L’Univers dans une coque de noix
Introduction
Au pays du rêve et du somnambulisme
Les rêves ne sont-ils que de vaines visions ?
Introduction
Nous publions l’article sur les rêves auquel il est fait allusion dans la lettre suivante, ainsi que les notes explicatives désirées, afin d’instruire nos lecteurs :
À l’Éditeur du Theosophist (i)
L’extrait ci-joint d’un article qui parut dans un récent numéro du « Chamber’s Journal ». J’espère que vous le publierez et voudrez bien nous donner des explications complètes sur les sujets suivants : 1° Les rêves sont-ils toujours réels ? Dans l’affirmative, qu’est-ce qui les produit ? S’ils ne sont pas réels, ne peuvent-ils pas avoir en eux-mêmes une signification profonde ? 2° Dites-nous quelque chose au sujet de notre état d’existence prénatale et de la transmigration de l’âme. 3° Donnez-nous tout ce qui vaut la peine d’être connu concernant la psychologie telle que le suggère cet article. Très fraternellement, votre serviteur obéissant,
Jehangir Cureset JI Tarachand M.S.T. Bombay, 10 novembre 1881.
Réponse de la directrice
Pour exprimer plus exactement la requête de notre correspondant, il voudrait que le Theosophist résumât dans les limites d’une colonne ou deux, les faits englobés dans tout l’ensemble de tous les mystères subliminaires, en donnant des « explications complètes ». Ceci comprendrait :
1° La philosophie complète des rêves, déduite de leurs aspects physiologique, biologique, psychologique et occulte.
2° Les Jatakas bouddhistes (renaissances et migrations de notre Seigneur Sakya-Muni) avec un essai philosophique sur les transmigrations des 387.000 Bouddhas qui « tournèrent la roue de la foi » pendant les révélations successives au monde des 125.000 autres Bouddhas, les Saints qui peuvent « dominer et démêler les fils mille fois noués de la chaîne morale de causalité », présentant un traité sur les Nidhanas, la chaîne des douze causes avec une liste complète de leurs deux millions de résultats, ainsi que de nombreuses annexes dues à certains Arahats « qui ont atteint le fleuve qui se déverse en Nirvana ».
3° Les rêveries combinées des psychologues célères du monde entier, depuis l’Hermès égyptien et son Livre des Morts ; la définition de l’âme de Platon dans le Timée ; et ainsi de suite jusqu’aux Conversations Nocturnes de Salon avec une âme Désincarnée du Rév. Adramelech Romeo Tiberius Tougskin de Cincinnati.
Telle est la modeste tâche qu’on nous propose. Supposons que nous donnions d’abord l’article qui provoqua une soif si intense d’instruction philosophique, et puis essayons de faire ce que nous pouvons. C’est un cas curieux – si ce n’est pas une fiction littéraire : [Retour Sommaire]
Au pays du rêve et du somnambulisme
À l’Éditeur du Theosophist
« L’auteur de cet article a un beau-frère qui a remarqué que certains de ses rêves avaient un caractère remarquable et significatif ; et son expérience prouve qu’il existe un rapport étrange et inexplicable entre de tels rêves et l’état de somnambulisme. Avant de décrire en détail quelques exemples de somnambulisme tels que lui et sa fille les manifestent, je raconterai un de ses rêves qui s’est répété quatre fois dans ses points frappants et saillant, à des périodes incertaines, au cours de ces dernières trente années. Dans sa jeunesse active, il fut un agriculteur pratique, mais il vit maintenant retiré. Toute sa vie, il fut maigre, actif, joyeux, très sociable, et pas du tout ce qu’on pourrait appeler un dévoreur de livres. Voici quel fut son rêve : il se trouvait seul en face d’un bâtiment en maçonnerie solide, regardant distraitement vers le nord, quand, à son étonnement, les pierres du milieu, au niveau des yeux, se soulevèrent graduellement et glissèrent l’une sur l’autre, jusqu’à ce qu’une ouverture suffisante se soit produite pour livrer passage à un homme. Tout à coup, un petit homme, habillé de noir, avec une grosse tête chauve, parut dans l’ouverture, y paraissant fixé du fait que ses pieds et ses jambes étaient enfouis dans la maçonnerie. L’expression de son visage était douce et intelligente. Ils se regardèrent pendant ce qui parut un long moment, sans qu’aucun d’eux n’essayât de parler et pendant ce temps, l’étonnement de mon frère ne fit que croître. Enfin, comme l’exprima celui qui avait fait le rêve : « Le petit homme en noir, à la tête chauve et à la mine sereine », dit : « Ne me reconnaissez-vous pas ? Je suis l’homme que vous avez assassiné dans un état pré-natal d’existence ; et je vous attends jusqu’à ce que vous veniez, et cela sans dormir. Il n’y a aucune trace de votre mauvaise action dans votre état d’existence humaine, aussi ne devez-vous pas vous chagriner dans votre vie mortelle – enfermez-moi de nouveau dans les ténèbres. »
Le rêveur commença, pensa-t-il, à remettre les pierres dans leur position originelle, faisant remarquer au petit homme, comme il l’exprima lui-même : « Tout cela est l’effet de votre imagination car il n’y a pas d’état pré-natal d’existence. » Le petit homme qui paraissait diminuer de plus en plus dit : « Recouvrez-moi et partez. » Sur ce, le rêveur s’éveilla.
Les années passèrent, et le rêve était oublié dans l’acceptation ordinaire du terme, quand, sans aucun retour de pensée vers ce sujet, il rêva qu’il se tenait en plein soleil, en face d’un vieux mur de jardin appartenant à une grande maison de campagne inoccupée, quand les pierres devant lui se mirent à glisser doucement et bientôt laissèrent voir le même personnage mystérieux, avec toutes ses caractéristiques, et celui-ci répéta les mêmes paroles que lors de la première occasion, bien qu’un certain nombre d’années se fussent écoulées depuis ce moment. Le même rêve semblable s’est encore reproduit deux fois à des périodes irrégulières, mais il n’y avait aucun changement dans l’aspect du visage du petit homme en noir. » [Retour Sommaire]
Réponse de la directrice
Notes de l’éditeur. – Nous ne sentons pas qualifié pour nous prononcer sur les mérites ou démérites de ce rêve particulier. Son interprétation peut être laissée aux Daniels de la Psychologie qui, comme W.A. Hammonde M.D. de New-York, expliquent que les rêves et le somnambulisme sont dus à un état exalté de la moelle épinière. Il se peut que ce rêve ait été un simple rêve sans signification, dû au hasard, amené par une corrélation de pensées qui occupent machinalement le mental durant le sommeil.
« Cette obscur crépuscule du mental
Quand le rayon de la Raison, à moitié caché
Derrière les nuages des sens, dore obscurément
Chaque forme indécise que crée la fantaisie »,
– alors que nos opérations mentales se font indépendamment de notre volition consciente.
Nos sens physiques sont les agents grâce auxquels l’esprit astral ou le « quelque chose conscient » en nous, est conduit, par contact avec le monde extérieur, à une connaissance d’existence réelle ; tandis que les sens spirituels de l’homme astral sont les moyens, les fils télégraphiques par lesquels il communique avec ses principes supérieurs et en obtient les facultés de perception claire et de vision dans les royaumes du monde invisible[i].
Le philosophe bouddhiste prétend que, par la pratique des dhyanas on peut atteindre « à l’état illuminé du mental qui se manifeste par une reconnaissance immédiate de la vérité sacrée, de telle sorte qu’en ouvrant les Écritures Sacrées (ou n’importe quel livre ?) leur véritable signification jaillit immédiatement dans le cœur. » (Beal’s Catena, etc., p. 255). Si la première fois cependant, le rêve mentionné ci-dessus n’avait pas de sens, les trois fois suivantes il peut s’être reproduit par le réveil soudain de cette partie du cerveau à laquelle il était dû, car dans le rêve ou le somnambulisme le cerveau n’est endormi qu’en partie et il est mis en activité par l’intermédiaire des sens externes, pour une cause spéciale : un mot prononcé, une pensée ou une image s’attardant à l’état latent dans l’une des cellules de la mémoire et réveillée par un bruit soudain, la chute d’une pierre suggérant instantanément à l’imagination à demi consciente du dormeur, des murs en maçonnerie et ainsi de suite. Quand on est tout à coup troublé dans son sommeil, sans toutefois être complètement réveillé, on ne commence ni ne termine son rêve au moment où ce simple bruit vous a partiellement éveillé, mais souvent on expérimente dans son rêve une longue suite d’événements concentrés dans le bref espace de temps que dure le bruit et qu’il faut attribuer uniquement à ce bruit. Généralement, les rêves sont induits des associations d’idées qui les ont précédés à l’état de veille. Certains produisent une telle impression que la moindre idée dans la direction d’un sujet quelconque associé à un rêve particulier, peut en amener le retour des années plus tard. Tartini, le fameux violoniste italien, composa sa « Sonate du Diable » sous l’inspiration d’un rêve. Pendant son sommeil, il crut que le Diable lui apparaissait et lui proposait un défi de virtuosité sur son propre violon, qu’il apportait avec lui des régions infernales, défi que Tartini accepta. Quand il se réveilla, la mélodie de la « Sonate du Diable » était imprimée si intensément en son esprit, qu’il la nota sur le champ ; mais en arrivant au final, tout souvenir de la suite disparut, et il mit de côté le morceau de musique inachevé. Deux ans plus tard, il rêva la même chose et essaya dans son rêve de se rappeler le final à son réveil. Le rêve se répéta à cause d’un musicien de rue, aveugle, qui jouait de son instrument sous la fenêtre de l’artiste. Coleridge composa de la même façon son poème « Kublai Khan » dans un rêve, et, en s’éveillant, il le trouva gravé si intensément en son mental qu’il écrivit les vers fameux qui sont encore conservés. Le rêve eut pour cause le fait que le poète était tombé endormi sur sa chaise en lisant dans le « Pèlerinage » de Purcha, les paroles suivantes : « Ici, le Khan Kublai ordonna qu’on bâtit un palais…entouré d’un mur. » [Retour Sommaire]
La croyance populaire qui prétend que parmi le grand nombre de rêves privés de sens, il y en a qui prédisent fréquemment des événements à venir, est partagée par beaucoup de personnes versées en la matière, mais nullement par la science. Pourtant, il existe des exemples sans nombre de rêves authentiques qui se vérifient par les événements futurs et qui, par suite, peuvent être appelés prophétiques. Les classiques grecs et latins fourmillent de récits de rêves remarquables, dont certains sont devenus historiques. La foi dans la nature spirituelle du rêve était tout aussi largement répandue parmi les philosophes païens que chez les pères chrétiens de l’Eglise, et la croyance aux présages et aux interprétations de rêves (oniromancie) ne se limite pas aux nations païennes de l’Asie, puisque la Bible en est pleine. Voici ce que dit Eliphas Lévi, le grand Cabaliste moderne, au sujet de ces divinations, visions et rêves prophétiques ([ii]) :
« Le somnambulisme, les prémonitions et la seconde vue ne témoignent que d’une disposition, soit accidentelle ou habituelle, à rêver éveillé ou pendant un sommeil volontaire, provoqué par soi-même et pourtant analogues de la Lumière Astrale…Tout l’attirail et les instruments de divination ne sont que de simples moyens de communications (magnétiques) entre le divin et celui qui le consulte ; ils servent à fixer et à concentrer deux volontés (dirigées dans la même direction ) sur le même signe ou objet ; les étranges et compliquées figures mouvantes aidant à rassembler les réflexions du fluide astral. Ainsi, l’un est capable de voir par moment dans les marcs de café ou dans les nuages, dans le blanc d’un œuf, etc., des formes fantastiques n’existant que dans le monde translucide (ou dans l’imagination du voyant). La vision clairvoyante dans l’eau est produite par la fatigue du nerf optique ébloui, qui finit par céder sa fonction à celle du milieu translucide et fait surgir une illusion cérébrale qui semble faire des images réelles de simples réflexions de la lumière astrale. Ainsi, les personnes les mieux douées pour ce genre de divination sont celles de tempérament nerveux, dont la vue est faible et l’imagination vive, les enfants y étant adaptés mieux que tout autre. Mais que nul n’interprète mal la nature de la fonction que nous attribuons à l’imagination dans l’art de la divination. Nous voyons sans aucun doute à travers notre imagination, et c’est là l’aspect naturel du miracle ; mais nous voyons des choses réelles et vraies, et c’est en cela que gît la merveille du phénomène naturel. Nous faisons appel, pour confirmer ce que nous disons, au témoignage de tous les adeptes… ».
Et maintenant, nous donnons une seconde lettre qui nous relate un rêve vérifié par des événements indéniables. [Retour Sommaire]
Les rêves ne sont-ils que de vaines visions ?
À l’éditeur du Theosophist
Il y a quelques mois, un certain Babu Jugut Chunder Chatterjee, Sous-Député Collecteur de Morshedabad au Bengale, fut désigné pro tem pour une mission à Kandi, une sous division du District de Morshedabad. Il avait laissé sa femme et ses enfants à Berhampore, le Chef-lieu du District et résidait à Kandi avec Babu Soorji Coomar Baskh (Sous-député Collecteur de la sous-division) à la résidence de ce Monsieur.
Ayant reçu l’ordre de faire quelques travaux à un endroit, à environ dix milles de Kandi, dans l’intérieur des terres, Babu Jugut Chunder prit ses dispositions en conséquence pour partir le jour suivant. Pendant cette nuit, il rêva à sa femme atteinte du choléra à Berhampore et souffrant intensément. Ceci troubla son esprit. Il raconta son rêve à Babu Soorji Coomar, le lendemain matin, et tous deux considérant le sujet comme un rêve privé de sens, poursuivirent leurs occupations respectives sans y accorder une autre pensée.
Après le déjeuner, Babu Jugut Chunder se retira pour prendre un court repos avant de se mettre en route. Dans son sommeil, il fit le même rêve. Il vit sa femme souffrant de la terrible maladie, fut témoin de la même scène et s’éveilla en sursaut. Il commença à s'inquiéter, et se levant, il relata à nouveau son second rêve à Babu Soorji qui ne sut que dire. Il fut alors décidé que, puisque Babu Jugut Chunder devait rejoindre le poste qui lui était assigné, son ami, Babu Soorji Coomar lui enverrait sans retard toute lettre ou nouvelle qu’il pourrait recevoir à son adresse de Berhampore, et après avoir pris des dispositions spéciales dans ce but, Babut Jugut Chunder partit.
A peine parti de quelques heures, arriva un messager de Berhampore avec une lettre pour Babu Jugut. Son ami se rappelant l’état d’esprit dans lequel il avait quitté Kandi et craignant de mauvaises nouvelles, ouvrit la lettre et y trouva la confirmation du rêve qui s’était répété deux fois. La femme de Babu Jugut avait été atteinte du choléra à Berhampore, la nuit même où son mari l’avait rêvé, et elle en souffrait encore. Ayant reçu la nouvelle qui lui avait été transmise par un messager spécial, Babu Jugut retourna sur le champ à Berhampore, où grâce à des soins immédiats, la patiente fut bientôt guérie.
Ceci me fut conté à la maison de Babu Lal Cori Mukerjee, à Berhampore, en sa présence par Babu Jugut Chunder et Soorji Coomar eux-mêmes en visite amicale, et l’histoire du rêve fut ainsi confirmée par le témoignage d’une personne qui l’avait entendue raconter à un moment où aucun des deux ne savait qu’il se réaliserait.
L’incident ci-dessus peut, je crois, être considéré comme un bel exemple de la présence dans l’homme d’une âme astrale toujours en éveil, à côté d’un mental indépendant de son propre cerveau physique. Je vous serais toutefois très obligé de bien vouloir nous donner une explication du phénomène. Babu Lal Cori Mukerjee est un abonné au Theosophist et ceci sera certainement lu par lui. S’il se souvient des dates, ou voit un détail omis ou erroné, l’auteur lui sera très obligé de fournir tout détail complémentaire, ou de corriger si nécessaire, toute erreur que je puis avoir commise après avoir pris avis des intéressés. Pour autant que je me souvienne, le fait se produit cette année en 1881.
Navin K. Sarman Banerjee M.S.T. [Retour Sommaire]
Réponse de la directrice
Note de l’éditeur : « Les rêves sont des intermèdes que crée la fantaisie », nous dit Dryden ; pour nous montrer peut-être que même un poète soumet parfois sa muse au préjugé.
L’exemple ci-dessus n’en est qu’un, pris dans ce qu’on peut considérer comme des cas exceptionnels de la vie de rêve, la généralité des rêves n’étant en réalité que « des intermèdes que crée la fantaisie ». La politique de la science matérialiste et prosaïque consiste à ignorer avec dédain de telles conceptions, sous prétexte, peut-être, que l’exception confirme la règle, ou croyons-nous plutôt, pour éviter la tâche embarrassante d’expliquer de telles conceptions. En vérité si un seul exemple se refuse obstinément à entrer dans la classification des « coïncidences étranges – tant en vogue chez les sceptiques – alors les rêves prophétiques ou vérifiés exigent un remaniement complet de la physiologie. Comme pour la phrénologie, la reconnaissance et l’acceptation par la science des rêves prophétiques (et de ce fait, la reconnaissance des prétentions de la Théosophie et du Spiritisme) détermineraient, nous l’admettons, « Une nouvelle science éducative, sociale, politique et théologique. Par conséquent, la Science ne reconnaîtra jamais ni les rêves, ni le spiritisme, ni l’occultisme.
La nature humaine est un abîme que la physiologie et la science humaine en général ont moins sondé que certains qui n’ont jamais entendu prononcer le mot de physiologie. Jamais les hauts senseurs de la Société Royale ne sont plus perplexes que lorsqu’on les met en présence de ce mystère insoluble – la nature intérieure de l’homme. La clef qui l’ouvre est la double nature de l’homme. C’est cette clef qu’ils se refusent d’employer, conscients qu’une fois la porte de leur adytum ouverte, ils seront forcés d’abandonner une à une leurs chères théories et leurs conclusions finales – que plus d’une fois on montra n’être rien d’autre que des imaginations fausses, comme tout ce qui s’édifiait sur elles et partant de prémisses fausses ou incomplètes. Devons-nous nous contenter des demi-explications de la physiologie au sujet des rêves qui se sont vérifiés ? Dire que l’homme est un être double, que dans l’homme – pour employer les mots de Saint Paul – « Il y a un corps naturel et un corps spirituel », et que par conséquent il doit nécessairement posséder une série double de sens, est synonyme, dans l’opinion du sceptique éduqué, d’une erreur impardonnable et des moins scientifiques. Pourtant, il faut le formuler, malgré la science.
L’homme est indéniablement doué d’une double série de sens : les sens naturels ou physiques, qui peuvent être laissés à la physiologie pour qu’elle les étudie, et les sens sur-naturels ou spirituels appartenant entièrement au domaine de la science psychologique. Le mot latin « sub », entendons-nous, est employé ici dans un sens diamétralement opposé de celui qu’on lui donne en chimie par exemple. Dans notre cas, ce n’est pas une préposition, mais un préfixe comme dans la « sous-tonique » ou la « sous-basse » en musique. En vérité, comme il est prouvé que le son global de la nature est une seule note définie, une note tonique vibrant à travers toute l’éternité ; ayant une existence indéniable per se et possédant une hauteur appréciable uniquement « pour l’oreille fine et aiguisée ([iii]) », ainsi l’harmonie ou désharmonie définie de la nature extérieure de l’homme, dépend entièrement, comme le voit l’observateur, du caractère de la note tonique frappée par l’homme intérieur pour l’homme extérieur. C’est l’Ego ou Soi spirituel qui sert de base fondamentale et détermine le ton de toute la vie de l’homme – le plus capricieux, incertain et variable de tous les instruments, et qui, plus que tout autre, a besoin d’être constamment accordé ; c’est sa voix seule qui, comme la basse d’un orgue, souligne la mélodie de toute sa vie, que ses tons soient doux ou aigres, harmonieux ou discordants, legato ou pizzicato. [Retour Sommaire]
C’est pourquoi nous disons que l’homme, en surplus du cerveau physique, en a un autre spirituel. Si le premier dépend entièrement de son propre développement et de sa structure physique, pour son degré de réceptivité, d’autre part, il est entièrement subordonné au second, puisque c’est l’Ego spirituel seul, selon qu’il tend plutôt vers ses deux principes supérieurs ([iv]) ou vers son enveloppe physique, qui peut imprimer plus ou moins vivement sur le cerveau externe, la perception des choses purement spirituelles ou immatérielles. C’est donc de l’acuité des sensations mentales de l’Ego intérieur du degré de spiritualité de ses facultés que dépend le transfert de l’impression des scènes que son cerveau semi-spirituel perçoit, des mots qu’il entend et de ce qu’il sent, au cerveau physique endormi de l’homme externe. Plus est forte la spiritualité des facultés de celui-ci, plus il est aisé pour l’Ego d’éveiller les hémisphères cérébraux endormis, de mettre en action le ganglion sensoriel et le cerveau, et d’imprimer sur le premier toujours complètement inactif et au repos pendant le sommeil profond de l’homme, l’image dynamique du sujet transmis de la sorte. Chez un homme sensuel et peu spirituel, dont le mode de vie et les tendances et passions animales ont entièrement séparé le cinquième principe de l’Ego astral animal de son « Âme spirituelle » supérieure ; comme aussi chez celui dont le dur travail physique épuise tellement le corps matériel qu’il le rend momentanément insensible à la voix et aux contacts de son âme astrale, - pendant le sommeil – le cerveau de ces deux hommes reste dans un état d’anémie complète ou d’entière inactivité. De telles personnes auront rarement, sinon jamais, des rêves et moins que tout autre, des « visions qui se réaliseront ». Chez le premier, quand approche le moment du réveil et que son sommeil devient plus léger, les changements mentaux commencent à se produire et constituent des rêves dans lesquels l’intelligence ne joue aucun rôle, son cerveau à demi éveillé lui suggérant des images qui ne sont que de vagues et grotesques reproductions de ses folles habitudes de vie, tandis que chez le second – à moins d’être fortement préoccupé par quelque pensée exceptionnelle – son instinct d’habitudes actives toujours présent ne lui permettra pas de rester dans cet état de demi-sommeil, pendant lequel la conscience commençant à revenir, nous avons des rêves d’espèces variées, mais cet instinct l’éveillera immédiatement, et sans aucune transition, à la pleine conscience de veille. D’autres part, plus un homme est spirituel, plus son imagination est active et plus grande est la probabilité pour lui de recevoir en vision les impressions correctes que lui transmet son Ego qui voit tout et est toujours en éveil. Les sens spirituels de ce dernier n’étant pas entravés par l’intervention des sens physiques sont en rapports intimes directs avec son principe spirituel supérieur ; et celui-ci bien qu’étant per se un fragment presqu’inconscient de l’Absolu complètement inconscient parce que totalement immatériel ([v]) – tout en ayant en lui-même des capacités inhérentes d’omniscience, d’omniprésence et d’omnipotence qu’il perd aussitôt que l’essence pure entre en contact avec la matière pure et sublimée, et pour nous impondérable – transmet ces attributs dans une certaine mesure à l’Ego astral tout aussi pur. C’est pourquoi des personnes hautement spirituelles auront des visions et des rêves pendant le sommeil et même pendant leurs heures de veille : ce sont les sensitifs, les voyants nés appelés maintenant du terme vague de « médiums spirituels » car on ne fait aucune distinction entre un voyant subjectif, un sujet neurologique, et même un adepte – c'est-à-dire un être s’étant rendu indépendant de ses idiosyncrasies physiologiques, et ayant entièrement soumis l’homme externe à l’homme intérieur. Ceux moins bien doués spirituellement, auront aussi de tels rêves, mais à de plus rares intervalles, l’acuité de ces rêves dépendant de l’intensité de leur sentiment par rapport à l’objet perçu.
Si nous avions étudié plus sérieusement le cas de Babu Jagut Chunder, nous aurions appris que pour une ou plusieurs raisons, soit lui ou sa femme, était intensément attaché à l’autre, ou que la question de sa vie ou de sa mort était de la plus grande importance pour l’un ou pour tous deux. « Une âme envoie un message à une autre âme » est un vieux dicton. De là les prémonitions, les rêves et les visions. En tous cas, et dans ce rêve du moins, il n’y avait pas d’esprits « désincarnés » à l’œuvre, l’avertissement étant dû uniquement à l’un ou à l’autre ou aux deux Egos vivants et incarnés.
Ainsi, dans cette question de rêves vérifiés, comme dans tant d’autres, la Science se trouve en face d’un problème non résolu, dont la nature insoluble provient de son propre entêtement matérialiste et de sa politique routinière qu’elle a chéri de tout temps. Car, ou bien l’homme est un être double, avec un Ego intérieur ([vi]) et cet Ego est « l’homme réel » distinct et indépendant de l’homme extérieur dans la mesure où le corps matériel prédomine ou est faible, un Ego dont la portée des sens s’étend bien au-delà de la limité concédée aux sens physiques de l’homme, un Ego qui survit à la mort de son enveloppe extérieure, du moins pendant un temps, alors même qu’un mode de vie pernicieux l’a fait échouer dans la réalisation d’une union parfaite avec son soi spirituel supérieur, c’est-à-dire dans la fusion de son individualité en lui (la personnalité disparaissant toujours graduellement) ; ou bien alors, le témoignage de millions d’hommes embrassant plusieurs milliers d’années, la preuve fournie en notre siècle par des centaines d’hommes des plus instruits, souvent par les plus grandes lumières de la science, toute cette évidence disons-nous, compte pour rien. A l’exception d’une poignée d’autorités scientifiques entourées d’une foule ardente de sceptiques et de faux savants, qui n’ayant jamais rien vu, prétendent par suite, avoir le droit de nier tout – le monde est accusé d’être un gigantesque asile d’aliénés. Il possède toutefois un département spécial qui est réservé à ceux qui, ayant prouvé qu’ils étaient sains d’esprit, doivent nécessairement être considérés comme des IMPOSTEURS et des MENTEURS…
Le phénomène des rêves a-t-il donc été étudié si complètement par la science matérialiste, qu’elle n’a plus rien à apprendre, puisqu’elle parle du sujet d’un ton aussi impératif ? Pas le moins du monde. Les phénomènes de la sensation et de la volition de l’intellect et de l’instinct se manifestent tous évidemment par le canal des centres nerveux dont le plus important est le cerveau. Quant à la substance spéciale par laquelle ces actions se produisent – une substance dont les deux formes sont la forme vésiculaire et la fibreuse – celle-ci n’est considérée que comme étant simplement le conducteur des impressions envoyées à la matière vésiculaire.
Pourtant, tandis que cette action physiologique se différencie ou se divise, d’après la Science en trois espèces – l’action motrice, la sensitive, et celle de relation – l’agent mystérieux de l’intellect reste aussi mystérieux et déroutant pour les grandes physiologistes, qu’il l’était du temps d’Hippocrate. La suggestion scientifique qu’il pourrait y avoir une quatrième activité associée aux opérations de la pensée n’a pas contribué à résoudre le problème ; elle n’a pas réussi à répandre, ne fût-ce que le moindre rayon de lumière sur le mystère insondable. Et nos hommes de Science n’arriveront jamais à le sonder, tant qu’ils n’accepteront pas l’hypothèse de l’homme double.
H.P. Blavatsky
Cet article fut publié par H.P. Blavatsky directrice de la revue The Theosophist de janvier. 1882.
Publié en français dans la revue Théosophie, X, n°12 – Août 1935. [Retour Sommaire]
Notes
([i]) Voir également la note de l’Éditeur sur la lettre qui fait suite à celle-ci « Les rêves ne sont-ils que de vaines visions ? »
([ii]) Rituel de la Haute Magie. Vol. I p. 356-7.
([iii]) Ce ton est, prétendent les spécialistes, le fa moyen du piano. Ed. Theosophist.
([iv]) Le sixième principe ou âme spirituelle et le septième, son principe purement spirituel l’« Esprit » ou Parabraham – l’émanation de l’Absolu inconscient (Voir « Fragment of Occult Truth, » numéro d’octobre de Theosophist 1881).
([v]) Cet enseignement sera démenti de toute façon par les Théistes tandis que les spirites soulèveront contre lui des objections variées. Il est évident qu’on ne peut s’attendre à ce que nous donnions dans les limites étroites d’un court article, une explication complète de cette doctrine hautement abstruse et ésotérique. Dire que la CONSCIENCE ABSOLUE est Inconsciente de sa conscience et que par suite pour l’intellect limité de l’homme, elle doit être l’INCONSCIENCE ABSOLUE semble équivaloir à parler d’un triangle carré. Nous espérons développer la proposition plus complètement dans l’un des prochains numéros de « Fragments de Vérité Occulte » dont nous sommes autorisés à publier une série. Nous prouverons peut-être alors, à la satisfaction de ceux qui n’ont aucun préjugé, que l’Absolu ou l’Inconditionné et (surtout) ce qui est sans relation, n’est qu’une abstraction fantaisiste, une fiction, à moins que nous ne l’envisagions du point de vue et à la lumière du panthéiste instruit. Pour cela, nous devrons considérer l’Absolu simplement comme l’agrégat des intelligences, la totalité de toutes les existences, incapable de se manifester sinon par l’interrelation de ses parties, car Il est absolument inconnaissable et non-existant en dehors de ses phénomènes, et dépend entièrement de ses Forces sans cesse transformées qui dépendent à leur tour de la Grande Loi Une. – Ed. Theosophist
([vi]) Il ne s’agit pas de décider pour l’instant si cet Ego ou Âme est unique comme l’affirment les Spirites, ou multiple, c'est-à-dire composé de sept principes, comme l’enseigne l’ésotérisme oriental. Prouvons d’abord par notre expérience conjuguée, qu’il y a dans l’homme quelque chose au-delà de la Force et de la Matière de Buchner. Ed. Theosophist.