Le premier objet de notre Société est la formation d'un noyau de Fraternité Universelle. C'est là un but pratique et, en même temps, un fait de la nature. Longtemps, la plupart des hommes l'ont considéré comme un idéal utopique qu'on peut envisager, discuter, désirer, mais qu'on ne peut atteindre. Et il n'est pas étonnant qu'on l'ait considéré comme tel, étant donné que la conception religieuse ordinaire de Dieu, de la nature et de l'homme, se basait sur un fondement égoïste, attribuait une distinction personnelle au ciel aux saints qui mouraient en odeur de sainteté, rendant ainsi impossible la réalisation de ce beau rêve. Mais dès que la philosophie théosophique montre l'unité entre les êtres, non seulement dans leur nature la meilleure, mais aussi sur le plan physique, notre premier objet devient des plus pratiques. Car si tous les hommes sont frères en fait, c'est-à-dire unis les uns aux autres par un lien que nul ne peut briser, alors la formation d'un noyau de fraternité future est une chose ayant trait à toutes les affaires humaines, affectant les civilisations, et conduisant à une amélioration physique aussi bien que morale de chaque membre de la grande famille.
Le premier but vise à la philanthropie. Chaque Théosophe ne devrait donc pas se contenter de poursuivre ses actes publics ou privés de charité, mais il devrait aussi s'efforcer de comprendre la philosophie théosophique afin de pouvoir l'exposer d'une façon pratique et aisément, compréhensible, et cela dans le but de devenir un philanthrope plus large qui pourvoit aux besoins de l'homme intérieur. Celui-ci est un être pensant qui se nourrit d'une philosophie exacte ou fausse. Si on lui donne ce qui est faux alors il se dérègle et, devenant malade, il entraîne son instrument, l'homme extérieur, dans le trouble et la peine.
Et comme les théories théosophiques ont toujours été, et sont encore très étranges, fascinantes et bien particulières si on les compare aux doctrines ordinaires concernant les hommes et les choses, beaucoup de membres se sont adonnés à des spéculations métaphysiques et à des recherches profondes dans l'occulte et le merveilleux, oubliant que la philanthropie la plus haute réclame la diffusion parmi les hommes d'une base juste de morale, de pensée et d'action. Nous rencontrons souvent des Théosophes discutant entre eux de doctrines compliquées qui n'ont aucune application immédiate dans la vie pratique, tandis que d'autres membres ou personnes qui viennent se renseigner poussent un soupir de soulagement quand quelqu'un dirige les questions dans le sens d'une application de toutes les doctrines à la vie quotidienne.
Nous avons le plus grand besoin d'éducation théosophique qui nous donnera la capacité d'exposer la Théosophie sous une forme accessible à tout le monde. Cette façon claire et pratique de l'exposer est une chose tout à fait réalisable, et il n'y a aucun doute qu'elle soit de la plus haute importance. Elle vise et affecte la morale, la vie de chaque jour, les pensées, et par suite tous les actes. L'église la plus savante, la plus astucieuse et la plus florissante, l'Eglise Catholique Romaine, procède de cette façon. Nous abstiendrons-nous de suivre une bonne manière d'agir sous prétexte que des sectaires font de même ? Les prêtres de Rome n'expliquent pas, ni n'essayent d'expliquer ou d'exposer, la base hautement métaphysique et obscure, bien qu'importante, de leurs diverses doctrines. Ils touchent la vie quotidienne des gens ; une connaissance détaillée de leur propre système leur permet de mettre leur doctrine profonde à la portée du langage de chacun bien que l'érudition du prédicateur puisse être momentanément dissimulée. Eux font appel à la peur ; nous faisons appel à la raison et à l'expérience. Nous avons ainsi un avantage naturel qu'il ne faudrait pas négliger.
Une profonde érudition et une connaissance de la métaphysique sont certes des choses appréciables, mais la masse des gens ne sont ni savants ni métaphysiciens. Si nos doctrines sont d'une telle application pratique que les sages consacrent leurs efforts à aider à les répandre, il s'ensuit que ces mêmes sages — nos Maîtres — souhaitent voir ces doctrines présentées au plus grand nombre de personnes possible. Nos savants et métaphysiciens théosophes peuvent y arriver en faisant un petit effort. En réalité, c'est un peu difficile parce que légèrement désagréable pour un membre, qui est de par nature un métaphysicien, de descendre jusqu'au niveau ordinaire du mental humain en général ; mais c'est réalisable. Et lorsqu'on y parvient, il y a une grande récompense à voir le soulagement et la satisfaction évidente de l'interlocuteur.
Notre devoir essentiel est donc d'être pratiques autant que possible dans notre exposé des doctrines. L'étude intellectuelle seule de notre Théosophie n'améliorera pas rapidement le monde. Naturellement, elle produira certains effets, par suite des idées immortelles qu'elle réveille, mais tandis que nous attendrons que ces idées portent leurs fruits parmi les hommes, une révolution pourra éclater et nous emporter. Nous devrions faire ce que Bouddha enseignait à ses disciples : prêcher, pratiquer, promulguer et illustrer nos doctrines. Il touchait, par la parole, le plus humble des hommes, bien qu'il ait eu une doctrine plus profonde pour les esprits plus. Grands et plus érudits. Tâchons donc d'acquérir l'art d'exposer pratiquement la morale basée sur nos théories et enrichie par la réalité de la Fraternité Universelle.
W.Q. Judge.
Cet article, intitulé « What we need most : Theosophical Education », fut publié par W. Q. Judge dans The Path de Septembre 1892. Cahier Théosophique n°20, © Textes Théosophiques.