L'Âme et son langage

L'Âme et son langage

16 Mai, 2019

« L'âme, reflet du monde et de l'homme, est d'une telle diversité, d'une telle complexité qu'on peut la considérer et la juger sous des angles infiniment variés » C.-G. Jung.

Une des caractéristiques essentielles de la pensée moderne est l'intérêt exceptionnel porté aux problèmes de l'âme humaine. La psychologie et la psychanalyse sont à l'ordre du jour ; elles inspirent toute la littérature ; et le théâtre, le cinéma dépeignent sous mille traits le drame de l'âme à la recherche du bonheur, dans un monde qui tout à la fois la blesse et la fascine en la retenant captive dans le cercle des autres âmes — compagnes familières mais toujours lointaines, toujours étrangères.

Lumineuse ou médiocre, pure ou bestiale, l'âme nous apparaît pourtant toujours humaine, respectueuse de certaines valeurs abstraites, sensible à certaines idées innées, — à des degrés très divers il est vrai.

Cette dimension proprement humaine de l'âme doit retenir notre attention ; elle peut ouvrir la voie à une connaissance plus profonde de notre être et nous amener à trouver la voie du bonheur.

L'homme intuitif ne peut se résoudre à se considérer comme un animal supérieur doué d'intelligence et de parole, comme un complexe perfectionné de mécanismes physiologiques ; la chimie et la physique peuvent bien, apparemment, rendre compte de la transmission automatique des impressions jusqu'aux centres les plus profonds du cerveau : jamais pourtant aucune machinerie ne pourra expliquer cette lumière de la conscience qui, tel un spectateur devant un paysage, observe, prend connaissance des messages de ses sens et les enregistre.

L'âme est indépendante du corps, elle a sa vie propre bien qu'elle ait besoin de cet intermédiaire physique pour entrer en contact avec le monde : voilà la conclusion à laquelle on peut arriver sans peine, en réfléchissant sur ces problèmes. Mais la question reste entière et on ne saurait la résoudre sans l'aide de quelques idées philosophiques fondamentales.

Malheureusement, la manière dont le problème est posé par la religion occidentale ne peut qu'égarer. L'idée est admise que nous avons une âme, vouée à la perdition ou à la félicité éternelle, selon ses crimes ou ses mérites. Notion imprécise et le plus souvent stérile : l'homme moderne ne règle pas sa vie sur la perspective de l'au-delà mais d'après les directives de son instinct, de sa raison, ou de ses intuitions.

Il restera aux psychologues à définir intégralement, par une recherche laborieuse, la nature, les capacités et les fonctions de l'âme. La Théosophie fournit immédiatement les éléments essentiels de la réponse. L'homme est une âme en évolution, qui cherche à s'épanouir et à découvrir la Racine de son être ; le corps est sa prison temporaire, mais aussi l'instrument de son salut.

L'âme humaine n'est pas un fait unique, une création exceptionnelle dans l'Univers. De même que la science reconnaît une même source à tous les états de la matière, qui lentement s'élaborent à partir d'un état primordial invisible, de même les Philosophes et les Sages du passé ont reconnu dans ce qu'ils ont appelé l'ESPRIT l'origine de tous les phénomènes de Conscience (1).

Insistons sur ce point : la conscience, c'est-à-dire la capacité de sentir, de percevoir, d'être averti d'une présence extérieure, n'est pas propre à l'homme ; elle existe dans tous les règnes de la nature; automatique, pour ainsi dire, dans l'atome, elle élargit peu à peu son champ de perception, son éventail de sensations, jusqu'au point où elle se présente dans l'homme comme conscience réfléchie, c'est-à-dire consciente de son action.

Ce Pouvoir inépuisable de Conscience, cette lumière de l'Esprit est donc à la racine de chaque être qui n'en reflète qu'un faible rayon. L'univers entier est ainsi fait de myriades de consciences ou d'« âmes », toutes unies par leur essence profonde en un Grand Tout, une grande Conscience collective, l'Âme Universelle.

Notons ici un point fondamental : dès que nous parlons d'âme, nous devons penser à une forme définie, un instrument, fait d'une certaine substance, qui donne à l'Esprit une base d'expression particulière, tout en le limitant.

Cet instrument est propre à chaque âme : elle est enfermée, pour ainsi dire, dans 1e vêtement qu'elle a tissé à travers tous les stades d'expérience qui ont marqué son long pèlerinage jusqu'à son point actuel d'épanouissement.

Aussi, bien qu'elles soient toutes unies par le lien essentiel de Fraternité dû à 1'identi'té de leur origine, les âmes ne sont pas égales dans leur expression : elles n'existent que par la somme des expériences qu'elles ont individuellement traversées.

Nous touchons ici un paradoxe de la Vie : tenant sa permanence et sa continuité de l'Esprit éternel, qui pour elle représente un centre de gravité immuable, l'âme, dans son contact avec le monde objectif, est perpétuellement soumise au mouvement, à la pulsation rythmique de la vie. Mais dans cette pulsation, elle s'individualise ; dans ses interactions incessantes avec les autres âmes, elle s'enrichit et enrichit les autres ; ses instruments d'action et de perception se perfectionnent jusqu'au moment où ils permettent à l'âme de s'y réfléchir comme conscience individuelle, permanente, capable d'une pensée libre et d'une volonté active dans la vie incarnée, le sommeil, comme dans la mort. C'est là la clef de l'Émancipation de la conscience qui ouvre la voie de l'union finale consciente recherchée entre l'Âme et l'Esprit dans ce que les Bouddhistes appellent le Nirvana.

C'est ainsi que procède l'évolution : tous les êtres, sans exception, ont les mêmes capacités en puissance, ils ne les développent cependant qu'en suivant individuellement le long pèlerinage tracé par la Nature. Sur cette voie, il n'y a pas de grâce divine pour l'homme, qui ne progresse qu'au prix de ses efforts personnels.

Dans cette perspective, les personnages les plus nobles de l'histoire humaine ne font que préfigurer ce que sera l'humanité future lorsqu'elle sera parvenue collectivement au stade que ces hommes ont dès maintenant atteint par leur volonté et leur persévérance.

Entre cette conception théosophique de l'âme humaine — appelée encore Ego humain, pour la distinguer d'autres formes de conscience, inférieures ou supérieures — et ce que nous entendons par âme, ou psyché, dans notre pensée moderne, existe une profonde différence mais aussi un lien étroit qu'il nous faut maintenant définir.

La psyché est la synthèse de tous nos phénomènes de conscience ; elle englobe non seulement les pensées, les sentiments, les émotions, les impulsions de toutes sortes qui forment la trame de notre expérience intérieure quotidienne, mais aussi tout le foisonnement des racines de cette expérience : le monde du subconscient. Ce sont ses tourbillons et ses crises profondes, ses problèmes multiples, que nous voyons retracés en gros plan sur les scènes de théâtre ou à l'écran.

Monde essentiellement mouvant de cet aspect terrestre de l'âme humaine, chacun de ses plus petits éléments y joue un rôle et contribue, par touches successives de couleurs plus ou moins discordantes, à composer le tableau souvent contrasté d'une vie d'homme. Pourtant, derrière cette psyché protéenne, en perpétuelle recherche d'équilibre, on décèle une continuité de conscience, un même sentiment d'identité qui persiste d'un bout à l'autre de l'existence terrestre.

C'est là que nous pouvons saisir la réalité de l'Ego. Venant d'un passé insondable, l'Âme immortelle a cheminé de vie en vie, entrant tour à tour dans des corps et les abandonnant, au long du chemin qui mène à son émancipation. Chaque étape lui fournit les occasions d'expérience et les moyens d'en tirer parti : à chaque naissance, dans le milieu où ses affinités passées la poussent à s'incarner, elle modèle un nouveau corps, un nouveau cerveau ; une psyché nouvelle se construit par une fusion des éléments propres à l'âme et des apports du milieu, et de l'éducation. Cette psyché n'est donc qu'une expression superficielle, temporaire de l'Ego. Elle est son instrument inférieur, le plus mêlé d'éléments hétérogènes : comme un miroir à mille facettes, elle reflète tour à tour la pure clarté du ciel et les rouges lueurs de l'enfer terrestre. Et l'homme, sollicité dans sa conscience par l'attraction de son pôle divin et la fascination du monde des sens, souffre et se débat dans l'ignorance de sa véritable grandeur.

Pour mieux saisir le problème de l'âme essayons de l'aborder de l'intérieur, au moyen d'une analogie. Pensons par exemple à la lumière ou au son : au-delà de la gamme septénaire des couleurs et des notes perceptibles, se succèdent d'autres octaves qui correspondent à des taux de vibration trop élevés ou trop faibles pour frapper nos sens. Cette image peut se transposer à la Nature entière et à l'homme. L'être humain est comme une lyre à sept cordes dont chacune correspond à un plan de conscience et de substance particulier avec lequel l'Âme entre en relation. La conscience de veille ne répond qu'à une seule de ces cordes. Le cerveau, accordé sur cette tonalité, n'est pas encore entraîné à vibrer en résonance avec les autres cordes, ce qui nous interdit de garder le souvenir conscient des autres états d'expérience de l'Âme. C'est ainsi que chaque nuit, dans le sommeil profond, l'Ego se trouve sur un plan de conscience où il pense et agit sans que nous n'en soupçonnions rien au réveil. Dans l'hypnose, l'état d'anesthésie, l'extase mystique, l'homme intérieur connaît d'autres conditions d'expérience dont le cerveau, faute d'entraînement, ne retient que peu de chose.

La connaissance de ces champs d'expérience de l'Âme, et les moyens d'y pénétrer de façon telle que le cerveau puisse en conserver la trace consciente ont, de tout temps, été recherchés par les hommes qui, intuitivement, ont pressenti l'existence d'autres mondes plus réels que ce cosmos physique.

Ceux qu'on peut appeler les Aînés de l'humanité sur le chemin de l'évolution ont depuis longtemps découvert ces secrets et la voie qu'ils ont tracée pour leurs disciples a pour nom Raja Yoga (2). C'est la Voie royale qui permet d'accorder la lyre humaine avec les sept plans d'harmonie de la Nature. Elle ouvre à l'Âme la possibilité d'une permanence de conscience individuelle et indépendante qui relie entre eux tous les états vécus sur les divers plans d'expérience. L'Ego ne subit plus la vie incarnée, il la dirige ; et ses actions volontaires, soi-conscientes, se poursuivent sans discontinuité au-delà de la mort physique.

La Toute-Connaissance est au bout de cette voie. Elle est la récompense des efforts surhumains de ceux qui ont consacré des vies entières à cette entreprise.


En dehors de ce Yoga, réservé d'ailleurs au petit nombre, cette présence intérieure de l'Ego peut-elle devenir tangible à notre conscience de veille ? Notre moi profond a-t-il un langage intelligible à notre psyché terrestre ?

Toute chose a un langage pour l'observateur attentif. Le poète déchiffre celui d'un visage aimé ; la mère celui du souffle de l'enfant endormi ; le savant écoute la palpitation des galaxies pour en apprendre l'histoire du monde.

Un langage est un ensemble de signes, de symboles, parfois très simples en apparence, qui ne font que traduire une réalité intérieure souvent complexe ; les mots d'amour qu'échangent les amoureux sont presque toujours d'une étonnante banalité : chacun évoque pourtant une intensité de sentiment et de pensée que les êtres perçoivent directement. Ainsi, pour l'homme intuitif, il y a une couleur, un ton, une chaleur dans les mots qui le renseignent bien plus sur l'état intérieur de l'âme qui parle que ces pauvres messagers imparfaits.

L'Ego possède également un langage que le cerveau traduirait en pensées claires si seulement il y était plus réceptif. Il existe une relation constante entre l'Ego et son instrument terrestre : comme la Terre est placée depuis sa naissance sous le souffle électromagnétique du Soleil, le cerveau baigne dans la sphère d'influence de l'Âme dont il est le plus souvent incapable de déchiffrer les messages. Quel serait donc le contenu de ces messages ? Pensons à la nature de l'Ego. La continuité d'une conscience implique un lien de mémoire entre tous les instants vécus : sans cette persistance des impressions reçues, l'Âme ne serait qu'une potentialité de l'Esprit, quel que soit le plan de conscience envisagé — divin, humain ou animal. Toute âme a donc le pouvoir de retenir, d'interpréter la portée de chaque expérience pour en assimiler le contenu et l'intégrer à sa substance sous forme de nouvelles qualités de vibration, qui la modifient et l'enrichissent. C'est ainsi que l'Ego est encore appelé l'Âme-fil, par allusion à la mémoire synthétique de l'intégralité de ses expériences, assemblées en un tout sans discontinuité, comme des perles sur un fil. Aussi, bien que l'Ego conserve la trace de sa liaison avec chaque forme de vie, chaque race, chaque compagnon de pèlerinage, on ne peut s'attendre à ce qu'il parle une langue particulière, ancienne ou moderne, en exprimant des préoccupations d'homme ou de femme, appartenant à une nation ou à une autre. L'Ego n'a pas de sexe, pas de nationalité ; il ne porte pas le poids des ans. Il est une vision presque illimitée, toujours vivante, englobant le panorama de tout son passé : son message doit donc traduire le résultat de toute son expérience.

Ce langage de l'Ego n'est directement intelligible que pour un Maître du Yoga, ou de l'Occultisme authentique. L'Ego existe, exerce le pouvoir universel de pensée et d'action qu'il tient de l'Esprit, sur des plans de substance où tout s'exprime par des vibrations, modulées de manières infiniment variées, que l'investigateur exercé percevra comme sons, couleurs, odeurs, etc... Le message de l'Ego est donc un langage symbolique, comme est symbolique le langage des ondes radio du Soleil, bien que la qualité des messages de notre étoile soit différente.

Le cerveau a été comparé, à juste titre, à un poste émetteur et récepteur de vibrations électromagnétiques. Les impressions et sensations sont des signaux qu'il reçoit, coordonne et analyse pour les transcrire en images intelligibles. Mais ces signaux arrivent si nombreux, des horizons les plus reculés de l'univers humain, et leur sélection par l'instrument cérébral — pourtant si perfectionné — est encore si imparfaite qu'ils produisent dans la conscience de veille un concert souvent discordant. C'est à tout moment que cette conscience subit la double pression du monde souterrain du subconscient et du monde supérieur de l'Intelligence.

Au milieu des tourbillons de la vie, le langage de l'Ego se manifeste par la Voix de la Conscience. Par elle nous sommes avertis d'une erreur à éviter, d'un changement à apporter à notre conduite. Ce n'est pas Dieu qui parle : c'est la mémoire du passé de l'Âme qui s'exprime et exerce son influence au moment où l'homme incarné en a besoin.

L'Ego se manifeste encore de bien d'autres manières, et au fond, la nature réelle de notre être nos qualités humaines, tout ce qui nous distingue de la brute n'est qu'un reflet de la splendide richesse de l'Ego. Libre à certains savants d'imaginer que le génie d'un Léonard de Vinci est le résultat de quelque providentielle modification de formule chromosomique et que l'humanité connaîtra des jours de gloire à la faveur d'une mutation génétique habilement dirigée. Cette espérance n'est qu'un leurre ; c'est la sagesse acquise individuellement par l'âme au cours de ses incarnations successives qui fait que nous naissons hommes tels que nous sommes, avec nos qualités, nos capacités, notre connaissance innée des choses. Et si l'instinct de l'enfant qui tète sa mère peut être rattaché à la mémoire organique de l'espèce, le sentiment de justice et l'intuition du monde spirituel procèdent de l'Âme en ligne directe.

Il arrive que nous sachions certaines choses sans les avoir jamais apprises, que nous comprenions d'un coup la signification d'une situation, la portée d'une phrase obscure. Attribuerons-nous un tel mode de connaissance au cerveau et à la mémoire de ses cellules ?

La mémoire, comme nous l'avons vu, n'est pas la propriété exclusive du cerveau. Il y a une mémoire sur chacun des sept plans de conscience et de substance de la Nature. Sur le plan physique toutes les cellules du corps ont leur mémoire propre. Le cerveau centralise les impressions conscientes. Elles sont ensuite enregistrées sous forme d'agencements de vibrations d'ans un plan qui transcende celui des simples cellules cérébrales. De ces archives inaltérables, les impressions reviennent de temps en temps, et sont retraduites en clair par le cerveau : c'est ce qu'on appelle le souvenir. Pour préciser le contexte de l'image isolée du souvenir, il faut l'effort volontaire du rappel à la mémoire, que permet encore l'instrument cérébral. Il existe cependant une autre forme de mémoire dont le cerveau ne peut répondre : la réminiscence. C'est le souvenir du contenu synthétique d'une somme d'expériences. La réminiscence est proprement l'expression de la mémoire de l'Âme. Jaillissant dans la conscience d'une manière immédiate, elle procède d'une vision intérieure panoramique et non d'un processus analytique mécanique. Par elle, nous connaissons le sens et la portée des événements, leurs relations internes, indépendamment des détails de leur trame.

Ce pouvoir d'abstraction de la mémoire de l'Âme, qui sans cesse fait le point de notre expérience, est toujours en action : c'est lui qui nous donne le sentiment de la même identité, depuis la naissance jusqu'à notre dernier souffle, malgré les transformations les plus profondes de notre être. Et, bien entendu, cette mémoire de l'Âme ne se limite pas aux événements de la présente existence : les impressions d'incarnations passées reviennent ainsi pour nous faire éprouver le sentiment du déjà vu, du déjà vécu ; et bien des liens du passé se renouent de la sorte avec des êtres qui nous inspirent dès l'abord sympathie ou antipathie profonde sans que nous puissions en trouver la raison.

La voix de l'Ego nous parvient encore dans l'intuition. C'est l'illumination qui livre la solution d'un problème ou découvre d'un coup le sens de notre existence. C'est la « Voix du Silence », impérieuse, qui nous pousse dans une nouvelle direction encore inconnue.

Il y a ainsi dans l'Âme humaine une profonde sagesse qui est à la portée de la conscience de veille, bien que nous n'en sachions rien. Mais cette sagesse, qui filtre dans l'Âme par son rapprochement conscient avec sa source originelle, ne peut inspirer la conscience cérébrale que si l'instrument physique est devenu suffisamment perméable aux vibrations éthérées du message spirituel de l'Âme.


Depuis quelques décennies, on voit naître dans la pensée moderne l'idée que l'être humain n'est encore qu'incomplet et que son évolution doit se poursuivre vers un sommet insoupçonné. C'est ainsi qu'on se préoccupe de plus en plus de la nécessité de faire l'Homme.

Pendant que biologistes, chimistes, psychologues s'évertuent dans ce sens, l'homme moderne reste dans l'attente, confiant dans le génie de ses savants. C'est à lui en particulier que la Théosophie s'adresse pour l'exhorter à sortir de cette trop confortable position qui n'est qu'apathie stérile.

Qu'on le sache bien, on ne fera jamais l'Homme : l'Homme se fera lui-même ou il périra.

Pour s'engager dans cette entreprise de salut individuel et collectif, il faut tout d'abord faire le point de la situation. Acceptons donc le fait que nous sommes des êtres incomplets — on pourrait dire larvaires, en comparaison avec des géants comme Bouddha ou Jésus. Mais nous ne le devons qu'à nous-mêmes. Un tiers de notre vie se passe dans la totale inconscience ; une grande partie qui reste est faite de la routine journalière. Est-ce là le but de l'existence ?

La Théosophie découvre à nos yeux la vision réelle du monde de l'Âme. En possession de cette clef, que manque-t-il pour changer le visage de notre vie ?

Le courage de sortir de nos ornières mentales et la volonté d'ESSAYER.

L'Ego doit entrer en possession de sa personnalité terrestre, mais son instrument cérébral est un organisme atrophié: il ne fonctionne qu'au ralenti dans toutes ses zones responsables de la pensée créatrice et indépendante ; certains centres essentiels à la manifestation des plus hautes facultés de l'Intelligence, comme la glande pinéale, sont pour ainsi dire paralysés, tandis que les neurones qui assurent la vie végétative, la pensée mécanique, l'action réflexe, monopolisent une grande partie de l'énergie mise en jeu dans le cerveau. Il faut donc que cette anarchie cesse, Et, là où chirurgie et chimie ne sont d'aucun secours, une discipline stricte de la pensée est la seule chance de réussite.

En s'efforçant d'être présents dans toutes les actions de la vie, d'être attentifs à tous les messages qui parviennent de l'Ego, tant dans la veille que le sommeil, de comprendre le contenu de chaque expérience et de choisir chaque action à la lumière de la conscience, de la raison et de l'intuition, l'instrument cérébral se trouve obligé de fonctionner constamment dans le sens de l'Âme, avec elle et pour elle.

Il y a une hygiène mentale qui, par l'examen de conscience et une vigilance constante, vise la purification attentive de la pensée.

Il y a une recherche active qui par l'étude et la méditation éveille les centres de communication avec l'Ego et prépare l'établissement d'une continuité de conscience sur tous les plans d'expérience.

L'homme doit devenir un créateur conscient et un auxiliaire de la Nature. La sagesse de la pensée ne suffit pas. Il y a aussi une sagesse du cœur qui consiste non à recroqueviller nos sentiments mais à les élargir au point d'embrasser un nombre d'êtres de plus en plus grand, et à oublier la folle espérance égoïste du salut personnel.

Il y a une sagesse de l'action qui consiste à ne rien faire qui ne soit juste et utile.

À sa racine divine l'Âme est Toute-Sagesse, Amour et Béatitude. C'est cela qu'elle doit réaliser consciemment. En essayant de vivre à cette image, avec discernement, avec générosité et dans la sérénité que procure une connaissance véritable, nous préparons l'avènement de l'Homme nouveau que nous serons dans l'avenir. Reflétant dans notre vie terrestre la nature même et les aspirations de l'Ego, que nous sommes, ses pouvoirs et sa connaissance gigantesque trouveront bientôt dans notre personnalité éphémère un canal d'expression plus fidèle. L'Àme cessera alors de n'être qu'une vague hypothèse de spiritualistes ; nous serons devenus l'Àme, incarnée sur terre à la recherche de son Dieu, à l'image de Psyché en quête de son Divin Erôs.

Note

(1) Voir Cahier Théosophique n°17, sur le sujet du divin.   [retour texte]

(2) Voir Cahier Théosophique n°15, Aperçus sur le Yoga.   [retour texte]

Références bibliographiques ;
La Clef de la Théosophie (H. P. Blavatsky). Chap. VIII.
« Le souvenir des expériences de l'Ego » (art. de W. Q. Judge). The Path, avril 1890.
The Friendly Philosopher (Robert Crosbie) : « Le Langage de l'Âme » et « La Mémoire réelle ».
© Textes théosophiques. Paris - Cahier Théosophique n°19.

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