notre sphère de l'autre monde. C'est sur leur témoignage " innocent " que fut créé et élaboré le plan complexe d'un « Summerland » sidéral, peuplé d'« Esprits » astraux actifs, toujours en éveil et prêts à passer de leur « Pays silencieux » dans notre monde bruyant et bavard. Et voici que les deux Mahomet féminins du Spiritisme moderne ont renié leurs propres théories, ont trahi la « philosophie » qu'elles avaient créée, et ont passé à l'ennemi. Elles dénoncent à présent le Spiritisme pratique comme un éternel charlatanisme. Les spirites, à part une poignée de louables exceptions, se sont réjouis et se sont ralliés aux rangs de nos ennemis et calomniateurs, quand ceux-ci, qui n'avaient jamais été Théosophes, nous trahirent et diaboliquement dénoncèrent les fondateurs de la Société Théosophique comme des fraudeurs et des imposteurs. Allons-nous, Théosophes, nous moquer à notre tour, maintenant que les « révélateurs » primitifs du Spiritisme sont devenus ses calomniateurs ? Cela jamais, car nous savons que les phénomènes du Spiritisme sont des faits réels, et la fraude des « jeunes filles Fox » ne fait qu'accroître notre pitié pour les médiums en général, et confirme aux yeux du monde, qu'aucun médium n'est digne de confiance, ce que nous ne cessons de déclarer. Aucun vrai Théosophe ne se moquera jamais et encore moins ne se réjouira de la déconfiture d'un autre, fût-ce même d'un adversaire. Et la raison bien simple, la voici : C'est que nous savons que des êtres d'autres mondes plus élevés, inspirent, maintenant comme autrefois, certains mortels élus ; bien que le fait se produise beaucoup plus rarement maintenant que dans le passé, étant donné qu'à chaque nouvelle génération civilisée, l'humanité dégénère à tous les points de vue.

La Théosophie, par suite de la levée en armes de tous les spirites d'Europe et d'Amérique, aux premiers mots prononcés contre l'idée que toute intelligence qui communique est nécessairement l'esprit de quelque ancien mortel de notre terre, n'a pas encore dit son dernier mot au sujet du spiritisme et des " Esprits ". Mais elle pourrait le faire un jour. En attendant, une humble servante de la Théosophie, la Rédactrice de la revue Lucifer, affirme à nouveau sa croyance en des êtres plus grands, plus sages, plus nobles qu'aucun Dieu personnel, et qui se tiennent bien au-delà de tous les « Esprits » des morts, des Saints ou des Anges ailés et condescendent néanmoins, à toutes les époques, à adombrer, occasionnellement quelques rares sensitifs, n'ayant souvent aucun rapport avec l'Eglise, le Spiritisme ou même la Théosophie. Et puisqu'elle croit en de hauts et saints êtres spirituels, il s'ensuit qu'elle croit aussi à l'existence de leurs opposés : les « esprits » inférieurs, bons, mauvais ou indifférents. Et c'est pourquoi elle croit également au Spiritisme et à ses phénomènes, dont certains lui répugnent si profondément.

Ceci soit dit en passant, en guise de digression, et afin de montrer que la Théosophie inclut le Spiritisme ― tel qu'il devrait être, non pas tel qu'il est ― parmi ses sciences, basées sur la connaissance et sur l'expérience d'âges innombrables. Il n'y a pas une religion digne de ce nom qui n'ait débuté à la suite de telles visites d'Etres provenant des plans supérieurs.

C'est ainsi que naquirent toutes les religions préhistoriques aussi bien qu'historiques : le Mazdéisme et le Brahmanisme, le Bouddhisme et le Christianisme, le Judaïsme, le Gnosticisme et le Mahométisme ; en somme tous les mouvements en « isme » qui eurent plus ou moins de succès. Tous sont vrais en leur essence profonde ; tous sont faux en surface. Le Révélateur, l'artiste qui imprima un fragment de la vérité dans le Cerveau du Voyant, était dans chaque cas particulier, un véritable artiste qui divulgua d'authentiques vérités ; mais par ailleurs l'instrument se révéla dans chaque cas n'être rien d'autre qu'un homme. Invitez Rubinstein à jouer une sonate de Beethoven sur un piano qui n'est pas accordé, dont la moitié des touches souffrent de paralysie chronique, tandis que les cordes en sont distendues, et voyez si, en dépit du génie de l'artiste, vous reconnaîtrez la sonate. La morale de la fable, c'est qu'un homme, fût-il le plus grand des médiums ou des Voyants naturels, n'est jamais qu'un homme ; et qu'un homme abandonné à ses propres moyens et suppositions, ne peut qu'être désaccordé par rapport à la vérité absolue, même s'il en glane quelques miettes. Car l'homme n'est qu'un Ange déchu, un dieu en dedans, mais possédant dans sa tête un cerveau animal, plus sujet aux influences du froid et des fumets du vin quand il se trouve en compagnie d'autres hommes, sur terre, qu'à la réception fidèle de révélations divines.

De là, les dogmes variés des Églises. De là, aussi, les mille et une soi-disant « philosophies » (certaines contradictoires, les théories théosophiques y compris) ; de là encore, les diverses « Sciences » et systèmes, Spirituels, Mentaux, Chrétiens ou Séculiers; le sectarisme et la bigoterie, et surtout la vanité personnelle et l'entêtement opiniâtre de presque chaque « Innovateur », depuis les temps médiévaux. Tous ont obscurci et caché l'existence même de la SAGESSE qui est leur source commune. Nos critiques s'imagineront peut-être que nous exceptons de cette nomenclature les enseignements théosophiques. Pas du tout. Et, bien que les doctrines ésotériques que notre Société a exposées, et continue à promulguer, ne soient pas le résultat d'impressions mentales et spirituelles provenant de quelque « inconnu d'en haut », mais le fruit d'enseignements qui nous ont été donnés par des hommes vivants, cependant, ces doctrines à l'exception de ce qui a été dicté ou écrit par ces Maîtres de Sagesse eux-mêmes, peuvent être, dans beaucoup de cas, aussi incomplètes ou fautives que nos ennemis pourraient le souhaiter. La Doctrine Secrète, ouvrage qui révèle tout ce qui peut être divulgué en ce siècle, est une tentative ayant pour but d'exposer en partie, le fondement commun, et l'origine identique de tous les systèmes religieux et philosophiques, grands et petits.

Il est apparu indispensable de déblayer de toute cette masse compacte de préjugés et de fausses conceptions, la souche-mère :  

  1. de toutes les religions mondiales,
  2. des sectes moins importantes et
  3. de la Théosophie telle qu'elle est présentée maintenant, aussi voilée que soit la grande Vérité, par nous-mêmes et notre connaissance limitée.

La couche d'erreur est épaisse, quelle que soit la main qui l'ait constituée ; et parce que nous avons personnellement essayé d'en enlever une partie, on a reproché cette tentative à tous les auteurs théosophiques et même à la Société. Bien peu de nos amis et de nos lecteurs n'ont pas stigmatisé nos efforts tentés dans le Theosophist et Lucifer en vue de dénoncer l'erreur comme autant « d'attaques très peu charitables vis-à-vis du Christianisme », « des polémiques peu théosophiques », etc. Cependant, cela est nécessaire, bien plus, indispensable, si nous voulons faire ressurgir ne fut-ce que des vérités approximatives. Nous devons dire froidement les choses, et sommes prêts à en souffrir, comme d'habitude. Il est vain de promettre de donner la vérité, puis de la laisser mélangée à l'erreur, par pur manque de courage. Nous avons suffisamment prouvé que le résultat d'une telle tactique serait de polluer le fleuve des faits. Après douze ans de labeur incessant et de luttes constantes avec des ennemis, aux quatre coins du globe, en dépit de nos quatre revues mensuelles théosophiques (le Theosophist, le Path, Lucifer et le Lotus français) nos protestations modérées et fades dans ces revues, nos déclarations timides, notre " magistrale tactique d'inactivité ", et nos parties de cache-cache dans l'ombre de la métaphysique abstruse, ne sont parvenues qu'à faire considérer sérieusement la Théosophie comme une SECTE religieuse. Pour la centième fois on nous répète : « Quel bien fait la Théosophie ? » et « Voyez donc le bien que font les Églises ».

Néanmoins, c'est un fait avéré que l'humanité n'a pas progressé d'un pas en moralité et, à certains points de vue, est au contraire devenue dix fois pire qu'à l'âge du Paganisme. De plus, durant ce dernier demi-siècle, depuis que la Libre Pensée et la Science l'ont emporté sur les Eglises, le Christianisme perd chaque année plus d'adhérents appartenant aux classes cultivées, qu'il ne gagne de prosélytes dans les couches inférieures, la lie du Paganisme. D'autre part, la Théosophie a sauvé du Matérialisme et du sombre désespoir, et ramené à une croyance dans le Soi Divin de l'homme ― croyance basée sur la logique et l'évidence ― ainsi que dans l'immortalité de ce Soi, plus d'un être que l'Eglise avait perdu par ses dogmes, sa foi imposée et sa tyrannie.

Et s'il est prouvé que la Théosophie sauve un homme sur mille que l'Eglise perd, la Théosophie n'est-elle pas un facteur pour le bien infiniment plus important que tous les missionnaires mis ensemble ?

La Théosophie, comme il a été répété maintes fois par écrit, et de vive voix par ses membres et ses dirigeants, procède par des voies diamétralement opposées à celles que suit l'Eglise ; de plus, la Théosophie rejette les méthodes de la Science, sachant que ses méthodes inductives ne peuvent conduire qu'à un grossier matérialisme. Et cependant, de fait, la Théosophie prétend être à la fois la « RELIGION » et la « SCIENCE », car la Théosophie est l'essence de toutes deux. C'est pour le bien et l'amour des deux abstractions divines ― la religion et la science théosophiques ― que la Société a accepté de son plein gré de jouer le rôle de balayeur des déchets de la Religion orthodoxe et de la Science moderne ; comme aussi de Némésis implacable pour ceux qui ont dégradé les deux nobles vérités pour leurs fins et buts personnels et les ont violemment arrachées l'une à l'autre, alors qu'elles sont une, et doivent rester une. Cet article se propose entre autres buts, de prouver cette vérité.

Le Matérialiste moderne insiste sur le fait qu'il existe un abîme infranchissable entre les deux, prétendant que le « conflit entre la Religion et la Science » s'est terminé par la défaite de la première et le triomphe de la seconde. Le Théosophe moderne se refuse, au contraire, à voir un tel abîme entre les deux. Si l'Eglise et la Science prétendent chacune chercher la vérité et rien que la vérité, ou bien l'une des deux se trompe et accepte l'erreur pour la vérité, ou toutes deux sont dans l'erreur. Tout autre obstacle à leur réconciliation doit être considéré comme pure fiction. La Vérité est une, même si on la cherche et la poursuit en partant de deux extrémités différentes. C'est pourquoi la Théosophie prétend réconcilier les deux ennemies. Elle commence par faire observer que la véritable religion Chrétienne, spirituelle et primitive, est, tout autant que les autres grandes philosophies plus anciennes qui l'ont précédée, la lumière de Vérité, « la vie et la lumière des hommes ».

Mais il en est de même de la vraie lumière de la Science. Aussi obscurcie comme l'est la première de nos jours par les dogmes, considérés à l'aide de verres noircis par les superstitions artificiellement créées par les Eglises la lumière de la Religion ne peut guère pénétrer jusqu'à la Science, et s'unir à cette lumière-sœur, tamisée comme elle l'est aussi par l'étroit réseau des paradoxes et des sophismes matérialistes du siècle. Leurs deux enseignements sont incompatibles et ne pourront se réconcilier aussi longtemps que la philosophie religieuse, et la Science de la nature physique et extérieure (fausse pour la philosophie) insisteront toutes deux sur l'infaillibilité de leurs « feux follets » respectifs. Les deux lumières, dont les rayons pénètrent la matière des déductions fausses, avec une égale longueur d'onde ne peuvent que s'éteindre mutuellement, et produire une obscurité plus profonde encore. Et cependant, religion et science peuvent se réconcilier, à condition que chacune nettoie sa demeure, l'une des détritus humains accumulés par les âges, l'autre de l'excroissance hideuse du matérialisme et de l'athéisme modernes. Mais comme toutes deux s'y refusent, le meilleur parti à prendre, et le plus méritoire, c'est de faire ce que seule peut et veut faire la Théosophie, c'est-à-dire de montrer aux innocents pris dans le piège des deux traqueurs ― les deux dragons de la fable en vérité, l'un dévorant l'intelligence des hommes, l'autre leur âme ― que cet abîme prétendu n'est qu'une illusion d'optique, une sorte d'immense rempart protecteur érigé par les deux ennemis en guise de fortification contre des attaques mutuelles.

Ainsi donc, si la Théosophie se contente d'insister, et d'attirer sérieusement l'attention du monde, sur le fait que le soi-disant désaccord entre la religion et la science provient d'une part, de la juste révolte des matérialistes intelligents contre d'absurdes dogmes humains, et d'autre part, de l'attitude de fanatiques aveugles et d'hommes d'église intéressés qui jouent du croc et de la griffe pour sauvegarder leur bien ― pain, beurre et autorité ― au lieu de défendre les âmes humaines, eh bien ! même alors, la Théosophie apparaîtra comme le sauveur de l'humanité.

Nous avons montré, maintenant, espérons-nous, ce qu'est la vraie Théosophie et ce que sont ses adhérents. L'une est la Science divine, un code d'Ethique si sublime qu'aucun théosophe ne peut s'y conformer parfaitement ; les autres ne sont que des hommes, faibles mais sincères. Pourquoi alors juger la Théosophie par les défauts personnels d'un de ses dirigeants ou l'un des membres de nos 150 branches ? Un homme ou une femme peut travailler pour la Théosophie, au mieux de ses capacités, et cependant n'atteindre jamais à la cime de sa vocation et de son aspiration. C'est son malheur, mais ce n'est pas la faute de la Théosophie, ni même de son organisme en général. Ses Fondateurs ne revendiquent d'autre mérite que celui d'avoir mis en marche la roue théosophique. Si l'on veut absolument les juger, qu'on les juge par le travail qu'ils ont accompli, et non par ce que des amis pensent d'eux, ou par ce que des ennemis peuvent en dire. Il n'y a pas de place pour des personnalités dans un travail comme le nôtre, et tous doivent être prêts, s'il le faut ― comme le sont les Fondateurs ― à se laisser écraser individuellement pour le bien de tous, par le char de Jaggenâth.    

Ce n'est que dans les jours d'un lointain Futur, lorsque la mort aura posé sa froide main sur les malheureux Fondateurs et arrêté de la sorte, leur activité, que leurs mérites et démérites respectifs, leurs actions bonnes et mauvaises, et leur travail théosophique devront être pesés sur la Balance de la Postérité. C'est seulement, lorsque les deux plateaux, avec leurs charges opposées, auront été équilibrés, et que la nature du bilan global sera connue de chacun dans toute sa valeur intrinsèque, que l'on pourra déterminer avec quelque justice le caractère du verdict rendu. A présent, excepté en Inde, les résultats sont par trop disséminés sur toute la terre, trop limités à une poignée d'individus pour qu'on puisse aisément les juger. Maintenant, ces résultats sont à peine perceptibles, et encore moins proclamés au milieu du bruit et de la clameur produits par nos innombrables ennemis et leurs prompts imitateurs, les indifférents. Cependant, devant ces résultats, si humbles soient-ils, s'ils se révèlent bienfaisants, dès maintenant tout homme qui a à cœur le progrès moral de l'humanité devra de la reconnaissance à la Théosophie pour ces résultats. Et, étant donné que la Théosophie a été revivifiée et présentée au monde, par l'intermédiaire de ses indignes serviteurs, les « Fondateurs », si leur œuvre a été utile, elle seule doit être leur défenseur, indépendamment de l'état actuel de leur compte dans les petits registres de caisse de karma où s'inscrivent les « considérations » sociales...

H.P. Blavatsky ?

Cet article de H. P. Blavatsky fut publié pour la première fois dans la revue anglaise Lucifer de Novembre 1888. Cahier Théosophique n°67, © Textes Théosophiques.

Note 1 : Dont les 700 femmes et les 300 concubines ne sont, entre parenthèses, que les personnifications des attributs, sentiments, passions et pouvoirs occultes divers de l'homme : les nombres cabalistiques 3 et 7 l'indiquent clairement. De plus, Salomon lui-même n'est qu'un emblème de Sol, l'Initié Solaire ou le Christ-Soleil, une variante du "Vikarttana" hindou (le Soleil), privé de ses rayons par Viswakarma, son Initiateur-Hiérophante, qui enlève au Candidat-Chrestos, lors de l'Initiation, son rayonnement d'or, et le couronne d'une auréole sombre, et noire, la "couronne d'épines". (Voir La Doctrine secrète pour de plus amples informations). Salomon n'exista jamais. Sa vie et ses œuvres telles qu'elles sont décrites dans les Rois sont une allégorie des épreuves et de la gloire de l'Initiation.  [Retour texte]

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