Il faut admettre que pour être d’une utilité quelconque dans le monde, l’idéal doit être réalisé. Mais il ne s’ensuit pas que les gens qui croient avoir un sens pratique dans la vie, soient les meilleurs juges pour savoir si un idéal peut être mis en pratique ou non. En réalité, leur nature même les empêche d’envisager des champs plus larges de vision.
Ceux qui cheminent le long du sentier battu du devoir quotidien, accusent l’idéaliste qui s’occupe de la morale supérieure de ne pas avoir de sens pratique. Quoique les premiers puissent être incapables de planter au-dessus du chemin bien tracé, l’étude de l’histoire dans tous les domaines de la vie pourrait leur enseigner que les rêves du visionnaire d’une époque peuvent constituer la basse pratique dans l’époque suivante. Pouvons-nous trouver une œuvre importante qui ait été réalisée sans l’esquisse faite par un être que les gens de l’époque considéraient comme utopiste ? Les poètes et les prophètes de tous les âges sont en avance sur leur temps, mais il siérait mieux aux travailleurs pratiques de se montrer modeste en face d’une révélation qu’ils sont incapables de saisir, plutôt que de prétendre à une omniscience que leur critique ignorante implique.
Il n’est pas nécessaire d’appuyer sur le fait que la vie de l’idéaliste ne va pas de pair avec ses enseignements ; il peut, en réalité, ne pas avoir atteint le niveau de l’homme de devoir consciencieux, mais cela ne diminue pas le moins du monde la valeur de ses enseignements. Il faut aussi se souvenir que « l’homme n’est pas, selon une analogie, une observation ou expérience quelconque, une ligne droite. Il est regrettable qu’il ne le soit pas, et que la vie, le progrès ou le développement, comme nous choisissons de l’appeler, signifie simplement le parcours de quelque route droite. Toute la question, tout le problème puissant serait alors aisément résolu ». La nature de l’homme est aussi complexe que l’Univers dont il est le microcosme. Si l’on prend pour exemple deux des lignes parallèles d’avancement, l’éveil de sa perception spirituelle est une partie de son développement tout aussi importante que le progrès de sa nature morale vers la pensée et l’action altruiste. Mais toute la force de la nature est requise pour effectuer une avance réelle sur n’importe quel plan.
Des vies alternées peuvent se passer avec le résultat apparent que l’une ou l’autre avance, prend le pas sur l’autre dans le développement de l’homme individuel. Il sied donc mal à quiconque de rabaisser les résultats obtenus parce qu’ils ne sont pas dans les lignes particulières selon lesquelles il avance lui-même.
C’est aussi un fait en Occultisme que l’acquisition de la connaissance, quant aux faits réels de l’existence et aux possibilités ultimes de l’âme, produit de grands résultats karmiques. « Ceci parce qu’il est impossible d’accorder aucune attention à l’occultisme sans faire un choix défini entre ce qui est familièrement appelé le bien et le mal. Le premier pas en occultisme amène l’étudiant à l’arbre de la connaissance. Il doit cueillir et manger : il doit choisir. Il ne peut plus faire preuve de l’indécision de l’ignorance. Il prend soit le sentier du bien, soit celui du mal. Et le fait d’avancer délibérément en connaissance de cause, ne fût-ce même que d’un pas sur l’un des sentiers, produit de grands résultats karmiques. Les hommes marchent indécis, incertains quant au but qu’ils visent ; leur idéal de vie est indéfini ; c’est pourquoi leur Karma agit d’une manière confuse. Mais une fois que le seuil de la connaissance est atteint, la confusion commence à diminuer, et par suite les résultats karmiques s’accroissent énormément, parce que tous agissent dans la même direction sur tous les plans différents ; car l’occultiste ne peut faire les choses à demi, ni revenir en arrière lorsqu’il a passé le seuil. Cela est aussi impossible qu’à un homme de redevenir un enfant. L’individualité a approché l’état de responsabilité par suite de sa croissance ; elle ne peut plus reculer ».
Le résultat de tout ceci, c’est que le mal est plus rapidement amené à la surface chez l’occultiste que chez l’homme ordinaire. Ceci est évidemment dû à la plus grande intensité de but chez le premier ; et il lui faut une plus grande intensité d’intention pour se débarrasser du mal, mais tandis que ce processus se poursuit, il est naturel que le mal qui gisait profondément caché dans sa nature, et qui a été amené à la surface, soit très apparent aux yeux des hommes. Les stades initiaux de l’occultisme – ce court chemin de traverse vers la Perfection – peuvent donc facilement paraître aux yeux des ignorants, comme une descente plutôt qu’une ascension
Une illustration vivante du caractère hautement idéal d’une conception très matérielle se trouve dans la nouvelle de M. Edward Bellamy : Looking Backward. Mais pour la majorité des lecteurs, il constituera aussi un exemple du caractère impraticable d’une théorie idéale. Il constitue, en effet, un appel à l’action pour un être qui ferme les yeux aux faits, à tel point qu’il est capable de croire qu’une organisation de la Société telle qu’elle y est décrite, pourrait être réalisée par l’humanité comme elle est constituée maintenant. Réalisable ou non, elle devrait être pout nous tous un beau tableau qu’on regarde avec joie en se détournant de l’affreuse réalité de nos jours. Bien que privée de tous les buts spirituels, qui seuls pourraient lui donner une grande valeur, c’est en un certain sens, une justification du Socialisme supérieur, le Socialisme enseigné dans la vie de Jésus-Christ, dont les motifs animateurs sont l’amour et la charité et dont la fin est la justice – un contraste en vérité avec le socialisme dont les motifs animateurs sont la cupidité et l’envie, et dont la fin est le pillage.
Dans un article sur le « Christianisme et le Socialisme » (1), qui respire l’atmosphère du bon sens et d’une sympathie enthousiaste susceptible d’éveiller chez le lecteur un espoir identique, le Doyen Plumptre souligne que le réel ennemi du Socialisme n’est pas le Christianisme, mais la terrible apothéose de l’individualisme que nous atteignons actuellement – l’individualisme qui trouve son expression dans la question : « Ne puis-je pas faire ce que je veux avec ce qui est à moi ? » Et qui se résume dans la devise de compétition universelle : « Chacun pour soi et que le diable prenne ce qui reste ».
Il y a tant de fausses notions qui prévalent au sujet du Socialisme qu’il vaut la peine d’en répéter sa définition : « L’idéal du Socialisme », écrit-il, « juste l’opposé de l’Individualisme. Cet idéal prétend, en se basant sur l’expérience, qu’il y a en chaque homme, soit dans sa nature ou comme résultat de l’entourage par lequel son caractère a été formé, un égoïsme méchant qui a besoin d’être contrôlé. Il prétend encore que la lutte pour la vie implique une guerre féroce de classes et d’homme à homme – bellum omnium contra omnes – et produit une immense source de mal. Il avance que c’est la fonction de l’Etat de modérer cette guerre et de remédier à ces maux. Il insiste sur le principe que les droits de l’individu sont subordonnés au bien-être de toute la Société ; que le droit à la liberté d’action et de propriété est la création de l’Etat, et peut, par suite, être limité et contrôlé par lui. Même les théories socialistes qui postulent les droits naturels de l’homme à la liberté et à une part de terre, considèrent l’action collective de la Société comme moyen de les affirmer et de les perpétuer. Il est dans la nature des choses que ceci puisse être l’idéal de n’importe quelle forme de gouvernement : Monarchique, Aristocratique, Démocratique. On le retrouve dans la théocratie d’Israël sous ses Juges ou ses rois. Il peut être représenté dans l’image idéale d’un roi patriote, tel que nous le trouvons dans le De Moarchia du Dante, dans le Télémaque de Fénéon, dans l’Edmund de Ken, ou dans le gouvernement par les plus sages, comme dans la République de Platon, L’Utopie de Sir T. More, la New Atlantis de Bacon. Le langage de feu l’Empereur Frédéric dans sa réponse à son Chancelier était tout à fait celui d’un homme qui désirait être un Roi patriote, et par suite Socialiste ; prêt à « supporter tout mouvement » visant à un développement de la prospérité économique de toutes les classes de la Société et à concilier leurs intérêts en conflit ».
Mais revenons au livre de M. Bellamy. Une utopie où chaque désir des sens recevrait une gratification instantanée est un idéal qui satisferait sans doute beaucoup d’hommes. Aux pauvres de ce monde qui peuvent satisfaire si peu de leurs désirs, cela peut paraître en vérité un Eldorado, mais en supposant même que cet état que M. Bellamy décrit si bien, puisse être atteint, quel avancement l’homme aura-t-il fait vers une béatitude permanente ? La vie sera toujours une lutte, aveuglée par l’ignorance et limitée par la tombe. Il restera toujours un vaste infini entre l’inquiétude de l’existence conditionnée et le Nirvana de l’Etre pur, entre les luttes chargées de peines et créatrices de douleurs de l’homme et la Paix inexprimable de Dieu. « Enseignez au peuple », dit un être qui se tient au seuil même de cette Paix de Dieu ; ou qui, en vérité, y a renoncé afin que la vie sur terre, même la plus heureuse, n’est qu’un fardeau et une illusion ». Tandis que la solution des problèmes variés de la vie cachée peut s’obtenir pratiquement par chaque individu, le rêve Socialiste de la perfection matérielle, bien qu’il puisse devenir pratique sous une forme modifiée pour une humanité d’un avenir lointain, reste cependant aujourd’hui dans le royaume des beaux idéals qui sont totalement impraticables.
Bien qu’aucune comparaison réelle ne soit possible entre l’histoire fantaisiste que nous venons de discuter et un grand ouvrage éthique, c’est une satisfaction de se tourner vers un livre comme Study of Man and the Way to Healt, du Dr. Buck. Quoiqu’il ne soit pas donné à l’homme de modeler les circonstances extérieures en accord avec ses idées de justice divine, l’amélioration de sa propre nature intérieure, la conquête de soi et l’élargissement graduel de sa sympathie, sont pratiques au plus haut degré.
Study of Man est sans aucun doute un apport de valeur à la littérature théosophique de notre âge. Quoique mentionnant à peine le mot théosophie et en ne faisant que de vagues allusions aux doctrines fondamentales de Karma et de Réincarnation, il fait cependant appel au lecteur ordinaire, et plus particulièrement au lecteur scientifique. Cela en des termes qui, si la ligne de pensée suggérée est suivie, sont susceptibles de conduire à une certaine compréhension de la Sagesse Divine, qui seule peut offrir aux hommes capables de raisonner, une explication adéquate du mystère de l’existence.
Malgré tout, ce serait dommage de mettre de côté ce livre, surtout après les espoirs que soulevaient les notices élogieuses qui saluèrent sa sortie de presse. Peut-être ne faut-il pas trop appuyer sur le fait que pour le lecteur en général – en vérité pour tous, sauf ceux qui sont versés dans la science moderne actuelle – beaucoup de passages exigeraient une analyse plus profonde pour les rendre intelligibles. Mais ceci, après tout, est un point de peu d’importance.
Tout bon exposé de doctrine éthique doit sans doute trouver des lecteurs auxquels il fera du bien, mais pour ceux qui ne peuvent répondre que lorsque la note la plus haute est frappée, ce livre doit être considéré comme un échec.
Inculquer l’amour de son prochain, ou en un mot, l’altruisme, a été l’un des objets de tous les instructeurs de moralité, et la louange seule peut faire suite à l’étude d’un ouvrage consacré à un tel but. Mais une cause efficiente doit exister. Sans la sanction la plus haute, l’Altruisme est impossible « Aucun homme ne peut être bon sans Dieu », écrit Sénèque dans sa 14e Épitre. « Dieu est bien près de toi, il est avec toi. Il est en toi. Si tu vois un homme qui ne craint pas le danger, qui n’est pas troublé par les désirs illicites, qui est heureux dans l’adversité, qui est calme au milieu des tempêtes, qui regarde les hommes d’un plan supérieur, les dieux comme des égaux, n’éprouveras-tu pas de la vénération pour un tel être ? Ne diras-tu pas : voici quelque chose de si grand, de si haut qu’il est à peine possible de le croire de la même essence que le corps mortel dans lequel nous le voyons avec nos yeux ? Et il en est bien ainsi : ce pouvoir en lui est venu de Dieu. »
L’altruisme devra se réaliser et s’exprimer en action pendant notre voyage vers le grand but ; mais on ne peut l’appeler le grand but lui-même. Il se peut que ce soit un moyen, un moyen nécessaire, mais ce n’est pas le seul. Le mot lui-même est froid, et il y a beaucoup d’hommes qui désirent allumer la flamme de leur amour et dévotion à un feu plus ardent que celui qu’une pensée pour l’humanité ne pourrait jamais créer ! Vraiment l’Humanité d’aujourd’hui ; soit individuellement ou dans la masse, est-elle capable d’éveiller notre amour ou notre adoration ? Le mépris, l’aversion et la pitié sont plutôt les émotions soulevées en nous en constatant successivement sa mesquinerie, son vice et sa souffrance. Il est vrai que seul l’occultiste est capable de répondre au mépris du monde par un geste noble, car nul ne s’élève aussi incommensurablement que lui au-dessus du monde borné et aux buts triviaux. Mais il se peut que le mépris ne soit qu’un réflexe. Il est de l’essence même de la séparativité, et il faut se souvenir que tout sens de séparativité doit être tué. Le mépris doit être remplacé par une compassion infinie. Mais comment y arriver ? Le divin seul fournit un pont reliant les fragments dispersés. C’est par la Déité seule – le Parfait, l’Immanent, l’Essence Inexprimable de notre Être le plus profond – que l’homme peut vraiment devenir un, dans l’amour et l’adoration, avec ses semblables. Le Yoga est le mot de passe, le Yoga est le moyen, le Yoga est la fin. Il est écrit : « Les conseils de perfection sont l’aliment de toutes les âmes qui luttent », et celui qui, dans cet amer et aride désert d’illusion, a perçu la vision du saint Graal, ne peut plus jamais cesser d’aspirer à sa coupe de vin sacramentel.
L’union étant donc notre mot de passe et notre but, nous ne devons pas nous laisser trop décourager par la désunion apparente qui semble précéder la réalisation de chaque stade de progrès. Il est inexprimablement triste le sentiment de désunion qui nous étreint, quand les ardentes affections de l’enfance et de la jeunesse s’éteignent graduellement parce que les anciens amis ne peuvent répondre aux nouveaux idéals qui sont nés en nous. L’union terrestre la plus étroite – celle du mariage des âmes – remplirait à tel point tout l’horizon de la vie de béatitude, qu’il compenserait largement la triste rupture des autres liens. Mais lorsque cela aussi est refusé, il s’élève souvent dans le cœur un sentiment de solitude, d’absence de foyer si intense, qu’il est presque trop amer à supporter. Cependant, ceci n’est-il pas simplement le prélude d’une expansion plus grande du cœur ? D’une vision plus large de l’âme quant à son but et sa fin ? Il faut longtemps, en vérité, avant que la « grande orpheline », l’Humanité, puisse nous réclamer ce que nous lui devons, avant que nous soyons capables de donner naissance ne fût-ce même qu’au germe de cette sympathie universelle qui dépasse infiniment toutes prétentions personnelles, et qui, lorsqu’elle a atteint sa pleine grandeur, est la suppression même du soi, la porte même du Ciel !
La personne qui a un sens pratique peut ici s’interposer et dire que cette identification du soi avec l’Humanité ne peut s’accomplir que par le travail pratique pour la race dans la vie humaine quotidienne. Sans doute la race a besoin de ses champions et de ses sauveurs, aujourd’hui comme autrefois. Puisse Hercule s’avancer à nouveau, ceint de ses armes, pour nettoyer les écuries d’Augias ! Puisse la diligente Marthe continuer son œuvre de service ! Il faut beaucoup de travailleurs dans les vignobles de Dieu. Que les mains qui travaillent ne disent pas au cerveau qui les guide : « Nous n’avons pas besoin de toi ». La personne pratique a sa tâche à accomplir dans le monde ; qu’elle la fasse ! Mais les « conseils de perfection » n’ont pas été écrits pour elle ! C’est le même vieux problème de « Méditation et Action » que bien peu d’Occidentaux sont capables de saisir – dans le terme quiétiste de méditation sont comprises toutes les batailles de la vie cachée, inclus « le grand combat ».
Un exemple frappant de l’incapacité de l’Europe à penser juste, se trouve dans le grand ouvrage de Draper, The Intellectualy Development of Europe. Les mots ne sont que de simples jetons qui peuvent avoir des significations différentes dans des époques différentes, ou pour des individus différents dans la même époque. Ce n’est pas le fait de jongler simplement avec les jetons qui expliquera une différence fondamentale de conception. Quand un auteur (et la chose a d’autant plus de poids que l’auteur se distingue par son habileté et sa largesse d’esprit) emplie le mot de quiétisme comme synonyme d’apathie, c’est comme si l’on prenait le dernier échelon d’une échelle pour le premier, c’est une perversion absolue de la vision. Quelques connaissances au sujet de la philosophie védique montrent que la nature émotionnelle active brûlant du feu de la passion (Rajas) est bien supérieure à l’apathie d’un être plongé dans l’ignorance de l’indifférence (Tamas). Bien au-dessus de la nature passionnelle se tient celui qui a transféré son énergie du plan extérieur au plan intérieur, et à par-là atteint un certain équilibre, une certaine dose de contrôle de soi. Quand la lutte intérieure se continue avec une telle intensité – aidée et guidée par la concentration sur le Suprême – au point que toutes les choses extérieures perdent de leur importance, on atteint un stade de « quiétisme » qui, en apparence extérieure, peut ressembler à l’apathie vile du rustre ignorant, mais n’est-ce pas une complète perversion de vision que de confondre les sublimes hauteurs de la Sérénité (Satwa) avec les profondeurs de l’indifférence ignorante. Il semble bien que la confusion ci-dessus n’est pas une simple différence verbale, et ne peut s’expliquer que par le fait qu’une race au mental matérialiste est incapable même de croire à l’existence d’états d’exaltation spirituelle.
Devant les combats de la vie intérieure tout sombre vraiment dans l’irréel, et le grand instructeur que les Occidentaux honorent a laissé le souvenir de sa pensée sur le sujet de « Méditation et Action » dans l’histoire de Marthe et de Marie, qu’on peut résumer dans la leçon suivante : il est plus grand, plus noble et meilleur d’être que de faire, et la race est en fin de compte plus avantagée par les pensées qu’on pense, et par la vie qu’on vit, que par toutes les actions de tous les philanthropes. La vraie bataille doit être livrée intérieurement et la découverte de sphères extérieures d’énergie ou de bienfait n’est qu’un simple délai, quoique ce puisse être un préliminaire nécessaire à la lutte terrible.
Ce n’est que par lents degrés qu’on apprend péniblement la leçon contenue dans chaque paradoxe fécond de la Lumière sur le Sentier, au prix du sang de son cœur. D’abord dans le livre, puis enfin dans la réalisation vient la règle (N° 5) « Tue tout sentiment de séparativité ». Quand le disciple a appris cela entièrement, il est un avec l’Humanité, car il est un avec Dieu. Mais le processus pénible est décrit dans l’antithèse : « Pourtant tiens-toi seul et isolé, car rien de ce a corps, rien de ce qui a conscience de la séparation, rien de ce qui est hors de l’Éternel ne peut t’aider. » C’est cet isolement qui est la dure tâche, mais ce doit être certainement le prélude à l’expansion plus large de toute la nature, ce doit être un pas en avant vers l’immersion du soi dans le Tout ! Rien ne pourrait décrire l’amertume de cette leçon qui doit être apprise, quand toute la passion de la nature passionnée se concentre dans l’appel – l’appel – inutile – vers la sympathie de l’ami, l’amour de l’amant. C’est une pauvre consolation que de dire qu’en trouvant de la joie à ces choses, on satisfait la faim humaine pour des coques vides. C’est une faim très mortelle, très humaine qui s’affirme. Néanmoins, il est raisonnable d’admettre que ces moyens seuls peuvent remplacer la faim mortelle par l’immortelle, que seule cette terrible strangulation de nos désirs humains personnels, peut amener l’homme à une sympathie plus large, à une sagesse plus grande, à l’amour universel de Dieu.
Nombreux, ô pèlerin lassé, peuvent être tes retours sur terre, nombreuses les tortures sur la route de la vie qui tourne toujours, nombreux tes reculs de l’âme devant les terreurs des « sinistres probations », mais prends courage Lanou, et garde le feu ardent, le feu qui brûle au-dedans, car sa lumière doit grandir et croître, jusqu’au moment où la grande bataille étant gagnée, « sa lumière deviendra soudain la lumière infinie », et alors à toi pourront s’adresser ces mots : ces mots qui peuvent même donner à notre intelligence encore liée à la terre, une faible idée de cette réalisation indescriptible : la réalisation de l’idéal le plus haut qu’on puisse concevoir en tant qu’un fait pratique absolu : « Regarde, tu es devenu la lumière, tu es devenu le son, tu es ton Maître et ton Dieu. Tu es Toi-même l’objet de ta recherche : la Voix inaltérable qui résonne à travers les éternités, exempte de changement, exempte de péché, les sept sons en un, la Voix du Silence. » (2)
« Pilgrim » – W.Q. Judge
Cet article fut publié pour la première fois par W.Q. Judge dans la revue The Path de novembre et décembre 1891.
Notes
(1) : Christianity and Socialism par E. H. Plumptre, Doyen de Wells, dans la Contemporary Review de Novembre 1889. Il est bien que l’Eglise d’Angleterre ait trouvé dans ses rangs un successeur digne des Socialistes Chrétiens, comme Roberston, Maurice e Kingsley.
(2) : Extrait de La Voix du Silence, le livre des Préceptes d’Or, traduits et annotés par H.P. Blavatsky. La Lumière sur le Sentier était un ouvrage méritant la plus haute louange. La Voix du Silence est au-delà de toute louange. C’est une autre lumière sur le sentier pour ceux capables de la comprendre.