L'Alchimie en Chine

L'Alchimie en Chine

26 Fév, 2022

Deux articles de E.J. Holmyard : « L’Alchimie » et « L’alchimie en Chine »

L’Alchimie

L’Historien exotérique éprouve rarement de la sympathie pour l’alchimie. Il admettra peut-être à contre cœur que la chimie moderne est la progéniture légitime des recherches alchimiques, mais, en général, il trouve que l’Art Divin et la Sagesse Philosophique ne sont qu’une illusion, parfois même une illusion volontaire. Un des plus grands historiens de la chimie, Hermann Kopp, résume ses conclusions en disant que l’histoire de l’alchimie est l’histoire d’une erreur.

Nous admettrions volontiers que, puisque les théories des alchimistes ne sont plus utiles en chimie, elles sont certainement erronées ; mais toutes les théories scientifiques ne sont fatalement que des essais temporaires. Le critique moderne toutefois impute à l’alchimie plus que des théories erronées ; il l’accuse d’observations inexactes. Les soi-disant transmutations, prétend-il, étaient des fraudes habiles, ou bien le résultat n’était pas de l’or ou de l’argent véritable, mais un alliage que ne pouvaient reconnaître les méthodes d’analyse imparfaites dont on disposait alors. Il était aussi possible que des composés inconnus d’or ou d’argent avaient été employés dans les matériaux sur lesquels on tentait la prétendue transmutation.

Notre but actuel n’est pas de discuter la question troublante de la véracité de nombreux récits, dont on vérifiera l’authenticité, concernant les transmutations de métaux, opérées par les alchimistes. Nous devrions cependant garder présent à l’esprit que le siècle actuel a été témoin de métamorphose d’un élément en un autre, de sorte que la transmutation de métaux vils en or ou en argent ne peut pas être considérée comme une impossibilité même par la chimie orthodoxe. Et l’on a de bonnes raisons de croire qu’un ancien orfèvre était habituellement parfaitement en mesure de décider si un métal donné était de l’or pur, un alliage d’or ou un corps d’une nature entièrement différente. La difficulté qu’éprouva Archimède lorsqu’il voulut analyser la couronne du roi Hiéro, provenait du fait qu’il devait la mettre à l’épreuve sans l’abîmer ; si un échantillon avait pu en être prélevé, n’importe quel orfèvre compétent de l’époque aurait pu facilement résoudre le problème par les méthodes techniques ordinaires.

Mais ce qui est d’un intérêt plus immédiat, c’est le fait incontestable que l’alchimie était plus qu’une science, un art ou un métier, c’était un système ésotérique d’une portée très large et d’une continuité extraordinaire. Il est donc impossible de comprendre correctement l’alchimie sans en étudier ses origines possibles, ses doctrines fondamentales et ses relations inévitables et ininterrompues avec le mysticisme. Même un bref examen de ce vaste sujet dépasserait de beaucoup les limites de cet article, mais certains traits se projettent en relief et s’imposent à notre attention. En premier lieu, peut-être, il faut noter l’extrême antiquité de la traduction alchimique qu’on peut faire remonter à travers les siècles, d’Europe en Islam, d’Islam en Iran et à Alexandrie ; de Grèce peut-être aux Indes et en Chine, de la Syrie en Égypte ancienne, dans le pays de Sumer et à Akkad, à Babylone et en Assyrie – et peut-être même jusqu’à l’Atlantide problématique (1), quoique l’histoire de Platon puisse avoir eu son origine dans les légendes obscures de la Crète du roi Minos, transmises de génération en génération. Le récit généralement accepté qui place la naissance de l’Alchimie dans l’Égypte des Ptolémée, a peut-être mal interprété la vérité, et a pris pour l’origine ab initio ce qui n’était qu’une renaissance. En dépit de toutes les patientes recherches qui ont été poursuivies, nous savons encore bien peu de choses des débuts de l’alchimie, sinon qu’aussi loin que nous puissions remonter, cet art paraît avoir existé précédemment.

D’un intérêt égal à l’antiquité et à l’ubiquité de la tradition alchimique, se classe la liste de ceux qui furent connus pour l’avoir étudiée ou qui sont supposés s’en être occupés. Si on laisse de côté les figures nébuleuses comme Hermès et Ostanes, il nous reste encore un groupe étonnamment important de grands hommes, dont beaucoup se distinguèrent dans d’autres branches de l’activité intellectuelle. Rhasès, un des fondateurs de la médecine ; Avicenne, poète philosophe et savant ; Ja’far al-Sadiq, le sixième Iman ; Robert de Chester, un des plus féconds savants du XIIe siècle ; Roger Bacon ; Raymond Lulle, missionnaire et mystique ; Thomas d’Aquin et son élève  Albert le Grand ; Khunrath, le cabaliste allemand obscur mais accompli ; Robert Boyle, dont l’œuvre  fut d’une importance fondamentale pour les bases de la chimie moderne ; et même le plus grand de tous les hommes de science, Sir Isaac Newton. Si l’alchimie n’était qu’une vulgaire chicanerie compliquée, une telle élite d’intellectuels se rencontrerait-elle parmi ses adeptes, ou tout au moins parmi ceux qui s’en faisaient une opinion suffisamment élevée pour l’étudier avec une certaine persévérance ?

La vérité paraît être que, si beaucoup s’intéressaient à l’alchimie physique, - tel Newton dont les devoirs comme Maître de l’Hôtel des Monnaies l’obligeaient évidemment à rechercher les possibilités de transmutations – d’autres, peut-être la majorité, s’occupaient surtout du système mystique ; pour ceux-ci, la synthèse de l’or avait peu d’attraction. C’est toutefois vers le côté occulte qu’il faut tourner son attention si la véritable histoire de l’alchimie doit être jamais écrite ; trop souvent un livre d’alchimie a été rejeté, comme étant sans valeur, par l’historien, parce que sa chimie est incompréhensible ou erronée, alors que son auteur n’avait peut-être jamais eu l’intention d’en faire un traité de chimie, mais un manuel de pensée occulte, écrit dans le langage symbolique de la chimie.

C’est peut-être dans cette direction aussi que nous pourrions trouver une explication à la persécution dont furent si fréquemment victimes les alchimistes. Les charlatans qui trompèrent les hommes en faisant passer des alliages sans valeur pour de l’or pur, jetèrent sans aucun doute le discrédit sur l’alchimie, mais nous pouvons hésiter à accepter ceci comme la seule cause. Une raison plus profonde semble avoir été la méfiance que l’opinion publique ordinaire montre toujours envers le penseur original pour qui l’orthodoxie n’a aucun caractère de sainteté. En fait, les alchimistes sincères semblent avoir souffert l’ignominie parce qu’ils étaient dans le courant de la pensée ésotérique. Les vies et les écrits de tels hommes sont dignes d’une étude respectueuse et sympathique.

E.J. Holmyard (2).

Article traduit de la revue The Aryan Path (Bombay, Inde) de février 1930.
Publié dans la Revue Théosophie – Vol. VIII, n°7.

Notes

(1) Nous sommes de ceux qui ont la faiblesse de croire que l’alchimie eut son lieu d’origine dans l’Atlantide et seulement sa renaissance en Égypte. Si Dioclétien n’avait pas brûlé les ouvrages ésotériques des Égyptiens en l’an 296, ainsi que leurs livres sur l’alchimie, le monde en saurait peut-être plus aujourd’hui sur l’Atlantide et l’Alchimie qu’il n’en sait. – Les Éditeurs de The Aryan Path.

(2) Le Dr. Eric John Holmyard, M.A., M.Sc., D.Litt. est une autorité reconnue universellement dans son domaine. Il contribua à la nouvelle édition de l’Encyclopœdia Britannica par un article sur Djeber, et est l’auteur ou l’éditeur d’un grand nombre d’ouvrages sur l’alchimie et la chimie. Ceux-ci comprennent Avicennœ de congelatione et conglutinatione lapidum (Textes latins et arabes avec traduction et notes en anglais, Édition de Paris, 1927). Les œuvres arabes de Jabir ibn Hayyan (une autre édition de Paris comme l’est aussi l’ouvrage suivant), Abu’l-Quasim al-Iraqi’s Kitab al-ibn almuktasab (Textes arabes et anglais) Les Grands Chimistes, les œuvres de Djeber et la nouvelle édition du Rituel de l’Alchimie, de Thomas Norton. Deux des passe-temps de ce savant fécond et érudit sont l’étude de la chimie islamique, et de l’alchimie et de l’occulte. – (Les Éditeurs.)


L’Alchimie en Chine

« La transmutation est un phénomène naturel de l’univers. Pourquoi donc douterait-on que l’or et l’argent puissent être faits en partant d’autres substances ? » Telle était la question que posait aux sceptiques le célèbre philosophe taoïste Ko-Hung, surnommé Pao Pu Tzu ou « Vieux Tranquille », qui écrivit des ouvrages sur l’alchimie et la philosophie au IVe siècle de notre ère. Le fait, que même à cette époque reculée, il y avait en Chine des hommes qui doutaient de la possibilité d’opérer la transmutation des métaux semble prouver que l’alchimie était déjà bien établie dans ce pays, car si nous pouvons nous baser sur ce qui se passe dans d’autres pays, le scepticisme au sujet des prétentions de l’alchimie ne s’éleva jamais que fort longtemps après l’apparition de l’Art Divin. Et d’ailleurs les auteurs locaux assignent une haute antiquité à l’alchimie chinoise, assertion qui, si elle était prouvée rendrait possible – peut-être même probable – la théorie selon laquelle les connaissances alchimiques d’Alexandrie, de l’Islam et de la chrétienté latine vinrent à l’origine, comme bien d’autres choses vinrent certainement, de l’énigmatique Empire Céleste.

Jusqu'à il y a environ une dizaine d’années, le problème de l’alchimie en Chine ne reçut que peu d’attention de la part des historiens de la science, en partie sans doute à cause des difficultés du sujet, et en partie à cause du fait que peu d’étudiants intéressés au développement de la science avaient des connaissances suffisantes du chinois classique. D’autre part peu de sinologues compétents avaient des notions d’alchimie. Le résultat inévitable d’une telle ignorance regrettable fut que les découvertes Chinoises, selon le préjugé général, ne pouvaient leur être attribuées et on les accusa de plagiat, de falsification d’annales ou d’appropriation massive d’idées occidentales, hindoues ou musulmanes, qu’ils auraient ensuite revendiquées comme étant d’eux.

En se rendant rapidement compte davantage qu’une connaissance du développement de la science est d’importance vitale dans la culture moderne, la nécessité de combler une si sérieuse lacune fut heureusement sentie, et divers savants notamment Tenny L. Davis, Lu’Ch’iang Wu, Obed, S. Johnson, H. E. Stapleton et R.F. Azo, ont déjà donné à ce sujet un aspect plus satisfaisant. Bien qu’il y ait encore beaucoup à faire, les recherches n’en sont en réalité qu’à leurs débuts ; beaucoup de renseignements ont été recueillis de sources originales et quelques-unes des principales grandes lignes de ce nouveau domaine ont été clairement discernées. Comme la plupart des étudiants de l’occultisme l’ont prévu les résultats sont d’un intérêt considérable et ont une signification au moins égale.

Le fait le plus frappant au sujet de l’alchimie chinoise qui se dégage des récents travaux, c’est sa très haute antiquité. L’alchimie occidentale semble n’être apparue qu’avec les Grecs d’Alexandrie des IIet IIIe siècles de notre ère, mais si l’on en croit les annales, l’alchimie chinoise était alors déjà vieille de plusieurs siècles. On relate dans le Shih Chi (« Mémoires historiques » de Ssu Ma Ch’ien, qui écrivit en l’an 116 avant J.-C.) qu’en 221 av. J.-C. l’adepte Hsu Shih conduisit une expédition de plusieurs milliers de jeunes gens et de jeunes filles, dont le but était de découvrir trois montagnes ou îles, P’eng lai, Fang Chan et Yin Chou, sur lesquelles on devait trouver la drogue permettant de composer l’Elixir de Vie. Les Chinois poursuivaient donc délibérément l’un des principaux buts de l’alchimie, quatre ou cinq cent ans avant que Zosime le Panopolitain n’écrive quelques-uns des premiers traités grecs de l’alchimie.

Au siècle suivant, l’alchimiste Li Shao Chun signala à l’Empereur Wu Ti (156-87 av. J.C.) que du cinabre pouvait être transformé en or jaune par le sacrifice de la fournaise. Si l’on employait cet or à faire des coupes pour boire et des assiettes pour manger, la vie de celui qui s’en servirait serait prolongée, et s’il employait cette longévité à rendre visite aux immortels sur le P’eng lai, il pourrait lui-même obtenir l’immortalité. Enthousiasmé par cette séduisante perspective, Wu Ti accomplit lui-même les sacrifices de la fournaise et s’occupa d’expériences chimiques avec du cinabre et une grande variété d’autres substances. Le chroniqueur ajoute cependant que bien que beaucoup d’argent fut dépensé, l’Empereur ne réussit pas à trouver les immortels et l’immortalité. Ce manque de succès n’arrêta pas un prince du Huai Nan appelé Lin An de rechercher avec enthousiasme les secrets de l’immortalité et de la transmutation. Dans des écrits remontant à la seconde moitié du IIe siècle, av. J.C., il affirme que l’or croît lentement dans la terre par un processus naturel et qu’il provient du principe immatériel qui est à la base de l’univers, passant d’une forme à une autre jusqu’à l’argent, et de l’argent à l’or. Cette idée devint un lieu commun parmi les alchimistes médiévaux de l’Islam et de l’Europe et fut peut-être l’une des notions d’alchimie qui eut cours le plus longtemps. Abu’l-Qasim al’Iraqi, par exemple, qui était fameux au Caire vers 1260 de notre ère, dit que la matière primordiale des métaux est une, et qu’elle atteint sa limite de perfection par degrés naturels, des métaux vils ou « non mûrs », tels que le plomb, jusqu’à l’argent qui est plus « mûr » et finalement jusqu’à l’or parfait. Djeber pensait que la formation de l’or par le processus naturel prenait de mille à dix mille ans. Dans leurs estimations, les Chinois se rapprochaient de la période la plus courte : le cinabre natif devient du plomb après trois cent ans, après deux cents le plomb s’est changé en argent, finalement après deux cents nouvelles années l’argent est transformé en l’or le plus pur par la Grande Harmonie de l’univers. Il n’est pas sans intérêt qu’une série de transmutation – d’uranium en ionium, d’ionium en radium, du radium en radon, du radon en polonium et du  polonium en plomb – ait lieu actuellement dans la nature, bien que la chimie moderne ne puisse trouver de preuves montrant que de l’or ou de l’argent peuvent être en train d’être constitués par des changements semblables.

Le plus ancien livre chinois entièrement consacré à l’alchimie est le Ts’ an T’ung Ch’i (Similitude des Trois) que l’on dit avoir été écrit vers 142 de notre ère par le « Père de l’Alchimie », Wei Po-Yang. Les plus grandes autorités sont presque unanimes à considérer que ce livre est authentique et que son auteur est un personnage historique, bien que l’on doive dire que quelques étudiants affirment que Wei Po-Yang est un personnage purement légendaire, et que l’on ne sait rien de certain au sujet de l’antiquité du Ts’an T’ung Ch’i, sinon qu’il appartient au premier millénaire après le Christ. Selon la tradition généralement acceptée, Wei Po-Yang était natif de Wu, dans la province actuelle de Kainsu. Il était un alchimiste et un philosophe de l’école Taoïste ; il n’était pas attiré par les choses de ce monde, mais préféra passer sa vie dans une vallée solitaire où il pourrait trouver la simplicité, le calme, la paix et des loisirs pour réfléchir. L’époque arriva enfin à laquelle il entreprit de préparer la Pilule de l’Immortalité. Accompagné de trois disciples (de la foi de deux d’entre lesquels il doutait intimement), il se rendit dans les montagnes et commença les opérations chimiques voulues. Nous ne pouvons plus, hélas ! savoir quelles étaient les drogues exotiques employées pour composer la précieuse médecine, mais le Tigre Blanc, le Dragon Bleu, la Perle Liquide et l’Oiseau Rouge en faisaient partie, tandis que le Ting ou fournaise était le principal instrument. Après bien des soins jaloux et des manipulations habiles la Pilule de l’Immortalité fut enfin prête. Or, Wei Po- Yang avait amené avec lui dans les montagnes un chien blanc et pour éprouver la foi de ses disciples il leur dit : « Nous devrions tout d’abord nous assurer que la médecine a été convenablement préparée en en administrant un peu au chien. Si le chien meurt, nous ne devrons pas prendre la Pilule nous-mêmes, mais s’il n’est pas indisposé, nous saurons que la médecine a été efficace ». Il dit ceci sachant que le premier effet de la médecine était de produire pour un certain temps un état semblable à la mort. Wei Po –Yang donna alors au chien une partie de la Pilule ; l’animal s’abattit immédiatement et, selon les apparences, mourut. « Cette médecine n’est pas encore parfaite », dit l’alchimiste, » mais étant donné que j’aurais honte de rentrer après avoir échoué, je dois en prendre moi-même ». Là-dessus il avala la pilule et mourut. Les trois disciples étaient stupéfiés, mais l’un d’eux, plein de foi, se refusa à croire que son maître avait agi ainsi sans intention délibérée et suivit le terrible exemple qui lui avait été donné ; il mourut à son tour. Les deux autres disciples avec beaucoup de bon sens, mais peu de courage, se dirent qu’il valait mieux vivre quelques années de plus sans la Pilule de l’Immortalité, que d’en prendre et de mourir sur le champ. Ils quittèrent la montagne pour faire le nécessaire pour les funérailles. Peu après leur départ, Wei Po-Yang revint à lui, et, en leur administrant un plus de médecine, il put ranimer son disciple et le chien. Tous trois avaient atteint l’immortalité. Ils partirent, mais par politesse, Weil Po- Yang envoya, par un bûcheron qu’ils rencontrèrent par hasard, une lettre de remerciements à ses deux disciples incrédules. « Les disciples », ajoute naïvement le chroniqueur, « furent désolés lorsqu’ils lurent la lettre ». 

C’est un fait caractéristique du début de l’alchimie chinoise que l’on insiste plus sur l’Élixir de Vie ou la Pilule de l’Immortalité que sur l’Elixir de Transmutation. Nous pouvons supposer que la raison en est que jusqu’à une époque relativement récente, l’or n’était pas particulièrement apprécié par les Chinois, bien qu’ils le considérassent comme le métal parfait. Ce ne fut que par le contact avec les civilisations étrangères que l’or acquit finalement sa valeur fictive, qui constitue l’un des plus remarquables phénomènes psychologiques de l’histoire du monde. « La longévité », dit Wei Po-Yang dans le Ts’ an T’ung Ch’i, « est d’importance primordiale dans le grand triomphe ». Le fait que l’or n’est attaquable par aucune substance en faisait l’un des corps les plus précieux pour composer l’élixir mais il n’était pas nécessaire d’avoir recours à la transmutation dans un pays naturellement si riche en or que la Chine. Il semble cependant (comme nous l’avons vu) que des essais pour produire de l’or artificiellement aient été faits dès l’époque de l’Empereur Wu Ti, et, bien que toujours reléguée à un rang secondaire, la technique de la transmutation est une caractéristique constante de l’alchimie chinoise.

Au IVe siècle de notre ère, à l’époque où la chimie d’Alexandrie était à son zénith, la principale figure de l’Art fut Ko-Hung, natif de Chiang-ning Fu dans le Kiangsu. On dit qu’il vécut aux environs de 281 à 361 et est bien connu en tant qu’auteur d’importants ouvrages de médecine, magie, alchimie et philosophie taoïste. Le traité qu’il écrivit sous le pseudonyme de Pao Pu Tzu apparut en 330, mais jusqu’à présent n’a pas été entièrement traduit dans une langue européenne. Dans les sections IV, XI, XVI de Nuy Pe’ en ou « Chapitres Intérieurs » de cet ouvrage, Ko Hung décrit les méthodes pour faire les Elixirs jaune (l’or) et Blanc (argent) et mentionne cet enseignement curieux qu’un homme peut prolonger sa vie en prenant des drogues faites de plantes, mais qu’il ne peut perdre son ombre et devenir immortel qu’en se servant de l’Elixir Divin fait de minéraux et de métaux. Il était de plus nécessaire de préparer cet élixir sur une montagne, dans un endroit solitaire et en n’étant qu’à deux ou trois seulement. Il fallait au préalable jeûner cent jours et le corps devait être parfaitement pur. Ceux qui participaient à la préparation devaient tous croire à la doctrine (c'est-à-dire la doctrine du taoïsme) et l’on ne devait pas dévoiler la tentative à une personne qui pourrait s’en moquer, car dans ce cas la préparation de la médecine ne réussirait pas. En ce qui concerne les drogues à employer, bien des termes chinois utilisés pour les désigner n’ont pas encore été identifiés, mais parmi ces drogues on trouvait certainement : le sulfure d’arsenic rouge ou jaune (c'est-à-dire realgar et orpinent), le soufre, le cinabre, l’alun, le sel, un minéral bleu (peut-être le lapis lazuli ou vitriol bleu), l’arsenic blanc, des coquilles d’huîtres, le mica, la craie et la résine de pin. L’élixir obtenu, lorsqu’on le versait sur du mercure ou sur un mélange de plomb et d’étain contenu dans un pot de fer, transformait le métal en or ou en argent. Pris comme médecine pendant cent jours, il rendait l’homme immortel, le libérait de toutes les maladies, et lui donnait le pouvoir de passer dans l’eau et le feu sans danger.

Un important problème sera de mesurer les relations de l’alchimie chinoise avec celle d’Alexandrie, de l’Islam et de l’Europe occidentale. Il est évident, même à première vue, qu’il y a des similitudes frappantes ; mais ces similitudes sont-elles dues à des coïncidences ou à une filiation directe ? C’est là un mystère qui n’a pas encore été percé. Les chimistes d’Alexandrie considéraient que la transmutation des métaux était accompagnée, sinon produite, par la transmutation de la couleur, et la même idée persiste dans les traités des chimistes musulmans et de leurs successeurs chrétiens. Il est par conséquent intéressant de noter que Ko-Hung avait le même point de vue. « La blancheur », dit-il, « est la propriété du plomb ; mais si vous le faites devenir rouge, le plomb se transformera en cinabre. Rouge est la qualité du cinabre. Mais si vous rendez le cinabre blanc, il se changera en plomb ». Les recommandations au disciple de mener une vie austère et de s’abstenir de révéler les secrets de l’alchimie au vulgaire, l’insistance sur l’importance du mercure, du plomb et de l’or dans la composition des élixirs, le langage symbolique et mystique employé par les initié, les pratiques magiques étroitement liées à l’Art, l’association des métaux avec le soleil, la lune et les planètes, toutes ces caractéristiques sont communes à l’alchimie chinoise et à l’alchimie plus connue de l’Occident. Il est possible qu’elles se formassent indépendamment ; il est possible que la Chine fît des emprunts à Alexandrie (comme elle emprunta plus tard à l’Islam), il est encore possible que nous devions chercher une origine commune, plus éloignée encore, à l’alchimie d’Alexandrie et à l’alchimie chinoise, mais la ressemblance entre les deux est si étroite qu’aucun sujet d’étude plus captivant ne pourrait être désiré par un historien de la science. Le chaînon de réunion sera-t-il trouvé dans l’Inde ? De nouvelles recherches révèleront-t-elles que le berceau de l’alchimie se trouve dans cette ancienne civilisation aryenne qui étendit son influence à l’est, à l’ouest et au nord et au sud était limitée par la mer ? On ne peut encore répondre à cette question, mais peut-être que la révélation nous attend parmi les manuscrits non encore lus des grandes bibliothèques des princes hindous.

Éric J. Holmyard (1891-1959) (1) (2).
Cet article est traduit de la revue The Aryan Path, de Bombay, de Nov. 1932.

Notes

(1) : Sources: Dr. O.S. Johnson : A Study of Chinese Alchemy, Changhaï 1928; Prof. T.L. Davis et Dr. Lu-Ch’iang Wu: «The advice of Weil Po-Yang to the Worker in Alchemy» (The Nucleus, Mars 1931); «The Pill of Immortality » (The Technology Review, XXXIII, N° 8, Mai 1931); «Chinese Alchemy» (The Scientific Monthly, XXXI, 225-235, 1930).

Principal H.E. Stapleton et Dr. R.F. Azo: « Chemistry in Iraq and Persia in the Tenth Century A.D. » (Memoirs on the Asiatic Society of Bengal, VIII, 317-418, 1927).

(2) : Le Dr. E.J. Holmyard, M.A.M. Sc., est un savant qui contrairement à la plupart de ses collègues, n’a pas négligé de rechercher la connaissance que les anciennes civilisations possédaient et qui est maintenant perdue ; il n’a pas hésité d’étudier et d’exposer un sujet comme l’alchimie qui est considéré comme de la superstition.

Dans cet article le Dr. Holmyard passe en revue l’histoire de l’alchimie en Chine. L’histoire passionnante rapportée pose, à nouveau, cette ancienne et intéressante question : jusqu’à quel point les Instructeurs de la science de l’âme, qui étaient également des adeptes en alchimie, employèrent-ils des termes et des procédés d’alchimie d’une façon symbolique ? Transmuer le plomb de la passion (Kama) en le pur métal jaune de l’intuition (Buddhi) est une expression théosophique qui a été employée depuis des siècles, et il y en a d’autres.

Métal se dit en sanscrit dhatu ; ce mot désigne aussi les éléments constitutifs du corps ; nous recevrons ce mot employé comme suffixe dans Mano-dhatu, métal-sensation, etc.…De plus le corps humain est supposé être composé de 84.000 dhatus, et l’on dit que l’Empereur Asoka construisit 84.000 dhatus-gopas, ou dagobas en l’honneur de toutes les cellules du corps du Bouddha, chacune d’entre elles étant devenue maintenant un Dharma-dhatu ou Relique Sacrée. Ces dagobas montrent en outre que leurs premiers constructeurs les considéraient comme des symboles du corps humain.

Nous espérons que quelque savant hindou reprendra l’idée contenue dans la dernière phrase de cet article et cherchera ces manuscrits dans ce vieux pays. – (Les Éditeurs de The Aryan Path.)


 

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