La croix et le feu

La croix et le feu

01 Aoû, 2020

Le symbole qui est peut-être le plus répandu et le plus universel dans les systèmes astronomiques anciens ayant suivi le fleuve du temps jusqu’à notre siècle, et ayant laissé des traces partout, dans la religion chrétienne comme ailleurs – c’est celui de la Croix et du Feu – ce dernier représentant le Soleil. Les anciens Aryens les considéraient tous deux comme les symboles d’Agni. Quand l’ancien dévot hindou voulait adorer Agni, dit E. Burnouf (Science des Religions, c. 10), il disposait deux pièces de bois en forme de croix, et par une rotation et une friction spéciale obtenait du feu pour son sacrifice. Comme symbole on l’appelle Swastica et comme instrument fabriqué à l’aide d’un arbre sacré, instrument en possession de tout Brahmane, il est connu sous le nom d’Arani.

Les Scandinaves avaient le même signe, et l’appelait le Marteau de Thor, par suite d’un rapport magnéto-électrique avec Thor, le dieu du tonnerre qui, comme Jupiter armé de ses foudres, tient en main le signe du pouvoir non seulement sur les mortels mais aussi sur les esprits mauvais des éléments sur lesquels il préside. Dans la Maçonnerie, il paraît sous la forme du maillet du grand Maître ; à Allahabad on peut le voir sur le Fort en tant que la Croix de Jaina ou Talisman des Rois de Jaina ; et le maillet du Juge moderne n’est rien d’autre que cette crux dissimulata, ainsi que Rossi, l’archéologue, l’appelle ; car le maillet est le signe du pouvoir et de la force, comme le marteau représentait la puissance de Thor qui, dans les légendes nordiques, en brisa un rocher, et tua Medgar. Le Dr Schliermann découvrit cette croix dans les disques en terre cuite, sur l’emplacement, comme il le croyait, de l’ancienne Troie, dans les couches inférieures de ses excavations, qui indiquaient d’après le Dr Lundy, « une civilisation aryenne bien antérieure aux Grecs, mettons deux à trois mille ans avant J.C. ». Burnouf l’appelle la forme la plus ancienne connue de la croix et affirme qu’on la retrouve personnifiée dans l’ancienne religion des Grecs sous le personnage de Prométhée « le porteur du feu », crucifié sur le mont Caucase, tandis que l’oiseau céleste – le Cyena des hymnes védiques – dévore journellement ses entrailles. Boldetti (Osservazioni, I, 15, p. 60) donne une reproduction d’une peinture au cimetière Saint-Sébastien, représentant un converti chrétien fossoyeur, nommé Diogène, qui portait sur les deux jambes et le bras droit, les signes du Swastica. Les Mexicains et les Péruviens possédaient ce signe, et on le trouve sous la forme du Tau sacré, sur les tombes les plus anciennes de l’Égypte.

C’est pour le moins une étrange coïncidence notée certains prêtres chrétiens, que l’Agnus Dei, l’Agneau de Dieu, porte des symboles identiques à ceux du Dieu hindou Agni. Tandis que l’Agnus Dei expie et efface les péchés du monde dans une religion, le Dieu Agni, dans une autre, expie de même les péchés accomplis envers les dieux, les hommes, les mânes, l’âme, ainsi que les fautes répétées, comme il l’est montré dans les prières qui accompagnent les six oblations. (Colebrooke. Essais, Vol. I, p. 190)

Si nous trouvons donc la Croix et le Feu si intimement associés dans le symbolisme ésotérique de presque toutes les nations, c’est parce que tout le plan des lois universelles repose sur les pouvoirs combinés de ces deux symboles. En astronomie, en physique, en chimie, dans tout le domaine de la philosophie naturelle en résumé, ils apparaissent toujours comme la cause invisible et le résultat visible, et seules la métaphysique et l’alchimie, ‒ ou dirons-nous la Métachimie, car nous préférons forger un mot nouveau pour les oreilles sceptiques aptes à être heurtées ? ‒ sont capables de résoudre parfaitement d’une manière concluante, la signification mystérieuse de ces symboles.

Un exemple ou deux suffiront pour faire réfléchir ceux qui désirent méditer quelques allusions.

Le Point Central, ou le grand soleil central du Cosmos, comme l’appellent les Cabalistes, est la Divinité. C’est le point d’intersection entre les deux grands pouvoirs en conflit – la force centripète et la force centrifuge – qui entraînent les planètes selon des orbites elliptiques, et leur font tracer une croix en parcourant leur route dans le Zodiaque. Ces deux pouvoirs terribles, quoique jusqu’à présent, encore hypothétiques et imaginaires, conservent l’harmonie, et maintiennent l’Univers en mouvement d’une façon régulière et perpétuelle, et les quatre branches recourbées du Swastica symbolisent la révolution de la Terre sur son axe. Platon appelle l’Univers un « dieu béni » qui fut fait dans un cercle, et décussé selon la forme de la lettre X. Voici pour l’astronomie. Dans la Maçonnerie, le degré de l’Arche Royale a conservé la croix sous la forme du Triple Tau égyptien. C’est le cercle du monde surmonté de la croix astronomique tournant rapidement, le carré parfait des mathématiques pythagoriciennes dans l’échelle des nombres, comme Cornélius Agrippa en interprète le sens occulte. Le feu, c’est la chaleur, ‒ le point central ; le rayon perpendiculaire représente l’élément mâle ou l’esprit ; et le rayon horizontal est l’élément femelle – ou la matière. L’esprit vivifie et fructifie la matière, et tout procède du point central, le foyer de vie et de lumière ainsi que de chaleur, représenté par le feu terrestre. Voici maintenant pour la physique et la chimie, car le champ des analogies est illimité, et les Lois Universelles sont immuables et identiques, dans leurs applications extérieures et intérieures. Sans avoir l’intention de manquer de respect envers quiconque, ni de nous éloigner de la vérité, nous pouvons dire qu’il y a de bonnes raisons de croire que la Croix Chrétienne dans son sens original – de cause en tant que tourment éternel dû au Feu de l’Enfer – et d’effet direct comme négation du précédent – a plus de rapports avec ces deux symboles anciens, que nos théologiens occidentaux sont prêts à l’admettre. Si le Feu est la Divinité pour certains Païens, de même dans la Bible, Dieu est aussi la Vie et la Lumière du Monde ; si le Saint-Esprit et le Feu nettoient et purifient le Chrétien, d’autre part, Lucifer est aussi la Lumière, et est appelé le « Fils de l’étoile du matin ».

Tournons-nous dans n’importe quelle direction, nous sommes sûrs de trouver des vestiges jumeaux de l’ancien culte chez presque toutes les nations et tous les peuples. Depuis les Aryens, les Chaldéens, les Zoroastriens, les Péruviens, les Mexicains, les Scandinaves, les Celtes, et les anciens Grecs et Latins, ils se sont perpétués dans leur entièreté jusque chez les Parsis modernes. Les Cabires phéniciens et les Dioscuri grecs se répètent dans presque chaque temple, cathédrale ou église de village ; et, comme nous allons maintenant le montrer, les Bulgares chrétiens ont même entièrement conservé le culte du soleil.

Il y a plus de mille ans que ce peuple, sorti soudain de l’obscurité, et devenu fameux dans la dernière guerre Russo-Turque a été converti au Christianisme. Pourtant, les Bulgares n’en sont pas restés moins païens, et voici comment ils fêtent la Noël et le Nouvel An. Ils appellent encore cette fête Sourjvaki, parce qu’elle correspond au festival en l’honneur de l’ancien dieu slave : Sourja. Dans la mythologie slave, cette divinité – Sourja ou Sourva – évidemment identique au Sourya aryen… le soleil… est le dieu de la chaleur, de la fertilité et de l’abondance. La célébration de cette fête date d’une antiquité énorme, car, bien avant le temps du Christianisme, les Bulgares adoraient Sourva et consacraient le jour du Nouvel An à ce dieu, le priant de bénir leurs champs, de leur conférer la fertilité, et de leur envoyer le bonheur et la prospérité. Cette coutume leur est restée dans tout son paganisme primitif, et bien qu’elle varie d’après les localités, les rites et les cérémonies, demeurent malgré tout identiques.

La veille du Nouvel An, les Bulgares ne travaillent pas et sont obligés de jeûner. Les jeunes filles fiancées préparent un gros platiy (gâteau) dans lequel elles mettent des racines et de jeunes pousses de formes variées qu’elles appellent de différents noms d’après la forme de la racine. Ainsi, l’une signifie la « maison », une autre représente le « jardin » ; d’autres encore, le moulin, le vignoble, le cheval, un chat, une poule, etc., selon les propriétés en terres et les possessions de la famille. Des objets de valeur même tels que bijoux, sacs d’argent, sont représentés par l’emblème de la corne d’abondance. De plus, une grande pièce d’argent ancienne est placée dans le gâteau ; on l’appelle bábka et on la lie d’un fil rouge formant une croix. Cette pièce est censée représenter la fortune.

Après le coucher du soleil, et d’autres cérémonies y compris des prières adressées dans la direction de l’astre qui disparaît, toute la famille s’assemble autour d’une grande table ronde appelée paralyà, sur laquelle se trouvent le gâteau dont on vient de parler, des légumes secs, du blé, une bougie de cire, et enfin, un grand encensoir renfermant de l’encens de la meilleure qualité pour parfumer le dieu. Le chef de la famille, souvent l’aîné de la famille – soit le grand-père lui-même – prend l’encensoir avec la plus grande vénération, d’une main, et de l’autre, il tient la bougie, puis il se met à parcourir le logis, encensant les quatre points cardinaux, commençant et finissant par l’Orient ; tout en prononçant diverses invocations qui se terminent par le « Notre Père » chrétien adressé à Sourja. On met de côté la bougie qui doit être conservée toute l’année jusqu’à la fête prochaine. On pense qu’elle possède de merveilleuses propriétés curatives, et on ne l’allume qu’en cas de maladie dans la famille, avec l’espoir qu’elle guérira le malade.

Après la cérémonie, le vieillard prend son couteau et découpe le gâteau en autant de morceaux qu’il y a de membres de la famille présente. Chaque personne en recevant sa part, s’empresse de rechercher ce qu’elle contient. Le plus heureux de tous, durant l’année suivante, c’est celui qui possède le morceau contenant la pièce de monnaie ancienne liée du fil rouge : il est considéré comme l’élu de Sourja, et chacun envie l’heureux possesseur. Puis viennent par ordre d’importance l’emblème de la maison, celui du vignoble, et ainsi de suite ; chacun lit son horoscope pour l’année nouvelle d’après ce qu’il a trouvé dans sa part de gâteau. Mais le plus malheureux de tous c’est celui qui a trouvé le chat ; il pâlit et tremble. Malheur à lui, car il est entouré d’ennemis, et doit se préparer à de grandes épreuves.

En même temps, une large bûche qui représente un autel flamboyant, se dresse au milieu de l’âtre, et on y met le feu. Cette bûche brûle en l’honneur de Sourja et doit jouer le rôle d’oracle pour toute la maison. Si elle brûle toute la nuit jusqu’au matin, sans que la flamme meure, c’est bon signe ; dans le cas contraire, la famille doit se préparer à une mort au cours de cette année, et de profondes lamentations terminent la fête.

Ni le momtzee (le jeune homme), ni la mommee (la jeune fille) ne dorment cette nuit. À minuit commence une série de rites variés, divinatoires et magiques, dans lesquels la bûche flamboyante tient lieu d’oracle. Un jeune bourgeon est jeté dans le feu et s’il éclate avec un bruit sec, c’est signe d’un mariage heureux et proche, ou vice versa. Longtemps après minuit, les jeunes couples quittent leurs maisons respectives, et vont faire visite à leurs connaissances, de porte en porte, présentant et recevant des compliments, et rendant grâce à la divinité. Ces couples envoyés en députation sont appelés les Souryakari, et chaque homme porte une grande branche ornée de rubans rouges, de vieilles pièces de monnaie, et d’une image de Sourja, et tout en parcourant le village, ils chantent en chœur. Leur chant est aussi original que particulier, et mérite d’être traduit, bien que naturellement, il perde de sa beauté par la traduction en une langue étrangère. Voici les couplets qu’ils adressent à ceux qu’ils vont visiter :

Sôurva, Sôurva, Seigneur de l’Epoque,
Puisses-tu nous donner un heureux Nouvel an;
Et sur ce foyer répandre santé et bonheur
Succès et bénédictions jusqu’à l’an prochain.

De bonnes récoltes aux épis gonflés;
D’or et de satin, de raisins et fruits;
De barils de vin, de biens opulents,
Que le Dieu vous comble, vous et vos parents
Qu’il vous bénisse tous. – Amen ! Amen ! Amen !

Les Souryakari, tout en chantant, sont récompensés à chaque maison de leurs bons vœux, par un cadeau, et rentrant chez eux au petit jour….

Et voilà comment le culte symbolique ésotérique de la Croix et du Feu, de l’ancienne Aryavarta, marche la main dans la main avec le Christianisme en Bulgarie…

H.P. Blavatsky.

Cet article fut publié pour la première fois par H.P. Blavatsky dans The Theosophist de novembre 1879. Publié en français dans la revue Théosophie, 1928.

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