« Les grands Mahatmas, ou les Bouddhas, sont une propriété universelle et commune : Ils sont des sages historiques – du moins pour tous les Occultistes qui croient en une telle hiérarchie de Sages, dont l’existence leur a été prouvée par les érudits de la Fraternité. » (The Secret Doctrine, II, p. 423.)
Il a été démontré (dans les articles « Métaphysique » et « Éthique ») que pour mieux progresser sur le Sentier de l’Âme, on devait devenir un étudiant de la métaphysique et pratiquer l’éthique enseignée dans La Doctrine Secrète. Ces deux aspects de La Doctrine Secrète sont comme les ailes d’un oiseau ; par eux, l’Âme humaine s’élève vers les hauteurs célestes. L’étude des concepts métaphysiques ne doit pas être qu’un effort intellectuel ayant pour but d’apprendre et éprouver de la joie, pour l’unique satisfaction du mental ; ces concepts ont de nombreuses applications pratiques dans la vie quotidienne. D’un autre côté, la pratique de l’éthique ne doit pas ressembler aux rites des religions, accomplis sans une connaissance adéquate, et enracinés dans une simple croyance aveugle ; ces principes éthiques sont en rapports étroits avec les fondamentaux cosmiques. C’est ainsi que nous avons vu (dans l’article « L’Unité : La Mère de toutes les Vertus ») comment La Doctrine Secrète unit le mental humain et le mental universel et révèle que ce qui bat au centre du cœur humain est identique à ce qui bat au cœur de l’univers. C’est ainsi que la vertu de la Fraternité trouve sa contrepartie métaphysique dans l’Unité de la Vie, et que, d’autre part, le concept métaphysique de la Déité se révèle comme la Loi morale de la Fraternité. Cette synthèse de la métaphysique et de l’éthique – la Vie-Une et la Fraternité – devient le substratum et la base de la discipline journalière. Nous avons vu également (dans l’article « La Dualité du Bien et du Mal ») comment se poursuit, dans l’homme, la lutte entre les aspects bons et mauvais du mental, et comment, quand la Fraternité devient essentielle, ce combat entre les deux aspects du mental devient le moyen par et à travers lequel il peut mettre en pratique les règles de sa discipline. Quand la discipline de la vie supérieure est basée sur la Loi fondamentale de la Fraternité, la Philosophie Ésotérique conduit ses disciples sur le plan où les disciples des autres écoles se sont également élevés et où ils peuvent aussi s’élever. [Dans ces autres écoles] l’Âme pure, n’est pas celle du philanthrope désintéressé, mais celle du philanthrope qui y parvient avec des motifs intéressés ; peu importe son pays ou sa croyance ; le but qu’il recherche est la délivrance de l’esclavage matériel, la liberté de l’Âme, et la retraite dans paix subjective pendant un temps infini. La discipline de la Philosophie Ésotérique, qui commence par la pratique de la Fraternité, enseigne dès le début un cheminement dans la vie qui peut sembler le même. En réalité, il n’évolue en parallèle, que sur une partie du trajet, avec le sentier de celui qui aspire à Mukti ou au Nirvana. Bien des enseignements et des pratiques relatifs à ces deux sentiers parallèles sont similaires, mais le motif et le but à atteindre sont tout à fait différents.
La Philosophie Ésotérique a un but différent et plus élevé qui n’est pas la libération de l’esclavage matériel, mais l’acceptation des douleurs de la naissance pour le service de toutes les Âmes prisonnières de la matière ; ce n’est pas une liberté de l’Âme pour jouir d’une béatitude subjective, mais pour vivre dans un état objectif afin de pouvoir rendre service aux âmes en esclavage.
La Doctrine Secrète introduit, dans sa métaphysique, le principe de Fohat, « jusque-là inconnu de la spéculation occidentale ». Fohat se définit comme « l’énergie dynamique de l’Idéation Cosmique » (S.D., I, p. 16). On dit qu’il jaillit de Dzyu « l’unique connaissance (magique) réelle ou la Sagesse Occulte ; son antithèse est Dzyu-mi, qui se limite aux illusions et aux fausses apparences, comme le font nos sciences exotériques modernes. Dans le cas présent, Dzyu est l’expression de la Sagesse collective des Dhyanis-Buddhas. » (S.D., I, 108.)
De même que Fohat est, métaphysiquement, en rapport avec la Vie Une, de même l’enseignement essentiel de cette vraie Sagesse des Grands Sages est en rapport avec la doctrine de la Fraternité Universelle. Cet enseignement essentiel est appelé le Sentier du Grand Renoncement et est distinct et différent du Sentier de la Libération, ou de l’Émancipation. Ce Sentier du Grand Renoncement n’est pas celui qui est ordinairement connu des yoguis, sannyasins, swamis et fakirs orientaux. Leur Sentier du Renoncement (Tyaga et Sannyasa Margas) est suivi dans l’espoir, avec le but, et le motif de gagner la Libération ou Moksha. Au contraire, le Sentier du Grand Renoncement, tel que l’enseigne la Philosophie Ésotérique, n’est pas le moyen et la voie de la libération de l’âme humaine, mais est de parvenir au Renoncement conscient et délibéré de cette libération – « Nirvâna gagnés et perdus par pitié et compassion sans bornes pour le monde des mortels abusés » (La Voix du Silence, p. 60). La voie du renoncement aux actes et aux fruits des actes qui conduit à la Libération est appelée dans la Philosophie Ésotérique le Sentier Ouvert (1), tandis que le Sentier du Grand Renoncement conduit le Mukti et le Nirvanee à « endosser les misères de la “Vie Secrète” », et accepter « une inexprimable souffrance mentale — souffrance pour les Morts vivants (2) et pitié impuissante pour les hommes voués à la douleur karmique » (La Voix du Silence, pp. 58-9). Cette Voie est appelée la Sentier Secret.
La Philosophie Ésotérique enseigne qu’il existe des Mahatmas vivants qui ont toujours préservé la connaissance du Sentier Secret dans le monde. De temps à autre, cette connaissance s’obscurcit ; mais les attestations de son existence sont données dans les périodes d’obscuration – comme dans celle que le monde vient de passer. H.P. Blavatsky a été le porte-parole des Mahatmas vivants du Sentier Secret ; c’est de sa connaissance et de son expérience qu’elle a tiré la phrase citée au début de cet article. Il ne s’agit pas d’un nouvel enseignement ou d’un nouveau sentier ; l’un et l’autre sont de très anciennes vérités. Cette connaissance s’est perdue et, même dans l’Inde moderne, on ne peut guère en saisir le sens réel. En dehors de l’authentique cercle Théosophique, il en est peu qui suivent ce Sentier et ils en gardent jalousement le secret.
La cosmogonie et l’anthropogenèse de La Doctrine Secrète enseignent cette grande vérité. Dans ces deux volumes, page après page, et sujet après sujet, l’étudiant discernera cet aspect des instructions qui se déroule comme un fil sur lequel tous les enseignements sont suspendus. De même qu’un tas de pierres précieuses ne peut pas être utilisé pour faire un collier, de même la grande quantité de gemmes contenues dans ce grand livre ne peut pas réellement servir ; mais dès que nous apercevons le fil conducteur, nous pouvons y enfiler ces gemmes pour en faire un collier.
La discipline qui commence par la Fraternité ne conduit pas à la Paix individuelle, mais au Service altruiste de l’humanité, en ayant recours à la Paix, et à tout ce qui s’en suit. Dans l’importante section consacrée à l’« Évolution Cyclique et Karma » (S.D., I, p. 634), nous trouvons certains enseignements qui peuvent aider à formuler les règles de conduite et de discipline de vie. Nous les donnons ici :
« Un principe fondamental de la philosophie occulte est l’homogénéité de la matière et l’immuabilité des lois naturelles, comme l’affirme avec insistance le matérialiste ; mais [pour l’occultiste] cette unité repose sur l’inséparabilité de l’Esprit et de la matière, car si ces deux principes devaient à se séparer, le Cosmos tout entier tomberait dans le chaos et le non-être. »
« Il y a une finalité aux opérations importantes de la Nature, dont les actes sont tous cycliques et périodiques. »
« L'unique décret de karma — décret éternel et immuable — est l'harmonie absolue dans le monde de la matière aussi bien que dans celui de l'esprit. Karma ne récompense ni ne punit, c'est nous qui nous récompensons ou nous punissons, suivant que nous travaillons ou non avec la Nature, selon ses voies, et de concert avec elle, en agissant ainsi d'accord avec les lois dont dépend cette harmonie, ou en les violant. »
« Mais, en vérité, il n'y a pas un accident de notre vie, pas une mauvaise journée, pas un malheur que nous ne puissions imputer à nos propres actions dans cette vie, ou dans une vie antérieure. »
« Jusqu’à ce que nous commencions à agir de l’intérieur, au lieu de suivre les impulsions de l’extérieur, c'est-à-dire celles produites par nos sens physiques et notre corps grossier et égoïste. Jusque-là, le seul palliatif aux maux de la vie est l’union et l’harmonie – une Fraternité dans les actes, un altruisme qui ne soit pas seulement un mot. La suppression d’une seule mauvaise cause effacera non pas un seul, mais une variété de mauvais effets. Et si une Fraternité ou même un certain nombre de Fraternités ne peuvent empêcher les nations de se couper la gorge de temps en temps, il n’en demeure pas moins que l’unité de pensée et d’action, la recherche philosophique des mystères de l’être, empêcheront toujours quelques individus – qui s’efforcent de comprendre ce qui leur était une énigme jusqu’à présent – de créer des causes additionnelles dans un monde déjà si plein de souffrances et de calamités. »
B.P. Wadia
Notes
(1) [Le « Sentier Ouvert » est celui qui est enseigné aux laïcs - la doctrine exotérique, acceptée en général. La nature du « Sentier Secret » est expliquée lors de l'initiation (La Voix du Silence – Éd. Textes Théosophiques)].
(2) [Les hommes qui ignorent les vérités ésotériques et la Sagesse sont appelés « les Morts vivants » (La Voix du Silence – Éd. Textes Théosophiques)].