Les Transcendantalistes Ralph Waldo Emerson, Henry Thoreau et la Théosophie

Les Transcendantalistes Ralph Waldo Emerson, Henry Thoreau et la Théosophie

25 Jui, 2022

Le mouvement transcendantaliste a profondément influencé tout l’imaginaire américain. C’étaient des artistes, des philosophes, des poètes qui ont vécu au 19ème siècle, dans les années 1830-1840 et jusqu’aux années 1850. Leurs deux principaux représentants furent Ralph Waldo Emerson, né en 1803 et mort en 1882, et Henry David Thoreau né en 1817 et mort en 1862. C’est un mouvement littéraire, philosophique et spirituel qui fait écho à la Théosophie, 30 à 40 ans avant qu’Helena Blavatsky ne publie ses différents opus et ne popularise la pensée théosophique.

Les Transcendantalistes étaient à la fois profondément ancrés dans le réel et profondément spirituels. Ils vécurent de manière très humaine et humble en respectant la nature. Ils furent des exemples probants, flagrants, d’applications des principes théosophiques dans la vie.

Leurs écrits sont essentiellement constitués d’essais, d’articles de journaux, de discours souvent prononcés dans des universités ou lieux prestigieux. Nous sommes invités à retenir deux œuvres classiques essentielles, faciles à lire, largement diffusés qui ont influencé beaucoup d’écrivains, cinéastes, artistes et penseurs de tous ordres. C’est l’ouvrage Nature, d’Emerson, publié en1836, et Walden ou la vie dans les bois de H.D. Thoreau publié en 1854.

Dans les ouvrages des transcendantalistes, on admire la beauté, le lyrisme et la poésie de l’écriture. Ce sont des récits très concrets, philosophiques souvent politiques.  Emerson, Thoreau et leurs acolytes furent désireux de partager leurs savoirs et leurs expériences spirituelles et élever au plus haut l’idéal américain. Les États-Unis au début du 19ème, était un territoire encore à découvrir ; c’était une nouvelle nation, indépendante depuis peu – son indépendance date de 1776, sa constitution de 1789 fut ratifiée en 1792 – c’était donc une nation très, très, jeune. L’idéal des transcendantalistes était de faire de l’Amérique un pays d’hommes et de femmes libres et égaux, quelle que soit leur race ou croyance, qui pourraient vivre, pourrait-on dire, comme des dieux sur terre, être auto-suffisants, vivre ensemble en harmonie, selon des règles justes respectant la nature et l’ordre divin. Leur projet fut aussi politique. A la lecture de leurs œuvres, on est frappé par le nombre de points communs avec les écrits théosophiques. Par exemple Emerson tient des propos sur les liens entre l’évolution et la spiritualité, sur le Soi supérieur et le soi inférieur, sur l’importance de la division en sept, ou de l’existence d’états de consciences supérieurs, ou autres, comme par exemple un état d’éveil ultime semblable à celui du nirvana hindou.

Les transcendantalistes parlent aussi de la loi de rétribution, ou Karma, de l’immortalité de l’âme, et de l’existence de Grandes Âmes, ou de Sages. Il est remarquable de voir révélé dans leurs écrits les principaux principes théosophiques, cela 40 ou 50 ans, avant que Madame Blavatsky ne publie Isis Dévoilé, la Doctrine Secrète et ses articles sur le Théosophie. Certes, la Théosophie ne se limite pas à Blavatsky, car comme elle le dit elle-même la Théosophie est la Religion-Sagesse, une sagesse qui date de temps immémoriaux, qui remonte à des humanités précédentes, et qui se transmet intactes d’âges en âges, de cycles en cycles. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que on retrouve les idées théosophiques sous d’autres formes, dans d’autres cultures, ou autres traditions. Ces idéalistes, poètes, écrivains, philosophes ont su vivre leur vie très concrètement, à l’aune des principes spirituels de la Théosophie.

Il faut rappeler quel est le contexte américain qui engendra la réaction des transcendantalistes dans les années 1840. Les États-Unis était un territoire pas totalement vierge puisqu’il y avait des natifs qui vivaient-là depuis très longtemps, bien avant l’arrivée des colons. On leur donna le nom d’indien car les premiers colons pensaient arriver en Inde. C’est par un abus de langage qu’ils furent appelés indiens.

L’Amérique était un territoire prometteur pouvant accueillir une nouvelle nation, quand il se libérera du joug britannique en 1800. Ce n’était plus une colonie Britannique, mais une nation totalement indépendante, qui n’avait pas encore de gouvernement extrêmement stable, ni d’institution tout à fait définie. Il fallut beaucoup de temps pour que les États-Unis installent un état de droit, un système judiciaire, des lois et qu’ils mettent en place un pouvoir exécutif mature. Le nouveau pays fut une opportunité pour bien des gens sur terre, surtout en Europe, mais aussi en Asie ou ailleurs, parfois en Afrique, pour commencer une vie nouvelle, et s’émanciper de tyrannies diverses. En Europe, ceux qui prenaient le risque de traverser l’océan Atlantique pour rejoindre le territoire américain, étaient des gens qui ne supportaient plus de vivre en Europe, qui se sentaient opprimés, ou exclus de droits fondamentaux ou qui étaient persécutés pour leurs croyances religieuses. La traversée de l’océan pouvait durer environ trois mois, avec de nombreux risques : de maladie, de mort, ou de naufrage sur le trajet. Le voyage coutait très cher : certains pouvaient payer, mais d’autres s’endettaient, certains acceptaient de devenir esclave à l’arrivée ! Il y eut aussi des esclaves blancs – on n’en parle jamais, mais ç’a existé un temps ; c’était des gens qui signaient un contrat pour traverser l’océan gratuitement, en échange une fois arrivés sur place de devoir accepter trois, quatre, ou cinq ans de servitude. Le contexte du début de la vie américaine était très rude, mais extrêmement exaltante ; car une fois arrivé sur le sol américain, on pouvait créer sa communauté, créer sa ville, choisir son lieu de vie, croire au dieu qu’on voulait et vivre selon ses principes. De plus dans la première moitié du 19ème, tout immigrant se voyait accorder environ quatre mille acres (US) de terres pour les cultiver, y construire sa maison et vivre de manière indépendante.

Cependant dans ce contexte américain, il y avait beaucoup de choses qui restaient à penser. Si la constitution américaine établissait l’égalité de tous les hommes et toutes les femmes, il y avait, cependant, des contradictions : par exemple il y avait des esclaves dans le Sud, et aussi dans les premières décennies dans le Nord. Les guerres de conquêtes et l’esclavage faisait débat, et posaient problèmes à beaucoup de gens. Il importait, donc, d’affirmer ou réaffirmer quel était l’idéal américain, et comment combattre les graves dérives. Sur bien des aspects on filait droit vers la catastrophe que fut la guerre de Sécession dans les années 1860 ; ce fut la guerre la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis. C’est aussi la période où les présidents américains, notamment Andrew Jackson, ont inventé l’idéologie politique, de la destinée manifeste (manifest destiny en anglais). Cette doctrine de destinée manifeste, justifiait l’expansion du territoire, le déplacement des indiens et parfois leur génocide, sur le prétexte que motif était bon car les États-Unis avaient su concrétiser l’idéal des Lumières, rationaliser le pouvoir démocratique républicain, garantir l’égalité des personnes, le droit à la propriété et le droit à la vie. Tout ceci était tellement bon pour l’humanité qu’il était nécessaire de le répandre de le diffuser à tout prix. L’idée était que si les américains avaient raison sur le plan philosophique, il était justifié de mener des guerres, de déplacer les populations natives, et de commettre des violences et d’exactions. Cette doctrine de la destinée manifeste, fut très controversée, car choquait un grand nombre de penseurs et de citoyens. On était dans une Amérique pleine de contradictions, où les hommes étaient censés être égaux, mais en pratique il y avait des esclaves et on menait la guerre à des gens justes !

C’est dans ce contexte bouillonnants, de protestation et de remise en question de l’idéal américain que les transcendantalistes se sont affirmés et ont publié leurs livres. Ces intellectuels – principalement en Nouvelle-Angleterre, sur la côte Est des États-Unis, notamment dans le Massachusetts, où se trouvait les universités les plus anciennes et les plus prestigieuses – comme Emerson et Thoreau, ont commencé à s’exprimer et à réagir à nombres d’idées ancrées dans la pensée américaine, et en particulier parmi les dirigeants politiques. Dans ces idées ancrées il y avait l’empirisme de John Locke ; une philosophie selon laquelle, c’est l’expérience des sens, c’est-à-dire l’expérience matérielle – le fait de toucher, de voir, de sentir – qui est à l’origine de toute connaissance, ou de toute esthétique.

Les transcendantalistes ont réagi à cette philosophie empiriste et au matérialisme qu’il engendrait qui gagnaient du terrain, car ils donnaient la priorité aux choses matérielles, et niaient qu’il puisse y avoir une dimension spirituelle ou invisible à l’univers. À l’image de la Théosophie, les transcendantalistes au contraire nous invitent à découvrir, par nos sens intérieurs et la méditation, la réalité de l’invisible, de l’impalpable et de l’intangible.

Ils se sont aussi fermement opposés au dogmatisme religieux et en particulier au Puritanisme, la branche du Christianisme la plus établie en Nouvelle-Angleterre, et dont les fidèles, portaient le surnom les puritains. Le terme de puritain, était péjoratif, et utilisé pour se moquer d’eux. En réalité il faut parler de Calvinisme, la version radicale du protestantisme. C’est une manière particulière de vivre le culte et la vie spirituelle avec des spécificités comme : le principe de souveraineté de Dieu en toute chose ; la doctrine de la prédestination ; Dieu est à l’extérieur de l’homme ; Dieu est souverain en toute chose ; l’homme dans sa genèse a chuté et s’est corrompu ; l’homme ne peut pas être sauvé sans l’intervention de la grâce divine. Le Calvinisme était très établi aux États-Unis à l’époque, parce qu’il était persécuté en Europe. Beaucoup de calvinistes – de puritains – avaient fui l’Europe, et traversé l’Atlantique pour pouvoir vivre librement leur foi. Les transcendantalistes contestèrent les thèses radicales comme celles du Calvinisme.

Le transcendantalisme est un idéalisme qui recherche l’harmonie dans le monde extérieur et le monde intérieur, et l’épanouissement de chaque individu. Il a été véritablement théorisé en 1842 par Emerson qui choisit le terme transcendantal dans la philosophie d’Emanuel Kant, dans La Critique de la raison pratique, un ouvrage pilier de la philosophie allemande. Le mot transcendantal, définit la manière par laquelle on appréhende le monde, ou la manière dont on va connaître les choses. L’empirisme qui est si important dans la pensée occidentale, a tendance à devenir matérialiste, à considérer que le monde est essentiellement matériel et physique, et qu’on ne peut le connaître que par les sens, tels que le goût, la vue, l’odorat, le toucher. Mais pour Kant et les transcendantalistes, s’il y a une connaissance qui porte sur les choses, il y a surtout une connaissance qui porte sur la manière d’appréhender les choses. On peut s’intéresser, non pas à ce qu’on perçoit, mais à la manière dont on le perçoit et ainsi se concentrer sur ce qui perçoit quand on perçoit. Dans cette philosophie il y a une idée qui est très chère aux orientaux, aux hindous en particulier, et aussi aux théosophes, qui est que l’essence de l’être humain, est ce qu’il est en tant que conscience, c’est-à-dire, de foyer de perception et esprit. Dans le yoga on se sert de cet esprit, de cette conscience, pour méditer et accéder au monde intérieur, à tout l’invisible, à une forme de félicité, de bonheur en se concentrant sur ce qui en nous perçoit. Le transcendantalisme, c’est aussi une littérature accessible à tous, belle, agréable à lire et esthétique. Les textes transcendantalistes éveillent nos sens intérieurs quand ils relatent la beauté de la nature, le contact avec les animaux, la beauté de la lumière du soleil...

Transcendantalisme vient de l’adjectif transcendantal qui renvoie à la manière d’appréhender les choses de la vie. C’est une philosophie et une métaphysique, comme la Théosophie. La Théosophie est une métaphysique parce qu’elle est une science qui recherche les causes premières de l’être et de l’univers ; qui recherche ce qu’est l’univers ; s’il y a un être à l’origine de l’univers ; sur ce qui est conscient dans l’univers. Il y a aussi l’aspect mystique du transcendantalisme qui s’ancre dans la tradition mystique occidentale, notamment celle des mystiques allemands et scandinaves. Par exemple, Emerson était un fervent admirateur d’Emmanuel Swedenborg, dont Helena Blavatsky parle énormément. Swedenborg était un médecin suédois qui avait passé une large partie de sa vie à être médecin, jusqu’au jour, où il eut un éveil spirituel fulgurant qui lui a permis de dialoguer avec les anges et avec Dieu, d’aller visiter les mondes invisibles et d’y faire maintes expériences. Swedenborg a relaté, dans une quantité de récits, ses dialogues avec les anges, avec Dieu, avec les êtres spirituels. Beaucoup de ses idées sont proche de la Théosophie. Il naquit en 1688 et mourut en 1772. Son mysticisme a beaucoup influencé notamment Emerson.

Parallèlement en Europe le romantisme devient le courant majeur du milieu du 19ème siècle. Parmi les nombreux romantique on note en France le nom de Baudelaire, et en Angleterre les noms de Ralph Worth, Coleridge, Karel. Les romantiques ont bouleversé les codes de la littérature. Avant eux la littérature était entièrement façonnée par l’idéal rationaliste et matérialiste, c’est-à-dire, qu’on était dans l’esprit du siècle des Lumières, du progrès philosophique, du progrès scientifique, et l’humanité alors vécut dans l’illusion que la science mathématique pouvait tout expliquer, que le monde était comme une grande horloge, et que finalement tout était gouverné par des lois que les mathématiques pouvaient décrire à la perfection. Mais à trop croire au progrès technique et à la science, on a, d’une part, propulsé tout un pan de la société occidentale dans la misère et, d’autre part, créé un nouveau dogmatisme. Le machinisme en se perfectionnant a généré beaucoup de chômage et de conflits sociaux. Nombre de gens ont perdu leur travail suite à la révolution industrielle, après avoir été auparavant déracinées de leurs cadres, de leurs campagnes et de leurs métiers traditionnels. En peu de temps le progrès a ruiné leur vie. Ils se sont trouvés démunis, ont quitté la campagne et habité dans les villes qui n’étaient pas prêtes à les accueillir et où ils vécurent dans la misère. Beaucoup d’enfants devaient travailler dans des conditions très difficiles. La mortalité était élevée, les quartiers pauvres crasseux, la santé des populations souvent précaire, la pollution élevée. Ceci ternit fortement la vision bienfaitrice du progrès et du rationalisme scientifique, déconsidéré, délégitimé par la révolution industrielle qui avait causé tant de misères, concentré la richesse dans un très petit nombre de personne et jeté une large population dans la pauvreté.

Les romantiques se sont insurgés contre cet état en créant une littérature, un langage, une poésie qui voulait restaurer l’accès au monde intérieur, au monde imaginaire, à la beauté de la nature, à une vie plus proche des éléments et une vie plus contemplative. Les romantiques ont proposé un nouveau paradigme, d’images, de modèles, de formes ; ils ont changé la structure des poèmes et des romans, et leur œuvre se perpétue encore de nos jours. Le romantisme des premiers temps a évolué, et aujourd’hui encore on cultive une esthétique romantique de manière encore très vivante. C’est un mode d’expression dont on voit partout l’influence dans les représentations artistiques contemporaine, car les gens ont soif de se reconnecter au vivant, à la nature, à l’invisible et au sens spirituel du romantisme.

Les transcendantalistes ont aussi fait la synthèse d’une philosophe, d’une métaphysique et d’une esthétique. Pour eux il y avait une religion naturelle, qui était une réalité complètement spontanée dans l’être humain. Le mot religion vient du latin « religare » qui veut dire « relier », et en tout être humain il y a un élan qui le porte à se relier directement, sans l’aide obligée d’une institution, à son être profond, à la nature et aux choses naturelles. Les romantiques ont insisté sur l’importance de la notion d’individualisme, où chaque personne, chaque être humain a une valeur intrinsèque propre, avec sa propre vision du monde, sa propre beauté, sa propre individualité. C’était important car jusqu’à présent, de manière paradoxale, on ne considérait pas toujours que tout le monde avait une individualité ; beaucoup pensaient qu’ils faisaient partie d’une masse, d’une lignée, sans se soucier de savoir s’ils avaient quelque chose de particulier en eux à apporter et à vivre.

Chez les romantiques et les transcendantalistes la faculté d’imagination, était importante et avait un sens très particulier. C’était un pouvoir créateur que tout individu possédait qui permettait de créer des mondes entiers avec son esprit, quelle que soit sa condition, riche ou pauvre, homme ou femme, jeune ou vieux. Le romantisme est à la base des principes du transcendantalisme sur la croyance en un savoir intuitif, plutôt qu’un savoir sensible, sur le fait que dans chaque individu il y a une étincelle de divinité, comme en Théosophie. Il y a une connexion intime à la nature à laquelle chacun a toujours accès. La nature est la somme de toutes les âmes qui l’habitent. Toutes les âmes sont des unités qui font partie d’une Sur-âme universelle, « Over soul » en anglais. Cette Sur-Âme ressemble au principe théosophique d’Atma (Esprit), ou d’Atma-Buddhi (Esprit-Âme spirituelle).

Les transcendantalistes avaient foi en la divinité de l’être humain. Cette foi motivait les pionniers américains, partis à la conquête du territoire, au péril de leur vie pour vivre et créer de nouvelles communautés. Ils ont aussi imposé une forme d’optimisme, en affirmant qu’on n’était là pour observer la manifestation du monde de manière individuelle, cultiver un individualisme positif et lutter contre un traditionalisme stérile. Ils sont considérés comme des pionniers spirituels au sens américain. Ils ont soutenu tous les mouvements réformateurs de leur époque : ils étaient pour l’égalité hommes-femmes, pour la défense de la condition ouvrière à une époque où il n’y avait pas de syndicat, ni de lois précises sur les conditions de travail, et leur plus grand cheval de bataille fut de lutter contre l’esclavage.

Un autre principe extrêmement important chez les transcendantalistes est celui de la non-violence, ou de la désobéissance civile. La désobéissance civile a été inventé par Thoreau en 1849, dans un essai intitulé « désobéissance civile » ‒ “civil disobedience” en anglais. Thoreau avait refusé de payer l’impôt, parce qu’il ne voulait pas donner son argent à un état qui faisait la guerre au Mexique sous de mauvaises prétextes et qui cautionnait l’esclavagisme. Il ne paya pas l’impôt pendant six ans ; condamné au bout de six ans il fut mis en prison. Il n’y resta qu’une seule journée, parce qu’un ami paya sa dette. Il avait démontré qu’il pouvait aller au bout de sa pensée même s’il devait vivre en prison, car il préférait être libre spirituellement que de soutenir un régime injuste. Son texte fut un document fondateur qui inspira tous les mouvements non-violents et des hommes comme Gandhi et Martin Luther King.

Pour compléter ce qui lie la Théosophie au Transcendantalisme, on note qu’Emerson dans Nature publié en 1836, a une vision panthéiste du monde comme les théosophes. Il affirme l’existence d’un lien intime entre Dieu et le monde, et si l’homme vit en contacte et respecte l’harmonie de la nature, sa propre vie prend plus de sens, il se transforme positivement, et il devient semblable à un « œil transparent » entièrement en unité avec son environnement. Ça change complètement les choses de revenir à cet état complètement naturel. Une maxime très connue d’Emerson résume parfaitement sa pensée : "I am part and parcel of God" – « Je suis une partie du divin ». Cette idée, commune aussi aux théosophes, affirme que chaque individu est une fraction de l’âme universelle, qu’il parcourt un grand cycle de réincarnations successives, gagne en expériences et évolue jusqu’à pouvoir réintégrer et faire grandir la Sur-Âme universelle dont il avait été issu. Dans Nature, Emerson affirme la primauté des intuitions et des rêves sur la raison et l’expérience des sens. Il dévoile dans son essais « Platon ou le philosophe » son attachement à la spiritualité indienne, et combien il fut inspiré par les Vedas, la Bhagavad-Gîtâ et les Vishnou-Purana. L’idée de l’unité fondamentale qu’il ressentait et percevait, lui était confirmé dans ces textes anciens. Il avait une fibre théosophique bien avant la création de la Société Théosophique. Il insista sur la nature illusoire du monde – la maya. Une de ses maximes sur sa vision panthéiste du monde, était de dire : « Le divin paraît entièrement jusque dans chaque petite toile d’araignée et mousse verte ». L’idée importante est qu’on pouvait voir Dieu dans chaque petite chose et ainsi le regard spirituel permettait une observation plus profonde du monde physique. Pour Emerson comme pour le Théosophe le monde dans lequel on vit est une précipitation de l’Esprit suprême. Si tout est illusoire, ou maya, cependant si nous vivons de manière responsable et restons sensible à tout ce qui vit, nous devenons plus conscients, nos qualités humaines se développent, nous nous élevons spirituellement, devenons plus forts et plus à même d’aller à l’essence de notre être. Pour Emerson, il y avait trois niveaux de connaissance du monde :

1/ celui des hommes ordinaires qui voient la santé et la richesse comme seule fin en soi ;
2/ celui des poètes et des artistes qui vivent pour la beauté des symboles ;
3/ celui des sages qui vivent pour la beauté de la chose signifiée.

La première catégorie jouit du bon sens ; la deuxième à du goût, la troisième a la sensibilité spirituelle.

Dans son analyse Emerson considère que les orientaux sont plus enclins à adopter un point de vue spirituel, centré sur la nature véritable du monde, tandis que les occidentaux sont plus préoccupés par l’exploitation matérielle, sans jamais prendre conscience que tout ce qui existe est dû à la pensée. Pour Emerson, le monde manifesté est une précipitation de l’Esprit ; la nature émane et est gouvernée par une « intelligence universelle » (en anglais “Universal Mind”) que les théosophes appellent Mahat. Dans le Transcendantalisme comme dans la Théosophie, le monde est créé par une pensée suprême (ou idéation cosmique), qui est comme un langage – des mots – qui inclut tout. Ainsi les mots sont les signes manifestant les choses ; les choses qu’on perçoit sont en réalité des manifestations de l’Esprit – la nature tout entière est le symbole de l’Esprit.

Thoreau est de ces êtres capable de vivre en restant proche de la nature. Il décrit ses expériences dans son livre Walden ou la vie dans les bois, publié en 1854. Il vécut seul deux ans, entre 1845 et 1847, au bord d’un lac, en forêt, dans une cabane qu’il avait construite lui-même. Il raconte en détail dans Walden quel était son quotidien, ses observations et ses réflexions. Ce livre est un des chefs d’œuvre absolu de la littérature américaine, dont la lecture, ne serait-ce que d’extraits, est recommandée, parce que c’est fabuleux tant sur le plan de l’écriture, de la beauté du style, que de la connaissance spirituelle qu’on en tire.

Les transcendantalistes nous interpellent car ils furent des exemples qui nous ont montré comment vivre sa vie en restant fidèles à la grande œuvre divine universelle et à la connaissance initiatique. Ils furent des exemples d’un engagement résolu dans le monde, de prises de positions courageuses et de la volonté d’éveiller toutes les consciences à la fraternité et à l’épanouissement individuel.

On retrouve chez eux idéal de compassion et d’humanisme de la Théosophie. On invite chacun à les lire – notamment Nature et Walden – pour s’imprégner de leurs exemples et attiser leur flamme.


 

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