« De même que des milliards d'étincelles brillantes dansent sur les eaux d'un océan au-dessus duquel brille une seule lune, de même nos Personnalités passagères – enveloppes illusoires de l'immortelle MONADE-EGO – brillent et dansent sur les ondes de Mâyâ. Elles apparaissent et, comme les milliers d'étincelles produites par les rayons de la lune, ne durent qu'autant que la Reine de la Nuit projette sa gloire sur les "Eaux [Ondes] Mouvantes" de la Vie, la durée d'un Manvantara, puis elles disparaissent, ne laissant survivre que les "Rayons" – symboles de nos Egos Spirituels éternels – lesquels se retrempent dans la Source Mère et deviennent un avec elle, comme ils étaient avant. » - H.P. Blavatsky, La Doctrine Secrète (The Secret Doctrine, I, p. 237 – traduction Adyar).
Nous avons là un aperçu imagé des trois Hypostases ou de l’Avasthas (Note 1) de la Vie Une. Que nous étudions les Trois Principes Fondamentaux de La Doctrine Secrète dans leur sens universel ou individuel, et que nous les considérons comme des entités apparemment séparées en manifestation ou dans leur état d'équilibre statique parfait au cours du pralaya [la période de repos entre deux univers], il nous est nécessaire de déchiffrer les trois Principes qui sont ici impliqués.
Le premier Principe Fondamental traite du Principe de la Vie Une indivise et indivisible. Le second Principe traite de la manière dont le premier Principe se manifeste, avec l'apparition et la disparition du reflet qu'IL projette et que nous appelons l'univers en cosmologie et l'homme en anthropologie. Le troisième Principe affirme l'identité de nature entre la Vie Une d’une part et l'Univers et l’Homme d’autre part, entre les rayons et le Luminaire et, ainsi, en toute logique IL prend acte des reflets projetés sur les eaux de l'espace par les innombrables rayons qui émanent de l'Homme Universel – le Maha-Purusha ou Narayana (Note 2), qui est le Réservoir contenant tous les hommes, les Naras. En d'autres termes : chaque être humain est une incarnation ou une manifestation de la Déité. Comme il est dit : Autant d'hommes sur la terre, autant de dieux dans le ciel ; et pourtant ces dieux sont en réalité Un ; comme les rayons de la lune, à la fin d’un univers, ils se retirent dans le luminaire parent, qui à son tour fusionne dans l’Un Absolu.Une bonne compréhension des Trois Principes Fondamentaux révèle le grand fait, que dans sa nature la plus intime, l'homme est l'Absolu. La Doctrine Secrète précise que : « ... la Monade ou Jiva per se ne peut même pas être appelée esprit : elle est un rayon, un souffle de l'Absolu, ou plutôt de l'Absoluité, ... » (SD, I, 247.) Ceci permet à l'homme d’avoir la certitude qu’il peut s’émanciper définitivement des limitations de la matière, aussi expansif ou exalté qu’il puisse être. « ... c'est seulement la potentialité spirituelle de l'homme qui peut le conduire à ne faire qu'un avec l'INFINI et l'ABSOLU" (SD, II, 79 note.) ; et faire qu’« Au seuil du Paranirvana (Note 3), [la Monade] reprenne son Essence primordiale et redevienne à nouveau l'Absolu » (SD, I, 135).
Cette Vie Une Absolue est la Béatitude Parfaite de l'Équilibre dans lequel se cachent à jamais le Mouvement, l'Espace et la Durée, absolus et abstraits. Ces trois radiations projettent – « le jaillissement inconscient et spontané » [v. Transactions de la Loge Blavatsky, p 94] – qui aboutissent à la manifestation. Le Mouvement Absolu, l'Espace Abstrait ou le Temps Éternel sont Inconnaissables. Le Grand Souffle qui est le rayonnement mentionné ci-dessus du Mouvement Absolu, la Matière qui est celle de l'Espace, et ce qui les relie qui produit l'illusion du passé, du présent, du futur, nommé Fohat, sont connaissables ̶ mais ils sont inconnus de tous sauf des êtres émancipés, les Mahatmas ou Grandes.
Ainsi, il y a quatre facteurs : (1) la Vie Une Absolue appelée Être-té, et (2) Son rayonnement, le Grand Souffle, qui est « Son seul attribut absolu, qui est LUI-MÊME, le Mouvement éternel et incessant » (SD, I, 2) ; ce « Grand Souffle ou Mouvement Abstrait Absolu est l'un des trois aspects de l'Absolu - l'Espace Abstrait et la Durée étant les deux autres » (SD, I, 43). Nous devons donc prendre connaissance de (3) l’Espace-Matière et (4) de Fohat, qui est le pont entre l'Esprit et la Matière, ou l'énergie dynamique qui relie l'un à l'autre.
Appliquons cela à l'image qui nous est présentée dans l'extrait par lequel nous avons commencé cet article : Il y a les « milliards d'étincelles lumineuses » ; il y a « qu’une seule et même lune » ; il y a les rayons « en union avec la Source-Mère » ; et la lune à son tour est fusionnée dans la Lumière qui est l'Obscurité – l'Absolu. La lune, le luminaire n'est qu'une apparence – « le plan à la surface du Cercle » (SD, I, 18). Ce cercle est le plan de la sphère dont la longueur, la largeur et l'épaisseur sont contemporaines et égales et sont nommés ci-dessus Mouvement-Espace-Durée.
C'est la même vérité que Sri Krishna met en avant dans le Septième Chapitre de la Bhagavad-Gîtâ où il parle de lui-même et de ses deux natures : la nature inférieure et la nature supérieure, apara et para prakriti. Krishna est le Grand Souffle dont la nature supérieure est Daiviprakriti ou Fohat, sa Lumière, tandis que sa nature inférieure est Mulaprakriti, à partir de laquelle et dans laquelle toutes les manifestations matérielles ont lieu. En tant que Grand Souffle, il est le seul « attribut » de l'Absolu ; c'est pourquoi il s'appelle Aja, le Non-né. Avec la puissance de ses deux natures, il se manifeste – et il « établit tout cet univers avec une seule portion de lui-même » – et dans l'état non manifesté « reste séparé » de la manifestation (v. Bhagavad-Gîtâ, ch. IX).
L'Absolu et sa différenciation trinitaire primordiale sont symbolisés par le 4 ou la Tetraktis pour la même raison que Brahma est Chatur-mukha, à quatre faces. La Doctrine Secrète stipule (SD, I, 18) : « Hiranyagarbha, Hari et Sankara ̶ les trois hypostases de "l'Esprit de l'Esprit Suprême" qui se manifeste (sous le nom de Prithivi, la Terre, et fait de Vishnu son premier Avatar) ̶ sont les qualités abstraites purement métaphysiques de formation, préservation et destruction, qui sont les trois Avasthas divins (littéralement les hypostases) de ce qui "ne périt pas avec les choses créées" (ou Achyuta, un nom de Vishnu) ; ... »
Notez encore une fois que les quatre facteurs – les trois Hypostases de l'Esprit manifesté de l'Esprit Suprême ainsi que le quatrième ne périssent ni ne naissent – ils sont achyuta et aja, impérissable et non né.
Nous devons maintenant considérer les processus de la volonté, de la pensée et de l'action sous les trois angles du soi personnel, individuel et universel ou atma, conformément à la loi de correspondance et à la loi d'analogie. Il est alors nécessaire de nous rappeler qu'il existe de maintes et grandes complexités dans la classification et la division des principes humains, dont l'exposition approfondie dépasse le cadre de cette étude. Par conséquent, ce qui est dit n'est qu'une analogie indicative et rien de plus.
Analysons maintenant cet aspect quadruple en nous-mêmes. Nous sommes des êtres trinitaires ; dans notre premier aspect qui est personnel nous sommes des reflets, des milliards d'étincelles lumineuses produites par le Manas-Ego, qui est notre second aspect, celui de l'individualité ; ce Manas-Ego est un rayon du Soleil Parent qui est notre aspect Monadique en tant qu'Atma-Buddhi [Esprit-Âme Spirituelle universelle]. Au-delà de ce dernier se trouve l'Atma, l'universel, la Lumière qui, par un processus transcendantal inhérent à sa propre nature, svabhava (Note 4), parvient à un point focal appelé le Soleil. Le Soleil, son Rayonnement et son Reflet, sont les trois Hypostases de la Lumière qui se manifeste, qui est Ténèbres. Or nous pouvons les remarquer dans les processus de notre moi personnel inférieur : la mémoire est la lune dont le rayon est la soif de vivre, tanha, qui engendre la réflexion appelée le corps, mais derrière le corps, le désir et la mémoire se trouve le "je" ̶ l'ahankara qui est le contenant des trois. Le Corps, le Désir et la Mémoire sont les trois Hypostases du "Moi" manifesté qui est perpétuellement présent en eux. Le "Moi" universel, le "Moi" individuel, le "Moi" personnel sont les trois Hypostases de cette Vie Absolue qui est le SOI.
Il y a une autre manière d’appréhender l’étude de ces trois Hypostases ou Avasthas : les aspects formateurs ou créateurs, les aspects conservateurs ou préservateurs, et les aspects destructeurs ou régénérateurs de la Vie Une. La conscience se manifeste par un triple processus – par le pouvoir d'action créatrice (Kriya), par celui de l'Amour-Sagesse (Gnyan, ou Jnana, [c-à-d, la connaissance comme on comprend ce terme dans les sciences ésotériques, la Sagesse occulte.]) qui préserve, et par celui de la Volonté (Ichcha) qui régénère. Par conséquent, dans le panthéon hindou, l’universel Brahma se manifeste comme le créateur, Vishnu comme le préservateur, le Grand Aimant, et Shiva comme le régénérateur universel Shiva, le destructeur. En nous, en tant qu'êtres personnels-ahankariques, ou en tant qu'êtres individuels-atmiques, ou en tant qu'êtres parmatmiques universels, se trouve le triple processus de la Volonté, de la Pensée et de l'Action, matériel, psychique et spirituel.
Parce que la conscience est triple, le chemin vers la perfection est triple : du Karma qui concerne l'aspect Kriya-action ; de Gnynan qui concerne l'aspect pensée ; de Bhakti qui est l'aspect volonté. Par le karma nous créons, par la connaissance nous préservons, par la dévotion nous régénérons. Le karma engendre Tamas – l'inertie, que la connaissance soutient comme Rajas – la mobilité, et que la dévotion transforme en Sattva – l'harmonie. Sattva est l'Existence – Sat, la Connaissance de l'Idéation – Chit, la dévotion qui réalise dans l’immortelle Félicité – Ananda.
En nous comme hors de nous, la matière, la force, l'esprit ne sont que les triples hypostases de la quatrième, la Vie Une. La manifestation matérielle de la Vie Une est l'égoïsme, sa manifestation psychique est l’égotisme et sa manifestation spirituelle est l'absence complète de sens du Moi - le quatrième est le facteur commun aux trois, le sens du Soi ou l'Être-té. Par conséquent, dit La Doctrine Secrète (SD, I, 276) : « ... en paralysant sa personnalité inférieure, et en parvenant ainsi à la pleine connaissance de la non-séparation de son Soi supérieur du SOI Un Absolu, l'homme peut, même pendant sa vie terrestre, devenir "l’Un des Nous" ».
L'application pratique, qui est l'éthique, de cette réalisation puissante se trouve dans La Voix du Silence dans l'enseignement sur les trois Salles, les trois états par lesquels l'aspirant passe ̶ « au-delà desquels s'étendent les eaux sans rivage d'AKSHARA » ̶ l'Absolu. Ces Salles correspondent aux états de conscience Jagrat [la conscience de veille], Svapna [la conscience dans l’état de sommeil avec rêves], et Sushupti [la conscience dans le sommeil profond sans rêve], – au-delà desquels se trouve Turiya.
[Sans la réalité des trois Hypostases et le fait que chaque être humain est une incarnation ou une manifestation de la Déité] pour le Je-ahankarique, il n'y aurait ni mémoire, ni soif de vie séparée et ni corps ; et pour l'état de Turiya, nous n'aurions pas le rafraîchissement du sommeil profond, ou la perturbation des rêves, ou la vie de veille. De la Source d'Omniscience jaillissent la Sagesse et l'Apprentissage et l'Ignorance ; nous avons d’abord l’alphabet d'Akshara, puis les syllabes avec Shabda, le rythme des Sloka et les récits spirituels des Katha ; et sans l'Absolu, il n'y aurait pas d’existence monadique, de sens d’Ego Manasique, ou de personnalité ̶ l'Éternel, le Divin et le Soi inférieur. La Voix du Silence précise :
Restreins ton Soi inférieur par ton Soi Divin.
Restreins le Soi Divin par l'Éternel.
B.P. Wadia,
Article de publié dans son ouvrage Studies in The Secret Doctrine
Notes (définitions du Glossaire Théosophique, éd. Adyar) :
(1) - Avasthas (sanskrit) : États, conditions, positions.
(2) – Maha Purusha (sanskrit). Suprême ou Grand Esprit ; titre de Vishnu. Narayana (sanskrit) : « Celui qui se meut sur les Eaux » de l'espace : titre de Vishnu sous son aspect de Saint-Esprit, lorsqu'il se déplace sur les Eaux de la Création (Voir Lois de Manu, Livre II). Dans la symbolique ésotérique il représente la manifestation primordiale du principe vital qui se propage dans l'espace infini.
(3) – Paranirvana (sanskrit) : Le Non-Être absolu qui est équivalent à l'Être absolu ou "Être-té", la condition atteinte par la Monade humaine à la fin du grand cycle. Identique à Pâranishpanna.
(4) – Svabhavat (sanskrit). Expliqué par les orientalistes comme étant la "substance plastique", ce qui est une définition insuffisante. Svabhâvat est la substance mondaine et sa partie essentielle, ou mieux, ce qui est derrière elle – l'esprit et l'essence de la substance. Le nom vient de Subhâva et il est composé de trois mots – su, bon, parfait, beau, élégant ; sva, soi-même ; et bhâva, l'être, ou condition de l'être. De cela, toute la nature provient et tout y retourne à la fin des cycles de vie. En ésotérisme, on l'appelle le "Père-Mère". C'est l'essence plastique de la matière.