On m'a sollicité pour parler de la Fraternité Universelle en tant qu'un fait dans la nature et non comme une théorie, comme un rêve utopique jamais réalisable ; non comme un fait dans la société ou dans le gouvernement, mais comme un fait dans la nature. C'est-à-dire, qu'on le reconnaisse ou non, la Fraternité Universelle est une chose concrète. Pendant des années, les prêtres chrétiens ont proclamé, sans aucun droit, que le Christianisme avait introduit l'idée de Fraternité Universelle. La raison de cette prétention était, je suppose, qu'ils ignoraient que d'autres religions avaient eu la même doctrine en d'autres temps. On la trouve dans les écritures bouddhiques, on la trouve dans les livres de la Chine, on la trouve dans les livres de la Perse, on la trouve partout dans l'histoire du monde, longtemps avant la première année de l'Ere Chrétienne. Ce n'est donc pas une idée propre aux écritures Chrétiennes. Chaque nation, puis chaque civilisation, a présenté cette doctrine et les évènements historiques nous montrent que, plus qu'à toute autre époque, ces dix-huit siècles derniers ont été témoins de la transgression de cette doctrine dans la société, dans la façon de gouverner et dans les nations. Si bien que les hommes ont fini par dire : « la Fraternité Universelle, c'est très beau ! c'est quelque chose que nous souhaitons tous, mais elle est impossible à réaliser ». D'un côté, par leurs propos, ils professent la noble doctrine et de l'autre, ils réfutent la possibilité de la voir jamais réalisée.

    Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi alors que le Christianisme et d'autres religions ont présenté cette doctrine, a-t-elle été transgressée ? Nous ne pouvons nier qu'elle l'a été. L'histoire de ces toutes dernières années le prouve. Celle de l'Amérique, ces dernières quarante années, sans remonter plus loin, prouve qu'elle l'a été en Occident. Comment une telle doctrine pouvait-elle exister et les Américains y croire alors que l'esclavage régnait dans leur pays ? Comment les Français ont-ils pu y croire quand, en même temps, ils faisaient main basse sur le Siam, nation faible, impuissante, lui demandant de leur abandonner ce qui lui appartenait en propre. Comment Allemands et Français ont-ils pu y croire alors qu'ils construisaient des engins de guerre et engageaient la bataille, se détruisant les uns les autres par milliers ? La guerre américaine de l'Indépendance et l'énorme montant de richesses gaspillées, les milliers de gens tués dans cette guerre civile, ne prouvent-ils pas incontestablement que la Fraternité Universelle n'avait pas été mise en pratique ? Elle a été enseignée, mais pas pratiquée.

Remontez encore plus loin, observez le passé dans l'histoire des nations européennes sans vous occuper des autres. Qu'y trouvez-vous ? N'y trouvez-vous pas des préjugés sectaires ? Leur conception de la Fraternité Universelle a, pendant des années, empêché le progrès scientifique. N'est-il pas vrai que seulement depuis qu'elle est devenue matérialiste (chose surprenante mais vraie) et seulement depuis lors, j'insiste sur ce point, la science a progressé ? Si la Fraternité Universelle avait été une croyance dans ce pays, nous n'aurions pas dû y voir brûler les sorciers, pas plus que dans d'autres pays nous n'aurions eu des Catholiques condamnés au bûcher par des Protestants, et des Protestants brûlés par les Catholiques ; nous n'aurions pas dû avoir les persécutions qui ont terni les pages de l'histoire, et pourtant nous avons toujours proclamé l'existence de la Fraternité Universelle. Nous en avions la théorie, mais non la pratique.

Alors, n'était-ce pas parce qu'il y manquait quelque chose ? C'est une belle doctrine. C'est la seule doctrine de la Société Théosophique, la seule à laquelle nous demandions de souscrire. Qu'est-ce donc qui ne va pas ? Pourquoi de si nombreux individus disent-ils qu'elle est belle certes mais qu'elle est impossible, tout bonnement impossible ? Il existe même des branches de l'Eglise chrétienne qui disent : « Il y a Jésus ; certes, les nobles enseignements altruistes du Christ sont beaux ; mais aucun Etat ne peut vivre trois mois avec une telle doctrine ». La raison pour laquelle elle n'a pas réussi dans la pratique est due au fait qu'elle est désavouée dans les cœurs.

Le Théosophe qui a quelque connaissance de la vie soutient que la Fraternité Universelle n'est pas une simple théorie. Elle est un fait, un fait vivant, toujours présent, auquel nulle nation ne peut espérer se soustraire, auquel nul homme ne peut échapper, et celui qui la viole, viole une loi, viole la plus grande loi de la nature ; elle réagira sur lui, le faisant souffrir. Et voilà pourquoi il nous a fallu souffrir, voilà pourquoi vous avez à Chicago, à Londres, à New York, à Berlin dans toutes les grandes cités du monde, des gens en masse proclamant qu'ils sont opprimés par une autre classe de la société, réclamant avec violence ce qu'ils appellent leurs droits et prétendant que ceux-ci doivent être respectés. Le danger est là qui guette, à chaque pas, parce que des hommes exigent la Fraternité Universelle. Cette noble doctrine est déjà devenue un danger. La raison de tout ceci ? Les hommes ont nié le fait. Nous nous proposons de vous montrer, autant que faire se peut, qu'elle est un fait.

Si vous voulez bien observer, vous remarquerez que lorsqu'il pleut sur une certaine surface du globe, une masse d'hommes en est affectée de façon similaire. La pluie doit tomber sur les champs pour que les moissons poussent et qu'il y ait ensuite la récolte et la pluie affecte, au même titre, tous les fermiers. Si vous examinez la société, vous constaterez qu'à la même heure, chaque jour, presque tout le monde fait exactement la même chose. A une certaine heure de la matinée, des milliers de vos concitoyens se dirigent vers le chemin de fer ou se précipitent ensemble pour attraper le train et peu d'instants après sortent précipitamment de leur train pour se rendre au travail, faisant tous la même chose, tous mus par une seule pensée commune. C'est, entre autres, une preuve que dans la vie sociale et active ils sont tous affectés en même temps et sont tous unis. Puis, dans la soirée, ils reviendront chez eux à la même heure et, si vous pouviez les voir, à la même heure vous les verriez tous mangeant, digérant en même temps puis, un peu plus tard, ils iront tous se coucher à la même heure. Ne sont-ils pas unis même dans leur vie sociale ? Des frères même en cela ?

Qu'observons-nous ici dans les affaires ? Récemment, j'en ai fait l'expérience, comme tout un chacun ; sans doute avons-nous tous eu cette expérience. Nous venons d'avoir une crise financière, peut-être dure-t-elle encore, au cours de laquelle les dollars se sont faits rares ; certains ont découvert qu'on disposait tout juste d'un certain nombre de dollars et de demi-dollars par personne et nous avons tous été pris de panique dans ce vaste pays. Pris de panique, pourquoi ? Parce que, commercialement nous sommes unis et nous ne pouvons y échapper. Même la Chine en a été affectée et le Japon aussi. L'Inde, dit-on, en était la cause. Certaines personnes attribuent la cause de cette perturbation au fait que l'Inde a dévalué sa roupie et nous qui produisons tant d'argent avons commencé à en ressentir les effets. Je ne sais si c'est la raison exacte. Je crois qu'il y en a une autre. Je suis convaincu que la nation américaine a un tel goût du luxe, des vêtements élégants, un tel désir d'amasser de l'argent, qu'elle a été trop loin et une réaction devait fatalement se produire car elle est unie avec le monde entier et lorsque l'on dépasse les bornes, la moindre chose fait crouler l'édifice. Voilà la raison et une autre preuve de la Fraternité Universelle. Nous sommes tous unis, les uns les autres, non seulement ici, mais avec le monde entier.

Prenez un exemple encore plus matériel et vous constaterez que tous les hommes sont semblables. Nous avons le même genre de corps, différant quelque peu quant à la taille, au poids, à la carrure, mais en tant qu'être humain, nous sommes tous semblables, tous de la même couleur dans un pays donné, tous de la même constitution sur toute la terre, si bien qu'il y a unité même lorsque l'on considère simplement les corps de chair car ils sont identiques. Qu'une transpiration exsude tant de l'homme que de la femme, nous le savons tous ; mais les docteurs vous diront qu'il y a une transpiration plus subtile que vous ne pouvez voir et qui est la transpiration invisible qui exsude de nous. Nous savons qu'elle émane de tout individu ; les émanations des uns affectent les autres, car un échange constant s'établit entre eux. Nous tous présents dans cette salle, sommes affectés par ces émanations et aussi par les idées d'autrui, par celles des orateurs qui vous parlent. Il en est ainsi dans tous les sens ; où que vous alliez, où que vous regardiez, nous sommes unis ; sur n'importe quel plan, le plan du mental aussi bien que le plan du corps, le plan des émotions, de l'esprit, etc., ... nous sommes tous unis, et c'est un fait auquel nous ne pouvons échapper.

Continuons : la science commence à peine à admettre ce que les anciens Théosophes ont toujours dit : qu'à chaque minute dans toute personne a lieu une mort, une dissolution, une disparition. On avait coutume d'enseigner et de penser en Occident que nous pouvions voir la matière, que cette table-ci est faite de matière. Il est admis aujourd'hui par vos meilleurs hommes de Science dans toute la civilisation occidentale que vous ne voyez pas de matière du tout ; c'est seulement le phénomène de matière que nous voyons ; et ce sont mes sens qui me permettent de percevoir ces phénomènes. Ce n'est pas la matière du tout et donc nous ne voyons pas la matière. Or, en admettant cela, ils vont plus loin et disent qu'il y a un changement constant dans ce qui est appelé matière, c'est-à-dire que cette table est en mouvement. Ceci n'est pas une théorie purement théosophique. Adressez-vous à n'importe quel docteur en physique et il vous confirmera ce que je viens de vous dire. Cette table est en mouvement ; chaque molécule est séparée l'une de l'autre, et il y a un espace entre elles et elles sont en mouvement. Il en est ainsi pour tout homme. Il est fait d'atomes et ces atomes sont en mouvement. Comment se fait-il donc que nous gardons la même taille et le même poids, à peu d'exceptions près, à partir de la maturité jusqu'à la mort ? Nous mangeons des tonnes de viande et de légumes mais nous demeurons les mêmes. Ce n'est pas en raison des aliments que nous avons consommés. En outre les atomes sont vivants, dans un mouvement constant, allant et venant d'une personne à l'autre, et ceci est la doctrine moderne actuelle, tout comme c'était la doctrine de l'Inde antique. On l'appelle la dissolution momentanée des atomes ; c'est dire, en d'autres termes, que je perds constamment, et vous tous, dans cette salle, vous perdez constamment un certain nombre d'atomes, mais ils se trouvent être constamment remplacés par d'autres atomes.

Mais d'où proviennent ces autres atomes ? Ne viennent-ils pas des personnes présentes dans cette salle ? Ces atomes aident à la reconstruction de votre corps autant que la nourriture que vous mangez. Et nous exsudons des atomes de notre mental, et nous recevons en nous-mêmes les atomes que d'autres hommes ont utilisés. Car, rappelez-vous ce que la Science vous enseigne et la Théosophie a toujours insisté sur ce point : la matière est invisible avant de se changer dans cette combinaison du cycle de vie qui nous la rend visible, qui nous la rend tangible. Ainsi ces atomes nous abandonnent sous forme de courant et se précipitent pénétrant les autres êtres. Par conséquent, les atomes d'individus bons passent dans des individus mauvais, les atomes ayant reçu l'impression des individus mauvais passent dans les bons et vice versa. D'une façon ou d'une autre nous affectons tout ce qui est dans ce monde, les habitants de Chicago qui mènent une existence vile, égoïste, imprègnent ces atomes invisibles de caractéristiques viles et égoïstes et ces atomes vils et égoïstes seront distribués par d'autres hommes et par vous, à nouveau, à votre détriment et au leur. C'est là une autre phase de la Fraternité Universelle. Elle nous apprend à être prudents quant à la manière dont nous utilisons et conservons les atomes dont nous sommes responsables afin qu'ils soient bénéfiques pour ceux vers qui ils iront.

Il y a un autre aspect de la Fraternité Universelle et je ne prétends pas épuiser l'argumentation sur ce sujet car je n'ai ni le temps, ni la force de faire le compte-rendu de ce qui a été exposé dans les livres, la littérature et la pensée théosophiques. A savoir, qu'il y a dans ce monde une réelle Fraternité Universelle d'hommes et de femmes, d'âmes ― une fraternité d'êtres qui pratiquent la Fraternité Universelle en essayant sans cesse d'influencer les âmes des hommes pour leur bien. Je vous apporte le message de ces hommes ; je vous apporte les paroles de cette fraternité. Pourquoi voulez-vous continuer à vous considérer comme des hommes et des femmes misérables visant à atteindre un Ciel où vous n'aurez rien à faire ? N'aimez-vous pas être des dieux ? N'avez-vous pas envie d'être des dieux ? J'entends quelques-uns d'entre vous dire : « Quoi ! Un dieu ! Impossible ! » Peut-être n'aiment-ils pas ce genre de responsabilité ? Pourquoi ? Lorsque vous atteindrez cet état vous en comprendrez la responsabilité. Cette Fraternité réelle d'hommes vivants pose la question : pourquoi, hommes de l'Occident, pourquoi voulez-vous si longtemps refuser de croire que vous être des dieux ? Nous sommes vos frères et nous sommes des dieux avec vous. Soyez donc comme des dieux ! Croyez que vous êtes des dieux, et alors, après expérience et réalisation, vous aurez consciemment votre place dans la grande Fraternité qui gouverne le monde entier, mais qui ne peut pas aller contre la loi. Cette grande Fraternité d'hommes vivants, d'âmes vivantes, modifieraient, s'ils le pouvaient, la face de la civilisation ; ils descendraient et ils feraient s'ils le pouvaient de chacun de vous un saint, mais l'évolution est la loi et ils ne peuvent la violer, ils doivent vous attendre. Et pourquoi vous contenteriez-vous si longtemps de croire que vous êtes nés avec le péché originel et ne pouvez y échapper ? Je ne crois pas dans une telle doctrine. Je ne crois pas que je suis né entaché par le péché originel. Je crois que je suis pas mal mauvais, mais que potentiellement je suis un dieu et je me propose d'en prendre l'héritage si cela est possible. Dans quel but ? De manière à pouvoir aider tous les autres à en faire autant, car c'est la loi de Fraternité Universelle ; et la Société Théosophique désire la faire reconnaître en Occident, lui faire voir cette grande vérité, que nous sommes semblables à des dieux, et que, en réalité nous sommes seulement retenus de l'être à cause de notre folie, de notre ignorance et de la crainte d'en remplir les conditions.

Ainsi donc nous insistons : la Fraternité Universelle est un fait dans la nature. Elle est un fait dans l'aspect le plus inférieur de la nature ; dans le règne animal, dans le règne végétal et dans le règne minéral. Nous sommes tous des atomes, obéissant ensemble à la loi. Le fait de la nier n'est pas une preuve contradictoire.

Il diffère simplement le jour de la récompense et nous retient dans un état de misère, de pauvreté et d'égoïsme. Eh bien ! Réfléchissez un instant ! Si tout le monde à Chicago, aux Etats-Unis agissait comme Jésus l'a dit, comme Bouddha l'a dit, comme Confucius l'a dit, comme tous les grands Instructeurs d'éthique sur cette terre l'ont dit : « Faites à autrui ce que vous voudriez qu'on vous fît » serait-il nécessaire d'avoir recours à des mesures légales et à des policiers avec leurs bâtons, comme nous en avons vu l'autre jour dans ce parc ? Non, je crois que ce serait inutile et c'est ce qu'a dit l'un de ceux qui appartiennent à cette grande Fraternité. Il dit que tous les malheurs du monde disparaîtraient instantanément, si les hommes voulaient bien faire seulement le quart de ce qu'ils peuvent et doivent faire. Ce n'est pas Dieu qui vous condamne à la mort ou à la misère. C'est vous-mêmes.

La Société Théosophique désire par-dessus tout, non pas vous faire tout savoir sur le spiritualisme, ni accomplir des prodiges dans les arts occultes, mais vous faire comprendre la constitution de la matière et de la Vie telles qu'elles sont ; et nous ne pourrons les comprendre que si nous pratiquons l'éthique juste. Soyez entre vous comme des frères ; car la misère et le malheur du monde sont d'une importance plus grande que tout le progrès scientifique imaginable. Je conclus en vous invitant, au nom de tout ce que l'humanité a de plus cher, à vous souvenir de mes paroles, que vous soyez Chrétiens, Athées, Juifs, Païens ou Théosophes, essayez de pratiquer la Fraternité Universelle, le devoir universel de tous les hommes.

W.Q. Judge

Traduction d'une conférence de W.Q. Judge publiée dans Theosophy Vol. 36 p. 52 d'après le Rapport de la Section Américaine de la Société Théosophique. Conférence faite au Congrès Théosophique du Parlement des Religions lors de la Foire Mondiale de Chicago, en Septembre 1893. (N. d. T.)

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