La Culture de la Concentration

La Culture de la Concentration

04 Avr, 2019

La concentration, ou l'exercice de l'attention dirigée avec cohérence et persistance sur une chose donnée que l'on souhaite faire, est depuis longtemps reconnue comme le moyen le plus efficace d'arriver à la pleine expression de nos pouvoirs et de nos énergies. Chez les Anciens, cette capacité de focaliser l'attention sur un sujet ou un objet, aussi longtemps que nécessaire, à l'exclusion de toute autre pensée ou sentiment, était appelée, « centralisation de la pensée » sur un seul point. La concentration est difficile à obtenir chez nous, collectivement, car la note tonique de notre civilisation est en fait plutôt la dispersion que la concentration. Sans cesse, dans tous les domaines, on présente à notre mental des objets et des sujets qui, les uns après les autres, attirent notre attention puis la détournent de ce sur quoi nous étions en train de la fixer. Notre mental a ainsi contracté la tendance à sauter d'une chose à l'autre, de voler d'une idée plaisante à une idée désagréable, et de rester passif. Normalement, rester passif correspond au sommeil ; dans les cas anormaux, cela tend vers la folie. N'importe qui peut se prouver aisément que nous nous sommes habitués à ces genres de dispersion de la pensée, que nous ne sommes pas capables de concentrer notre mental pendant une durée quelconque sur un sujet donné. Si on s'assied et qu'on essaie de réfléchir sur un seul sujet ou objet - réfléchir ne serait-ce que cinq minutes - on s'aperçoit, même au bout de quelques secondes peut-être, que l'on s'est éloigné mentalement à des lieues de la chose qu'on avait l'intention de considérer.

Il nous faut d'abord comprendre ce qu'est l'homme, sa nature authentique, et la cause de sa condition actuelle, pour pouvoir accéder à une quelconque concentration, pure et vraie et utiliser notre mental supérieur ainsi que les pouvoirs qui en découlent. Car ceux que nous utilisons dans le corps sont des pouvoirs transmis, tirés en fait de notre nature spirituelle, mais si perturbés et limités qu'ils n'ont pas de puissance. Il nous faut découvrir ce qu'est notre mental et le contrôler - c'est-à-dire notre mental inférieur, préoccupé des choses personnelles et physiques, et que la Théosophie appelle dans son langage le Manas inférieur. Il s'agit de l'« organe interne », du principe pensant, dont les Anciens ont dit qu'il était le principal producteur d'illusion - le grand perturbateur de la concentration. En effet, tant que celui qui possède le mental n'est pas en mesure de le fixer sur ce qu'il veut, quand il le veut et aussi longtemps qu'il le veut, il lui est impossible de se concentrer réellement.

Dans La Voix du Silence [p.16], il est dit : « Le mental est le grand meurtrier du Réel. Que le disciple abatte le meurtrier ». Le disciple, qui est l'Homme Réel - l'homme spirituel - se doit d'agir comme tel. Il doit faire cesser les à-coups et les divagations de son principe pensant, et trouver le calme dans la connaissance où l'amène la réflexion sur sa nature véritable. L'objectif de tout progrès est la réalisation de la nature réelle de chacun et l'utilisation des pouvoirs qui appartiennent à celle-ci. Le principe pensant représente l'obstacle. NOUS sommes le penseur, et le créateur - mais, si nous nous rendons compte que nous sommes le penseur, et le créateur - le producteur responsable de toutes les conditions que nous avons traversées qui sont les nôtres actuellement et le seront dans l'avenir - alors nous avons atteint le point de vue de l'Homme Réel, qui seul détient le pouvoir de la concentration.

Par ailleurs, pour atteindre la concentration, il nous faut comprendre la classification des principes de l’homme. Nous avons tous les mêmes principes, les mêmes sortes de substance en nous, le même esprit. Chacun de nous contient l’ensemble des éléments présents partout ailleurs ou dans tous les êtres. Ainsi chacun possède également en lui tous les pouvoirs présents partout ailleurs, bien qu’à l’état latent. Nous venons tous de la même Source, nous sommes tous des parties d’un grand Tout unique, tous des étincelles et des rayons de l’Esprit Infini, et du Principe Absolu.

Le second principe est Buddhi, la sagesse acquise dans des vies passées, ainsi que dans celle-ci. C'est, pour ainsi dire, la crème de toutes nos expériences passées. Le principe suivant est Manas, le mental supérieur, le véritable pouvoir de penser, le créateur, non concerné par la phase physique de l’existence, mais par l’esprit et la connaissance acquise. Ces trois principes constituent ensemble l’Homme Réel - Âtma-Buddhi-Manas - et cette Triade, chacun de nous l'est dans sa nature intérieure.

Notre Manas inférieur est l’aspect transitoire du Mental Supérieur, c’est-à-dire la part de notre attention, de nos pensées et de nos sentiments, mobilisée par la vie dans un corps. Si notre faculté pensante se préoccupe uniquement du soi personnel -seulement du corps - les pouvoirs inhérents à la Triade, l’Homme Réel, et la sagesse acquise dans le passé, ne peuvent forcer le passage à travers ce nuage d’illusions. Le Manas inférieur est le principe d’équilibre. C’est le niveau d'où l’homme incarné peut soit s’élever vers sa nature supérieure, soit descendre vers sa nature terrestre, constituée des désirs relatifs à l’existence sensorielle. La vie qui nous environne projette sur nous en permanence ses impressions et énergies. Nous leur sommes constamment soumis, et reliés par nos idées, nos sentiments et émotions, si bien qu’un tourbillon incessant est établi dans le mental intérieur, en créant ainsi un obstacle au calme et à la concentration absolus.

Puis, il y a le corps astral, lui-même un aspect du corps réel intérieur, lequel a perduré pendant toute la vaste période du passé et doit se maintenir dans l'immense période du futur. Ce corps astral que nous avons, est le prototype ou le modèle, sur lequel le corps physique est construit, et qui, du point de vue des pouvoirs, représente le véritable corps physique. Sans lui, le corps physique ne serait qu’une masse amorphe de matière - un agrégat de vies plus petites. C’est le corps astral qui contient les organes, ou centres d'où les organes se sont développés, conformément aux besoins du penseur intérieur. Les sens réels de l’homme ne se trouvent pas dans le corps physique mais dans le corps astral. Ce dernier a une survie un peu plus longue que la durée de l'existence. Il ne meurt pas en même temps que le corps physique, mais sert de corps dans les états suivant immédiatement la mort.

Dès que nous commençons à nous efforcer de contrôler le mental, dès que nous désirons connaître et assumer le statut de l’homme intérieur, cet effort et cette prise de position apportent un accroissement de pouvoir et de stabilité. C'est que nous avons amorcé un processus dans le corps astral : ce qui n’était auparavant que des centres de forces, autour desquels les organes étaient construits, tend maintenant à se développer en organes astraux très distincts. L’élaboration progressive de ces organes se poursuit à l’intérieur de nous, jusqu’à ce que nos efforts aboutissent à la formation d’un corps astral comprenant tous les organes du physique complètement synthétisés en lui, en sorte que nous nous trouvons au-delà des vicissitudes de l'existence physique ; nous détenons alors le pouvoir d'action du corps astral. Celui-ci se trouve alors plus complet et plus efficace sur son propre plan que notre instrument corporel sur le sien, car il dispose d'une portée d'action plus étendue, avec ses sept sens supérieurs, tandis que nous n'avons ici que les cinq sens physiques à notre disposition.

De nombreuses difficultés surgissent toutefois, dès que l’on a commencé ces efforts. Les vieilles habitudes, dans le domaine de la pensée et du sentiment, nous assaillent de toutes parts, car nous n'avons pas encore réussi à contrôler nos façons de leur répondre, en sorte que nous nous retrouvons affectés par des sentiments et des émotions qui tendent à détruire ce corps astral en cours de construction. La première et la plus puissante de ces émotions est la colère. La colère a un effet explosif, et, quel que soit le niveau de croissance que nous ayons atteint, le choc intérieur incontrôlable qu’elle provoque va mettre ce corps intérieur en pièces, si bien que tout le travail devra être repris au point de départ. Vient ensuite la vanité, à combattre sous une forme ou sous une autre, qu'il s'agisse à propos d'une chose qu'on a réalisée, ou de soi-même, de sa famille, de sa nation, ou de quoi que ce soit d'autre. La vanité tend à croître et à s'enfler jusqu'à ce que finalement on ne veuille plus écouter personne, et qu'on soit trop plein de soi-même pour apprendre. Ainsi, bien qu'elle ait un effet moins disruptif que la colère, la vanité tend aussi à désintégrer ce corps intérieur. L'envie représente une autre entrave. La peur en est une autre, bien qu'elle soit la moins grave de toutes, étant susceptible d'être détruite par la connaissance. La peur est toujours fille de l'ignorance. Nous craignons les choses que nous ignorons, mais quand nous les connaissons, nous n'avons pas peur.

Nous sommes tous sujets à des frayeurs qui tendent à briser l’instrument même qui permet d’accéder à la véritable concentration ; on peut cependant y parvenir. Ce qui caractérise le pouvoir et la nature de la concentration c'est que, lorsqu'elle est parfaite, l'attention peut être fixée sur tout objet ou sujet, à l'exclusion de tout autre, pendant tout le temps que l'on veut ; et ce principe pensant - notre mental, qui avait l'habitude d'errer çà et là - peut alors être utilisé de manière à prendre la forme de l'objet observé ou éprouver la nature du sujet considéré. Pendant que le mental se modèle sur l'objet, nous en obtenons la forme, et les diverses caractéristiques qui s'y rattachent ; et quand notre examen se termine, nous sommes en mesure de connaître tout ce qu’il est possible de savoir sur cet objet ou ce sujet. Il est évident qu’un tel niveau de concentration ne peut être atteint par des efforts intermittents, mais bien par l’adoption « d’une position ferme » maintenue dans le but que l'on a en vue. Lorsqu’ils sont faits sur cette base, tous les efforts sont appelés à être utiles : tout effort entrepris du point de vue de l’homme spirituel compte, car il soumet le corps au principe pensant.

Ce pouvoir de concentration entraîne encore d’autres conséquences. Nous commençons à ouvrir les canaux qui relient le cerveau au corps astral et celui-ci à l’homme intérieur. Ensuite, ce qui est temporaire tend à s’intégrer à ce qui est éternel. Tous les plans entrent en correspondance harmonique de haut en bas, et tous les vêtements de l'âme qui ont été élaborés depuis le passé se mettent à s'accorder les uns avec les autres, tout comme les gorges mobiles d'une serrure qui, lorsqu'elles jouent correctement ensemble, permettent son bon fonctionnement. Nous devons donc amener toutes les enveloppes de l'âme à être en accord exact, ce que nous ne pouvons faire qu'en adoptant la position de l'être spirituel, et en agissant comme tel.

La plus haute concentration nous est accessible mais cependant pas sur une base égoïste. Par rapport à la véritable concentration, celle du mental cérébral est comme la lueur d'une chandelle comparée à l'éclat du soleil. La concentration authentique est en tout premier lieu une position à adopter compte tenu du but visé, qui est l'union avec le Soi Supérieur. C'est là le Yoga le plus élevé. La concentration sur le Soi, c'est la véritable concentration. Il faut atteindre la concentration avant de pouvoir jamais parvenir au stade où nous posséderons la connaissance éternelle de toutes les sortes, au degré le plus élevé, et retrouver et exercer ces pouvoirs qui constituent notre héritage à tous.

R. Crosbie.

Traduction de conférences de Robert Crosbie, fondateur de la première Loge Unie des Théosophes (1909), extraites de l'ouvrage The Friendly Philosophe. (Le Philosophe Amical), publié à titre posthume en 1934, dans la section « Les Vérités éternelles ». Cahier Théosophique n°185, © Textes Théosophiques.

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