Maintenant qu’est terminée la guerre la plus terrible et la plus destructrice connue dans les annales de l’histoire, les questions suivantes se posent à la pensée de chacun : Qu’a-t-on appris de cette guerre ? Une leçon quelconque en a-t-elle été apprise ? Pensons-nous un seul instant que la fin de cette guerre ait mis un terme à nos ennuis ? Ne voyons-nous pas les nuages s’accumuler dans les cieux de l’humanité ?
On nous présente toutes sortes de révélations comme des panacées. Certains désirent manifestement amener les gens à un « sens moral » - un sens qu’ils estiment être le propre de la religion chrétienne. Ainsi, ils tentent de réaliser une sorte de fusion des Églises, en se figurant que ce sera le remède pour empêcher les guerres et amener les hommes à se comporter plus humainement les uns envers les autres. Mais le sens moral a existé dans d’autres religions bien avant que la religion chrétienne ait même été conçue ; en fait, la moralité est à la base de toutes les religions. Si le christianisme doit être le remède, comment se fait-il qu’après avoir été le fondement de la pensée et de l’action, pendant près de deux mille ans, une telle guerre ait pu éclater et se poursuivre entre des nations chrétiennes ? Le christianisme donne-t-il une promesse quelconque de ce qui devrait-être ? Y aurait-il un profit quelconque à revenir au christianisme, dont toute l’histoire est jalonnée par l’intolérance et la persécution ? Si l’Église chrétienne était au pouvoir aujourd’hui serait-elle moins dogmatique ou intolérante qu’à l’époque de l’Inquisition espagnole ?
Il n’y a aucun espoir du côté de l’Église, en premier lieu, parce que les gens n’en veulent plus. Elle n’a pas satisfait leur intellect ni répondu à leurs questions. Au lieu de la connaissance qu’ils demandaient, elle ne leur a donné qu’espérance ou crainte. L’Église a perdu son ascendant sur les gens – dont la plupart n’adhèrent plus à aucune Église chrétienne – en raison de la pauvreté d’idées, à cause de ses dogmes et de ses croyances. Les gens ont mis les idées à l’épreuve : elles n’ont pas répondu à leur attente. Rien d’autre ne saurait convenir que ce qui fait appel à leur sens du jugement et à leur perception spirituelle.
D’autres ont placé leur foi dans une Société des Nations. Ils commencent toutefois à s’apercevoir que si cet idéal est bien beau il ne fait pas ses preuves dans la pratique. Les membres de la Société ont tous voulu prendre le plus possible, tout en donnant le moins possible. Aujourd’hui que la paix est rétablie, nous constatons que le même esprit existe entre les nations que pendant le conflit ; les mêmes nations sont toujours aussi avides et aussi égoïstes qu’avant la guerre. Dans notre pays, également, les hommes publics continuent de mettre en avant les intérêts particuliers de cette nation particulière, au détriment de toutes les autres. Une vraie Société des Nations ne pourrait atteindre son objectif qu’en défendant un but commun et un même idéal. Ce n’est pourtant pas le cas. Les nations ne sont pas semblables. Aucune d’elles n’a un idéal élevé, pas même la nôtre, qui devrait pourtant avoir l’idéal le plus grand concernant l’humanité et la Nature. Au lieu de cela, notre idéal se résume à une seule idée commune : faire du commerce, gagner des dollars ou des possessions, tirer avantage et prestige au-dessus des autres nations. Un tel idéal ne nous amènera jamais la paix, ni la satisfaction, ni un réel progrès, et tant que nous n’en changerons pas, il y aura toujours des conflits. Une Société des Nations, entre des nations également égoïstes, ne peut apporter que ce que produisent les intérêts personnels : des désastres d’un genre ou d’un autre. Les semences de la guerre y résident.
Où trouverons-nous le véritable fondement d’une civilisation transformée que tous les hommes et toutes les femmes puissent voir et prendre comme base solide ? Il n’est nul besoin de discours philosophiques, de religions, ou de panacées politiques, mais de Connaissance, et d’une ouverture plus large de vision que les vicissitudes d’une seule courte vie physique. La connaissance qui surpasse toutes les formes de religions jamais inventées est celle de la nature véritable de l’homme lui-même, par lui-même et en lui-même. En effet, nous ne sommes pas ici comme des choses isolées, nous sommes ici en raison d’une grande Cause sous-jacente, infinie et omniprésente, inséparable de nous ou d’aucun autre être. Elle est identique en tous les êtres, qu’ils soient au-dessus ou en-dessous de l’humain : c’est la racine même de notre nature, l’homme réel lui-même. C’est à la Source de tout pouvoir et de toute action, bonne ou mauvaise. En conséquence, tous les actes de chacun des êtres affectent l’ensemble des autres êtres, et tout ce qui existe a été produit par des êtres, chacun d’eux étant affecté en fonction du niveau de sa participation à la Cause. Ce qu’a été le passé, nous en faisons l’expérience aujourd’hui, nos vies actuelles n’étant que répétitions d’existences qui les ont précédées. Ce que sera le futur nous en créons les causes aujourd’hui, nos vies futures dépendant entièrement des choix et des lignes directrices de nos pensées et actions présentes.
La guerre d’aujourd’hui, comme tout autre guerre, résulte de la mentalité belliqueuse, de l’égoïsme de l’humanité. Elle est la conséquence de notre incapacité à comprendre le grand but de la vie, la nature de notre mental, le plein pouvoir de réalisation qui réside dans chaque être, la Loi unique d’absolue justice inhérente en tous, l’Unique Déité qui sous-tend et pénètre chacun, le But unique assigné à chaque pèlerin, malgré la diversité du sentier suivi. Dès que les hommes seront amenés à comprendre que chacun récolte exactement ce qu’il sème, nul ne nuira plus à personne – et il n’y aura plus de guerres. La misère actuelle n’aura plus cours car, comprendre la responsabilité qui incombe à chacun vis-à-vis de l’ensemble et agir en conséquence, c’est être devenu sans égoïsme et s’être débarrassé de la principale cause de péché, de peine et de souffrance.
Notre incapacité à comprendre notre véritable nature résulte de tout ce qu’il y a de faux dans nos idées, nos conceptions de la vie et nos idéaux – comme héritage de notre civilisation chrétienne. Nous avons cru que nous étions nés dans tel ou tel environnement par la « volonté » d’un certain Dieu. Nous nous sommes fabriqué un paradis impossible et un enfer tout aussi impossible. À la place d’une évolution, nous avons imaginé une « création ». Nous avons cru que nous étions de pauvres, faibles et misérables pécheurs, et avons joué ce rôle. Nous avons imputé tous nos problèmes, maux et souffrances à un Être aussi imaginaire. Nous sommes ainsi demeurés des créatures irresponsables, de simples animaux doués de raison, et non des âmes immortelles. Nous avons fui nos responsabilités. Il nous faut cependant prendre pour guides les réalités de notre nature propre. Nous devons prendre soin les uns des autres, et non de nous-mêmes, de la façon toute personnelle qui aujourd’hui inspire l’action de notre nation comme de toute autre en ce monde.
Nous n’aurons une vraie Ligue de l’Humanité que lorsque les anciennes vérités de la Religion Sagesse seront de nouveau comprises – lorsqu’il n’y aura plus qu’un seul but et un seul enseignement. Ces vérités s’imposent d’elles-mêmes et n’ont nul besoin d’être écrites dans un livre, ni imposées par les commandements d’une Église particulière, pour être acceptées. Ces vérités sont les seules qui soient dignes d’être prises en considération, car leur application démontre leur authenticité. Et la vérité, comme nous devrions le savoir, a toujours la vertu d’expliquer. Quand nous avons l’explication, nous avons la vérité. Chacun doit vérifier personnellement la vérité, mais le fait demeure que la vérité est, et qu’elle a toujours existé. Elle nous est venue d’Êtres plus élevés que nous, parce qu’ils se sont tournés un jour dans la bonne direction, et qu’Ils ont poursuivi dans la voie qui Leur était indiquée comme menant à la perfection spirituelle et divine. Ils connaissent tout ce qui a été connu. Ils nous connaissent, bien que nous puissions ne pas Les connaître. Ils connaissent nos besoins, bien que nous puissions en être terriblement ignorants. Ils reviennent, et reviennent encore, pour présenter à l’homme les vérités de la vie, dans l’espoir d’éveiller un écho dans son âme, pour qu’il puisse, lui aussi, atteindre à la réalisation du Soi, de l’Esprit – qui est Connaissance.
Ceux qui sont capables de voir la marche de l’humanité n'entrevoient encore, pour l’instant, que beaucoup de difficultés pour le monde en général. Seul un terrible et grave désastre obligera les hommes à s’arrêter et à penser. On n’en a pas fini avec la guerre ! Elle se poursuit entre nous tous, sans arrêt. Voyez nos préoccupations égoïstes, nos condamnations, jugements et critiques, nos lois stupides, qui voudraient rendre les hommes « bons », par voie législative, sans tenter d’éveiller la véritable nature humaine, mais seulement en réprimant ce qui est considéré comme « mauvais ». Les prohibitions de toutes sortes ne font qu’exaspérer le côté mauvais dans les hommes. Nous n’avons pas à prohiber, mais à éduquer et, en premier lieu, à nous éduquer nous-mêmes. Otons la poutre de nos yeux avant d’essayer d’enlever la paille de ceux d’autrui. Retirons-nous dans le sanctuaire de notre être. Soyons le Soi, et agissons pour le Soi et comme ce Soi. Suivons les directives de la loi qui régit notre être – la compassion, l’amour, le service de tous – nous serons alors en mesure de comprendre notre nature ainsi que celle de tous les autres êtres. Nous serons dès lors capables d’aider les hommes d’une manière dont ils n’ont parfois aucune conscience ; nous pourrons contribuer à faire lever toute la pâte.
C’est parce qu’il existe des êtres, de par le monde, qui désirent aider l’humanité à progresser que nous n’en sommes pas à un stade encore pire. Souvent, les idées émises des hommes haut placés ne sont pas le produit de leurs propres cogitations, même si on le pense. Plus d’une fois, ceux qui ont l’oreille du public, qui parlent et sont entendus de tous, reçoivent une idée de Ceux qui détiennent une connaissance bien plus profonde de tous les facteurs qui sont en jeu, mais dont les voix ne seraient pas du tout entendues. Ainsi, bien que les choses ne semblent pas bouger beaucoup par l'intervention des disciples de la Théosophie, une grande activité se déploie sur les plans intérieurs de l’être, et celle-ci est exclusivement tournée vers le service de l’humanité. S’il se trouvait, ne serait-ce qu’une fois, un nombre suffisamment important de personnes capables d’adopter la position juste et d’agir sur la base de leur nature réelle, des idées authentiques et vraies ne tarderaient pas à se répandre sur toute la terre. Une fois que ces idées se trouvent enracinées dans notre mental, nous pouvons aider le monde en en parlant, et en les illustrant par des exemples pratiques. Cela nous pouvons le faire, aussi égoïste que continue d’être le monde.
Une véritable « Société de l’Humanité » pourrait être formée – sans aucune discrimination de rang social, de classe ou de nationalité. A la place de ces distinctions, viendraient s’établir une conception et une compréhension communes de l’univers, ainsi qu’une vision commune du progrès pour l’humanité. Nous devons savoir que nous appartenons tous à d’autres peuples. Nous sommes issus de toutes les civilisations du passé. Nous sommes passés par les nations de l’Orient, du Moyen Orient, de l’Europe, pour nous retrouver ici, aux confins extrêmes de l’Occident, en vertu de la loi de Karma. La civilisation doit cycliquement parcourir son cours en sens inverse et à mesure qu’elle reviendra, en esprit, en parole, en acte et en réalisation, vers l’Orient dont elle est venue, les conceptions erronées qui se sont développées dans les idées religieuses, et d’autres domaines, seront balayées par le pouvoir de notre connaissance et de notre exemple.
Nous sommes ici, comme les meilleurs représentants de la population de la planète – les plus intelligents, les plus libres, tant par le mental, ou l’opinion que par l’action. Tout cela a un sens du point de vue de la Loi, et implique que quiconque vient au contact de l’Antique Sagesse à une opportunité qui lui est octroyée. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que nous nous rencontrons. Nous nous trouvons une fois de plus réunis, à écouter ce que nous savons intérieurement, d’une façon absolument certaine. Il y a en nous ce qui voit et qui sait, lorsque nous arrive la parole qui commence à évoquer la vie au sein de la vie – une vie plus vaste que la présente, que nous avions conçue comme la vie réelle. C’est alors que nous commençons à fouler ce petit sentier sans âge, qui s’étend si loin – le Sentier que nos grands Prédécesseurs, les Maîtres, ont parcouru avant nous.
R. Crosbie.
© Textes Théosophiques – Cahiers Théosophique n°186.