« Dis-nous quand cela arrivera, et quel sera le signe de ta présence et de la consommation de l'âge (1) ? » demandèrent les Disciples du MAÎTRE, au mont des Oliviers.

Prophétique, et très suggestive, est la réponse donnée par l’« Homme de Douleur », le Chrêstos affrontant son épreuve, mais aussi s'avançant vers son triomphe, comme Christos ou Christ (2). En vérité, cette réponse est un avertissement : elle demande à être largement citée.

Jésus leur répondit :

« Prenez garde qu'aucun homme ne vous égare. Car beaucoup viendront en mon nom, en disant : ‘Je suis le Christ’ et ils égareront bien des gens. Et vous entendrez parler de guerres [...] mais ce ne sera pas encore la fin. Car on se dressera, nation contre nation, et royaume contre royaume ; et il y aura en divers endroits des famines et des tremblements de terre. Mais tout cela sera le commencement des douleurs de l'enfantement […] et beaucoup de faux prophètes surgiront et égareront bien des hommes […]. Et alors viendra la fin […] lors donc vous verrez l'abomination de la désolation dont a parlé le prophète Daniel […] Si donc quelqu'un vous dit : ‘Voici, le Christ est ici’, ou bien : ‘Il est là’, ne le croyez pas […] Et si on vous dit : ‘Le voici dans le désert’, n'y allez pas ; ou bien : ‘Le voici dans les lieux retirés’ (3), n'en croyez rien. Car, comme l'éclair part du levant, et brille jusqu'au couchant, de même en sera-t-il de la présence du Fils de l'homme. [Etc…] ».

Maintenant que la traduction fautive des mots indiqués est corrigée dans le texte révisé, deux choses deviennent évidentes pour tous dans les passages cités : (a) la « venue du Christ » signifie en fait la présence de CHRISTOS dans un monde régénéré, et pas du tout la venue réelle du « Christ » Jésus dans un corps et (b) ce Christ ne doit être cherché ni au désert, ni « dans les lieux retirés », ni dans le sanctuaire d'aucun temple, ou église, construit de main d'homme ; car le Christ — le véritable SAUVEUR ésotérique — n'est pas un homme mais le PRINCIPE DIVIN qui est dans chaque être humain. Celui qui s'efforce de revivifier l'Esprit crucifié en lui par ses propres passions terrestres, et profondément enseveli dans le « sépulcre » de sa chair pécheresse, et qui a la force de rouler la pierre de la matière pour dégager la porte de son sanctuaire intérieur, celui-là possède le Christ ressuscité en lui (4). Le « Fils de l'Homme » n'est pas le rejeton de l'esclave — la chair — mais bien de la femme libre — l'Esprit (5) — l'enfant des actions de l'homme lui-même et le fruit de tous ses efforts spirituels (6).

Par ailleurs, à aucun moment depuis le début de l'ère chrétienne, les signes précurseurs décrits dans Matthieu ne se sont appliqués à une époque quelconque avec autant d'évidence et de force qu'à la nôtre. Quand, plus qu'aujourd'hui, a-t-on vu se dresser nation contre nation ? A quelle période les « famines » (un mot pour désigner aussi bien la pauvreté misérable et la malnutrition des multitudes faméliques du prolétariat) ont-elles été plus cruelles, les tremblements de terre plus fréquents, ou étendus en même temps à de telles aires géographiques, qu'au cours de ces dernières années ? Millénaristes et adventistes à la foi robuste peuvent bien aller répétant que « la venue du Christ (fait chair) est proche » et se préparer pour « la fin du monde », les théosophes —au moins certains d'entre eux — qui comprennent le sens caché des Avatars, Messies, Sosiosh et Christ universellement attendus, savent qu'il ne s'agit pas de « la fin du monde » mais de « la consommation de l'âge », autrement dit de l'achèvement d'un cycle qui doit très bientôt se produire (7). Si nos lecteurs n'ont plus en mémoire les passages qui concluaient l'article « Les signes des temps » (8), publié dans Lucifer en octobre dernier, qu'ils les relisent et ils saisiront clairement le sens de ce cycle particulier.

Mainte et mainte fois, l'avertissement à propos des « faux Christ » et des faux prophètes qui devaient égarer les gens a été interprété par des chrétiens charitables, adorateurs de la lettre morte de leur Ecriture, comme s'appliquant aux mystiques en général, et aux théosophes tout particulièrement. L'ouvrage récent de M. Pember, intitulé Earth's Earliest Ages [= Les tout premiers âges de la terre] en est une preuve. Néanmoins, il semble bien évident que les paroles contenues dans l'évangile de Matthieu, et d'autres, ne peuvent guère concerner les théosophes. Car, eux au moins, on ne les a jamais entendus dire que le Christ était « ici » ou « là », au désert ou dans une ville, et encore moins dans le « lieu retiré » derrière l'autel d'une quelconque église moderne. Qu'ils soient païens ou chrétiens de naissance, ils refusent de matérialiser et ainsi de dégrader ce qui est l'idéal le plus pur et le plus grandiose — le symbole des symboles — à savoir l'Esprit Divin immortel dans l'homme, qu'on l'appelle Horus, Krishna, Bouddha ou Christ. Aucun de ces théosophes n'a encore jamais dit : « Je suis le Christ », car ceux qui sont nés en Occident ne se sentent tout au plus que des Chrêst-iens (9), quels que soient leurs efforts pour devenir des Christiens (10) en Esprit. C'est à ceux qui, dans leur excès de vanité et d'orgueil, refusent de gagner le droit à ce dernier titre, en commençant par mener individuellement une vie de Chrêstos (11), à ceux qui avec hauteur se proclament Christiens (« glorifiés », « oints ») par la seule vertu du baptême reçu à l'âge de quelques jours seulement, que s'appliquent avec le plus de force les paroles de Jésus citées plus haut. La vision prophétique de celui qui a proféré ce remarquable avertissement peut-elle être mise en doute par quiconque voit partout dans le monde foisonner les « faux prophètes » et les pseudo-apôtres (du Christ) ? Ceux-ci ont coupé en fragments la Vérité divine unique, et brisé — dans le seul camp des protestants — le rocher de l'Eternelle Vérité en quelque trois cent cinquante morceaux, représentant actuellement le gros de leurs sectes dissidentes. Si on s'en tient au nombre de 350, en chiffres ronds, et qu'on admet, pour la discussion, qu'au moins l'une d'elles puisse avoir la vérité approximative, il reste que les 349 autres doivent être nécessairement dans l'erreur (12). Chacune d'elles revendique l'exclusivité d'avoir le Christ dans son « lieu retiré », et refuse ce droit à toutes les autres, alors que, en toute vérité, la grande majorité de leurs fidèles respectifs mettent chaque jour le Christ à mort sur l'arbre cruciforme de la matière, qui est vraiment l'« arbre d'infamie » des Romains de jadis.

Le culte de la lettre morte de la Bible n'est qu'un autre genre d'idolâtrie, rien de plus. Un dogme fondamental de la foi ne peut exister sous une forme de Janus à double visage. La « justification » par le Christ ne petit être obtenue par l'homme à son choix et à sa fantaisie, seulement « par la foi », ou « par les œuvres » ; et comme, à ce sujet, Jacques (Epitre ; 2, 25) (13) et Paul (Hebreux ; 11, 31) se contredisent mutuellement (14), l'un des deux doit avoir tort. Il en résulte que la Bible n'est pas la « Parole de Dieu », mais, dans le meilleur des cas, contient la parole d'hommes faillibles, et d'instructeurs imparfaits. Cependant, si on la lit ésotériquement, elle contient effectivement, sinon toute la vérité, du moins « rien que la vérité », sous un déguisement allégorique ou sous un autre. Il faut seulement ne pas oublier : « Quot homines tot sententiae » (15).

Du fait du caractère universel et éternel du « principe Christ » — l'Esprit de Vérité éveillé et glorifié — le vrai Christos ne peut être monopolisé par aucune personne, même si elle a choisi de s'arroger le titre de « Vicaire du Christ », ou de « Chef' de telle ou telle religion d'Etat. L'esprit de « Chrêst » et celui de « Christ » ne sauraient être confinés à une quelconque croyance ou secte, sous prétexte que cette secte déciderait de son propre chef de se hausser au-dessus de la tête de toute autre religion ou secte. Le nom [du Christ] a été utilisé d'une façon si intolérante et dogmatique, particulièrement de nos jours, que le christianisme est maintenant devenu la religion de l'arrogance par excellence (16), un moyen de satisfaire l'ambition, une voie facile pour gagner richesse, faux brillant et pouvoir, un moyen commode de déguiser l'hypocrisie. Elle est bien dégradée aujourd'hui la noble épithète employée jadis, qui a fait dire à Justin Martyr que « par le nom même qu'on nous impute comme un crime, nous sommes par-dessus tout excellents » (17). Le missionnaire s'enorgueillit de ce qu'il appelle la conversion d'un païen, lequel fait alors du christianisme toujours une profession, mais rarement une religion, une source de revenu prélevé sur le fond de la mission et un prétexte (puisque le sang de Jésus a lavé de tous les péchés par anticipation) pour se laisser aller à toute sorte d'infraction mineure, de l'ivrognerie et du mensonge jusqu'au vol. Cependant, le même missionnaire n'hésiterait pas à condamner publiquement le plus grand saint à la perdition éternelle, et aux feux de l'enfer, si le saint homme avait simplement négligé de se soumettre à la forme stérile et vide de sens du baptême par l'eau, accompagné de prières du bout des lèvres et d'un vain ritualisme.

C'est en connaissance de cause que nous disons « prières du bout des lèvres » et « vain ritualisme ». Il y a peu de chrétiens parmi les laïcs qui ont même conscience du véritable sens du mot Christ — quant aux membres du clergé, s'il arrive qu'ils le sachent (car ils sont élevés avec l'idée que l'étude de ces sujets est un péché), ils gardent secrète l'information à leurs paroissiens. Ils exigent une foi aveugle, implicite, et interdisent tout questionnement comme le péché impardonnable entre tous, bien que rien de ce qui conduit à la connaissance de la vérité ne puisse être autre que saint. Car, qu'est-ce que la « Sagesse Divine », ou Gnose, sinon la réalité essentielle cachée derrière les apparences évanescentes des objets de la nature — l'âme même du LOGOS manifesté ? Pourquoi des hommes qui s'efforcent de réaliser leur union avec la Déité une, éternelle et absolue, devraient-ils trembler à l'idée de chercher à pénétrer ses mystères — aussi terri­blement imposants fussent-ils ? Pourquoi, par-dessus tout, ces hommes devraient-ils utiliser des noms et des mots dont le sens est pour eux comme un mystère scellé, pour n'être rien d'autre que de simples sons ? Est-ce parce qu'une institution établie, avide de pouvoir et sans scrupule, qu'on appelle l'Eglise, a crié « au loup ! » chaque fois que des gens ont essayé de comprendre, et, en dénonçant cette tentative comme « blasphématoire », a toujours cherché à tuer l'esprit de recherche ? Mais la Théosophie, la « Sagesse divine », n'a jamais tenu compte de ces imprécations, et elle a le courage de ses opinions. Le monde des sceptiques et des fanatiques peut bien l'attaquer comme un système en « isme » vide de sens, ou comme un « Satanisme », selon le cas ; nul ne pourra jamais l'anéantir. On a dit des théosophes qu'ils étaient des athées, des gens qui haïssaient le christianisme, des ennemis de Dieu et des dieux. Ils ne sont rien de tout cela. C'est pourquoi ils sont convenus aujourd'hui de publier une claire déclaration de leurs idées et une profession de leur foi — en ce qui concerne du moins le monothéisme et le christianisme — en appelant sur cette base le lecteur impartial à porter un jugement sur eux et leurs détracteurs d'après les mérites de leurs fois respec­tives. Aucun penseur épris de vérité n'opposerait d'objection à cette façon de faire, honnête et sincère ; et quelle que soit la lumière nouvelle jetée sur le sujet, il ne la trouvera pas non plus insupportable, même si par ailleurs il en est très décontenancé. Au contraire, des esprits ouverts de ce genre remercieront peut-être Lucifer. Quant à ceux dont il a été dit : « Qui vult decipi decipiatur » (18), qu'ils soient trompés de toute façon !

La rédaction de cette revue se propose de publier une série d'essais sur le sens caché ou l'ésotérisme du Nouveau Testament (19). Pas plus qu'aucune autre Ecriture des grandes religions du monde, la Bible ne peut être exclue de la catégorie d'écrits allégoriques et symboliques qui ont été, depuis les âges préhistoriques, le réceptacle des enseignements secrets des Mystères de l'Initiation, sous une forme plus ou moins voilée. Ceux qui à l'origine ont couché par écrit les logia (20) (qui sont la substance des évangiles actuels) connaissaient certainement la vérité, et toute la vérité. Mais, tout aussi certainement, leurs successeurs ont eu à cœur surtout le dogme et la forme (qui conduisent au pouvoir hiérarchique), plutôt que l'esprit de ce qui a été appelé l'enseignement du Christ. D'où la perversion qui a eu lieu graduellement. Comme l'a bien dit Higgins, dans la christologie de st Paul et de Justin Martyr nous avons la religion ésotérique du Vatican, un gnosticisme épuré pour les cardinaux, et une forme plus grossière pour le commun. C'est cette dernière forme, encore plus matérialisée et défigurée cependant, qui nous est parvenue à notre époque.

L'idée d'écrire cette série nous a été suggérée par une lettre [de Gerald Massey] que nous avons publiée dans notre numéro d'octobre, sous le titre : « Les enseignements attribués à Jésus sont-ils contradictoires ? » Néanmoins, nous ne chercherons pas à démentir ou à minimiser, en aucun cas, ce qui a été dit par M. Gerald Massey dans sa critique. Les contradictions soulignées par le savant conférencier et auteur sont trop patentes pour qu'un quelconque « prédicateur » ou champion de la Bible puisse en rendre compte de façon satisfaisante. Car ce qu'il a dit — avec toutefois des mots plus nets, concis et vigoureux — c'est ce que, dans Isis Unveiled (II, 201), nous avons rapporté du descendant de Joseph Pandira (ou Panthera), d'après l'ouvrage talmudique Sepher Toldoth Jeshu [=Le livre de l'histoire de Jésus (21)]. Par conséquent, sa croyance à propos du caractère falsifié de la Bible et du Nouveau Testament, dans leur forme écrite actuelle, est aussi celle que partage l'auteur du présent article. Au vu de la récente révision de la Bible, qui fait ressortir des milliers d'erreurs, de traductions incorrectes et d'interpolations (certaines admises, d'autres passées sous silence), il siérait mal à un contradicteur de prendre quelqu'un à partie pour refuser d'avoir foi dans les textes autorisés.

Cependant, la rédaction souhaiterait faire une objection à propos d'une courte phrase de la critique de M. Gerald Massey, où il déclare :

 « A quoi bon jurer sur la Bible que telle chose est vraie si le Livre sur lequel vous prêtez serment est un tissu de mensonges déjà dénoncés, ou en train de s'effondrer ? »

Assurément, ce n'est pas un expert en symbolisme de la capacité et de l'érudition de M. G. Massey qui appellerait le Livre des Morts égyptien, ou les Veda, ou n'importe quelle autre Ecriture ancienne, un « tissu de mensonges » (22). Pourquoi ne pas considérer à la même lumière que tous les autres textes l'Ancien Testament et, dans une plus grande mesure encore, le Nouveau ?

Tous ces documents sont des « tissus de mensonges » si on accepte les explications exotériques, selon la lettre morte, de leurs interprètes théologiques anciens, et surtout modernes. Chacun de ces écrits a servi à son tour de moyen permettant à une prêtrise sans scrupule de s'assurer le pouvoir et de soutenir une politique d'ambition. Tous ont servi à nourrir la superstition, à faire de leurs dieux des Moloch et des démons assoiffés de sang et répandant sans fin la damnation, de même qu'ils ont tous conduit les nations à servir ces idoles plutôt que le Dieu de Vérité. Mais, bien que les dogmes habilement ciselés et les interprétations volontairement déformées des scoliastes constituent sans aucun doute des « mensonges déjà dénoncés », les textes eux-mêmes sont des mines de vérités universelles. Toutefois, pour le monde des profanes et des pécheurs, en tout cas, ils ont été, et sont encore, comme les mystérieux caractères tra­cés par « les doigts d'une main d'homme » sur les murs du palais de Balthazar (23) : il leur faut un Daniel pour les lire et les comprendre.

Néanmoins, la VÉRITÉ ne s'est pas permise de rester sans témoins. A côté de grands Initiés introduits au symbolisme des Ecritures, il existe un certain nombre de personnes qui étudient en silence les mystères de l'ésotérisme archaïque, d'érudits qui connaissent à fond l'hébreu et d'autres langues mortes, qui ont voué leur vie à déchiffrer les paroles du Sphinx des religions du monde. Et bien qu'aucun de ces chercheurs n'ait encore maîtrisé toutes les « sept clefs » qui donnent accès au grand problème, ils en ont découvert assez pour pouvoir dire : il a existé effectivement un universel langage des mystères dans lequel ont été rédigées toutes les Ecritures du monde, des Veda à l'Apocalypse et du Livre des Morts aux Actes des Apôtres. L'une de ces clefs, en tout cas, se trouve maintenant retrouvée : la clef numérique et géométrique (24) du Langage des Mystères — une langue ancienne, en vérité, qui était restée cachée jusqu'au temps présent, mais dont les indices probants existent en abondance, comme peuvent le prouver d'indiscutables démonstrations mathématiques. A dire vrai, si on force le monde à accepter la Bible dans le sens de sa lettre morte, face aux découvertes modernes des orientalistes et aux efforts de chercheurs indépendants et de kabbalistes, on peut aisément prophétiser que même les nouvelles générations actuelles d'Europe et d'Amérique la répudieront, comme l'ont déjà fait tous les matérialistes et les esprits logiques. Car plus on étudie les textes religieux anciens plus on se rend compte que le fondement du Nouveau Testament est le même que celui des Veda, de la théogonie égyptienne et des allégories mazdéennes. Les actes d'expiation ou de réconciliation par le sang — qu'il s'agisse d'alliances par le sang, ou de transmissions du sang accordées par les dieux aux hommes, ou effectuées par les hommes comme des sacrifices aux dieux — sont comme la première note tonique qui résonne dans chaque cosmogonie et chaque théogonie. Âme, vie et sang étaient des mots synonymes dans chaque langue, tout particulièrement chez les Juifs ; et ce don du sang était don de vie. Maintes légendes répandues parmi des nations (géographiquement) étrangères attribuent l'âme et la conscience présentes dans l'humanité qui vient d'être créée au sang des dieux créateurs. Ainsi, Bérose rapporte une légende chaldéenne selon laquelle une nouvelle race d'humanité serait issue d'un mélange de poussière avec le sang qui coulait de la tête tranchée du dieu Bel. « C'est pour cela », explique Bérose (25), « que les hommes sont doués de raison et participent de la connaissance divine ». Et, dans son ouvrage The Beginnings of History (26) (note p.52), Lenormant a souligné que « pour les Orphiques [...] la partie immatérielle de l'homme, son âme [= sa vie (H.P.B.)] est née du sang de Dionysos Zagreus, que les Titans avaient taillé en pièces [...]. Le sang « redonne la vie aux morts », c'est-à-dire, métaphysiquement, qu'il confère vie consciente et âme à l'homme de matière ou d'argile — ce qu'est actuellement le matérialiste moderne. La signification mystique de l'injonction : « En vérité, en vérité, je vous le dis : si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous » [Jean, 6, 53] ne peut jamais être comprise ou appréciée à sa juste valeur occulte par d'autres que ceux qui disposent de certaines des sept clefs et ne se soucient pas de st Pierre (27). Que ces paroles aient été prononcées par Jésus de Nazareth, ou Jeshua Ben Panthera, ce sont celles d'un INITIÉ. Elles demandent à être interprétées à l'aide de trois clefs : la première ouvrant la porte psychique, la seconde celle de la physiologie et la troisième donnant accès au mystère de l'être terrestre, en révélant les liens inaltérables qui unissent théogonie et anthropologie. C'est pour avoir révélé quelques-unes de ces vérités, dans le seul but de sauver l'humanité douée d'intellect des folies du matérialisme et du pessimisme, que des mystiques ont été souvent dénoncés comme serviteurs de l'Antéchrist, même par des chrétiens qui sont des hommes tout à fait estimables, sincèrement pieux et respectables.

La première clef à employer pour décrypter les obscurs secrets cachés dans le nom mystique du Christ est celle qui ouvrait la porte des anciens mystères des Aryens, Sabéens et Egyptiens primitifs. Universelle était la Gnose qu'a supplantée le système chrétien. Elle était l'écho de la religion-sagesse primordiale qui avait été jadis l'héritage de toute l'humanité : pour cette raison, on peut dire en vérité que, dans son aspect purement métaphysique, l'Esprit du Christ (le divin Logos) a été présent dans l'humanité depuis son commencement. L'auteur des Homélies Clémentines (28) a raison : le mystère de Christos — qui, comme on le suppose maintenant, aurait été enseigné par Jésus de Nazareth — « était identique » à ce qui, depuis le tout début, avait été communiqué « à ceux qui étaient dignes », comme il est rappelé dans une autre conférence (29). Nous pouvons apprendre [d'après le sens] de l'évangile Selon st Luc [20, 35-36] que ceux qui étaient « dignes » étaient ceux qui avaient été initiés aux mystères de la Gnose : « ils étaient jugés dignes » d'atteindre cette « résurrection d'entre les morts » dans la vie actuelle [...] « ils savaient qu'ils ne pouvaient plus mourir, étant semblables aux anges ; ils étaient fils de Dieu, étant fils de la résurrection ». En d'autres termes, ceux-là étaient les grands adeptes de n'importe quelle religion ; et les mots sont également valables pour tous ceux qui, sans être des Initiés, s'appliquent et réussissent, par leurs efforts personnels, à vivre la vie et à atteindre l'illumination spirituelle qui résulte naturellement de l'union intime de leur personnalité (le « Fils ») avec le « Père », leur Esprit divin individuel, le Dieu qui est en eux. En aucun cas cette résurrection ne saurait être monopolisée par les chrétiens : elle est le droit spirituel de naissance de chaque être humain qui est doué d'âme et d'esprit — quelle que puisse être sa religion. Un tel individu est un homme-Christ. Par contre, ceux qui choi­sissent d'ignorer le Christ (comme un principe) en eux-mêmes, sont condamnés à mourir comme des païens non régénérés — sans que baptême, sacrements, prières du bout des lèvres et croyance dans les dogmes n’y puissent rien.

S'il veut suivre cette explication, le lecteur ne doit pas oublier le vrai sens archaïque de la paronomase offerte par les deux termes Chrêstos et Christos. A coup sûr, le premier a plus que le simple sens d'homme « bon », ou « excellent », tandis que le second n'a jamais été appliqué à aucun être humain vivant, mais seulement à chaque Initié, au moment de sa seconde naissance et de sa résurrection (30) 31. Celui qui découvre Christos en lui-même, et le reconnaît comme sa seule « voie », devient tout à la fois un fidèle et un Apôtre du Christ, même s'il n'a jamais été baptisé, s'il n'a jamais rencontré un « chrétien », ou, bien plus, s'il ne s'est jamais appelé lui-même de ce nom.

H.P. Blavatsky.

Ce long article écrit par H.P.B. a été publié par elle dans les débuts de la revue Lucifer, en trois parties : 1, n°3, nov. 1887, pp.173-180 ; II, n°4, déc. 1887, pp. 299-310 ; III, n°6, fév. 1888, pp. 490-6. — N.B. Dans le texte qui suit, les mots et notes entre crochets ont été ajoutés par le traducteur. (N. d. Ed.). © Textes Théosophiques, Cahier Théosophique n°162.

(à suivre)

Notes

(1) Matthieu, 24, 3 et seq. Les expressions en italiques sont celles qu'on trouve corrigées dans le Nouveau Testament selon la récente révision (publiée en 1881) de la version de 1611, laquelle était pleine d'erreurs, volontaires et involontaires. Le mot « présence » [en grec parousia], au lieu de « venue », et la formule « la consommation de l'âge », qui remplace maintenant « la fin du monde », ont ainsi, depuis peu, changé complètement le sens, même pour les chrétiens les plus sincères — à l'exception des adventistes.

(2) Celui qui ne réfléchira pas mûrement pour bien saisir la grande différence de signification entre les deux mots grecs χρηστός [chrêstos] et χριστός ; [christos] restera à jamais aveugle au vrai sens ésotérique des évangiles, c'est-à-dire à l'Esprit vivant enseveli dans la stérile lettre morte des textes, qui est vraiment le fruit de la mer Morte du christianisme superficiel.

(3) [En grec, le mot tameiéion, signifie : resserre à provision, cellier, grenier, mais aussi lieu de dépôt d'un trésor public, trésor, d'où lieu retiré, où n'accède pas librement le profane. Dans Matthieu (6,6) c'est le lieu privé, intérieur, où il faut se retirer pour prier le Père dans le secret]

(4) « Car nous sommes le temple (le « sanctuaire », dans la version révisée) du Dieu vivant », 2 Cor. 6, 16. [Dans le texte grec, le mot est naos qui désigne l'habitation d'un dieu, la partie du temple où était placée sa statue, d'où, son sanctuaire.]

(5) L'Esprit, ou le Saint Esprit, était de genre féminin chez les Juifs, ainsi que chez la plupart des peuples anciens, et il en était de même chez les premiers chrétiens. La Sophia des gnostiques et la troisième séphira, Binah [ כינה ] (le Jéhovah féminin des kabbalistes) sont des principes féminins : l’« l'Esprit Divin » ou [en hébreu] Ruah [ ךןח ]. On lit dans le Sepher Yetzirah [ יציךה ספך chap. 1, sect. 9] : « Ah'at Rllah' Elohim H'ayim », « Elle est Une, [celle qui est] l'Esprit des Elohim de Vie ». [Ah'at, אחח est le féminin deAh'ad, אחך signifiant un, unique.]

(6) [Ce passage renvoie à st Paul (Gal. 4, 28-31) qui interprète symboliquement un épisode de la Genèse (21, 1-11) mentionnant les deux enfants d'Abraham, dont l'un (Ismaël) était fils d'une esclave égyptienne, et l'autre (Isaac) de Sara, une femme libre, l'épouse légitime du patriarche. Ismaël était né de l'esclave, « selon la chair », tandis qu'Isaac avait été conçu par l'intercession de Dieu, « selon l'Esprit ».]

(7) Il y a plusieurs cycles remarquables qui arrivent à leur terme à la fin de ce siècle. Tout d'abord, les 5.000 [premières] années du cycle du kali yuga, puis le cycle messianique des Juifs samaritains (ainsi que kabbalistes) qui se rapporte à l'homme lié aux Poissons ([en grec] Ichthys ou [en hébreu] Dag, l’« Homme-poisson »). C'est un cycle, de caractère historique, et d'une durée limitée, mais d'une nature très occulte, qui s'étend sur environ 2155 ans, dont la signification n'apparaît vraiment que si on le compte en mois lunaires. Une fin de ce cycle se produisit en 2410, puis en 255 av. J.-C. c'est-à-dire lorsque le point équinoxial entra dans le signe du Bélier et ensuite dans celui des Poissons. Dans quelques années, quand il passera dans le signe du Verseau, les psychologues auront devant eux un surcroît de travail, et les caractéristiques psychiques de l'humanité entreront dans une phase de grand changement

(8) [Article éditorial de H.P.B.]

(9) Dans sa Première Apologie, l'auteur chrétien des premiers temps [env. 110-165 après J.-C.], Justin Martyr, appelle ses coreligionnaires des Chrêst-iens, χρηστιαυοί [chrêstianoï], non des Chris-iens [χριστιαυοί] [christianoï]. [En anglais, le mot est Chrêstians, que H.P.B. explique dans la suite. Le vieux français a connu la forme primitive chrestien.]

(10) [Dans l'original, le mot employé est Christians (qui en français signifie ordinairement chrétiens), mais il est clair que H.P.B. entend opposer ici les deux racines chrest- et christ-, d'où la traduction proposée : Christ-iens.]

(11) Selon une citation rapportée par Higgins (cf. Anacalypsis, 1, 568), « Clément d'Alexandrie, au second siècle, fonde un sérieux argument sur cette paronomase [= rapprochement de deux mots presque identiques mais de sens différent] indiquant (livre III, chap. XVII, p.53, et circa — Ps. 55, D) que tous ceux qui ont cru en Chrêst (c'est-à-dire en un homme bon) sont des Chrêstiens — des hommes bons — et sont appelés aussi de ce nom (cf. Stromates, livre II, chap. IV) ». Et, dans ses Institutions Divines (livre IV, chap. VII), Lactance déclare que c'est seulement par ignorance que les gens s'appellent christiani au lieu de chrestiani (ou chrêstiens) : « Sed exponenda hujus nominis ratio est propter ignorantium errorem qui eum immutata littera chrestum solent dicere ». [N.B. Ces sources de Higgins paraissent sujettes à caution. Dans le passage cité des Stromates, traduit dans la collection des Ante-Nicene Fathers, publiée par WM. B. Eerdmans Publishing Company, il est question de ceux qui ont cru en « Christos » et qui (par rapprochement) sont des « Chrêstoi » (des hommes bons ou excellents) . Quant à Lactance, qui parle à des Romains ignorants du grec, au point d'écrire (comme Suétone, VIe de Claude, chap. 25) Chrestus au lieu de Christus, il s'attache à expliquer le sens étymologique du terme (= « Oint »). C'est à ce Christus et non aux chrétiens que fait clairement référence la phrase latine citée par H.P.B. : « Mais il faut expliquer le sens de ce nom (Christus) à cause de l'erreur d'ignorants qui, par le changement d'une lettre, ont l'habitude de l'appeler Chrestus ».]

(12) Si on se limite à l'Angleterre, il y a plus de 239 sectes diverses (cf. Whitaker's Allmanac). En 1883, il n'y avait que 186 dénominations distinctes, mais voici que leur nombre augmente régulièrement chaque année : en quatre ans seulement, 53 nouvelles sectes ont vu le jour !

(13) [Jacques (2, 26) précise clairement : « De même que sans souffle le corps est mort, de même aussi, sans oeuvres, la foi est morte ».]

(14) Pour st Paul, il n'est que juste de remarquer que cette contradiction est sûrement due à une altération ultérieure de ses Epîtres, Paul était lui-même un gnostique, c'est-à-dire un « Fils de la Sagesse » et un initié aux vrais mystères de Christos, bien qu'il ait lancé ses foudres (ou, du moins, on s'est arrangé pour le faire croire) contre certaines sectes gnostiques qui, de son temps, existaient en grand nombre. Mais le Christos dont il a parlé n'était pas Jésus de Nazareth, ni aucun homme vivant, connue l'a montré avec tant de compétence M, Gerald Massey dans sa conférence : « Paul, l'adversaire gnostique de Pierre », C'était un Initié, un vrai « Maître-constructeur » ou adepte, comme il a été décrit dans Isis Unveiled (II, 90-91).

(15) [« Autant d'hommes, autant d'opinions » (Cicéron).]

(16) [En français dans le texte.]

(17) « […] őσου γε έκ του κατηγορουμένου ήμων όνοματος χρηστότατοι ύπάρχομεν » [… « oson gé ék tou katêgorouménou hêmôn onomatos chrêstotatoï hyparchomén… »] (première Apologie, IV). [Le mot χρηστότατοι (chrêstotatoï) est le superlatif de χρηστοι (chrestoï = bons), signifiant ainsi : excellents, les meilleurs de tous.]

(18) [« Celui qui veut être trompé, qu'il le soit ».]

(19) [En dehors de cette série, voir aussi, de H.P.B., l'article : « Notes sur l'Evangile selon st Jean » (Cahier Théosophique n"24).]

(20) [Les logia = les « dits », ou les paroles d'instruction attribuées à Jésus et retransmises oralement]

(21) [Èliphas Lévi a donné de larges extraits de ce livre dans La Science des Esprits (préambule intitulé : Histoire de Jésus suivant les talmudistes).]

(22) L'extraordinaire quantité d'informations réunies par le savant égyptologue montre qu'il a pleinement maîtrisé le secret de la composition du Nouveau Testament. M. Massey connaît la différence entre le Christos, spirituel, divin et purement métaphysique d'une part, et la « figure de mannequin » qu'on a fabriquée du Jésus fait chair. Il sait aussi que le canon chrétien (particulièrement les évangiles, les Actes et les Epîtres) a été constitué avec des extraits de sagesse gnostique, dont le fond est pré-chrétien et repose sur les MYSTERES de l'Initiation. Ce sont les modes de présentation théologique et les passages interpolés (comme celui qu'on trouve dans Marc, 14, du verset 9 à la fin) qui font des évangiles un « tissu de (pervers) mensonges » et jettent une flétrissure sur l'image de CHRISTOS. Mais l'Occultiste qui distingue entre les deux courants (celui de la vraie Gnose et le pseudo-chrétien) sait que les passages qui sont exempts des falsifications de théologiens appartiennent à la sagesse archaïque — et M. Gerald Massey le sait aussi, bien que ses vues diffèrent des nôtres.

(23) [Balthazar (en hébreu : Belshatzar), dernier roi de Babylone. Voir Daniel (chap. 5) pour l'épisode de l'inscription mystérieuse que seul Daniel put déchiffrer.]

(24) « La clef pour retrouver ce langage (dans le sens où l'auteur a fait porter ses efforts) s'est révélée, d'une manière surprenante, dans l'emploi du rapport qui a été découvert entre des nombres entiers exprimant le rapport entre la circonférence et le diamètre d'un cercle », par un géomètre. « Les nombres de ce rapport sont 6561 pour le diamètre et 20612 pour la circonférence ». (Extrait d'un manuscrit cabalistique). Dans l'un des prochains numéros de Lucifer, des détails complémentaires seront donnés, avec la permission de l'auteur de cette découverte. (N.d. Réd.) [Le manuscrit cabalistique en question est un document rédigé par J. Ralston Skinner et adressé à H.P.B. quand elle résidait à Ostende en 1884. Ce texte est apparemment une suite à un ouvrage de Skinner, publié en 1875 sous le titre : The Key to the Hebrew-Egyptian Mystery in the Source of Measures. Le rapport des nombres 20612/6561 donne une très bonne approximation du nombre π = 3,1415942.]

(25) Cf. Cory, Ancient Fragments, p. 59. Egalement, Sanchoniaton et Hésiode attribuent tous deux l'éveil à la vie de l'humanité au sang répandu des dieux. Mais il faut dire que le sang et l'âme sont une seule et même chose (en hébreu : nephesh), et le sang des dieux renvoie ici à l'âme qui anime la forme.

(26) [Traduction anglaise de l'original : Les Origines de l'histoire d'après la Bible et les traditions des peuples orientaux, Paris, 1880-84.]

(27) L'existence de ces sept clefs est aussi virtuellement admise par M. G. Massey, à la suite de sa recherche approfondie dans la science égyptologique. Tout en s'opposant aux enseignements présentés dans le Bouddhisme Esotérique [par A.P. Sinnett] - qu'il n'a malheureusement pas saisis, sous presque tous les rapports - il déclare, dans sa conférence sur « Les sept âmes de l'homme et leur aboutissement suprême dans le Christ » : « […] ce système de pensée, ce mode de représentation, ce septénaire de pouvoirs, sous différents aspects, avaient été établis en Egypte il y a au moins 7000 ans, comme nous l'apprenons d'après certaines allusions à Atum [le dieu 'en qui le caractère de père s'est individualisé en devenant celui qui engendre une âme éternelle', le septième principe des théosophes — H.P.B.], allusions qui ont été relevées dans les inscriptions récemment découvertes à Saqqarah. Je dis bien: sous différents aspects, parce que la Gnose des Mystères était au moins septuple dans sa nature — à savoir : élémentale, biologique, élémentaire (humaine), stellaire, lunaire, solaire et spirituelle — et, à moins d'embrasser la totalité du système, rien ne peut nous permettre de distinguer entre les diverses parties, de séparer l'une de l'autre, de décider du qu ?? et du quoi ?, dans nos efforts pour suivre les Sept symboliques, dans toutes leurs multiples phases de manifestation ».

(28) [Texte attribué (sans certitude) à un disciple de st Pierre, le pape Clément 1 (1er siècle), censé être le premier des Pères apostoliques.]

(29) Conférence [de Gerald Massey] intitulée : « Christianisme gnostique et historique ».

(30) « En vérité, en vérité, je te le dis : 'nul, s'il ne naît d'eau et d'Esprit', ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean, 3, 5). Ici, il s'agit de la naissance d'en-haut, la naissance spirituelle, qui est réalisée à la suprême et dernière initiation. [Cf. Jean, 3,3 : "A moins de naître d'en haut (en grec : anôthen), nul ne peut voir le royaume de Dieu. »]

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