Un point de vue de théosophes américains et la guerre (de 1914-1918) et la paix
[Traduction d'un article de février 1918 intitulé « How Are Theosophists To Look At The War ? », paru dans la revue américaine Theosophy (Vol. 6, n°4, pp. 145 à 148),]
Les éditeurs de la revue Theosophy — Un correspondant [américain] écrit : « Je voudrais que vous m'aidiez à bien comprendre le problème de la Grande Guerre [la guerre de 1914-18]. Comment les Théosophes doivent-ils la considérer ? Devons-nous lever notre chapeau devant Wilson ? Tout ce qu'il fait est-il correct ? Notre pays a-t-il raison ou tort ? La Belgique ne récolte-t-elle pas ce qu'elle mérite ? Je suis enclin à être un « pacifiste », mais est-ce la bonne attitude ? J'ai critiqué les Chrétiens en guerre, et leurs vaines prières pour l'arrêter ; mais quand le monde entier combat l'Empereur, et que la somme de haine est énorme, est-ce que le pouvoir de la pensée peut, d'une manière ou d'une autre, agir favorablement – puisque « les pensées sont matérielles » ? Parfois je me demande si mes idées personnelles sont correctes et, afin d'être un Théosophe cohérent, je voudrais savoir comment je dois considérer la guerre et les troubles actuels ? »
Certaines idées incluses dans la réponse au correspondant, ci-dessus, pouvant intéresser d'autres étudiants, la revue Theosophy publie, ci-après, des extraits de la lettre qui lui a été adressée en retour:
Vous désirez savoir comment les Théosophes doivent considérer la guerre. Et bien, ils doivent la considérer telle quelle est. Ils ne l'ont pas provoquée. Ils doivent laisser les théories de côté et faire face à la situation avec sagesse.
Sommes-nous supposés lever notre chapeau devant Mr. Wilson (1) ? Tout ce qu'il fait est-il correct ? Nous n'avons pas à lever, métaphoriquement ou pas, notre chapeau pour quoi que ce soit ou qui que ce soit, mais nous devrions être capables d'applaudir, partout, le discours et l'action juste de n'importe qui. Nous devons être impersonnels dans ce domaine si nous voulons mettre en pratique les doctrines que nous étudions et enseignons.
Tout ce qu'il fait est-il correct ? Comme tout autre humain, il doit sans aucun doute commettre des erreurs, mais depuis que la guerre a été déclarée par l'Amérique, sa conduite générale a été dans la bonne direction, en montrant non seulement une largeur de vue et une force de caractère, mais aussi une intention générale d'agir pour le meilleur de tous les peuples.
Nous devons nous rappeler qu'il n'a pas déclaré la guerre. Il fut contraint, pour ainsi dire, par le sentiment de la nation. Les droits des peuples, à travers le monde, à s'administrer eux-mêmes étaient menacés et atteints par l'entente Allemande, et un danger commun à toute la civilisation s'était dressé.
Notre gouvernement, même imparfait, est basé sur la Fraternité, l'égalité des droits pour tous, la liberté de penser et d'entreprendre dans toutes les directions qui concerne le bien général. Cette base ne peut pas être développée correctement si elle ne s'applique qu'à notre nation, ou aux individus qui la composent ; elle doit concerner tous les peuples, si nous ne voulons pas être traités d'égoïstes, reniant nos propres principes.
En tant que nation, nous sommes tenus de défendre et d'aider tous les peuples qui, en tant que parties intégrantes d'une même humanité, luttent contre l'oppression. Tant d'un point de vue théosophique, que du consensus d'opinion général, nous faisons actuellement tout ce que nous pouvons pour détruire la possibilité d'usurper les droits fondamentaux de l'humanité.
Le sentiment que « notre pays a raison ou tort » est aussi stupide et mauvais que pour quelqu'un de dire : « Moi, j'ai raison ou tort ». C'est exactement ce sentiment qui a permis à l'Allemagne, et aux Allemands, de persister aussi longtemps, et qui a aveuglé son peuple à la perception des droits des autres peuples. Alors que si chacun de nous pense, « je suis mon pays » et s'efforce de voir ce qui est juste et le fait, alors « mon pays sera juste ». Comme toujours, dans un cas, le bien et le vrai ne sont que des perceptions individuelles ; alors que les considérations qui incluent tout, sont justes pour tous.
Si nous disons que la « Belgique a reçu ce qu'elle méritait », alors continuons dans cette attitude et disons qu'il en est de même pour l'Allemagne, la France, l'Angleterre et l'Amérique, ainsi que pour les américains qui n'en aiment pas les résultats. Soyons cohérents dans toutes nos pensées. Cependant, cette attitude nous mène nulle part et elle doit être mal fondée. Considérons ce que dit la Bhagavad Gîtâ [ch. IV, v. 8] : « Je [Krishna] m'incarne d'âge en âge, pour la sauvegarde du juste, la destruction du méchant et le rétablissement de la justice ». Cette injonction est tout autant la base de l'action, spirituelle et morale, de l'individu, qu'elle l'est pour ces Grands Êtres qui « s'incarnent d'âge en âge ». « Ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas ».
Actuellement, les Pacifistes sont les gens les plus illogiques, inconsistants et égoïstes de ce pays ou de tout autre. Tous les peuples désirent la paix, car elle fournit la condition normale qui permet le progrès ; mais lorsqu'un individu, une nation, ou plusieurs nations conspirent et agissent de manière à perturber cette condition normale, les autres ne peuvent préserver la paix en disant qu'ils sont opposés à la guerre. Selon un dicton : « L'homme doit combattre le démon par le feu, qu'il comprend, et non pas par l'eau bénite, qu'il ne comprend pas. »
La guerre dans laquelle nous sommes actuellement engagés, est une guerre pour la fraternité et elle est une reconnaissance de la fraternité. L'Amérique aurait pu, pour un temps, se tenir égoïstement à l'écart de la guerre, et permettre à l'oppression d'imposer sa volonté sur un grand nombre ; mais, si cela avait été possible, il serait arrivé un temps où le karma de son impitoyable conduite serait retombé directement sur elle. Car en s'abstenant, elle aurait nié et ignoré la fraternité des Hommes. Déjà, tel qu'il en est, ce pays a accru la durée et les horreurs de la guerre en ne s'éveillant pas plus tôt à une perception vraie.
C'est le bien-fondé de l'action de l'Amérique qui plait aux Théosophes ; c'est l'esprit d'abnégation de son peuple qui donne de l'espoir à cette grande nation, et à travers elle, au monde entier. L'objectif global de l'étude théosophique et de sa mise en pratique est d'éveiller, partout, l'humanité au sens de la responsabilité individuelle face au mal. Karma n'est pas seulement l'effet des pensées et des actions passées, mais c'est aussi l'opportunité présente de mettre en œuvre des idées droites et justes, et des actions qui contribuent au bien de tout ce qui vit.
Quant à haine, elle n'est jamais bonne. Si quelqu'un hait l'Empereur ou les Allemands, il ne fait qu'ajouter de la force à la « haine » ; mais si sa haine est dirigée de manière impersonnelle contre le mal conséquent aux pensées et actions mauvaises, alors il peut, et devrait s'efforcer d'éveiller, chez les acteurs fautifs, la conviction que de telles idées et actions sont erronées, et ne peuvent prévaloir. Dans tout cela, il ne « haït personne » ; il n'a pas de haine, au sens courant du terme, dans son cœur ; il évite une plus grande propagation du mal ; et ainsi, non seulement il protège l'innocent et le faible, mais il empêche au coupable d'encourir une rétribution karmique pire. Il travaille pour la Paix de tous les peuples, sans se préoccuper de ses sacrifices personnels, car il voit et sait que « rien n'est gagné dans ce monde, ou dans tout autre, sans sacrifice ».
À propos des motifs – il n'y a pas de doute que de nombreux motifs ont animé notre peuple, générant ensemble un résultat commun. En tant qu'individus, nous devrions reconnaître qu'il est ignoble de faire la guerre à cause de la crainte de ce qui pourrait nous arriver si nous ne la faisions pas. C'est l'excuse de l'Allemagne pour ses déprédations, et si nous prenons cette position, nous ne sommes moralement pas meilleurs que les Allemands. Il est également ignoble de baser notre action nationale en considérant que les intérêts de notre nation sont supérieurs à ceux des autres pays. C'est encore un des motifs de l'Allemagne. Nous, qui avons été, par notre karma, pratiquement forcés de prendre part à cette guerre mondiale, nous pouvons à travers elle, et par les sacrifices qu'elle implique, apprendre la leçon de la Fraternité de l'Humanité ; ou, nous pourrons lorsque la paix extérieure sera restaurée, reprendre nos idées nationales égoïstes antérieures, et semer les graines pour de futures guerres encore plus terribles. Le choix sera le nôtre.
Pour paraphraser une parole bien connue : « le moment est venu pour tous les hommes, bons et vrais, de venir en aide à l'Humanité », et d'oublier pour toujours tout égoïsme personnel et national. Le moment est maintenant venu de nouer des liens de fraternité durable entre tous les peuples. À travers nos idéaux universels et notre exemple, nous avons une opportunité, qui se présente que très rarement, d'élever l'humanité à un niveau plus élevé et meilleur de compréhension du but de la vie, et à une existence bien plus heureuse et en progrès. Cependant, nous devons avec Arjuna [B.G., II, v. 37, 32], nous « résoudre à combattre » et apprendre les leçons que la bataille enseigne, nous rappelant qu'il s'agit « d'un combat non prémédité et glorieux, que seuls peuvent obtenir les soldats favorisés du sort ».
Note (1) : [Thomas Woodrow Wilson, président des États-Unis de 1912 à 1920, contribua de façon déterminante à la fondation de la S.D.N. (Société des Nations). Cette contribution lui valut le prix Nobel de la paix en 1919. Par la suite, le Congrès américain, dans une attitude isolationniste, refusera que les États-Unis adhèrent à la S.D.N., affaiblissant ainsi cette institution et la rendant incapable d'empêcher les tragédies européennes qui suivront. — N.d.T.] [Retour texte]