En souvenir de W.Q. Judge - La confiance en soi

En souvenir de W.Q. Judge - La confiance en soi

13 Mai, 2019

[M. Judge mourut à New-York le 21 mars 1896. L'article de George W. Russel ci-dessous parut dans The Irish Theosophist de mai 1896 sous la signature bien connue de Æ et avait pour titre « Self-Reliance » (« Confiance en soi »). Les idées contenues dans cet article sont, pour les étudiants d'aujourd'hui, aussi vraies qu'elles l'étaient pour ceux d'autrefois et à qui elles s'adressaient.]

Nous devrions peut-être profiter de ce que nous sommes dans un état de transition pour considérer ce que nous sommes nous-mêmes, surtout quand les vieux chefs ont disparu et que les nouveaux n'ont pas encore pris leurs places en avant des autres. Il y a quelques questions que nous devrions nous poser à nous-mêmes sur ce mouvement. Où ses fondations furent-elles posées ? Quels sont les liens qui font un tout de ce mouvement ? Où est la source de sa force ? À la première question vous répondez « l'Amérique » ou « l'Inde ». Mais si cette ancienne doctrine des émanations est vraie, il faudrait répondre que ces fondations ne sont pas sur la terre mais dans le monde céleste où nos esprits immortels sont étroitement liés. C'est là qu'il est vraiment né et en se développant il s'étendit vers la terre. Tous nos espoirs, nos efforts et nos actions ici-bas ne sont que le vague reflet de ce qui était vrai et parfait en idée. Cette idée initiale était le désir de beaucoup de cœurs de sauver les générations allant vers leur perdition. Ceux qui nous protégeaient dans les premières années du mouvement étaient plus sages, plus forts, plus grands que nous. Ils étaient là parmi nous, rafraîchissant notre mémoire, murmurant dans nos cœurs le message de la signification de la vie, nous rappelant l'effort éternel de l'esprit pour acquérir la liberté, la connaissance et la maîtrise. Malgré tout, c'est notre mouvement et non seulement celui des Maîtres. C'est notre propre travail que nous accomplissons ; c'est notre propre volonté que nous essayons de manifester. Il est bien que les grands sages abandonnent leur corps qui n'était pour eux que tourment et souffrance. Ils le prirent pour notre salut et nous pouvons ici-bas leur adresser un adieu reconnaissant et nous pouvons penser que les sphères invisibles sont enrichies par leur présence, et sont plus désirables et plus dignes d'être atteintes. Je pense vraiment que là, ils sont plus près de notre cœur et de notre mental que lorsqu'ils sont ici. Ce qui est réel en nous ne peut pas rompre le lien de fraternité qui nous unit à de tels êtres quand ils franchissent les portes de la mort. Dans un rayonnement constant, dans un enfantement sans fin d'énergie, de pensée et de volonté, dans un épanouissement éternel de joie, d'amour et d'espoir, s'échange d'âme à âme la lumière. J'aimerais mieux entendre une de leur parole dans mon cœur que mille dans mon oreille. J'aimerais mieux penser à mon guide, à mon instructeur comme à une belle flamme, plutôt qu'emprisonné dans un corps d'argile. Quoique nous puissions regarder cette figure douce et grave qui ne vit plus, l'influence magique, le souffle de feu qui avant, nous venait de son âme, ne peut avoir cessé de vivre pour nous. Nous sentons au plus profond de notre cœur que celui que l'on dit mort, est à jamais, éternellement vivant.

Il a gagné son repos. Un profond repos, si toutefois des êtres comme lui cessent de travailler. Nous, nous pouvons continuer notre chemin, sûrs que les liens sont intacts. Quels étaient ces liens ? Est-ce le fait que vous connaissiez un être qui connaissait les Maîtres ? Une telle présence et un tel compagnon seraient naturellement une aide et un lien. Mais je crois que là où il y a croyance en notre être supérieur, en la justice, en notre unité et notre destinée spirituelle, là où la fraternité existe, il y a des liens, des nœuds, des attaches étincelantes qui partent du divin et qui nous rattachent sans interruption à lui. Ainsi, nous trouvons en nous-mêmes, dans notre propre nature, non pas tout ce qui nous permettrait de nous perfectionner dans les mystères, mais assez pour éclairer notre chemin, pour nous montrer le degré suivant et pour nous donner la force nécessaire pour accomplir notre devoir. Nous ne devrions pas constamment chercher de l'aide en dehors de nous-mêmes ; rappelons-nous qu'un jour il nous sera nécessaire de nous tenir débout, seuls. Ne nions pas, ne diminuons pas notre être secret, notre gloire cachée. Le fait que nous ayons accepté ces vérités, même comme une intuition, qu'il nous était impossible de justifier intellectuellement, est une preuve que nous avons en nous ce qui a été initié dans le passé, cette partie de nous-mêmes qui connaît et qui vit dans ce qui n'est qu'un espoir dans ce monde d'illusion. Nous ne comprenons pas le progrès d'une partie de nous-mêmes. Nous avons accompli des actes dans un rêve évanoui et nous avons médité plus profondément dans les silences oubliés du sommeil. L'Immortel fait son chemin dans la chair en descendant de sphère en sphère ; l'âme a des expériences dans l'état de rêve, et la sagesse qui en découle n'est pas perdue parce que notre mémoire n'en garde pas le souvenir. Mais assez a été dit pour nous donner des indications, des signes, qui nous permettent de remonter les courants de force jusqu'à leurs sources. Nous nous éveillons un jour, à l'aurore, et dans notre cœur se trouve aussi cette aurore, ainsi que l'amour, une énergie de flamme, une douceur magnétique qui se répand dans notre sang. Si nous pouvons remonter à la source de ce pouvoir énergisant, nous pourrions peut-être voir qu'en nous endormant une mémoire ancienne s'est éveillée dans notre âme, ou alors par le pouvoir du Maître, l'âme, transformée par le pouvoir enchanté du Soi, est partie à la recherche de la Terre Sainte. Que nous ayons un guide ou non, une chose est certaine, c'est que derrière nous et en nous, « le Père accomplit son travail intérieur », un guerrier combat pour nous. Nos pensées sont les pointes des flèches de son carquois. Il les tire avec ardeur et les lance par le Souffle Divin. Elles arriveront au but si notre pensée est juste. Qu'importe si dans le brouillard nous ne voyons pas où elles frappent. Elles servent toujours. Après un certain temps les brumes s'évanouiront et l'horizon deviendra clair ; les pouvoirs étincelants nous salueront comme vainqueurs.

Je n'ai pas de doute sur l'avenir ; je suis sûr que nous aurons un guide et une succession ininterrompue de guides. Mais je crois que leur tâche serait plus facile, que notre route serait moins enténébrée par la tristesse et le doute, si nous placions notre confiance non pas dans une hiérarchie d'êtres, si augustes soient-ils, mais dans la Loi dont ils sont les serviteurs. Leur Pouvoir, quoique très grand, a son flux et reflux en même temps que la nature se contracte et s'étend. Comme nous, ils ne sont que des enfants dans les denses infinitudes. Je pense que les Grands Êtres voudraient que chacun de nous parle ainsi : « Ô, Fraternité de Lumière, quoique j'aspire à être avec vous, quoique la pensée que vous êtes derrière moi me soutienne, quoique mes pas aient été affermis par votre aide, cependant si la Loi ne vous permet pas d'agir pour moi aujourd'hui, j'ai confiance dans le Grand Tout dont l'amour est comme un souffle ardent qui ne cesse jamais. Je m'appuie sur lui avec exaltation. Je mets ma confiance en lui joyeusement ». N'est-ce pas pour montrer la vie infinie que les frères aînés envoyèrent leurs messagers, pour nous dire que c'est sur elle que nous devrions nous appuyer, et aussi pour nous montrer des trônes plus majestueux que ceux qu'ils occupent ? Il est bien de se préparer à faire face avec un esprit calme à tout ce qui peut arriver ; soit de se trouver dans l'obscurité avec des pensées de gaieté et de courage, ou de saluer la Lumière avec révérence, amour et joie. Mais je sens dans mon cœur que nous ne sommes pas abandonnés. Comme les cycles accomplissent leurs rondes, les figures héroïques de l'aurore réapparaissent. Quelques-unes sont passées avant nous, d'autres avec le même esprit et pouvoir suivront ; quand un nouveau jour se lève le soleil et l'étoile du matin l'annoncent. Quand ce jour viendra, puisse-t-il ne pas nous trouver engourdis après notre nuit, mais puisse-t-il nous trouver éveillés, préparés et prêts à quitter notre maison de sommeil, et étendre nos mains vers la lumière, pour vivre et travailler dans la joie en ayant les Dieux pour guides et amis.

George W. Russel

[Cet article est paru en anglais dans la revue Theosophical Movement de Bombay, Inde, Vol. III, N° 5. La traduction ci-dessus est celle publiée dans la Revue Théosophique, Volume XI, n°7, de mars 1936, Paris]

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