Le mot Chrêstos a existé des âges avant qu'il soit question du christianisme. Dès le cinquième siècle av. J.-C., on le trouve employé par Hérodote, Eschyle et d'autres auteurs classiques grecs, dans un sens s'appliquant aussi bien aux choses qu'aux personnes.

C'est ainsi qu'on lit chez Eschyle (Choéphores, 901) : μαντεύματα τα πυόχηστα ([manteumata ta] pythochrêsta), les oracles rendus par un dieu pythien (1) par la voix d'une pythonisse ; le mot pythochrêstos (cf. aussi, Euripide, Ion, 1218) est le nominatif singulier d'un adjectif dérivé du verbe chraô, χράω (2). A partir de cette application primitive, on est passé librement à d'autres sens, nombreux et variés. Les classiques païens ont exprimé plus d'une idée par le verbe [dans sa forme moyenne] χράομαι [chraomaï], consulter un oracle : il a aussi [au passif] le sens d’« être marqué par le destin », désigné à un certain sort par un oracle, en victime sacrificielle soumise à son décret, ou « à la Parole » ; de même le mot chrêstêrion ne signifie pas seulement « le siège d'un oracle » mais aussi « une offrande apportée à l'oracle, ou pour lui » (3), Par ailleurs, est appelé χρήστης ; (chrêstês) celui qui présente ou explique les oracles, « un prophète, un devin » (4) ,et χρηστήριος (chrêstêrios) celui qui appartient à un oracle, un dieu ou un « Maître » (5), ou qui est à son service — et cela malgré toutes les explications laborieuses du chanoine Farrar (6).

Tout cela montre bien que les termes Christ et Christ-iens, notés à l'origine Chrêst et Chrêstiens χρηστιανοί (7), furent directement empruntés à la terminologie des temples chez les païens, et signifiaient la même chose. Dès lors, le Dieu des Juifs était substitué à l'Oracle et aux autres dieux ; l'appellation générique « Chrêstos » devenait un nom attribué à un personnage spécial et, à partir d'éléments anciens, on se mit à fabriquer des vocables nouveaux, comme Chrêstianoï et Chrêstodoulos, « fidèle ou serviteur de Chrêstos ». C'est ce que montre bien Philon le juif (un monothéiste, sans aucun doute) qui emploie déjà le même terme [chrêstos] à des fins monothéistes. Il emploie en effet des expressions comme θεόχρηστος (théochrêstos) au sens de « déclaré par Dieu » (qu'il s'agisse d'un être ou d'une chose), et λόγια θεόχρηστα (logia théochrêsta) (8), pour signifier des logia [ou « dits »] prononcés par Dieu, ce qui prouve qu'il a écrit à un moment (entre le premier siècle avant J.-C. et le premier siècle après) où on ne connaissait alors ni Christianoï ni Chrêstianoï sous ces appellations, alors qu'ils s'appelaient encore eux-mêmes Nazaréens. La différence notable qui existe entre le verbe χρύω (chraô) [pris au moyen : chraomaï)], « consulter un dieu ou un oracle », ou [à l'actif : chraô] « en obtenir une réponse » (χρεώ [chréô] étant la forme ionique antérieure de chraô) et le verbe χρίω (chriô), « frotter, oindre » (d'où le nom Christos) n'a pas empêché les gens d'Eglise d'adopter l'expression de Philon θεόχρηστος ; pour en dériver cet autre terme θεόχριστος [théochristos] (9), « oint de Dieu ». C'est ainsi, subrepticement, que la substitution de la lettre η [ê] par la lettre ι [i] a été faite de la façon la plus aisée, comme nous le voyons ici.

La signification profane de Chrêstos se rencontre dans toute la littérature classique grecque, parallèlement à celle qu'on lui accordait dans les Mystères. En disant ώ χρηστέ [ô chrêsté], Démosthène (De corona, 318 [330]) veut simplement signifier « mon bon ! ». On trouve aussi chez Platon (Phèdre, 264 b) « χρηστος ει οτι με ήγει » [chrêstos eï oti mé hêgeï] « tu es bien bon de me juger... » Mais, dans le langage ésotérique des temples, l'appellation « chrêstos » (10). — mot qui, comme le participe chrêsthéis, est formé en suivant la même règle et a le même sens, à .partir du verbe χράομαι [chraomaïl (consulter un dieu), répond à ce que nous appellerions un adepte, ainsi qu'à un haut chéla, ou un disciple. C'est dans ce sens qu'on le trouve chez Euripide (Ion, 1320) et Eschyle (1 C) (11). Cette qualification était appliquée à ceux auxquels le dieu, l'oracle, ou quelque supérieur, avait attribué publiquement, un titre quelconque. On peut donner un exemple de ce cas.

Les mots χρησεν οίκιστηρα [chrêsen oïkistêra] utilisés par Pindare (Odes à la Pythie, IV, 6) signifient : « l'oracle le proclama le colonisateur » [de la Lybie]. Dans ce cas, le génie de la langue grecque autorise à appeler χρηστός (chrêstos) l'homme ainsi proclamé (12). Par suite, on put appliquer ce terme à tout disciple reconnu d'un Maître, ainsi qu'à tout homme bon. A noter de plus que le grec a d'étranges étymologies. La théologie chré­tienne a choisi et décrété que le vocable Christos devait être considéré comme dérivant du verbe χρίω [chriô, dont le futur est :] χρίσω (chrisô), d'où : « oint d'onguents odorants, ou d'huile parfumée ». Mais le mot a plusieurs sens. Assurément, Homère l'emploie comme le font d'autres auteurs anciens — pour signifier l'onction du corps avec de l'huile après le bain (Iliade, XXIII, 186 ; Odyssée, IV, 252). Mais le mot χριστης (Christês) a plutôt le sens de badigeonneur, tandis que χρήστης (Chrêstês) signifie prêtre et prophète, ce qui est beaucoup plus applicable à Jésus que l'épithète « Oint », vu qu'il n'a jamais reçu l'onction, comme roi ou comme prêtre, ainsi que le souligne Nork sur l'autorité des évangiles. En bref, il y a un profond mystère caché dans tout ce système qui, comme je le maintiens, ne peut être dévoilé qu'à l'aide d'une connaissance complète des mystères païens (13). Ce qui compte ici ce n'est pas ce que peuvent affirmer ou nier les premiers Pères — qui avaient en vue un but à atteindre — mais plutôt ce, qui est maintenant l'évidence pour ce qui est du véritable sens donné aux deux termes Chrêstos et Christos par les Anciens des périodes pré-chrétiennes. Car ces derniers n'avaient pas d'objectif particulier en tête, et par conséquent rien à cacher ou à défigurer : à choisir entre les deux, la preuve qu'ils apportent est naturellement la plus fiable. Cette preuve, on peut l'obtenir en étudiant d'abord la signification donnée par les auteurs classiques à ces deux termes, puis en cherchant leur sens correct dans le symbolisme mystique.

Pour ce qui est de Chrêstos, le mot a, comme indiqué plus haut, diverses applications. Il qualifie aussi bien la Déité que l'Homme. Dans le premier sens, on le trouve dans les évangiles. Voir, par exemple, Luc (6, 35) : χρηστός έστιν έπι τους […] [chrêstos estin épi tous on], « il est bon, miséricordieux, pour les [ingrats...] », et I, Pierre (2, 3) où il est dit : χρηστος ο Κύριος [chrêstos ho Kurios], « le Seigneur est bon ». Par ailleurs, pour Clément d'Alexandrie, le terme a simplement le sens d'homme bon : « Tous ceux qui croient en chrêstos (un homme bon) sont des Chrêstiens, c'est-à-dire des hommes bons, et on les appelle aussi de ce nom » (Stromates, livre II, chap. IV) (14). La réticence de Clément, dont le christianisme, (comme le remarque King, à juste titre dans son ouvrage The Gnostics and their Remains [= Les Gnostiques et ce qu'il en reste]), n'était guère qu'une greffe sur le tronc (d'un genre bien proche) de son platonisme initial, est tout à fait naturelle. Il fut un Initié, un platonicien nouveau style (15), avant de devenir un chrétien — ce qui ne le libérait pas de son serment de secret, aussi loin qu'il ait pu s'écarter de ses vues primitives. Et comme théosophe et gnostique, muni de la connaissance, Clément a bien dû savoir que Christos était « la VOIE », tandis que Chrêstos désignait le .voyageur solitaire progressant pour gagner le but ultime, en empruntant ce « Sentier », lequel but était Christos, l'Esprit de « VERITE » glorifié : en s'unissant avec lui, l'âme (le Fils) devenait UNE avec l'Esprit (le Père). Le fait que Paul ait eu cette connaissance ne fait aucun doute, car les expressions qu'il emploie le prouvent. Quel sens, en effet, donner à ces mots : οΰς παλιν ώδίνω άχρις ου μορφωθη χριστος έν υμιν [bous palin ôdinô achris hou morphôtê christos én humin], rendus dans les traductions autorisées par : « Vous que, dans la douleur, j'enfante à nouveau jusqu'à ce que Christ soit formé en vous », si ce n'est celui que nous donnons de leur interprétation ésotérique : « jusqu'à ce que vous trouviez le Christos en vous-mêmes, comme votre seule 'VOIE' » (cf. Galates, 4, 19) ?

Ainsi, qu'il ait été de Nazareth ou de Lod (16), Jésus fut un Chrêstos, aussi indiscutablement qu'il n'a jamais eu droit, pendant sa vie, à l'appellation de Christos, avant de franchir sa dernière épreuve. Il a pu se faire, comme le suppose Higgins, que « le premier nom de Jésus ait été χρειζος [Chreistos], le second χρηζος [Chrêstos], et le troisième χριζος [Christos] ; le mot χρειζος a été utilisé avant que la lettre grecque H [êta majuscule] entre en usage dans la langue ». [Rappelons que] Higgins cite le révérend R. Taylor (dans sa réponse à Pye Smith, p. 113) disant : « l'épithète CHREST[OS], employée par compliment, [...] ne signifie rien de plus que : homme bon ».

Ici encore, on peut faire état d'un certain nombre d'auteurs anciens pour témoigner que l'adjectif christos (ou plutôt chreistos) fut, avec χρηζος [chrêstos], appliqué aux Gentils avant l'ère chrétienne. Dans l'ouvrage [de Lucien] intitulé Philopatris (section 17), on trouve : πάντα, εί τύχη γε χρησος και έν εθνεσι [pan ta éi tuchê gé chrêstos kaï én éthnési], « toutes les nations [sont comptées] si chrêstos existe même parmi les Gentils », etc.

Dans le 3e chapitre de son Apologétique, Tertullien dénonce le mot « christianus » [mal prononcé] comme étant dérivé par une « interprétation artificieuse » (17). Par ailleurs, le Dr John Jones, en donnant l'information (corroborée par de bonnes sources) que Chrêstos « était le nom habituellement donné [au Christ] par les gnostiques et même par les incroyants », nous assure que l'appellation réelle devrait être χριζος ou Christos — en répétant ainsi et cautionnant la « pieuse fraude » initiale des premiers Pères, fraude qui les conduisit à rabaisser au niveau de la chair tout le système chrétien (18). Mais je me propose de faire apparaître la réelle signification de tous ces termes, autant qu'il appartient à mes faibles pouvoirs et mon humble connaissance. Christos, ou « l'état de Christ », a toujours été synonyme de « l'état de Mahâtma », c'est-à-dire la condition réalisée par l'union, de l'homme avec le principe divin en lui-même. Comme le dit Paul (Ephés. 3, 17) : « κατοικησαι τον χριστον δια της πίστεως έν ταις καρδίαις ύμων » [katoïkêsaï ton christon dia tês pistéôs en tais kardiaïs humôn] « puissiez-vous trouver Christ en votre être intérieur par la connaissance » (19) — et non par la foi, comme il est traduit, car pistis signifie « connaissance », ainsi qu'il apparaîtra dans la suite.

Il existe encore une autre preuve, d'un bien plus grand poids, que le nom Christos est d'époque pré-chrétienne : on la trouve dans la prophétie de la Sibylle d'Erythrée. On y lit : ΙΗΣΟΤΣ ΧΡΕΙΣΤΟΣ ΘΕΟΤ ΤΙΟΣ ΣΩΤΗΡ ΣΤΤΡΟΣ [Iêsous Chréistos Théou Huios Sôtêr Stauros]. Déchiffré ésotériquement, cette succession de mots détachés, sans signification — qui ne veut rien dire pour le profane — contient une réelle prophétie (qui toutefois ne vise pas Jésus) et un verset du catéchisme mystique de l'Initié. Cette prophétie a trait à la descente sur la terre de l'Esprit de Vérité (Christos), après laquelle (cet événement n'ayant, une fois de plus, rien à voir avec Jésus) commencera l'Age d'Or ; le verset renvoie à la nécessité de passer par la crucifixion de la chair, ou de la matière, avant d'atteindre cette condition bénie de théophanie et de théopneustie intérieures (ou subjectives) (20). Si on les lit exotériquement, les mots « Iêsous Chreistos Théou Huios Sôtêr Stauros », qui signifient littéralement « Iesus, Christos, Fils de Dieu, Sauveur, Croix », fournissent un excellent support pour étayer une prophétie chrétienne — si ce n'est qu'ils sont païens et non chrétiens.

Si on demande d'expliquer les noms IESOUS CHREISTOS, la réponse est celle-ci : étudiez la mythologie, les soi-disant « fictions » des Anciens, et elles vous donneront la clef. Réfléchissez à Apollon, le dieu solaire et le « Guérisseur », et à l'allégorie concernant son fils Janus (ou Ion) (21), son prêtre à Delphes, qui était le seul canal par lequel les prières pouvaient atteindre les dieux immortels ; songez aussi à son autre fils Asclépios, appelé Sôtêr, le Sauveur. Vous avez id un feuillet du livre de l'histoire ésotérique, rédigé en tournures symboliques par les vieux poètes grecs.

La ville de Chrisa [Krisa ] (22) (la moderne Crisa) fut construite en mémoire de Kréousa (ou Créüse), la fille du roi Erechthée, et la mère de Janus (ou Ion) par Apollon, pour rappeler le danger auquel Janus avait échappé (23). Nous apprenons que Janus, abandonné par sa mère dans une grotte, « pour cacher la honte d'une vierge qui avait donné naissance à un fils », y fut découvert par Hermès ; ce dernier emmena le jeune enfant à Delphes, le nourrit près du sanctuaire et de l'oracle de son père, où, sous le nom de Chrêsis (χρησις), Janus devint d'abord un Chrêstês (un prêtre, devin, ou Initié), puis presque un chrêstêrion, « une victime sacrificielle » (24), car il échappa de peu à un empoisonnement par sa propre mère ; celle-ci, en effet, ignorante de son identité, et mue par la jalousie, l'avait pris pour un fils de son mari [Xouthos], sur la base d'une vague indication de l'oracle. Janus la poursuivit jusqu'à l'autel, avec l'intention de la tuer, mais elle fut sauvée par la pythonisse qui révéla à tous deux le secret de leur parenté. C'est ainsi qu'en souvenir de ce salut gagné de justesse, Creüse, la mère, bâtit la ville de Chrisa, ou Krisa. Telle est l'allégorie, et elle symbolise simplement les épreuves de l'Initiation (25).

Il apparaît donc que Janus, le Dieu solaire et le fils d'Apollon, le Soleil, signifie l’« Initiateur » et « Celui qui ouvre la Porte de la Lumière » (ou de la sagesse secrète des mystères), qu'il est issu de Krisa (ésotériquement Chris) et qu'il était un Chrêstos par lequel parlait le Dieu, et finalement qu'il était Ion, le père des Ioniens et, selon certains, un aspect d'Asclépios, un autre fils d'Apollon : avec ces éléments, il est facile de saisir le fil d'Ariane dans ce labyrinthe d'allégories. Toutefois ce n'est pas ici le lieu de démontrer des questions mineures en mythologie. Il suffit de faire ressortir le lien qui existe entre les personnages mythiques d'une lointaine antiquité et ce qu'on trouve dans les fables plus récentes qui ont marqué le début de notre ère de civilisation. Asclépios (Esculape) était le divin médecin, le « Guérisseur », le « Sauveur », Σωτήρ [Sôtêr], comme on l'appelait (titre également attribué à Janus de Delphes) ; et IASO, la fille d'Asclépios était la déesse de la guérison, sous le patronage de qui étaient placés tous les candidats à l'initiation dans le temple de son père — les novices ou chrêstoï, appelés « les fils d'Iasô ». (Voir pour le nom, Aristophane, Plutus, 701).

Si maintenant on se souvient, tout d'abord, que les noms renvoyant à IESUS dans leurs différentes formes (comme Iasius, Iasion, Jason et Iasus) étaient très communs dans la Grèce de jadis, spécialement parmi les descendants de Jasius (les Jasides), et qu'on se rappelle le nombre des « fils d'Iasô », les Mystaï et les futurs Epoptaï (Initiés), pourquoi ne devrait-on pas lire les paroles énigmatiques du Livre de la Sibylle à leur lumière légitime, qui n'avait aucun rapport avec une prophétie chrétienne ? La doctrine secrète enseigne que les deux premiers mots 'ΙΗΣΟΤΣ ΧΡΕΙΣΤΟΣ [IESOUS CHREISTOS] signifient simplement « fils d'Iasô, un chrêstos » ou serviteur du Dieu oraculaire. En fait, IASO ('Ιασώ) est en dialecte ionien IESO, (Ίηρώ) et l'expression Ιησους (Iêsous) — dans sa forme archaïque, ΊΗΣΟΤΣ, a simplement le sens de « fils d'Iasô ou Iêsô », la « guérisseuse », soit ό Ίησους (υίός) [ho Iêsous(huios)]. On ne peut assurément opposer aucune objection à cette interprétation, ni à l'écriture Iêso au lieu d'Iasô, vu que la forme Iasô est attique, donc incorrecte pour rendre le nom qui, lui, est ionien. Le mot Iêsô (d'où « ho Iêsous » — fils d'Iêsô — Iêsous étant un génitif et non un nominatif (26)) est ionien et ne peut être rien d'autre si on tient compte de l'âge du Livre de la Sibylle. Et la Sibylle d'Erythrée n'aurait pas pu non plus l'écrire autrement à l'origine, étant donné que son lieu de résidence, Erythrée, était une ville d'Ionie (d'après Ion, ou Janus) en face de Chios, la forme ionienne étant historiquement antérieure à la forme attique.

Si on laisse de côté dans ce cas la signification mys­tique de la sentence sibylline devenue maintenant fameuse, et si on lui donne seulement son interprétation littérale, sur l'autorité de ce qui a été dit, les mots jusqu'alors mystérieux signifieraient : « Fils d'IASO, CHRESTOS (le prêtre ou serviteur) (du) FILS du DIEU (Apollon), le SAUVEUR [qui libère] de la CROIX » — la chair ou la matière (27). En vérité, le christianisme ne pourra jamais espérer être compris tant que n'en sera pas balayée toute trace de dogmatisme et que la lettre morte n'aura pas été sacrifiée à l'éternel Esprit de Vérité, qui est Horus, qui est Crishna, qui est Bouddha autant qu'il est le Christos gnostique et le vrai Christ de Paul.

Dans l'ouvrage du Dr E.D. Clarke, cité plus haut (Travels, [vol. VII, chap. VI, pp. 239-40]), l'auteur décrit un monument païen qu'il a découvert :

[…] dans l'enceinte du sanctuaire, derrière l'autel, nous avons vu les fragments d'un bêma [plate-forme], ou d'une cathèdra [siège, banc], de marbre avec, au dos, l'inscription rapportée ci-après, exactement comme elle est reproduite ici, sans aucune partie endommagée ou effacée ; c'est peut-être le seul exemple connu d'une inscription funéraire sur un monument de cette forme remarquable.

Le texte se présente ainsi : ΧΡΗΣΤΟΣ ΗΡΩΤΟΤ ΘΕΣΑΛΟΣ ΛΑΡΕΙΣΑΙΟΣ ΠΕΛΑΣΓΙΩΤΗΣ ΕΤΩΝ ΙΗ ΗΡΩΣ, soit, mot à mot : « Chrêstos, le premier, Thessalien de Larissa, Pelasgiôte, 18 ans, Héros ».

Pourquoi Chrêstos le premier (protou) (28) ? Lue littéralement, l'inscription n'a guère de sens ; interprétée ésotériquement, elle est lourde de signification.

Comme le montre le Dr Clarke, le mot Chrêstos se trouve sur les épitaphes de presque tous les anciens ressortissants de Larissa, mais il est toujours précédé d'un nom propre. Si donc l'adjectif Chrêstos avait suivi un nom, il signifierait simplement « un homme bon », comme un compliment posthume adressé au défunt — ce qu'on trouve souvent aussi dans les épitaphes de nos tombes modernes. Mais ici, le mot Chrêstos seul, suivi de l'autre terme « protou », donne un tout autre sens, particulièrement quand le décédé est caractérisé comme un « héros ». A la réflexion d'un Occultiste, le défunt a dû être un néophyte qui avait succombé dans la 18e année de sa vie de néophyte (29), alors qu'il avait rang dans la première, ou la plus haute classe des disciples, après avoir subi en « héros » ses épreuves préliminaires, mais qu'il était mort avant le dernier mystère qui aurait fait de lui un « Christos », un être qui a reçu l'onction, en devenant un avec l'esprit de Christos ou de Vérité en lui-même. Il n'avait pas atteint le terme de la « VOIE », bien qu'il ait héroïquement affronté et surmonté les horreurs des premières épreuves théurgiques.

Nous nous trouvons tout à fait justifiée à déchiffrer ce texte de cette façon en apprenant en quel endroit le Dr Clarke a découvert la tablette, c'est-à-dire (comme le remarque Godfrey Higgins) là même « où j'aurais dû m'attendre à la trouver : à Delphes, dans le temple du Dieu appelé IE », lequel avec les chrétiens est devenu Jah, ou Jehovah — identique au Christ Jésus. L'endroit est au pied du Parnasse, dans un gymnase « jouxtant la fontaine Castalie alimentant un cours d'eau qui coulait près des ruines de CRISSA — probablement la ville dénommée [aujourd'hui] Crestona — pour se jeter dans la baie de Crissa ». Ajoutons [ces précisions données par Higgins] : « Dans sa première partie après la fontaine [Castalie], le cours d'eau sépare les restes du GYMNASE (où s'élève actuellement le Monastère de Panaja) du village de Castri, comme il séparait probablement ce gymnase de l'ancienne cité de Delphes […] » — le siège du grand oracle d'Apollon, de la ville de Krisa (ou Kréousa), le grand centre des initiations et des Chrêstoï des décrets des oracles, où les candidats au dernier travail étaient oints d'huiles sacrées (30) avant d'être plongés dans leur ultime transe de quarante-neuf heures (comme c'est encore le cas en Orient), d'où ils ressuscitaient comme des adeptes glorifiés, ou des Christo ».

D'après Gerald Massey (« Le nom et la nature du Christ ») :

[...] dans les Reconnaissances clémentines, on apprend que le père a oint son fils avec de l'huile extraite « du bois de l'Arbre de Vie et que, pour cette onction, ce fils est appelé le Christ » ; d'où le nom Christian[os]. Mais ceci est encore d'origine égyptienne. Horus fut le fils oint du père. Le mode d'onction à partir de l'Arbre de Vie, qu'on voit représenté sur les monuments, est très primitif en vérité ; et le personnage de l'Horus d'Egypte a trouvé un successeur dans le Christ gnostique, qui est figuré sur les pierres gnostiques comme le lien médiateur entre le Karest et le Christ, également comme l'Horus bisexué.

M. G. Massey relie ainsi le Christos ou Christ grec au Karest égyptien, « la momie image type d'immortalité » et il en donne la preuve très complète. Il commence par dire que la « Parole de Vérité », en égyptien, se dit « Ma-Kherou (31), et que c'est le titre d'Horus. Ainsi, comme il le fait ressortir, Horus a précédé le Christ comme le Messager de la Parole de Vérité, le Logos, ou celui qui manifeste la -nature divine dans l'humanité. Dans le même essai, l'auteur écrit :

La Gnose avait trois aspects — astronomique, spirituel et — doctrinal — et tous trois peuvent être identifiés au Christ d'Egypte. Dans l'aspect astronomique, la constellation d'Orion est appelée le Sahu, ou la momie. L'âme d'Horus était représentée comme se relevant d'entre les morts et montant au Ciel dans les étoiles d'Orion. L'image de la momie figurait l'être préservé, sauvé, constituant ainsi un portrait du Sauveur, comme une figure type d'immortalité. Cette image était celle d'un mort que, selon Plutarque et Hérodote, l'on promenait, à. un banquet égyptien où les hôtes étaient invités à la regarder, et à se réjouir en mangeant et buvant parce que, lorsqu'ils mourraient, ils deviendraient ce que symbolisait l'image : ils seraient immortels. A ce type d'immortalité on donnait le nom de Karest, ou Kamst, et il représentait vraiment le Christ égyptien. Le verbe Kares signifie embaumer, oindre, préparer la momie comme l'image type de l'éternel : une fois prête, elle prenait le nom de Karest ; si bien qu'il ne s'agit pas ici seulement de faire correspondre un nom à un autre, le Christ à Karest [par une simple homonymie].

Nous sommes ainsi en mesure d'aller au-delà d'un mot grec, signifiant celui qui a été oint, ou enduit de graisse, et d'identifier un déterminatif dans le domaine des choses.

Cette image du Karest était emmaillotée dans un tissu sans couture — le vêtement même du Christ ! Quelle que soit la longueur de la bandelette — et certaines enveloppes de momies déroulées ont pu atteindre plus de 900 mètres de longueur, la trame était d'un bout à l'autre sans couture [...].

Cette enveloppe sans couture enrobant le Karest égyptien est une image très parlante qui annonce le Christ mystique : celui-ci devient personnage historique dans les évangiles, comme porteur d'une tunique, ou. chitôn, ne comportant aucune couture — ce dont ni le grec ni l'hébreu ne rendent compte pleinement, mais qui s'explique par le Ketu égyptien désignant le tissu de la bandelette, et par la robe ou l'emmaillotement sans couture qui devait servir pour l'éternité et que portait la momie-Christ, l'image d'immortalité dans les tombes d'Egypte [...]

[...] En outre, Jésus est mis à mort en conformité avec les instructions données pour préparer le Karest. Pas un os ne doit être brisé : le vrai Karest doit être parfait dans chacun de ses membres. « C'est celui qui ressort intact ; celui que les hommes ne connaissent pas — tel est son nom. »

Dans les évangiles, Jésus se relève avec tous ses membres intacts, à l'image du Karest parfaitement préservé, en représentant ainsi la résurrection physique de la momie. Mais, dans l'original égyptien, la momie se transforme. Le défunt déclare : « Je suis spiritualisé. Je suis devenu une âme. Je me lève comme un Dieu ». Cette transformation en l'image spirituelle, le Ka, a été passée sous silence dans l'évangile et il en résulte que le Christ chrétien n'est ni physique ni spirituel ; les images fournies par la Gnose ont continué sans la Gnose. [pp. 9-10].

... Cette façon d'épeler le nom comme Chrest, ou Chrést, en latin, est d'une importance extrême, car elle me permet de prouver l'identité avec le Karest, ou Karust égyptien, du nom du Christ en tant que momie embaumée, laquelle était l'image de la résurrection dans les tombes d'Egypte, le modèle type de l'immortalité, à la ressemblance de l'Horus qui avait ressuscité, et tracé, pour ceux qui étaient ses disciples, ou ses fidèles, la voie conduisant hors du sépulcre. Bien plus, cette image du Karest, ou de la momie-Christ, est reproduite dans les catacombes de Rome. Sur aucun des premiers monuments chrétiens, on n'a trouvé de représenta­tions de la résurrection de Jésus prétendue historique. Mais, au lieu de ce fait dont on ne voit pas la trace, nous trouvons la scène de Lazare relevé d'entre les morts. On la voit dépeinte mainte et mainte fois comme la résurrection exemplaire, alors qu'il n'y a en fait aucune résurrection réelle. La scène n'est pas en complet accord avec la sortie du tombeau évoquée dans l'évangile : elle est purement égyptienne, et Lazare est une momie égyptienne ! Ainsi, dans chacune de ces représentations, Lazare est en fait la momie image type de la résurrection : Lazare est le Karest, qui était le Christ égyptien, et qu'on voit reproduit par l'art gnostique dans les Catacombes de Rome sous la forme du Christ gnostique lequel n'était pas un personnage historique et n'a pas pu le devenir.

En outre, comme la chose est égyptienne, il est probable que le nom de Lazare provient de l'égyptien. S'il en est ainsi, Laz (équivalent de Ras) signifie être dressé, tandis que aru désigne la momie par son nom. Avec le s terminal grec, on arrive à « Lazarus ». Dans le processus d'anthropomorphisation du mythe, la représentation symbolique de la résurrection trouvée dans les tombes de Rome et d'Egypte allait devenir l'histoire de Lazare relevé d'entre les morts. Ce Karest image du Christ dans les catacombes ne se limite pas à Lazare [pp. 12-13].

En gardant en vue cette image type du Karest, on peut retrouver dans les tombes d'Egypte ce que seraient plus tard le Christ et les chrétiens. La momie était faite à cette ressemblance du Christ. C'était nommément le Christ, identique aux Chrestoï des inscriptions grecques. Ainsi, les défunts honorés, qui se relevaient comme les fidèles d'Horus-Ma-kherou, la Parole de Vérité, représentent sur les monuments égyptiens les chrétiens, οί χρηστοί [hoï chrestoïl. Ma-Kherou est le terme qui est toujours appliqué aux fidèles qui gagnent la couronne de vie, et la portent à la fête appelée « Venez à moi » — invitation faite par Horus le Justificateur à ceux qui sont « les bénis de son père, Osiris », ceux qui pour avoir pris la Parole de Vérité comme la loi de leur vie étaient les 'justifiés » = οί χρηστοί [hoï chrêstoïl, les chrétiens, sur la terre [p.12].

Dans une représentation du 5e siècle de la Madonne et de l'Enfant, trouvée au cimetière de st Valentin, le nouveau-né, couché dans une boîte ou une mangeoire, est aussi l'image même du Karest, ou de la momie type, qu'on identifie en outre comme l'enfant divin du mythe solaire, par le disque du soleil et la croix des équinoxes figurés derrière la tête du nourrisson. C'est ainsi qu'on voit naître l'enfant-Christ de la foi historique : visiblement, il commence comme l'image de Karest du Christ mort, qui représentait la momie comme symbolisation de la résurrection en Egypte, des mi1liers d'années avant l'ère chrétienne. Ceci redouble la preuve que le Christ des catacombes chrétiennes était une survivance du Karest égyptien.

 Egalement, comme le montre Didron, il y a eu un portrait du Christ avec le corps peint en rouge (32). C'était une tradition populaire que Jésus avait un teint rouge. Cela aussi peut s'expliquer comme une survivance de la momie-Christ. Ce fut une coutume ancienne des aborigènes de colorer les choses en rouge pour les rendre tabou. Le cadavre était recouvert d'ocre rouge — une façon très primitive de réaliser la momie, ou l'« oint »'. C'est ainsi que le dieu Ptah dit à Ramsès II qu'il a « refaçonné sa chair en vermillon ». Ajoutons à cela que les Initiés aux mystères grecs étaient enduits ou oints d'argile (cf. Démosthène, De corona, 313). Ce badigeon d'ocre rouge est appelé Kura par les Maoris, qui ont à leur manière reproduit le Karest ou Christ.

Nous pouvons voir la continuation de l'image de la momie selon une autre ligne de transmission quand nous apprenons que, parmi d'autres hérésies pernicieuses et péchés mortels dont étaient accusés les chevaliers Templiers, se trouvait la coutume impie d'adorer une momie qui avait les yeux rouges. Leur idole — le Baphomet — passe aussi pour avoir été une momie [...]. La momie fut la toute première image humaine du Christ.

Je ne doute pas que les anciennes fêtes romaines appelées charistia aient été, à leur origine, reliées au Karest et à l'Eucharistie comme célébration en l'honneur des mânes des défunts proches, en souvenir de qui les célébrants se réconciliaient lors de cette amicale assemblée une fois l'an.

C'est ici, par conséquent, que nous devons chercher la liaison essentielle entre le Christ égyptien, les chrétiens et les catacombes romaines. Ces mystères chrétiens dont on dit, dans l'ignorance où l'on est, qu'ils sont inexplicables, peuvent être expliqués par la connaissance de la Gnose et de la mythologie, mais d'aucune autre façon. Ce n'est pas qu'ils soient insolubles par la raison humaine comme le prétendent aujourd'hui leurs interprètes incompétents (bien que grassement payés !) Ce caractère « inexplicable » n'est que l'excuse puérile des personnes non qualifiées pour leur ignorance sans remède, elles qui n'ont jamais été en possession de la Gnose, ou de la science des Mystères, par laquelle seulement ces choses peuvent être expliquées en conformité avec leur genèse naturelle. C'est seulement en Egypte qu'on peut déchiffrer le problème jusqu'à sa racine, ou identifier l'origine du Christ par sa nature et par son nom, et découvrir finalement que le Christ était la momie type, notre christologie étant en définitive une mythologie momifiée. [pp.13­14] (Agnostic Journal, 1888).

Ce qui précède est une explication sur des bases purement scientifiques, dans un esprit un peu trop matérialisant, précisément à cause de cette science, bien que l'auteur soit un spiritualiste notoire. L'Occultisme pur et simple trouve, dans la foi chrétienne comme dans les autres, les mêmes éléments mystiques, bien qu'il en rejette tout aussi catégoriquement le caractère dogmatique et historique. C'est un fait que, dans les termes 'Ιησους ό χριστός  [Iêsous ho Çhristos] (cf. Actes, 5, 42 ; 9, 34 ; 1. Cor. 3, 11, etc.), l'article ό [ho] accolé à « Christos » montre qu'il s'agit simplement d'un surnom, comme dans le cas de Phocion désigné sous l'appellation de Φωκίων ό χρηστός [Phôkiôn ho chrêstos] (Plutarque, Vies). Toutefois, le personnage (Jésus) ainsi nommé — à quelque période qu'il ait vécu — fut un grand Initié et un « Fils de Dieu ».

Car, nous le répétons, le surnom de Christos est basé sur des événements antérieurs à lui dans le temps, tout comme l'histoire de la crucifixion qui en est dérivée. Partout, en Inde comme en Egypte, en Chaldée comme en Grèce, toutes ces légendes ont été fondées sur une seule et même image type primitive : le sacrifice volontaire des Logoï — les rayons du LOGOS unique, émanation directe, manifestée, de l'Un, Infini et Inconnu, à jamais caché — lesquels rayons se sont incarnés dans l'humanité. Par le fait qu'ils ont consenti à tomber dans la matière, ils sont appelés les « Déchus » (33). C'est là un de ces grands mystères que l'on ne peut guère aborder dans un article de revue mais qui sera pris en considération, d'une façon très complète, dans un ouvrage particulier que je vais publier, La Doctrine Secrète (34).

Ayant dit tout cela, il me reste quelques autres faits à ajouter à propos de l'étymologie des deux termes. Du fait que, d'une part, χριστός [Christos] est en grec l'adjectif dérivé du verbe χρίω [chriô (pris au passif)], d'où le sens de « frotté » (par exemple d'un onguent ou d'un baume), le mot finissant par signifier l’« Oint » dans la théologie chrétienne et du fait, d'autre part, que Krî, en sanskrit (la première syllabe du nom de Krishna) évoque l'idée de « verser, répandre, recouvrir [d'un 'enduit] (35) », parmi bien d'autres choses, ceci peut conduire tout aussi facilement à faire un « Oint » de Krishna. Les philologues chrétiens essaient de limiter la signification du nom de Krishna à son [sens d'] origine Krish[na], « noir ». Mais si on analyse avec plus de soin l'analogie et la comparaison entre les racines sanskrites et grecques contenues dans les termes Chrêstos, Christos et Chrishna on découvre qu'ils ont tous même origine (36).

M. G. Massey indique encore (cf. « Le nom et la nature du Christ », The Agnostic Annual [1888, p.12]) :

Dans les Inscriptions chrétiennes de Böckh, qui sont au nombre de 1287, il n'y a pas un seul exemple antérieur au 3e siècle où le nom ne soit pas écrit Chrêst ou Chreist.

Cependant, aucun de ces noms ne peut être expliqué, comme l'imaginent certains orientalistes, sur la seule base de l'astronomie et de la connaissance des signes zodiacaux en liaison avec des symboles phalliques. La raison en est que, tandis que les symboles sidéraux des personnages ou personnifications mystiques, dans les Pûrana ou la Bible, remplissent des fonctions astronomiques, leurs contreparties spirituelles régentent invisiblement, mais très efficacement, le monde. Elles existent comme des abstractions sur le plan supérieur, comme des idées manifestées sur le plan astral, et deviennent des pouvoirs mâles, femelles et androgynes sur le plan inférieur qui est le nôtre. Les signes du Scorpion, en tant que Chrêstos-Meschiah', et du Lion, comme Christos-Messie, ont précédé de beaucoup l'ère chrétienne dans les épreuves et triomphes de l'Initiation au cours des Mystères, le Scorpion se présentant comme un symbole de ces épreuves, et le Lion comme celui du triomphe glorieux du « soleil » de vérité. La philosophie mystique de cette allégorie est bien comprise par l'auteur de La Source des Mesures [J.R. Skinner] qui écrit :

[…] L'un des deux [Chrêstos], en s'amenant lui-même à descendre dans la fosse [du Scorpion, ou l'incarnation dans la matrice] pour le salut du monde, représentait le soleil privé de ses rayons d'or, et couronné de rayons noircis (37) (symbolisant cette perte), à l'image des épines ; l'autre était le Messie triomphant, élevé jusqu'au sommet de l'arche du ciel représenté comme le Lion de la tribu de Juda. Dans les deux cas, il avait la croix, mais ici figuré en humiliation (ou comme le fils de la copulation) et tenant cette croix sous son pouvoir, comme la loi de la création, et étant alors Jehovah [...]

cela dans le système des 'auteurs du christianisme dogmatique. Car, comme le montre encore le même auteur, Jean, Jésus, et même Apollonius de Tyane, n'ont fait que « répéter en abrégé l'histoire du même soleil, avec des différences d'aspect et de condition » (38). Selon lui, l'explication...

est assez simple quand on considère que les noms de Jésus (hébreu : יש) [ou יחזשוע] et d'Apollonius, ou Apollon, désignent de façon similaire le soleil dans les cieux ; et, nécessairement, l'histoire de l'un, dans ses voyages à travers les signes — avec les personnifications de ses souffrances, triomphes et miracles — ne pourrait être que l'histoire de l'autre, là où il existait, très largement répandue, une méthode commune de description de ces voyages en recourant à la personnification.

Le fait que l'Eglise séculière fut fondée par Constantin, et que ce fut une partie de son décret « que le jour vénérable du Soleil fût le jour » réservé au culte de Jésus-Christ, comme jour du Soleil (39), montre que l'on savait bien dans cette « Eglise du Siècle » que l'allégorie « reposait sur une base astronomique », comme l'affirme l'auteur cité [Skinner]. Cependant, une fois encore, le fait que les Purâna, aussi bien que la Bible, soient pleins d'allégories solaires et astronomiques ne milite pas contre cette vérité que toutes les Ecritures, en dehors de celles-ci, sont aussi des livres scellés pour les érudits « faisant autorité » ( !). Et cela ne change rien non plus à cette autre vérité que tous ces systèmes ne sont pas l'œuvre de l'homme mortel et n'ont pas été inventés par lui, dans leur origine et leur fondement.

Ainsi « Christos », sous quelque nom qu'on le désigne, signifie plus que Karest, une momie, ou même « l'Oint », et l'élu de la théologie. Ces deux derniers termes s'appliquent à Chrêstos, l'homme de douleur et de tribulation, dans ses états physiques, mentaux et psychiques, et tous deux ont rapport avec la condition désignée en hébreu par Meshiah' [Mashiah' (40)] (d'où le nom de Messie), si on s'en tient à l'étymologie (41) donnée par Fuerst, et par l'auteur du livre The Source of Measures, p.255. Christos est la couronne de gloire du Chrêstos souffrant des Mystères, considéré comme le candidat à l'UNION finale, quelles que soient sa race et sa croyance. A celui qui suit vraiment l'ESPRIT DE VERITE, il importe peu, en conséquence, que Jésus, comme homme et comme Chrêstos, ait vécu durant l'ère chrétienne, ou avant, ou même n'ait jamais existé du tout. Les Adeptes, qui ont vécu et sont morts pour l'humanité, ont existé absolument dans tous les âges, et nombreux sont les hommes bons et saints de l'Antiquité qui ont porté le surnom ou le titre de Chrêstos avant que naisse Jésus de Nazareth, ou Jésus (Jéhoshua) Ben Pandira (42). On est donc en droit de conclure, à juste raison, que Jésus, ou Jéhoshua, fut, comme Socrate, comme Phocion, comme Théodore et tant d'autres, surnommé Chrêstos , c'est-à-dire « le bon, l'excellent », l'aimable et le saint Initié, qui montra la « voie » conduisant à l'état de Christos, et ainsi devint lui-même « la Voie » dans le coeur de ses admirateurs enthousiastes. Comme tous les hommes qui ont « le culte du héros », les chrétiens ont tenté de rejeter à l'arrière-plan tous les autres Chrêstoï qui leur sont apparus comme des rivaux de leur Homme-Dieu. Mais si la voix des MYSTERES s'est tue depuis de nombreux siècles en Occident, s'il y a bien longtemps qu'Eleusis, Memphis, Antium, Delphes et Crêsa sont devenus les tombes d'une Science jadis aussi colossale en Occident qu'elle l'est encore en Orient, il existe aujourd'hui des successeurs qui y sont préparés. Nous sommes en 1887 et le dix-neuvième siècle est bien près de sa mort. Le vingtième siècle a d'étranges développements en réserve pour l'humanité, et pourrait même être le dernier de son ère (43).

H.P. Blavatsky.

Deuxième partie d'un article de H.P.B. publié dans la revue Lucifer, en trois parties. Voir le Cahier Théosophique n°162 pour la première partie. (N.d. Ed.). © Textes Théosophiques, Cahier Théosophique n°163.

(à suivre)

Notes

(1) Cf. Liddell et Scott, Greek-English Lexicon.

(2) [Le classique Dictionnaire Grec-Français de Bailly signale quatre verbes chraô et non un seul, avec des sens différents : 1) fondre sur ; 2) procurer ; 3) rendre un oracle, ou ordonner par un oracle ; 4) avoir besoin. Au moyen (conjugaison à forme passive mais à sens actif), les verbes 2 et 3 donnent chraomaï l'un et l'autre, mais à nouveau avec des sens différents : 2) se servir de (d'où le mot chrêstos = dont on peut se servir, donc : de bonne qualité, utile, bienfaisant, bon, etc.) et 3) consulter un oracle. Dans les composés pythocrêstos et théochrêstos, le mot chrêstos est évidemment à rattacher à chraô 3, et non à chraô 2 (comme c'est le cas pour le mot chrêstos utilisé seul). Au passif, la forme du verbe 3, qui est aussi chraomaï, signifie : être annoncé, ou voué à un sort, par l'oracle.]

(3) Hérodote (Histoire VII, 111) explique le mot χρεών [chréôn] comme ce qu'exprime un oracle, et pour Plutarque (Vies, Nicias, 533 a), το χρεων (to chréôn) a le sens de « destin », « nécessité ». Cf. Herod. (VII, 215; V, 109) et Sophocle (Philoctète, 437). [N.B. Dans le premier cas le mot dérive du verbe chraô (rendre un oracle), dans le second, c'est le participe présent neutre du verbe impersonnel chrê (= il faut, il est nécessaire, d'où : il est fatal).]

(4) Cf. Liddell et Scott, Greek-English Lexicon.

(5) Par conséquent, un Guru (un « instructeur ») et un chéla (un « disciple »), dans leurs relations mutuelles.

(6) Dans son ouvrage récent, The Ear/y Days of Christianity [= Les premiers jouis du christianisme] le chanoine Farrar remarque : « Ps. XXXIV, 8, χρηστος 'doux' (Aug. dulcis, Vulgate, suavis). Cf. Luc 5, 39 ; 6, 35. Certains ont supposé un plaisant jeu de mots, expliqué par iotacisme [passage du ê, ou eï, au i], entre chrêstos (doux) et Christos (Christ)... » (vol. 1, note p. 158). Mais il n'y a rien à « supposer » puisque, en vérité, la chose a commencé par un « jeu de mots ». Le nom de Christus n'a pas été « déformé en Chrêstos » comme le savant auteur voudrait le faire croire à ses lecteurs (1, p.19), mais c'est l'adjectif et nom Chrêstos qui a été déformé en Christus et appliqué à Jésus. Dans une note sur le mot « Chrêstianos » [χρηστιανος] qu'on trouve dans la première épître de Pierre (4, 16) — où il a été changé en Christianos [χριστιανος] dans les manuscrits ultérieurs révisés, le chanoine Farrar remarque encore : « [...] peut-être faudrait-il lire ici la forme altérée Chrêstian[os) due à l'ignorance païenne [...] » (1, note p.171). Assurément, c'est ce qu'il faudrait ; car l'éloquent auteur devrait bien se rappeler que son Maître a commandé de rendre à César ce qui est à César. Malgré sa répulsion, M. Farrar est obligé d'admettre que l'appellation Christian[os] fut d'abord due à une INVENTION des gens d'Antioche, par moquerie et dérision [cf. Actes, 11, 26] dès l'année 44 ap. J.-C., mais qu'elle ne devint pas d'usage courant avant la persécution de Néron. L'auteur déclare (1, note p.147) : « Tacite (Annales, XV, 44) emploie le mot 'Christianus' avec une sorte de réserve pour s'excuser. Il est bien connu que, dans le Nouveau Testament, on ne le trouve que trois fois, et toujours avec une nuance d'hostilité (Actes Il, 26 et 26, 28) comme dans 1, Pierre, 4, 16 ». Cependant, ce ne fut pas seulement l'empereur Claude seul qui considéra avec inquiétude et suspicion ceux auxquels on donnait le sobriquet de chrétiens [en latin : christiani] pour leur idée de donner chair à un principe ou un attribut subjectif, mais bien toutes les nations païennes. Car Tacite, parlant de ceux que les masses appelaient « christiani », les décrit comme un groupe d'hommes détestés pour leurs énormités et leurs crimes. Ce qui n'a rien de surprenant, car l'histoire se répète. Sans aucun doute, il y a de nos jours des milliers d'hommes et de femmes nés chrétiens qui sont nobles, sincères et vertueux. Mais il n'y a qu'à voir le caractère vicieux des « païens » convertis en chrétiens, la moralité [douteuse] des prosélytes gagnés en Inde que les missionnaires eux-mêmes refusent de prendre à leur service, pour faire un parallèle entre les convertis d'il y a 1800 ans et les païens modernes « touchés par la grâce ». [N.B. Dans les 3 passages du N.T. où le mot chrétien apparaît, il est orthographié en grec différemment selon les manuscrits primitifs. Codex Sinaïticus (4e siècle) : chrêstianos, Codex Vaticanus (4e siècle) : chreistianos, Codex Alexandrinus (Se siècle) : christianos.]

(7) Justin Martyr, Tertullien, Lactance, Clément d'Alexandrie et d'autres ont écrit le mot de cette façon.

(8) [Voir note 1].

(9) [Il existe une foule de mots composés avec théos (Dieu, ou divin) comme tliéodidaktos, le surnom d'Ammoniùs Saccas (= instruit par la divinité)].

(10) Cf. le dictionnaire grec-anglais de Liddell et Scott, Greek-Eng/is/i Lexicon. Est appelé chrêstos réellement celui qui est continuellement averti, conseillé, guidé, par un oracle ou un prophète. M. G. Massey n'est pas correct en disant : « La forme gnostique du nom Chrêst, ou Chrêstos, a pour sens le Dieu bon et ne renvoie pas d'abord à une personne humaine », car précisément il s'applique à un être humain en désignant un homme bon, saint ; mais l'auteur a tout à fait raison quand il ajoute que chrêstianus sous-entend « douceur, bonté, ou bienveillance — une version primitive de ce que Matthew Arnold a voulu dire par « Douceur et Lumière ». [Dans un autre passage du même texte, M. Massey ajoute :] « Les Chrêstoï, en tant que gens caractérisés par leur bonté, les 'bons', ont existé bien avant. De nombreuses inscriptions grecques montrent que le décédé, le héros, le saint — en d'autres termes, le « bon » — était appelé Chrêstos, ou le Christ ; et c'est de ce sens ('l'être bon') que Justin, le premier apologiste, a fait dériver le nom de 'chrétien'. Ce qui l'identifie avec la source gnostique, et avec le 'Dieu bon' qui s'est révélé, selon Marcion —ce qui renvoie dans la théologie égyptienne à l'Un-Nefer, ou « l'Etre bon » [« qui a le coeur ouvert » et ouvre la voie du bonheur]. (Agnostic Annual).

(11) [Référence incomplète, due peut-être à une faute d'impression.]

(12) [Voir plus haut :pythochrêstos et note 1.]

(13) Ici encore, je dois faire état de ce qu’a dit M. G. Massey (que je cite à maintes reprises, vu qu'il a étudié ce sujet d'une façon très complète et consciencieuse) : « Ma thèse, ou plutôt mon explication, c'est celle-ci : celui qui a: donné naissance au mot Christ-ien c'est la momie-Christ [en anglais : the Mummy-Christ) des Egyptiens, appelée le Karest, qui était une image de l'esprit immortel dans l'homme, le Christ intérieur (selon Paul), le divin rejeton incarné, le Logos, la Parole de Vérité, le Ma-kherou de l'Egypte. A l'origine, il ne s'agissait pas d'une simple image type. La momie préservée était le corps mort de tout homme qui était Karest, ou momifié, corps qui devait être conservé par les vivants ; et, par une répétition constante, cela finit par devenir une image type de la résurrection d'entre les morts — non des morts ! » [Agnostic Journal, 1888, p.11]. Voir l'explication donnée dans la suite.

(14) [A signaler que les éditions des oeuvres de Clément disponibles actuellement (comme la Patrologie de Migne, publiée en 1891) ne portent pas le mot Chrêstos mais Christos (latin : Christus) ; et ceux qui croient en lui y sont appelés chrestoï (latin : chresti), non chrêstiens (chrêstianoï).]

(15) [Le terme « new Platonist » employé par H.P.B. ne peut guère être rendu par « néoplatonicien » — mot qui qualifie généralement Ammonius Saccas et ses disciples. Clément était devenu un chrétien notoire quand Ammonius commença son instruction.]

(16) [En grec :] Lydda [ancienne ville biblique, Lod est à 20 km de Tel-Aviv]. Référence est faite ici à la tradition rabbinique qu'on trouve dans la Gemara babylonienne, intitulée Sepher Toldoth Jeshu [voir 1ère partie, Cahier n°162, p.12], selon laquelle Jésus aurait été le fils d'un certain Pandira [ou Panthera] et aurait vécu un siècle avant l'ère chrétienne, plus précisément pendant le règne du roi juif Alexandre Jannée, et de sa femme Salomé, qui a duré de 106 à 79 av. J.-C. Accusé par les Juifs d'avoir appris l'art magique en Egypte et dérobé, dans le Saint des Saints, le Nom Incommunicable, ce Jéhoshua (Jésus) aurait été mis à mort par le sanhédrin à Lod. Il aurait été lapidé puis crucifié sur un arbre, la veille de la Pâque. Le récit est attribué aux auteurs talmudiques des traités Sotah [IX, 47 a] et Sanhédrin [XI, 107 b] cités p.19 du Livre de Jéchiel Voir Isis Unveiled, II, 201 ; Arnobe [Adv. Gentes, l, 43] ; Eliphas Lévi, La Science des Esprits [éd. 1909, pp. 23-40] et la conférence de G. Massey, « The Historical Jesus and Mythical Christ » [= « Le Jésus historique et le Christ mythique ».]

(17) Tertullien écrit : « Christianus vero, quantum interpretatio est, de unctione deducitur. Sed et cum perperam Chrestianus pronunciatur a vobis (nam nec nominis certa est noticia penes vos) de suavitate vel benignitate compositum est » [= A vrai dire, le mot christianus, pour ce qui est de son interprétation, est à rattacher à l'acte d'onction. Mais quand il est prononcé incorrectement par vous chrestianus (car vous n'avez même pas une connaissance correcte du nom lui-même) il est dérivé de l'idée de « douceur » ou de « bonté »]. Le chanoine Farrar fait un grand effort pour montrer que ce lapsus calami chez divers Pères résulterait d'une désaffection ou d'une peur. Dans The Ear/y Days of Christianity (1, 60) il écrit : « On ne peut guère douter [ou] que l'appellation 'Christianus' [...] ait été un sobriquet dû à l'esprit de dérision des gens d'Antioche [...] Il est clair que les auteurs sacrés ont évité l'usage de ce nom, parce qu'il était employé par leurs ennemis [...] (Voir Tacite, Annales, XV, 44). C'est seulement lorsque les vertus des chrétiens lui ont donné du lustre qu'il est devenu familier [...] ». Voilà une excuse bien boiteuse et une explication bien pauvre pour un penseur aussi éminent que le chanoine Farrar. Quant aux « vertus des chrétiens » qui ont pu jamais donner du lustre à leur nom, espérons que l'auteur n'avait en vue comme exemples ni Cyrille, l'évêque d'Alexandrie, ni Eusèbe, ni l'empereur Constantin à la réputation de meurtrier, ni les papes Borgia, ni la Sainte Inquisition.

(18) Cité par Higgins (Anacalypsis, vol. I, p. 570).

(19) [Ce passage est généralement rendu ainsi : « Qu'il [le Père] fasse habiter le Christ en vos coeurs par la foi ».]

(20) [Théophanie : apparition, manifestation d'une divinité (p. ex. dans les rites initiatiques) — pour les chrétiens : la nativité de J.-C. Théopneustie : inspiration par l'effet du souffle (pneuma) ou Esprit divin.]

(21) [Dans tout le passage qui suit, H.P.B. identifie Ion (héros antique qui a donné son nom aux Ioniens, considérés comme les premiers Grecs) et Janus, une des plus anciennes divinités du panthéon romain. La tragédie grecque d'Euripide, Ion, qui retrace la légende du personnage, ignore le nom latin de Janus.]

(22) Aux temps d'Homère, cette ville, célèbre jadis pour ses mystères, nous apparaît comme le principal siège de l'Initiation, et le nom de Chrêstos y était employé comme un titre, pendant les mystères. Elle est mentionnée dans l'Iliade (II, 520) sous la forme Krisa (Κρισα) [en ionien : Krisé]. Le Dr Clarke a soupçonné la présence de ses ruines sous le site actuel de Krestona, petite ville (ou village, plus exactement) de Phocide, près de la baie de Crissa. (Voir E.D. Clarke, Travels in various Countries of Europe, Asia and Africa [= Voyages en divers pays d'Europe, d'Asie et d'Afrique], 4e éd. chap. VI, « Lebadea to Delphi », p. 239).

(23) Les racines de χρητός (Chrêtos) et χρηστός (Chrêstos) sont identiques ; c'est le verbe χράω [chraô], qui [au moyen, voir note 2] a pour signification « consulter l'oracle », dans un sens, mais, dans un autre, également : « consacrer », mettre à part, attacher à un temple ou un oracle, ou vouer au service d'un oracle. Par ailleurs, χρε [chré] (de χρεώ [chréô] veut dire « obligation », dette, devoir, ce qui renvoie à celui qui est sous l'obligation de serments, ou de vœux, qu'il a prononcés [Voir note 2]

(24) Le terme χρηστός [chrêstos] fut aussi employé comme adjectif apposé à des noms propres, à titre de compliment, comme dans Platon (Théétète, 166 A) : « οΰτος δη ό Σωκράτης ό χρηστός » [houtos ho Sôcratês ho chrêstos], « voici Socrate le Chrêstos » [= voilà bien le brave Socrate !] ; également à titre de surnom, comme on en voit un exemple chez Plutarque (Vies, Phocion, 746 c) qui se demande comment un personnage aussi rude et austère que Phocion a bien pu être surnommé Chrêstos [= Bon].

(25) Il y a pour un Occultiste d'étranges aspects, tout à fait suggestifs, dans ce mythe de Janus (s'il s'agit bien d'un mythe). Certains font de Janus [le dieu latin] la personnification de Kosmos, d'autres, de Coelus (le ciel); il a donc un « double visage » en raison de son double caractère d'esprit et de matière; et n'est pas seulement « Janus bifrons » (à deux visages) mais aussi quadrifrons [à quatre visages] — le carré parfait, l'emblème de la Déité de la Kabbale. Ses temples furent construits à quatre côtés égaux, avec une porte et trois fenêtres sur chaque côté. Pour les mythologues, il s'agit d'une représentation des quatre saisons de l'année et des trais mois de chaque saison et, dans l'ensemble, des douze mois annuels. Toutefois, au cours des mystères de l'Initiation, Janus devenait le Soleil du Jour et le Soleil de la Nuit. C'est pourquoi on le voit souvent figuré avec dans une main le nombre 300 [en chiffres romains : CCC] et dans l'autre le nombre 65 [= LXV], ce qui totalise les jours de l'année solaire. Si maintenant on pense à H'anokh [חנןך = « initié », ou « initiant »] (Henoch ou Enoch dans la Bible), il constitue — comme on peut le montrer sur l'autorité de la Kabbale — un seul et même personnage, qu'il soit fils de Caïn, fils de Seth [sous le nom d'Enos, אנןש], ou fils [de Jared, père] de Mathusalem. En tant que H'anokh (selon Fuerst) « il est l'Initiateur, l'Instructeur — à l'origine du cercle astronomique et de l'année solaire » : si on considère l'Enoch qui fut le père de Mathusalem, il passe pour avoir vécu 365 ans, [cf. Genèse, 5, 23] et avoir été enlevé vivant au ciel, comme représentant du Soleil (ou Dieu). (Voir Livre d'Enoch). Ce patriarche a bien des traits communs avec Janus, lequel est Ion exotériquement, mais IAO du point de vue de la Kabbale, ou Jehovah, le « Seigneur Dieu de la Génération », le mystérieux Yod, ou UN (nombre phallique). Car Janus, ou Ion, est aussi surnommé Consivius [= le planteur], du fait qu'il préside à la génération. Il est représenté comme donnant l'hospitalité à Saturne (Chronos, le temps) [chassé de Grèce par Jupiter] et il est l'Initiateur de l'année, ou le temps divisé en 365.

(26) [Le nominatif est la forme normale du mot employé comme sujet du verbe, attribut, etc., le génitif étant la forme du complément de nom. Ici : le fils (nominatif) d'Iêsô (génitif)]

(27) Stauros n'est devenu la croix, l'instrument de la crucifixion, que bien plus tard, quand on a commencé à le représenter comme un symbole chrétien et avec la lettre grecque T (ou Tau [majuscule]) (cf. Lucien [de Samosate], Judicium Vocalium). Son sens primitif était phallique, symbolisant les éléments mâle et femelle — le grand serpent de la tentation, le corps qui devait être tué ou soumis par le dragon de la sagesse, le Chnouphis solaire à 7 voyelles, ou l'Esprit de Christos pour les gnostiques, ou encore Apollon tuant Python.

(28) [A noter que protou, comme génitif de protos, signifierait plutôt : du premier ou, éventuellement, fils de Protos.]

(29) Aujourd'hui encore, en Inde, le candidat perd son nom, et aussi son âge (tout comme en Maçonnerie) — de même que, dans le christianisme, les moines et les nonnes reçoivent lin autre nom en entrant dans les ordres, ou en prenant le voile — et il commence à compter ses années à partir du jour où il est accepté comme chéla et entre dans le cycle des initiations. C'est ainsi que Saül était « un enfant d'un an » quand il commença à régner, bien qu'il fat déjà pleinement adulte. Voir I Samuel, XIII, 1, et les manuscrits hébraïques, à propos de son initiation par Samuel. [Pour ces précisions sur Saül, voir E. Lévi : La Science des Esprits, réédition Trédaniel, 1976 p.30)].

(30) Démosthène (De Corona, 259 [313]) déclare que les candidats à l'initiation aux mystères grecs étaient oints d'huile. Ils le sont encore aujourd'hui en Inde, même dans l'initiation aux mystères yoguiques — où l'on utilise divers types de baumes ou d'onguents.

(31) [En caractères hiéroglyphiques, ce mot est formé du signe Ma (évoquant justice, vérité, ordre) et du signe Kh-r-ou (signifiant voix, parole). Ce qui soutient l'interprétation « parole de vérité », mais le terme s'applique souvent aussi au défunt qui est dit « justifié par la voix » après avoir plaidé son innocence devant ses juges posthumes.]

(32) Cela, parce qu'il est, d'un point de vue kabbalistique, le nouvel Adam, 1’« homme céleste »; et qu'Adam était fait de terre rouge. [H.P.B.].

(33) D'où la commémoration de la doctrine pendant les MYSTERES. La pure monade, le "dieu" s'incarnant et devenant Chrêstos — ou l'homme, dans l'épreuve de sa vie — une série de ces épreuves [subies par le candidat] l'amenait jusqu'à la crucifixion de la chair, pour gagner finalement la condition de Christos. [Voir note 35]

(34) [Cet ouvrage devait paraître l'année suivante, en octobre 1888.]

(35) [Dans le texte original, la note 33 (insérée plus haut comme un commentaire évident du texte) se trouve placée ici, sans doute par une erreur de l'imprimeur.]

(36) D'après la meilleure autorité, il apparaît que le grec Christos dérive de la racine verbale sanskrite ghrish « frotter » ; ainsi : le verbe gharshati, « frotter » [brosser, polir] et [l’adjectif] ghrishta, « [frotté, pilé, mais aussi] écorché, douloureux » [par l'effet d'un frottement, éraflé]. En outre, Krish qui, en un sens veut dire labourer, et faire des sillons, signifie aussi [dans la forme causative karshayati] causer de la douleur, « torturer, tourmenter », et grishti est « l'acte de frotter, la friction » — tous ces termes renvoyant aux états de Chrêstos et de Christos. Il faut mourir en Chrêstos, autrement dit tuer sa personnalité et ses passions, extirper toute idée de séparativité pouvant couper l'être du « Père », l'Esprit Divin dans l'homme, et devenir un avec la Vie et la Lumière (SAT) éternelles et absolues, avant de pouvoir atteindre l'état glorieux de Christos, l'homme régénéré, l'homme dans la liberté spirituelle.

(37) Les orientalistes et théologiens sont invités à relire, étudier et bien méditer l'allégorie de Vishvakarman, l’« Omnificient », le Dieu védique, l'architecte du monde, qui s'est sacrifié à lui-même, ou au monde, après avoir donné en offrande tous les mondes qui sont lui-même, dans un Sarvamedha (sacrifice général). Dans l'allégorie purânique, sa fille, nommée Yoga Siddha (« conscience spirituelle »), l'épouse de Surya, le soleil, se plaint à lui de la trop grande splendeur éclatante de son mari ; sur quoi, Vishvakarman, en sa capacité de takshaka (« artisan qui coupe et façonne le bois ») place le soleil sur son établi et rogne une partie de son éclat: dès lors, Surya apparaît comme couronné de noires épines au lieu de rayons, et devient pour l'occasion vikarttana [ou vikartita] (« privé de ses rayons »). Tous ces vocables sont des termes qui ont été utilisés par les candidats lorsqu'ils passaient les épreuves de l'Initiation. L'Hiérophante-Initiateur représentait Vishvakarman, le père, et l'artisan-producteur universel des dieux (les adeptes sur la terre), tandis que le candidat était Surya, le soleil, qui devait tuer toutes ses passions brûlantes et porter la couronne d'épines pendant qu'il crucifiait son corps, avant de pouvoir se relever et renaître à une vie nouvelle comme la "Lumière du Monde" glorifiée — Chris,tos. Il semble qu'aucun orientaliste ne se soit jamais rendu compte de cette suggestive analogie et, encore moins, n'en ait découvert l'application.

(38) Ce fait, d'après l'auteur de la Source des Mesures (p.260), « sert à expliquer pourquoi il a été fait obstacle avec tant de persistance à la traduction de la Vie d'Apollonius de Tyane, de Philostrate, et à sa lecture par le grand public. Ceux qui l'ont étudiée dans l'original ont été forcés de conclure ou bien que cette Vie d'Apollonius avait été tirée du Nouveau Testament, ou bien que les récits du Nouveau Testament provenaient de la Vie d'Apollonius, en raison de la similitude manifeste des moyens employés pour construire les récits. [Les 3 évangiles synoptiques ont été mis par écrit (entre 70 et 80), du vivant d'Apollonius (mort vers 90) ; celui de Jean est postérieur. Philostrate a vécu plus d'un siècle après.]

(39) [En latin : dies solis (anglais : Sunday), également appelé dies dominicus,jour du Seigneur (d'où le mot dimanche). Ces expressions se trouvent déjà chez Tertullien (2e-3e siècles).]

(40) [Ce mot signifie classiquement : oint, sacré (roi ou prêtre) par l'onction, du verbe כושח (mashah'), enduire, oindre, graisser.]

(41) [D'après Skinner (The Source of Measures, p. 255)], « le terme שיח (Shiah') est, en hébreu, le même mot qu'une forme verbale signifiant descendre dans la fosse ; comme substantif, il veut dire aussi la fosse [שיחה], le trou aux épines, également la parole de plainte [שיח]. Le participe hifil de ce mot est כושיח, Mashiah' [en araméen Meschîkhâ], soit en grec Messias, ou Christ ; il signifie 'celui qui fait descendre dans la fosse' (ou l'enfer, dans le dogmatisme). En philosophie ésotérique, cette descente dans la fosse a le sens le plus mystérieux. Il est dit que l'Esprit « Christos », ou plutôt le « Logos » (lisez : les Logoï), « descend dans la fosse » quand il s'incarne dans la chair, qu'il naît comme un homme. Après avoir dérobé aux Elohim (les dieux) leur secret - le « "feu de vie » pro-créateur — les Anges de Lumière sont représentés comme jetés dans la fosse, ou l'abîme de la matière, appelé l'Enfer ou le « puits sans fond », par les aimables théologiens. Ceci s'applique en cosmogonie et en anthropologie. Cependant, au cours des Mystères, c'était le Chrêstos, le néophyte (un homme, cette fois), etc. qui devait descendre dans les cryptes de l'Initiation et s'enfoncer dans les épreuves ; finalement [il plongeait dans] le « Sommeil de Siloam », ou l'état de transe dernière : pendant ces heures, étaient révélés au nouvel Initié les suprêmes mystères ultimes de l'être. Les mots Hadès, Schéol, ou Patala, ont tous même sens. La même chose a lieu en Orient aujourd'hui, comme il a 2000 ans en Occident, au cours des MYSTERES.

(42) Plusieurs auteurs classiques portent témoignage de ce fait. Lucien (Jupp.Conf. 16) écrit : Φωκίων ό χρηστός [Phôkiôn ho chrêstos] et Φωκίων ό έπίκλην (λεγόμενος) χρηστός [Phôkiôn ho épiklên (légoménos = surnommé) chrêstos]. Dans Phèdre (266 e), on trouve cette expression : « Tu veux dire Théodore le Chrêstos » [ici: « l'habile Théodore »] » Τόν χρηστόν λέγεις Θεόδωρον [ton chrêston légéïs Théodôron]. Plutarque l'emploie également. Χρηστος - Chrêstos - apparaît comme le nom propre d'un orateur disciple d'Hérode Atticus. (Voir le mot dans le Thesaurus Graecae Linguae publié par Henri Estienne [en 1572]).

(43) [En anglais : « the last of its name » = le dernier de son nom (comme siècle de l'ère chrétienne).]

↑ Remonter la page