Comment vivre la vie supérieure ?

Comment vivre la vie supérieure ?

27 Mai, 2019

« Je n'éprouve aucun désir pour un autre genre de vie ; mais au moment où je me suis éveillé à une connaissance de cette vie, je me suis trouvé mêlé à des circonstances contre lesquelles je ne me révolte pas, mais dont je suis déterminé à me libérer en travaillant par elles, et en ne négligeant aucun devoir envers autrui. » – Lettre d'un ami.

Le « Gardien du Seuil » qui se dresse devant les occultistes même avancés, et qui menace souvent de les écraser, ne diffère que quantitativement des épreuves imposées au chéla [disciple], ou de celles de la probation, menant à l'état de chéla. Il peut être utile d'examiner la nature de ce Gardien et de ces épreuves. Qu'il nous suffise de dire, pour l'instant, que cette nature est triple, et dépend de nos rapports :

1 - avec notre nation ;
2 - avec notre famille ;
3 - avec nous-mêmes.

Et chacun de ces trois groupes de rapports est dû à l'extériorisation d'un fragment de notre propre Karma passé, c'est-à-dire à ses effets.

Pourquoi naissons-nous dans une nation et une famille particulières ? Par suite de l'effet d'un groupe particulier d'attractions Karmiques qui nous sont propres et qui s'affirment de cette façon. En d'autres termes, une série de causes karmiques passées s'épuisent en nous jetant dans notre incarnation actuelle, au mi­lieu d'une nation donnée ; un autre groupe nous introduit dans une famille particulière et un troisième continue à nous différencier, ou à nous individualiser parmi tous les autres membres de la nation ou de la famille. « Les cinq enfants d'une famille sont aussi différents les uns des autres que les cinq doigts d'une main », dit l'un de nos proverbes orientaux. Si nous ne considérons pas cette différence de ce point de vue, nous devons toujours considérer comme une énigme, un problème trop difficile à résoudre, un mystère en somme, le fait que des enfants nés de mêmes parents se montrent excessivement différents les uns des autres, tout en ayant des traits communs. Ce qui s'applique à la famille s'applique aussi à la nation dans laquelle les familles ne sont que des unités ; et aussi à l'humanité dans son ensemble, qui se compose de nations et de familles. Le seul moyen de résoudre le grand problème de notre siècle : « Les lois de la nature sont-elles aveugles et matérielles, ou spirituelles, intelligentes et divines ? » consiste, il me semble, à souligner en toute occasion la façon absolument intelligente et divine avec laquelle agissent ces lois, et combien elles nous obligent à reconnaître l'existence d'une économie de la nature. C'est le seul moyen pour nous d'atteindre à la spiritualité, et je voudrais, une fois pour toutes, insister auprès de mes collaborateurs dans la cause, pour qu'ils s'efforcent de reconnaître autant que possible, à chaque étape de leur étude, l'Intelligence Divine qui se manifeste ainsi dans le monde. Si au contraire vous vous contentez de croire, ou d'accepter comme vrai le fait que les forces gouvernant l'univers sont spirituelles, cette croyance, pour aussi profondément enracinée qu'elle puisse paraître, ne vous sera d'aucune utilité quand vous aurez à subir les épreuves imposées au chéla ; et vous succomberez sans aucun doute, et vous vous écrierez que « la loi est aveugle, injuste et cruelle », surtout quand votre égoïsme et votre personnalité vous domineront. Un jour qu'un occultiste pratique et un savant philosophe subissait ce qui lui semblait « une réelle calamité et une épreuve sévère », il ne put s'empêcher de me dire franchement : « La Loi de Karma est certainement aveugle, il n'y a pas de Dieu ; quelle meilleure preuve en voulez-vous ? » Le manque de confiance et l'égoïsme sont si profondément ancrés dans la nature humaine que nul ne peut être sûr de sa nature spirituelle. Et la sagesse des lèvres ne nous servira à rien quand sonnera l'heure de l'épreuve. Nous devons étudier la loi sous tous ses aspects et assimiler dans notre conscience supérieure — ce que Du Prel appelle la conscience supersensible — toutes les données qui peuvent nous prouver et nous convaincre que le Pouvoir est spirituel. Observez autour de vous et voyez si deux personnes sont absolument identiques, même un moment. Combien doit être intel­ligent ce pouvoir pour arriver à nous conserver tous totalement différents les uns des autres dans l'ensemble, tandis qu'à l'analyse, nous possédons tous quelques traits communs, même avec le Nègre auquel nous sommes alliés d'une façon éloignée.

A ce sujet, je vous renvoie à un passage de l'article « Chélas et chélas laïques » (Voir colonne 1, page 11, du « Supplément du Theosophist de juillet 1883). « Le chéla ne doit pas seulement affronter toutes les mauvaises tendances latentes de sa nature mais, en plus, tout l'ensemble de pouvoir maléfique accumulé par la communauté et la nation auxquelles il appartient... jusqu'au jour où le résultat est connu ». Je vous demande seulement d'appliquer le même principe à vos relations de famille qui affectent votre incarnation actuelle. Nous trouvons donc sept choses qui contribuent à nous assurer la victoire, ou qui nous conduisent à une triste défaite sans gloire, dans le formidable combat connu sous les noms de Gardien du Seuil ou d'épreuves subies par le chéla :

1er – Les tendances mauvaises communes à nous-mêmes et à notre famille ;
2ème – Celle que nous avons en commun avec notre nation ;
3ème – Celles que nous possédons en commun avec l'humanité en général, et que l'on appelle ordinairement les faiblesses de la nature humaine, les fruits de la première transgression d'Adam ;
4ème, 5ème et 6ème – Les nobles qualités que nous avons en commun avec notre famille, notre nation, l'humanité ;
7ème – La façon particulière dont ces six groupes de nos activités karmiques passées choisissent de nous influencer ou ont la possibilité de le faire, ou leurs effets qui produisent en nous la tendance actuelle. Un adepte seul peut complètement maîtriser ce septième point, et tout mortel qui essaiera de diriger toutes ses énergies vers le plan le plus haut qu'il peut atteindre (« Ne désire que ce qui est hors d'atteinte » dit l'auteur de la Lumière sur le Sentier) arrivera, comme je l'ai dit récemment, à faire plus ou moins ce que peut accomplir l'adepte, pour autant qu'il agisse selon la règle. Tout chéla ainsi que tous ceux qui entretiennent le désir de le devenir ― désir qu'ils croient secret ― ont affaire avec les six premiers groupes de tendances ou d'influences.

Le monde est porté ― du moins dans notre Kali Yuga (l'Âge Noir passé, actuel et futur) ― à commencer tout par le mauvais bout et à diriger toutes ses facultés vers la perception des effets et non de leurs causes. Ainsi les idées de « renoncement », d'« ascétisme », de « vrai sentiment de Fraternité Universelle » (ou de « miséricorde » comme je l'appelle, d'accord avec l'Éthique de l'Inde méridionale), toutes qualités qui sont compatibles avec les Gnanis [Dieux], ou les plus hauts Mahatmas, ont fini par être considérées par nos théosophes, en général, comme les moyens de progrès pour un débutant, tandis que les vrais moyens de progrès pour nous, mortels — l'accom­plissement de nos devoirs envers notre famille et notre nation, en d'autres termes la « bonté » et le « patriotisme », au sens moral le plus élevé du mot — sont mis au rebut. Il est vrai que du point de vue d'un Jivanmukta [adepte ou yogi qui a atteint le plus haut état de sainteté et s’est libéré des liens avec la matière], un véritable ami de l'humanité, ces deux Sadhanas [personnes possédant des richesses, et des qualités morales mais qui restent imparfaits] sont en fait de nature « égoïste » ; mais tant que nous n'aurons pas atteint cet état sublime, ces deux sentiments devraient nous servir d'échelons pour nous élever, de moyens pour non seulement nous débarrasser de nos défauts de famille et de nos caractéristiques naturelles, mais aussi pour renforcer en nous les nobles qualités de notre famille et de notre nation. Tant que nous n'aurons pas atteint cet état idéal où l'âme bénie ne peut plus créer ni bon ni mauvais Karma, nous devrons nous efforcer de faire du « bon » Karma, afin de devenir libres de tout Karma (nish-Karmis).

Qu'on n'aille surtout pas croire que, par « devoirs familiaux » et « devoirs nationaux », je veuille dire un faux attachement à la famille ou à la nation. Le devoir de famille ne réside pas dans la sensualité ou la recherche du plaisir, mais dans la culture et dans l'élévation de la nature émotionnelle (le quatrième principe) de nous-mêmes et des membres de notre famille ; dans une égale bonté, non seulement vis-à-vis des nôtres ; mais envers toutes les créatures ; dans la jouissance de tous les plaisirs de la vie de famille qui sont compatibles avec l'acquisition des « richesses» (c'est-à-dire tous les moyens nécessaires pour l'accomplissement du Dharma ou du devoir complet) comme l'indiquent les enseignements de Valluvar ; enfin, dans l'utilisation de ces plaisirs et de ces moyens pour l'accomplissement de notre devoir envers notre nation. Le patriotisme consiste de même à « théosophiser » notre propre nation ; à nous débarrasser de nos défauts nationaux, comme à aider les autres membres de la nation à faire de même, à renforcer, en nous et dans l'ensemble de la nation, toutes les nobles qualités qu'elle possède ; à jouir des « privilèges » (1) de la nation, et à s'en servir comme moyens d'accomplir le Dharma.

Si nous prenons soins des devoirs de famille nos devoirs envers la nation et l'humanité vont dans une large mesure prendre soin d'eux-mêmes sans entraves. Nos devoirs nationaux s'ils sont strictement remplis, contribuent à purifier de sa lie notre cinquième principe inférieur et à en établir et développer la meilleure partie, tandis que l'accomplissement de notre devoir envers l'humanité, ou la réalisation de la tolérance et de la miséricorde universelles, purifie l'élément inférieur (humain) du cinquième principe supérieur, et le rend divin, nous permettant ainsi de nous libérer graduellement des entraves de l'ignorance communes à tous les êtres humains.

Les assertions ci-dessus peuvent paraître, à première vue, assez audacieuses et peu théosophiques. Cependant, j'ai la conviction, que tout l'édifice de la religion et de la philosophie aryennes, est fondé sur ces principes et qu'un examen sérieux du sujet ferait ressortir la grande importance accordée à la vie de famille (grihasta ashrama) dans cette philosophie. A mon avis, aucun ascète, aucun instructeur de l'humanité, aussi éminent et versé dans la connaissance supérieure qu'il puisse être, n'égale parmi les bienfaiteurs pratiques de l'humanité, Valluvar des temps passés qui s'incarna sur terre dans le but défini, entre autres, de donner l'exemple d'une vie de famille idéale aux mortels, prêts à se jeter prématurément et sans réfléchir sur les rochers du renoncement, et afin de démontrer la possibilité de mener une telle vie à n'importe quelle époque, aussi dégénérée soit-elle, ou encore Rama, qui, après être devenu un Avatar-Purusha descendit parmi les mortels pour y mener la vie de famille.

On a souvent prétendu que le monde n'avait pas avancé sur le Sentier, parce que les Gnanis, ou Mahatmas, avaient diminué en nombre et en grandeur, et parce que nous nous trouvions dans le Kali-Yuga ou l'âge noir. De tels arguments sont dus au fait que nous prenons les effets pour les causes. Le seul moyen de préparer l'avènement d'un Yuga favorable et d'augmenter le nombre et la grandeur des Mahatmas, consiste à établir graduellement les conditions permettant de mener la vraie vie de famille. J'affirme sans hésiter, que c'est là le devoir des théosophes sérieux et des véritables philanthropes.

N'est-il pas admis par tous les philanthropes que le travail désintéressé pour l'humanité peut seul nous sauver de l'Océan de Samsara (la réincarnation), développer nos potentialités les plus hautes, et nous aider à opérer la transmutation de notre faiblesse humaine ? Si nous appliquons le même principe à l'accomplissement altruiste de nos devoirs familiaux et nationaux, mon point de vue devient admissible. Un Mahatma a déclaré, paraît-il, qu'il avait encore du « patriotisme ». Mais il n'a pas dit, et n'aurait pu dire, qu'Il avait encore des « attachements » de famille. Ceci prouve qu'Il s'est libéré des défauts de la famille à laquelle Il appartient, mais qu'Il s'efforce seulement de se débarrasser des défauts nationaux, dont quelques-uns du moins, s'accrochent encore à lui. Un Bouddha dirait qu'Il a de la « Miséricorde », mais pas de « patriotisme ».

Le seul moyen efficace de se libérer des défauts de famille consiste à remplir tous nos devoirs envers notre famille, avant de la quitter, soit pour devenir des ascètes, soit pour mourir. Béni est-il celui (2) qui, dans chaque incarnation, se débarrasse des défauts de la famille dans laquelle il est admis, et transforme de la sorte les défauts chez ses parents, ses frères et ses sœurs, en nobles qualités, fortifiant et développant ainsi les vertus de sa famille, jusqu'à ce qu'il devienne lui-même un Bouddha, et aide sa famille à devenir digne de donner le jour à un Bouddha tandis qu'il arrive à concentrer en lui la fleur de toutes les nobles qualités de sa famille, sans être souillé par ses caractéristiques mauvaises. Un Dugpa (Magicien noir) renaît fréquemment dans la même famille, et devient l'essence de ses tendances mauvaises.

Nous voyons ici encore à l'œuvre la loi sublime et divinement intelligente de l'économie naturelle universelle qui s'affirme. C'est ce que symbolise la belle allégorie du Jivanmukta barattant l'océan pour en extraire l'élixir de vie en abandonnant le visha (le poison ou toutes les tendances mauvaises) aux Dugpas. C'est là une des significations de l'allégorie. Laissant de côté toute personnalité ou faits sujets à caution, je m'appuierai uniquement sur nos Puranas et Écritures sacrées pour prouver que dans chaque famille où des Adeptes et des Gnanis naissent fréquemment (ou choisissent de s'incarner), il naît aussi en fait des Dugpas. Krishna fut le plus grand des Gnanis et son oncle Kansa (du point de vue qui nous intéresse) fut un terrible Dugpa. Les cinq Pandavas avaient cent méchants cousins, les Kauravas. Les devas [dieux] et toute la lignée des méchants Asuras naquirent du même père. Vibisbana avait pour frère Ravana, le prince des Dugpas, et de même le bon Sugriva avait Vali comme frère. Prahlada avait un monstre pour père.

Prenez le cas d'un être qui n'a pas rempli tous ses devoirs envers sa famille, avant de mourir, ou avant de faire les vœux de renoncement et devenir ascète. Des ascètes de ce genre se trouvent attirés par les défauts de la famille et leur égoïsme, (restés jusqu'alors plus ou moins en sommeil, mais maintenant attirés et réveillés par l'égoïsme des proches). Ils sont entravés dans l'accomplissement des devoirs particuliers à leur nouvel état ou Ashrama, aussi dénués d'égoïsme qu'aient pu être leurs parents « inconsciemment » ou sans le vouloir. Malgré eux, ces parents arrêtent les progrès de ces ascètes, en qui les défauts de famille sont ainsi fortifiés et développés. Telle est la loi mystérieuse de l'attraction. En pareil cas l'homme doit renaître :

1er soit dans la même famille, avec les défauts renforcés en lui et chez les siens ;
2ème soit dans une autre famille.

Dans le premier cas, les qualités de la famille ne sont pas renforcées et par conséquent disparaissent graduellement chez lui et chez ses parents.

Dans le deuxième cas, il devient un fils, un frère ou un mari indigne, dans sa nouvelle famille d'abord, par suite de la loi naturelle de répétition, qui, ajoutant les terribles intérêts karmiques, renforce en l'homme la tendance à négliger son devoir ; ensuite, par suite des « attractions familiales opposées » (ou répulsions). Et que ce malheureux qui a abandonné son poste dans son devoir familial ne s'imagine pas follement pour se consoler, que cette tendance se bornera à agir sur les traits bons ou mauvais de sa famille, et sur les seuls devoirs familiaux. Elle s'affirmera dans tous les domaines où elle peut agir ; elle lui fera négliger ses devoirs envers sa nation et lui-même, en d'autres termes, envers l'humanité. Il sera surpris de se sentir soudain indifférent envers sa nation, envers sa nature supérieure et : l'humanité. Tels sont les détours et les ramifications insoupçonnés de nos tendances bonnes ou mauvaises. Tout élément mauvais ou noble de la nature humaine se transforme, dans des conditions « favorables », en un autre élément quelconque, en apparence même très différent. Les conditions sont prêtes à Se manifester partout où l'élément est puissant ; vouloir c'est pouvoir. Ainsi donc, l'accomplissement des devoirs familiaux développe le patriotisme et la miséricorde.

Je ne veux pas dire du tout que les effets karmiques se manifestent toujours de la même façon, et sous le même aspect, mais il peut en être ainsi, et il en est souvent ainsi. Je ne veux pas dire non plus que les affinités dont j'ai parlé fleurissent et viennent à maturité dans l'incarnation qui suit immédiatement ; elles peuvent se développer dix, ou même cent incarnations plus tard ; mais, dans ce cas, Karma ne fait qu'accumuler des intérêts énormes. Ces affinités peuvent ne pas se développer en même temps chez l'homme et chez la femme qui fut autrefois son épouse ; si elles s'épanouissent en même temps, le compte a des chances de pouvoir se régler, mais malheur à eux s'il en est autrement. En supposant que la femme soit attirée vers l'homme, tandis que lui ne ressent encore aucun attachement pour elle, il pourra se faire en conséquence, qu'elle se chagrine et languisse après lui, lançant consciemment ou « inconsciemment », ses flèches empoisonnées vers lui, et si celles-ci n'éveil­lent pas un sentiment réciproque en lui elles entraveront momentanément la réalisation de ses autres projets. Supposons maintenant qu'au moment où les affinités se développent en lui il devienne un initié et qu'elle devienne, par exemple son élève, homme ou femme, en cette incarnation. Les affinités de l'élève s'étant transformées en un sentiment de dévotion pour l'initié, si ce dernier se laisse aveugler dans son œuvre philanthropique et dans ses nobles devoirs de sage jusqu'à commettre de graves erreurs, par suite de cet amour exalté pour son élève, il en résultera une catastrophe pour tous deux et pour l'humanité ; et disciple et initié tomberont et devront remonter le rude sentier, avec des difficultés accrues sur leur chemin.

S'il arrive, à une époque et dans un pays où la vie de famille continue d'être idéale, qu'un seul malheureux commette le premier acte de transgression en se jetant imprudemment dans le cercle des ascètes, ou en mourant avant de s'être complètement déchargé de ses devoirs de famille, il en résulte naturellement que lui-même, sa famille et sa nation s'en trouvent gravement affectés. L'Akasa (3) reçoit l'empreinte de l'impulsion vers cette transgression dans ce sens ; cette impulsion s'impose graduellement aux autres (avec des intérêts accumulés et une force redoublée) ; l'exemple indigne devient un précédent, et d'autres cas identiques ne tardent pas à se succéder. Dans la suite au moment même où commence un triste cycle descendant ― car telle est la divine intelligence de la loi qui économise les énergies et adapte les choses à cette loi ― la vie de famille idéale devient presque impossible, et Se réalisation très rare ; la communauté tout entière se trouve ainsi dégradée. Les grands adeptes versés dans la Connaissance se retirent vers d'autres sphères (où se produit alors un cycle ascendant) abandonnant la nation qui sera engouffrée par un cataclysme, après des âges de dégradation et de vice.

Prenons maintenant le cas inverse, et supposons que dans la nation dégénérée, au cours d'un cycle des plus sombres, un philanthrope se montre assez altruiste et intelligent pour donner un .exemple plein de noblesse et d'intelligence en remplissant tous ses devoirs familiaux ; ici, aussi naturellement que dans le cas inverse, l'exemple s'affirme graduellement comme un précédent et ouvre la voie à l'avènement d'un cycle ascendant ; les Gnanis bénissent ce noble cœur, et descendent d'autres sphères peu favorables où commencent des cycles descendants.

L'on comprendra aisément maintenant pourquoi l'on recommande aux chélas et aux chélas laïques (ceux qui ne sont pas encore libérés des défauts de famille, et n'ont donc pas encore concentré en eux l'essence des vertus familiales) d'être prudents, de crainte de devenir des Dugpas ou Magiciens Noirs.

Je vous inviterai maintenant à considérer l'accomplissement de nos devoirs nationaux et humains (et le cas d'omission de ces derniers) en appliquant les mêmes arguments, et vous comprendrez que le phénomène de l'hérésie, de la décadence des religions et de l'avènement de religions nouvelles, de la naissance en Europe d'un Max Müller qui démontra la grandeur de la philosophie védi­que, ou d'un Bradlaugh, ou de tout autre fils infidèle de parents chrétiens, que tout cela est dû au fait, qu'entre autres causes, les individus en question n'avaient pas rempli leurs devoirs en quelque incarnation passée, envers les nations ou les religions auxquelles ils avaient respectivement appartenu. Il serait profitable, à plus d'un point de vue, d'étudier de quelle façon et à quel moment les traits caractéristiques de ces hommes ont été amenés à se manifester. En étendant l'analogie, on pourrait dire que la dureté de cœur, le meurtre, le cannibalisme, etc.., proviennent d'une négligence dans l'accomplissement des devoirs envers l'humanité, c'est-à-dire envers soi-même, au cours d'incarnations passées.

Pour conclure, on pourrait ajouter que l'élément le plus important dans le « Gardien du Seuil » et dans les épreuves subies par le chéla, est formé par les défauts de famille, qui doivent être d'abord « conquis », puis viennent les défauts nationaux et les « maux de la chair » en général. Bien qu'il faille se débarrasser de tous trois simultanément et aussi rapidement que possible et bien que les trois genres de devoirs doivent être remplis, il est essentiel que les débutants attachent plus d'importance aux premiers qu'aux seconds plus aussi aux seconds qu'aux troisièmes, et qu'ils n'en négligent aucun.

Dans ces heureux âges Aryens, où l'on connaissait le Dharma et l'accomplissait parfaitement, les hommes et les femmes qui ne se mariaient pas restaient dans leur famille, pour s'acquitter de leurs devoirs de famille, et menaient la vie strictement ascétique et védantique des Brahmacharis [mendiants ascètes] et des Kannikas (ou vierges). Se mariaient seuls ceux qui, à tous les points de vue, étaient qualifiés pour mener la vie de grihasta, ou vie de famille. Le mariage était, en ces temps-là, un contrat sacré et religieux, et en aucun cas un moyen de satisfaire des désirs égoïstes et des passions animales. Ces mariages étaient de deux espèces :

  1. Ceux qui étaient contractés par l'homme et la femme dans le but exprès de s'entraider en vue de mener la vie supérieure, en remplissant les devoirs familiaux, en jouissant de toutes les joies permises par ce genre de vie et en acquérant ainsi le moyen de développer les caractéristiques requises pour atteindre le mode de vie ou ashrama supérieur de renoncement (Sannyasa), et surtout afin de donner au monde des enfants capables de devenir des Gnanis et de travailler pour l'humanité. On pouvait considérer mari et femme dans ce cas comme n'étant pas encore arrivés à maturité pour l'état de chéla dans leurs incarnations précédentes.
  1. Le mariage de l'autre espèce était contracté par ceux qui, dans leurs vies passées, s'étaient rendus tout à fait aptes à entrer dans le sanctuaire de l'Occultisme et le gnana marga ou sentier de la sagesse. L'un des deux, le Patî, (le maître ou le mari) étant beaucoup plus avancé que sa Patnî, collaboratrice, élève ou « épouse », était le Gourou. Aussitôt que l'alliance était faite entre eux, ils se retiraient dans la forêt pour y mener la vie de célibat et d'occultisme pratique. Mais avant cela, ils promettaient invariablement à leurs parents, et aux au­tres membres de leur famille, de les aider de loin à s'élever, et offraient d'ajuster (4) périodiquement la vie intérieure de toute la famille. Je cite les termes employés généralement pour cette promesse : « chaque fois que l'un d'entre vous, mère, père, sœurs et frères, pensera à moi dans une heure d'épreuve, où et en quelque état que je sois à ce moment, je vous promets solennellement de vous apporter mon aide. »

Inutile de dire que de tels vœux étaient consciencieusement observés et que ceux qui ne se sentaient vraiment pas capables de tenir leurs promesses ne s'éloignaient pas de leur famille, mais se rangeaient dans la première classe de gens mariés. La seconde catégorie de personnes qui se retiraient ainsi dans la forêt et se faisaient ermites s'appelaient Vanaprasthas. Ils obtenaient toujours le consentement (5) complet de leurs proches, et renonçaient « aux plaisirs » et à la prospérité matérielle (poursuite de la fortune, etc.).

Le quatrième mode de vie, le plus élevé, exigeait le renoncement complet observé par les Sannyasis. Les Sannyasis [ascètes] étaient les rares bienheureux qui, dans chaque incarnation, étaient parvenus à se libérer des défauts de famille. Seuls, ceux qu'aucun défaut de famille ne pouvait plus affecter, étaient admis dans cet ordre. Longtemps avant d'y être acceptés, ils avaient si bien rempli leurs devoirs de famille, incarnation après incarnation, qu'ils s'étaient mis hors d'atteinte des défauts de famille. Les Brahmacharis et les Kannikas pouvaient, après s'être acquittés de leurs devoirs de famille, devenir des Sannyasis. Il était demandé à tous, sauf à ceux appartenant à la seconde classe, de faire le vœu de renoncer à un ou plusieurs de leurs défauts les plus chers et les plus enracinés.

Telles étaient, mes amis, les lois de Manou. Si l'un d'entre vous pouvait établir une communauté sur une base meilleure, je serais heureux de retirer mon serment d'obéissance à ce grand Sage, Sauveur et Législateur. Comme tous les Manous établissent le même Marava Dharma, cycle après cycle, et comme les Manaus sont supérieurs au Bouddha et aux autres fondateurs de religions, j'attire tout spécialement votre attention sur ce sujet. Un Manou est supérieur à un Bouddha, parce qu'il projette son ombre sur lui.

Je prie mes lecteurs d'étudier soigneusement, mot à mot et dans son ensemble cet article s'il mérite cette appellation, mais sans toutefois le disséquer, ni sans en interpréter des passages ou des phrases à leur guise. Je dois ajouter que par « devoirs de famille » je ne veux pas dire que vous deviez sacrifier votre devoir, votre conviction et la Vérité pour satisfaire les caprices ou la nature égoïste, ou encore les vues sectaires de n'importe lequel de vos « parents ». Mais j'emploie l'expression « devoirs de famille » dans un sens spécial, c'est-à-dire « cette seule ligne de conduite, de parole et de pensée capable de vous permettre non seulement de vous débarrasser de vos défauts familiaux, dans votre incarnation présente, mais aussi de fortifier en vous toutes les nobles qualités de votre famille, tout en donnant à vos proches (parents, frères, sœurs, femme et enfants, etc.) la possibilité de se libérer de ces mêmes défauts et de fortifier en eux ces mêmes vertus en sorte que vous puissiez renaître maintes et maintes fois dans la même famille », Le mot « Patriotisme » est employé d'une façon similaire, et il serait utile de lire l’artic1e « L'Élixir de Vie » (voir le Theosophist) à la lumière de cette étude.

La question est posée parfois : « Le Gardien du Seuil a-t-il une forme objective ? De quoi dépend-elle ? Apparaît-il à tout le monde sous une forme identique à celle qu'il revêtit pour Glyndon, dans l'histoire de Bulwer ? » (6).

Elle est objective pour ceux qui se sont avancés très loin.

Elle dépend :

1° D'une certaine chose que je ne nommerai pas ici.
2° Du degré de développement que le chéla ou l'Occultiste a atteint, ou est sur le point d'atteindre ;
3° De la façon spéciale dont le chéla ou l'Occultiste, sa famille et sa nation considèrent les élémentaux et le Gardien, ou plutôt des légendes et de la religion particulières à cette nation et à cette famille ;
4° De la forme plus ou moins monstrueuse ou insolite capable de l'effrayer ou le faire succomber le plus aisément, au moment critique.

En fonction des quatre conditions ci-dessus, le Gardien assume une certaine forme selon la façon dont le chéla ou l'Occultiste a ou n'a pas rempli ses triples devoirs et selon la manière dont les sept éléments du Gardien s'affirment en lui. Mieux il s'est acquitté de ses triples devoirs moins le Gardien l'affecte. Naturellement, la forme n'est pas nécessairement la même pour tous.

Pourquoi le Gardien apparut-il à la sœur de Glyndon (7) alors qu'elle n'était pas en probation, et pourquoi sous une forme identique ?

Parce qu'elle était suffisamment sensitive et en sympathie avec son frère. Le principe qui régit ce cas est le même que celui de l'obsession.

Le Gardien peut être constitué par un seul élémental, ou par un ou plusieurs groupes d'élémentaux revêtant une forme collective. C'est un élémental unique quand la crise se produit au début de la tentative du chéla ou de l'Occultiste en vue d'élever sa nature inférieure. Ce cas se présente lorsqu'il possède très peu de force (Karmique) pour parcourir le « sentier montant ». Plus loin il se trouve sur le sentier, plus nombreux sont les élémentaux qui composent le Gardien.

Qu'on ne s'imagine pas que le Gardien n'apparaît au chéla ou ne l'influence qu'une seule fois, jusqu'au moment où le disciple atteint la première initiation ; ni que l'initié n'est troublé qu'une seule fois par sa présence ou son influence, entre deux initiations. Il apparaîtra chaque fois que la réserve de force Karmique tombera au-dessous de la limite minimale.

J'appelle par force Karmique le phala (effets ou fruits) du bon Karma désintéressé du passé, qui a atteint sa maturité. L'Occultiste peut avoir en réserve une quantité énorme de bon Karma passé, cependant si, durant la crise, l'Occultiste n'a pas un nombre suffisant de bonnes pensées altruistes pour mûrir un fragment suffisant de son bon Karma, il se trouvera privé de l'énergie karmique nécessaire. Peu nombreux sont ceux qui ont déjà mis en réserve une quantité appréciable de bon Karma ; et moins nombreux encore ceux qui possèdent le degré requis d'altruisme et de spiritualité, pendant la période d'épreuves. Mais combien plus rares encore sont ceux qui ne sont pas avides d'atteindre un développement de Yoga supérieur, sans en avoir les moyens nécessaires.

Tant que nous ne serons pas parfaitement qualifiés pour ce Yoga, nous devrions nous contenter de nous développer d'une façon ordinaire et nous pouvons le faire tout en essayant d'acquérir les moyens nécessaires, en menant une vie altruiste, et en servant d'exemple aux autres ; c'est là la situation de presque tous les théosophes ordinaires. Ils sont comme tous les humains, influencés par un « Gardien », qui n'est rien d'autre que l'effet exercé sur eux par leurs propres défauts, ceux de leur famille, et de leur nation ; et quoiqu'ils puissent ne jamais le voir en cette vie, sous une forme objective, son influence, communément envisagée comme « les mauvais penchants et les pensées de découragement », n'en est pas moins là.

Cherchez donc à vivre la vie supérieure, en commençant, dès maintenant, à purifier vos pensées, par de bonnes actions et par des paroles droites.

Murdhna Joti

Cet article “Living The Higher Life”f ut publié pour la première fois par M. Judge, dans la revue The Path, numéros de Juillet et Août 1880. © Textes Théosophiques, V=Cahier Théosophique n°73.

Notes

(1) J'emploie le mot « privilège » dans son sens éthique ; les privilèges sont pour le patriote ce que sont les « plaisirs » pour la vie de famille.   [retour texte]

(2) C’est-à-dire l'homme qui vit dans la famille, mais qui n'est pas de la famille, et que symbolise l'eau sur la feuille de lotus — l'homme qui fixe son Soi Supérieur uniquement sur les nobles qualités de sa famille.   [retour texte]

(3) L'Ether, la Lumière Astrale (éd.).   [retour texte]

(4) J'emploie ce terme dans le sens particulier que je lui ai déjà donné.   [retour texte]

(5) « Le consentement complet » y compris celui de leurs diverses consciences. Si la Patni ou le Pati [la femme ou le mari] voyaient — et ils devaient pouvoir voir que, ne fût-ce que dans la conscience de l'un de leurs proches, pointait un germe d'hésitation ou de regret au sujet de ce consentement, le couple renonçait sans égoïsme à devenir Vanaprasthas et restait en famille jusqu'au moment convenable.   [retour texte]

(6) Voir l’ouvrage Zanoni, par Bulwer Lytton.   [retour texte]

(7) Zanoni,   [retour texte]


 

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