Jour après jour, et sans cesse, nous sommes confrontés au fait que nous sommes tous sujets à la mort. Quelle que soit notre vie, qu’elle se solde pour nous par l'échec, ou le plus grand succès possible aux yeux du monde, elle se termine par la mort. Aussi sûrement que nous avons connu la naissance, il y aura aussi pour nous la mort. Chacun sait que, tôt ou tard, la mort sera son lot ; mais que sait-il de l'« après mort » ? Qu’est-ce qui survit, le cas échéant ? Les religions que nous avons pratiquées ne nous donnent aucune sorte d'indication sur cette question essentielle ; la science matérialiste ne nous propose aucune solution ; ainsi, nous n'avons rien reçu de la religion ni de la science, pour nous soutenir lorsque le grand conquérant de tous les corps humains nous apparaîtra. Y a-t-il le moindre espoir au monde que ce que nous faisons se révèle de quelque valeur après la mort ? Que nous puissions ou non répondre à cette question avant que la mort nous trouve, nous serons quand même confrontés à elle. Le moment viendra.
S’il existe une solution quelconque aux problèmes posés par la mort, il faudrait pouvoir la saisir pendant la vie, si elle doit avoir une valeur quelconque pour nous, êtres humains. Il faut que ce soit une solution raisonnable, suffisamment évidente pour nous, tels que nous vivons actuellement, si nous devons être convaincus qu'elle est correcte. Il nous faut comprendre clairement le sens des faits de la vie, avant de pouvoir accepter une explication quelconque de ce qui doit se produire après la mort. Si nous comprenons la signification de la naissance, le pourquoi de notre présence active ici-bas, dans des corps, le pourquoi de toute la vie manifestée, alors nous pourrons répondre à nos questions, et savoir pourquoi nous passons si peu d'années dans une existence physique donnée, savoir où sont maintenant nos amis, nos parents, nos grands-parents qui vécurent comme nous mais sont maintenant décédés ; savoir de même si la vie a cessé pour eux et, par suite, si elle doit jamais cesser pour nous.
Dans la vie de l’homme, il y a une constatation qui devrait guider notre réflexion : le fait de la loi qui régit tout ce que nous faisons. N’est-ce pas notre connaissance, notre perception de la loi, qui nous permet de commander aux éléments naturels ? Nous maîtrisons les divers éléments et substances par la compréhension de la loi qui les fait agir. Nous savons que la loi de l’action et de la réaction prévaut dans la nature et nous constatons partout cette loi de causalité. Mais ignorons-nous que cette loi régit également notre être même ? Nous savons que le corps obéit à une loi pour se développer de la conception à la naissance, puis de la naissance à la maturité, à laquelle fait suite un déclin progressif. De même que, pour l’homme, existe un cycle de naissance, de jeunesse, de maturité, de déclin et de mort, de même il y a dans la nature toute une succession d’événements qui s'imposent à nous comme une loi universelle. Le matin, le midi et le soir sont suivis d’un nouveau matin ; au printemps, à l’été, à l’automne et à l’hiver fait suite un nouveau printemps. Nous devrions donc être capables de nous rendre compte que, comme dans la nature, notre présente naissance a dû venir dans l'ordre normal, à la suite d'une mort précédente, et qu'ainsi nous devrons revenir, encore et encore, faire un séjour sur terre, tout comme nous revenons régulièrement à la vie de veille après chaque nuit. Nous avons dû passer par un grand nombre d'existences pour atteindre notre naissance actuelle, mais cela aussi a dû être le fait de la loi. Nous avons le choix entre la loi et le chaos. Il est impossible que la loi règne ici, et le chaos ailleurs. De deux choses l’une : ou bien tout obéit à la loi, ou bien tout est chaos. Toute notre expérience démontre que c’est la loi qui prévaut, et la conclusion qui s’impose c’est que la loi régit toute chose, et en toute circonstance. C’est pourquoi la loi doit régner des deux côtés de la mort.
Mais cette loi nous est-elle imposée par quelque Être puissant ? Si c’était le cas, il n’y aurait plus aucun espoir pour nous. Et qui sommes-nous, qui agissons sous le coup de cette loi qui englobe tout ? Si nous ne sommes qu'un corps, nous ne sommes que de petits êtres limités. Si tout ce qu'il y a de vie est ce que nous ressentons et expérimentons dans notre corps, alors la vie n’est rien. Un peu de réflexion suffit toutefois à nous convaincre que nous ne sommes pas notre corps. Nous savons qu'il subit de continuels changements, depuis la naissance jusqu'à l'instant présent, et que ces changements se poursuivront toujours jusqu’à ce qu’il disparaisse, alors que nous-mêmes restons identiques. C’est le même « je » qui a été un enfant, un adolescent, un adulte et un vieillard. Son identité n’a absolument pas changé à travers toutes les transformations du corps qu'elle a éprouvées. Nous ne sommes pas non plus notre mental, comme tant de personnes le pensent. Notre mental n’est qu’un certain agrégat d’idées en rapport avec la vie, et nous sommes forcément supérieurs à ce mental puisque nous pouvons le transformer. Et il n'y a pas non plus de limite imaginable à cette transformation. Quelle que soit la somme de connaissances que nous acquérions, nous pouvons toujours continuer d’apprendre ; quel que soit le type de notre mental, nous disposons d’un pouvoir illimité pour l’enrichir encore. Si l’on doute de l’existence de quelque chose qui serait supérieur au mental, on n’a qu’à constater que le fait même de douter, l’expression même de ce doute, est la preuve d’un acte et d’une intention qui dépassent ce concept. Nous pourrions refuser absolument de penser, sans cesser d'exister. Pour nous trouver, il nous faut chercher plus profondément que le mental et le corps. Tous deux ne sont que des instruments que nous utilisons.
Dans ce cas, que pouvons-nous bien être ? Il y a en nous ce qui vit, pense, est la vie elle-même ; qui engrange toute expérience, et ne change absolument pas en soi-même. Cet être est plus infime que l’infime, comme l'ont dit les Anciens ; plus immense que l’immensité. On ne peut le peser ni le mesurer, ni encore dire où il est, ni où il n'est pas ; et c'est cependant la chose unique en nous - notre soi véritable - qui nous permet d'avoir toute expérience, toute idée ou combinaison d'idées. Appelez-le l’Esprit, si vous voulez. Appelez-le Vie, ou encore Conscience - car nous savons bien que nous ne pourrions avoir aucune expérience à moins d'en être conscients. Les Anciens ont déclaré : « L'Âme est le Perceveur ; elle est assurément Vision elle-même, pure et simple, non modifiée, et elle perçoit directement les idées ». L’Esprit voit l'idée, et les actions découlent des idées adoptées. Les différences qui existent entre nous sont dues à notre mentalité, et elles dépendent du genre et de la qualité des idées. Mais nous sommes tous issus d’une même Source ; nous avons tous une base commune, une même nature essentielle, qui est précisément l’Esprit et la Vie elle-même.
Nos jours et nos nuits offrent une illustration du fait que nous pouvons abandonner le corps, nous pouvons partir de ce corps, et cependant continuer d'exister. Quand nous sommes éveillés, dans la journée, nous agissons extérieurement par le biais des organes du corps qui servent à transmettre et recevoir des impressions. La nuit, cette activité cesse : il est dit alors que nous dormons. Mais comment pouvons-nous savoir que nous sommes conscients pendant ces heures de la nuit ? Parce que, à l'état éveillé, nous pouvons dire : « J'ai rêvé », sans mettre aucunement en doute notre identité pendant le rêve. Nous y étions également conscients de disposer de tous nos sens ; avec, apparemment, le pouvoir de nous mouvoir. Malgré l'état endormi du corps dans la condition que nous appelons le sommeil profond, nous étions encore des êtres vivants, agissants et conscients. Il n’est probablement pas difficile de concevoir que nous sommes également conscients pendant la plus grande partie du repos nocturne passée dans ce que l’on appelle le « sommeil sans rêve » du corps ; que notre activité y est d’une nature plus élevée et plus subtile que pendant l’état de veille ; qu’il est possible de conserver un contrôle conscient sur cette activité - d’en ramener dans notre cerveau, utilisé pendant la journée, la mémoire de toute action sur chaque plan intérieur de l’être. L’âme - l’Homme Réel - avec toutes ses expériences passées, est parfaitement éveillée quand le corps est endormi. Pour l'âme, le temps de la nuit c'est le temps du jour du corps. Toutefois, c'est seulement dans des cas exceptionnels qu'un être humain sait qu’il est conscient en permanence ; que cette Conscience ne peut jamais s’arrêter. Et cependant, chacun peut saisir par lui-même que si la Conscience cessait à un moment quelconque, il serait impossible qu’elle ne recommence jamais. Nous pouvons constater la continuité de la conscience dans le fait que nous sommes capables de reprendre, chaque jour de notre vie, l’activité de la veille et des jours précédents.
La Théosophie est présentée afin de démontrer que tout homme peut atteindre cette pleine conscience continue du temps du jour, qui opère à travers le corps. Que signifierait la mort pour nous, si nous avions une telle conscience ? Rien d'autre qu'un sommeil. Mourir ne serait qu'abandonner le corps devenu inutile pour nous. Nous saurions que la mort ne pourrait pas plus nous affecter que le sommeil ne nous atteint ; et qu'ainsi, tout comme notre conscience est permanente, que le corps soit éveillé ou endormi, il n'y a aucune interruption pour nous quand le corps vient à mourir.
Qu’est-ce donc qui survit après la mort ? L’homme lui-même, avec toutes ses tendances, toutes ses expériences. Le Penseur, l’Âme, voilà ce qui survit, ce qui ne peut jamais s’éteindre, ce qui ne peut jamais soi-même souffrir, être impliqué ; ce qui est toujours de sa propre nature, quelles que soient les conditions où un homme puisse se trouver plongé au même instant. Conditions de joie ou de souffrance, elles ont forcément une fin ; alors que l'Être Un, qui se réjouit, souffre et éprouve des sentiments, ne change absolument pas. Ce qui survit à tout est notre soi véritable - tout ce que nous désignons par nous-mêmes - le soi qui veille, qui rêve, qui se réjouit, et passe dans divers états, à travers tous les mondes. Disons que cette vie est un rêve où nous avons nos souffrances et nos joies. Lorsque nous allons nous éveiller, nous aurons d'autres expériences, mais c'est ce quelque chose de permanent en nous qui s'attire chacune des expériences ; entrant dans un champ d'activité ou un autre, il récolte de l'expérience selon les tendances qu'il a lui-même engendrées sur ce plan de l'être. Ainsi l'homme n'a d'autre expérience sur la terre que celle qui lui revient en propre, celle qu'il a intégrée à son action sur cette terre. La loi d'action et de réaction, de cause et d'effet, qui fait qu'on récolte ce qu'on a semé, est ainsi sa propre loi.
Qu’est-ce qui survit ? nous survivons, en tant qu’êtres conscients, avec tous nos pouvoirs de perception, avec tout ce que nous avons pu gagner - et il en sera toujours ainsi. Il n'y a pas d'interruption finale pour nous. Les corps s'usent au cours d'une vie, comme nous le savons, et deviennent invalides et inutilisables. Serait-il sage de souhaiter demeurer dans de tels corps ? Non : l'âme requiert un meilleur instrument. Nous détruisons la vieille demeure pour en construire une meilleure - ou peut-être une pire, ne l'oublions pas. Si nous sommes égoïstes et n'œuvrons que pour notre corps physique, si nous sommes hostiles envers nos compagnons, nous recevrons dans un corps le résultat de notre démarche égoïste. C'est une affaire de loi, non de sentiment. Ce n'est pas des comportements de nos semblables que nous souffrons, mais du mal que nous avons semé, et qui, en nous revenant, nous frappe de plein fouet. Tant que l'homme n'aura pas assumé son héritage, et réalisé que tout le cours de l'évolution met en œuvre les lois de justice, il ne fera pas le premier pas vers le véritable progrès, qui conduit à l'immortalité consciente.
R. Crosbie.
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