Je me sentais déprimé et m’étendis pour me reposer. J’essayais de me calmer et bientôt je fus envahi par un sommeil apaisant. Je dormis et en me réveillant je me souvins du rêve suivant :
« Je me trouvais dans le pays de la Quiétude. Aucun être vivant ne semblait s’y trouver. Le calme était le génie qui y régnait. Soudain, je vis une humble bâtisse, une simple demeure respirant la dignité et la majesté. Au jardin, se trouvaient quelques bosquets en fleurs et quelques banyans aux branches étendues, ainsi que des touffes d’herbes aromatiques. Qui pouvait bien vivre là ?
« Je vis un vieillard qui balayait et nettoyait le sentier menant à la maison. Je l’observai pendant quelque temps, tandis que, sans bruit, il vaquait à ses occupations. Après quelques temps, il s’assit et posa un livre fait de feuilles de palmier sur ses genoux.
« C’était un étrange spectacle. Le calme de l’endroit, le vieillard jouissant d’une paix solitaire, puisant de la joie et de l’inspiration de son compagnon silencieux. Quelque chose me poussa vers lui et je lui demandai ce que tout cela signifiait ?
« Qu’as-tu, mon enfant ? », me demanda-t-il en levant ses yeux vers moi. « Souviens-toi, ami, que l’abattement et le désespoir sont des ennemis puissants sur le seuil de la vie. »
« Mon Père », répondis-je, « votre figure sereine et douce inspire confiance et me pousse à vous offrir mon cœur oppressé. Que puis-je dire ? L’insuccès et la déception, voilà mon sort. Mon espoir, mes prières, mes efforts les plus sérieux, sont vains. Je rencontre des obstacles de toutes parts – plus mon désir de rendre service et de me sacrifier est grand et moins nombreuses sont les occasions de le faire. Ceux que j’aide semblent n’avoir ni appréciation ni reconnaissance. Mes frères et mes compagnons se jettent dans la mêlée, ont du succès et vont leur chemin. Je travaille en vain. Chaque matin, je m’efforce sérieusement de trouver un endroit où mes services pourraient être appréciés et chaque soir je me trouve exactement là où j’étais le matin. Je fais de grands efforts, mais ne puis rien accomplir. Parmi ceux qui sont dans le besoin, aucun ne cherche mon aide. Aucun, parmi les malades, ne cherche ma main réconfortante. Je me sens seul. Je suis abandonné. Hélas ! La volonté de servir existe, mais il n’y a pas de champ d’action. »
« L’homme vénérable sourit tristement et son doux regard exprima un reproche :
« Enfant, en vérité », murmura-t-il, « le cœur est bon, mais le point de départ est faux. Je suis très vieux, mais je n’ai jamais vu Mère Nature abandonner l’un des siens et pourtant, elle ne s’écarte jamais de sa route, fût-ce de l’épaisseur d’un cheveu, lorsqu’elle répand ses bienfaits. Assieds-toi, mon enfant ; calme-toi. »
« Après un moment de silence il parla – il semblait répéter ce qu’il avait appris :
« Désappointement, découragement, désespoir, voilà le diable à trois têtes, que l’on doit combattre tout seul. Il faut désappointer le désappointement ; abattre le découragement ; chasser le désespoir ; damner le Diable. »
« Il se tut de nouveau et après un temps me parla :
« Dis-moi si dans tous tes efforts de service tu as travaillé et souffert seulement pour le bien-être des autres ? N’y avait-il pas une teinte d’ambition et d’égoïsme dans tes aspirations ? »
« Il me regarda d’un regard pénétrant, sourit et demanda : « Sais-tu qui demeure là ? Non ? Il appartient à l’Armée de la Voix ; il est de Ceux qui sont des hommes, non des hommes comme nous, mais des « Surhommes ». Quoique je sois ici, je Le connais, et pourtant je ne Le connais point. Je L’ai vu et pourtant je ne L’ai pas vu. Mais mon cœur me dit qu’Il est un de Ceux dont le cœur est pur, purifié de tout désespoir. Un de Ceux dont la Lumière n’est jamais obscurcie par l’abattement, un Être qui n’est jamais déçu, lorsque les Sacrifices sont refusés. Les désappointés trouvent un abri sous les arbres qui entourent Son sanctuaire, les abattus perdent leur sentiment de découragement quand ils respirent les parfums de ces herbes croissantes ; le désespéré gagne des forces, quand il regarde l’Étoile de l’Espérance reluire au-dessus de la demeure. Mais si tous ne peuvent atteindre l’ombre des arbres ; les parfums sont trop délicats pour l’odorat humain ; l’Étoile de l’Espérance brille seulement pour celui qui a abandonné tout espoir. Gagne de l’expérience, gagne de l’expérience, afin de te montrer digne des trésors qui se trouvent ici. »
« Je retins mon souffle et dis : « Mais, Ami, sûrement vous êtes vous-même cette Étoile du l’Espérance. Pourquoi me tenez-vous à distance ? Laissez-moi entrer. »
« Mon enfant, je suis le portier de ce Sanctuaire Béni de l’Être Béni – portier de la porte qui n’existe pas et qui cependant est là. Ce n’est pas moi qui t’empêche d’entrer ; c’est ton propre soi qui te retient – embourbé à l’endroit où tu te trouves. L’Être Glorieux qui demeure là, a besoin de travailleurs ; et heureux, trois fois heureux, est celui dont les efforts l’admettent à la compagnie divine.
« J’ai parcouru le même chemin que toi, j’ai affronté le même démon – le désespoir. Mais voici l’Assurance Divine qui me fut donnée en réponse à ma question découragée : « Puis-je espérer, moi aussi, atteindre le but ? » « Sûrement, tu le peux. » « Et comment peut-on trouver le Sentier ? » « Il n’y a qu’une Voie, la Voie du Devoir, c’est elle qui te mènera vers le Sentier. » « Quel devoir spécial ? » « Montre la voie à d’autres, fais que le Sentier reste visible aux yeux des mortels. »
« Ces paroles bénies me soutiennent, me gardent en vie et lentement, mais sûrement, j’ai trouvé le Sentier et mon Devoir actuel, mon enfant, est de garder le Sentier visible pour ceux qui désirent chercher la voie qui, perdue dans le désert du monde, commence ici, et mène chaque nouveau venu au Pays du Seigneur. Peu nombreux sont ceux qui s’approchent, mais je tiens le Sentier visible dans l’espoir que le Soleil couchant puisse introduire dans cette Retraite Divine quelque solitaire pèlerin aux pieds meurtris. J’attends, je surveille, et vois comment tantôt l’un, tantôt l’autre, entre dans la Maison de la Lumière, me laissant à mon poste. Mon temps n’est pas encore venu, mais j’ai la conviction qu’il viendra. Le jour poindra certainement, où moi, celui qui montre la Voie, j’en obtiendrai l’accès, non comme maintenant, mais dans un sens réel. Celui qui se trouve dans le Sanctuaire a besoin de moi pour cette tâche. Il m’empêche de m’en aller dans la jungle, que vous appelez le monde ; il guide ma main qui montre le Sentier aux autres.
« J’introduis chaque voyageur fatigué en lui souhaitant la plus cordiale bienvenue et chaque voyageur, qui rentre dans sa demeure, fait accroître mes forces.
« Seul, l’oubli complet du soi, donne accès au Foyer Sacré de ce Sanctuaire. Ton accablement même prouve que l’idée de la récompense pour le travail, existe en toi. Rejette le voile de l’égoïsme qui obscurcit ta vue. Accomplis tout travail qui s’offre à toi – reconnais sa qualité divine. Aucun effort ne se perd, nul labeur n’est accompli en vain. Mais que tu sois actif ou silencieux, met ton mental et ton cœur à l’unisson avec le grand cœur et le grand mental de l’humanité entière. Sois prêt à montrer la Voie et à laisser passer les autres, tandis que toi tu restes en arrière. Essaye, ami. Sois un serviteur fidèle des Grands Serviteurs et obtiens ainsi la Paix. Voilà ce que je fais. »
« Je me réveillai les yeux en larmes. Un calme profond, que depuis longtemps je n’avais plus éprouvé, avait envahi mon cœur. Mais je me souvins. C’était un rêve plus réel, en vérité, que la plupart des événements de la vie et du travail. »
Note : Cet article est traduit du Theosophical Movement, vol. n° 12,
et il a été publié en français pour la première fois dans la Revue Théosophique, Paris, vol. XIV, n°2.