H.P. Blavatsky : Les Dix points d’Isis dévoilée – © Textes Théosophiques
(Extraits du Vol. II, pp. 55-598 et 634-640 de l'édition originale en anglais)
La déduction du Dr Fairfield que la main fantôme voltigeuse est une émanation du médium est logique — et elle est correcte. L'épreuve de l'aimant en fer à cheval prouve d'une façon scientifique ce que tout kabbaliste affirmerait sur l'autorité autant de l'expérience que de la philosophie. La « force impliquée dans le phénomène » est la volonté du médium exercée inconsciemment pour l'homme extérieur, lequel se trouve alors semi-paralysé, et en catalepsie ; la main fantôme est une extrusion du membre intérieur ou astral de l'homme. Ce soi véritable a des membres que le chirurgien ne peut amputer, mais qui subsistent après la résection de l'enveloppe [physique] extérieure, et qui possèdent encore toutes les sensations des parties physiques qui étaient éprouvées antérieurement — et cela malgré toutes les théories alléguant une mise à nu ou une compression des terminaisons nerveuses, échafaudées pour dire le contraire. C'est là le corps spirituel (astral) qui est « relevé incorruptible » (1). Inutile d'argumenter qu'il s'agit de mains d'esprits, car, en admettant même qu'à chaque séance spirite des esprits de diverses sortes soient attirés vers le médium, et qu'ils guident et produisent effectivement des manifestations, pour rendre objectifs des mains et des visages, ils n'en sont pas moins obligés d'utiliser soit les membres astraux du médium, soit les matériaux que leur fournissent les élémentaux, soit encore les émanations combinées des auras de tous les assistants. De purs esprits ne se montreront jamais objectivement — cela leur est impossible — et ceux qui le font ne sont pas de purs esprits, mais des entités élémentaires (2) et impures. Malheur au médium qui en devient la proie !
Le même principe qui joue dans l'extrusion inconsciente d'un membre fantôme par le médium en catalepsie s'applique aussi à la projection de la totalité de son « double » ou corps astral. Celui-ci peut être extrait du corps physique par la volonté du soi intérieur du médium lui-même, sans qu'il conserve en son cerveau le moindre souvenir d'une telle intention — ce qui constitue un aspect du fonctionnement de la double capacité de l'homme. Ce retrait peut aussi être provoqué par des esprits élémentaires et élémentaux auxquels l'individu est susceptible d'être soumis, comme le serait un sujet mesmérisé. Le Dr Fairfield a raison sur un point avancé dans son livre : les médiums souffrent généralement de maladies, et souvent, sinon dans la plupart des cas, ils sont les enfants ou les proches descendants de médiums. Mais il a entièrement tort lorsqu'il attribue tous les phénomènes psychiques à des états physiologiques morbides. Les adeptes de la magie orientale jouissent tous d'une parfaite santé, mentale et physique et, en réalité, la production volontaire et indépendante de tels phénomènes serait impossible en dehors de cette condition. Dans le grand nombre de ceux que nous avons rencontrés, il n'y a jamais eu un seul malade. L'adepte conserve une parfaite conscience, ne présente aucune variation de température de son corps, ni aucun autre signe morbide : il ne requiert pas de « conditions » particulières, mais peut accomplir ses phénomènes n'importe où et partout : au lieu d'être passif et soumis à une influence étrangère [comme le médium], il gouverne les forces avec une volonté de fer. Mais nous avons montré ailleurs que médium et adepte sont aussi opposés que les pôles terrestres. Ajoutons seulement ici que, chez l'adepte, le corps, l'âme et l'esprit sont tous conscients et opèrent en harmonie, tandis que chez le médium, le corps est une masse inerte, et même son âme peut être loin dans un rêve pendant qu'un autre occupant habite sa demeure.
Un adepte peut projeter et rendre visible non seulement une main, un pied, ou telle contrepartie du corps, mais même ce dernier tout entier. Nous avons vu cela s'accomplir en plein jour, alors que les mains et les pieds de l'adepte étaient maintenus par un ami sceptique, qu'il désirait étonner (3). Petit à petit le corps astral tout entier se mit à émaner comme un nuage vaporeux, jusqu'à ce qu'il y eût deux formes devant nous, dont la seconde était la réplique exacte de la première, si ce n'est qu'elle était un peu moins nette.
Le médium n'a pas à exercer un quelconque pouvoir de volonté. Il suffit qu'il (ou elle) sache ce qu'attendent les investigateurs. Lorsqu'elle n'est pas obsédée par d'autres esprits, l'entité « spirituelle » du médium agit en dehors de la volonté ou de la conscience de l'être physique : aussi sûrement qu'elle le fait quand elle est à l'intérieur du corps, pendant une crise de somnambulisme. Ses perceptions, externes et internes, sont alors plus aiguës et bien plus développées, précisément comme elles le sont chez un somnambule. C'est pour cela que « la forme matérialisée en sait parfois plus que le médium » (4), car la perception intellectuelle de l'entité astrale est proportionnellement d'autant supérieure à l'intelligence du médium dans son corps à l'état normal que l'entité spirituelle est plus raffinée et subtile que cette intelligence. Comme on le constate généralement, le médium est froid, son poids a manifestement changé et un état de prostration nerveuse fait suite aux phénomènes, considérés sans réflexion de bon sens, et sans discernement, comme l'œuvre des « esprits » désincarnés, alors que leur production peut s'attribuer pour un tiers des cas seulement à ces derniers, pour un autre tiers aux élémentaux et pour le reste, au double actuel du médium lui-même.
Toutefois, bien que ce soit notre ferme croyance que la plupart des manifestations physiques (c'est-à-dire celles qui ne nécessitent ni ne font apparaître aucune intelligence, ni grand discernement) sont produites mécaniquement par le scîn-lâc (5) (double) du médium — de même qu'une personne bien endormie pourrait, en étant éveillée en apparence, accomplir des choses dont elle ne garderait aucun souvenir — les phénomènes purement subjectifs (6) ne sont, par contre, que dans une très faible proportion des cas dus à l'action du corps astral personnel du médium. Le plus souvent, et selon le degré de pureté morale, intellectuelle et physique du médium, ils sont l'œuvre soit des élémentaires soit, quelques fois, d'esprits humains très purs. Les élémentaux n'ont rien à voir avec les manifestations subjectives. Dans de rares cas, c'est l'esprit divin du médium lui-même qui les guide et les produit.
Comme le dit Bâbû Pyânchânda Mitra (7) dans une lettre au président de la National Association of Spiritualists, Mr Alexander Calder, « un esprit est une essence ou un pouvoir, et n'a pas de forme (...). L'idée même de forme implique 'matérialisme'. Les esprits [ou plutôt les âmes astrales, devrait-on dire (8)] (...) peuvent prendre des formes, pendant un certain temps, mais la forme ne caractérise pas leur état permanent. Plus matérielle est notre âme, plus matérielle est notre conception des esprits » (9).
L'orphique Epiménide (10) était renommé pour sa « nature sacrée et merveilleuse » et pour la faculté qu'avait son âme de quitter son corps « aussi longtemps et aussi souvent qu'il lui plaisait ». Les philosophes de l'Antiquité qui ont témoigné de cette capacité peuvent être comptés par douzaines. Apollonius de Tyane abandonnait son corps en un instant, mais il faut se souvenir qu'il était un adepte — un « magicien ». S'il n'avait été qu'un médium, il n'aurait pas pu accomplir ces choses à volonté. Empédocle d'Agrigente (11), le thaumaturge pythagoricien, n'a pas eu besoin de conditions spéciales pour arrêter une trombe d'eau qui avait éclaté sur la ville, ni pour rappeler une femme à la vie, comme il le fit. Apollonius ne s'est pas servi d'une chambre aux lumières tamisées pour accomplir ses exploits de « voyage dans les airs » (12). Disparaissant soudain dans l'air sous les yeux de Domitien (13) et de toute une foule de témoins (plusieurs milliers), il apparut une heure plus tard dans une grotte de Putéoles (14). Cependant, une investigation aurait montré que son corps physique étant devenu invisible par une concentration d'âkâsha autour de lui, Apollonius avait pu, inaperçu de tous, s'éloigner en marchant jusqu'à quelque sûre retraite du voisinage : une heure, après, c'était en réalité sa forme astrale qui apparaissait à ses amis, à Putéoles, en donnant l'impression d'être l'homme lui-même (15).
Et Simon le magicien n'a pas eu non plus à attendre d'être en transe pour s'élever dans les airs devant les apôtres et les foules de témoins (16). « Il n'est nul besoin de conjuration et de cérémonies ; tracer des cercles magiques et brûler de l'encens », déclare Paracelse, « n'est que bêtise et jonglerie ». L'esprit humain, dit-il, « est si grande chose qu'aucun homme ne peut l'exprimer ; comme Dieu lui-même est éternel et inchangeable, de même aussi est le mental de l'homme. Si nous avions une juste compréhension de ses pouvoirs, rien ne nous serait impossible sur terre. L'imagination est renforcée et développée par le pouvoir de la foi en notre volonté. La foi doit confirmer l'imagination, car la foi établit la volonté. »
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Ceux de nos lecteurs qui nous ont suivie jusqu'ici poseront naturellement la question : quel objectif pratique ce livre a-t-il en vue ? Beaucoup a été dit sur la magie et ses potentialités, beaucoup sur l'immense antiquité de sa pratique. Souhaitons-nous affirmer que les sciences occultes devraient être étudiées et pratiquées dans le monde entier ? Ou bien, voudrions-nous remplacer le spiritisme moderne par la magie de jadis ? Ni l'un ni l'autre : une telle substitution ne serait pas possible, pas plus que l'on ne répandrait universellement cette étude sans courir le risque d'immenses dangers pour le public. À l'heure actuelle, un spirite bien connu, qui fait des conférences sur le mesmérisme, se trouve en prison pour viol d'une personne qu'il avait hypnotisée. Un sorcier est un ennemi public, et le mesmérisme peut être très facilement transformé en la pire des sorcelleries.
Nous ne voudrions pas voir savants, théologiens et spirites devenir praticiens de la magie, mais plutôt prendre conscience qu'il y a eu, avant cette ère moderne, une vraie science, une profonde religion et d'authentiques phénomènes. Nous souhaiterions que tous ceux qui peuvent se faire entendre dans le domaine de l'éducation des masses apprennent en premier lieu, puis enseignent, que les guides les plus sûrs pour mener l'humanité vers le bonheur et l'illumination sont les écrits qui nous sont parvenus depuis la plus haute Antiquité, et que, dans les pays où les populations prennent leurs préceptes comme règle de leur vie, sont entretenues des aspirations spirituelles plus nobles et une moralité collective plus élevée. Nous voudrions que chacun se rende compte que les pouvoirs magiques — c'est-à-dire spirituels — existent dans chaque homme, et réalise combien peu nombreux sont, parmi les praticiens, ceux qui se sentent appelés à enseigner, et sont disposés à payer le prix de discipline et de conquête de soi-même qu'exige le développement de ces pouvoirs.
Il y a bien des individus qui sont apparus sur la scène, qui avaient des lueurs de la vérité, tout en s'imaginant la posséder tout entière. Ils n'ont pas réussi à faire le bien qu'ils auraient pu, et qu'ils avaient en vue, parce que la vanité les a poussés à mettre leur personnalité en avant d'une façon si abusive qu'elle a fait obstacle entre leurs fidèles et toute la vérité qui restait à l'arrière-plan. Le monde n'a nul besoin d'Église sectaire, qu'elle soit du Bouddha, de Jésus, de Mahomet, de Swedenborg, de Calvin ni d'aucun autre.
Étant donné qu'il n'y a qu'UNE vérité, l'homme n'a besoin que d'une seule Église — le Temple de Dieu qui est en nous, enfermé dans un mur de matière, mais accessible à quiconque peut trouver la voie ; ceux qui sont purs de cœur voient Dieu.
La trinité de la nature est la serrure qui commande l'accès à la magie, la trinité de l'homme, la clef qui s'y adapte (18) . Dans l'enceinte solennelle du Sanctuaire, le SUPRÊME n'a eu et ne possède aucun nom. Il est impensable, imprononçable et cependant, chaque homme trouve en lui-même son dieu. « Qui es-tu, belle créature ? » demande l'âme désincarnée, dans le Khordah-Avesta, aux portes du Paradis. « Ô âme ! Je suis tes pensées bonnes et pures, tes œuvres et ta bonne loi (...) ton ange (...) et ton dieu » (19). L'homme (ou l'âme) est réuni à SOI-MÊME, car ce « Fils de Dieu » est un avec lui : c'est pour l'homme son propre médiateur — le dieu de son âme humaine et son « Justificateur ». « Dieu ne se révélant pas immédiatement à l'homme, l'esprit est son interprète » , dit Platon dans le Banquet (20).
D'ailleurs, il y a maintes bonnes raisons pour que l'étude de la magie, en dehors de sa philosophie générale, soit presque impraticable en Europe et Amérique. La magie étant ce qu'elle est, la plus difficile de toutes les sciences à apprendre d'un point de vue expérimental, son acquisition est pratiquement hors de la portée de la majorité des hommes à peau blanche — et cela, qu'ils déploient leurs efforts chez eux ou en Orient. Il est probable que, parmi les hommes de sang européen, pas plus d'un sur un million n'a l'aptitude — tant physique, morale que psychologique — requise pour devenir un praticien de la magie, et on n'en trouverait pas un sur dix millions réunissant à la fois ces trois qualifications nécessaires à ce travail. Les nations civilisées n'ont pas les extraordinaires pouvoirs d'endurance, tant mentale que physique, des Orientaux ; sous l'angle du tempérament, l'idiosyncrasie favorable de ces derniers est totalement absente chez les Occidentaux. Chez l'hindou, l'arabe, le Tibétain, il y a une perception intuitive des possibilités des forces naturelles occultes, soumises à la volonté humaine, qui leur est léguée par héritage ; et leurs sens, aussi bien physiques que spirituels, sont bien plus finement développés que dans les races d'Occident. Il y a bien une notable différence d'épaisseur entre le crâne d'un Européen et celui d'un hindou du Sud, mais cette différence (d'origine purement climatique et liée à l'intensité des rayons solaires) n'implique aucun principe psychologique. En outre, pour l'Occidental, il y aurait de formidables difficultés pour ce qui est de l'entraînement à la magie, si nous pouvons exprimer les choses ainsi. Contaminé par des siècles de superstition dogmatique, par un sens indéracinable — bien qu'injustifié — de supériorité sur ceux que les Anglais appellent des « nègres » avec tant de mépris, le blanc Européen ne se soumettrait guère aux leçons pratiques d'un copte, d'un brâhmane ou d'un lama tibétain. Pour pouvoir devenir un néophyte, on doit être prêt à se vouer cœur et âme à l'étude des sciences mystiques. La magie — la plus exigeante des maîtresses — ne tolère aucune rivale. À la différence des autres sciences, une connaissance théorique des formules sans les capacités mentales, ou les pouvoirs de l'âme, est absolument inutile en magie. L'esprit doit tenir en complète soumission la combativité de ce qu'on appelle abusivement la raison éduquée, jusqu'à ce que les faits soient venus vaincre le froid sophisme humain.
Ceux qui seraient les mieux préparés à apprécier l'Occultisme sont les spirites, bien que jusqu'à présent, par préjugé, ils aient été les plus farouches opposants à sa présentation à l'attention du public. Malgré toutes les folles dénégations et dénonciations qui sont faites de leurs phénomènes médiumniques, ceux-ci sont réels. Également, malgré tout ce qu'affirment les spirites eux-mêmes, ils n'y comprennent absolument rien. Leur théorie totalement insuffisante, qui invoque constamment l'intervention d'esprits humains désincarnés dans ces phénomènes, a été la ruine de la Cause. Mille rebuffades cinglantes n'ont pas réussi à ouvrir leur raison ou leur intuition à la vérité. Ignorants qu'ils sont des enseignements du passé, ils n'ont rien découvert à leur substituer. Ce que nous leur offrons c'est une déduction philosophique au lieu d'une invérifiable hypothèse, une analyse et une démonstration scientifiques au lieu d'une foi sans discernement. La philosophie occulte leur donne le moyen de s'accorder aux raisonnables exigences de la science et les affranchit de l'humiliante obligation d'accepter les enseignements, pris comme des oracles, provenant d'« intelligences » qui en général sont moins intelligentes qu'un enfant à l'école. Avec de telles bases et un tel renfort, les phénomènes modernes seraient en mesure de s'imposer à l'attention et de commander le respect de ceux qui dictent leur jugement à l'opinion publique. Faute d'invoquer une telle aide, le spiritisme devra continuer à végéter, repoussé — et non sans cause — à la fois par les savants et les théologiens. Tel qu'il se présente sous son aspect moderne, il n'est ni une science, ni une religion, ni une philosophie.
Sommes-nous injuste ? Y a-t-il un spirite intelligent qui se plaigne que nous ayons présenté les choses d'une façon erronée ? Que pourrait-il opposer sinon une confusion de théories, un mélange embrouillé d'hypothèses mutuellement contradictoires ? Serait-il en mesure d'affirmer que, même avec ses trente années de phénomènes accumulés, le spiritisme possède une philosophie qui se défende — bien plus, qu'on pourrait y trouver quoi que ce soit qui ressemble à une méthode de travail acceptée universellement et suivie par ses représentants attitrés ?
Et pourtant, il existe de par le monde, parmi les spirites, bien des auteurs réfléchis, érudits et sincères ; des hommes qui, en plus d'un entraînement mental scientifique et une foi raisonnée dans les phénomènes eux-mêmes, possèdent toutes les capacités requises pour être des leaders du mouvement. Comment se fait-il donc qu'en dehors de la publication d'un ou deux volumes ou de contributions espacées à des journaux, ils s'abstiennent tous de prendre une part active à la constitution d'un système de philosophie ? Ce n'est pas par manque de courage moral, comme le montrent bien leurs écrits ; non par indifférence, car l'enthousiasme ne manque pas et ils sont sûrs de leurs faits ; ni par manque de capacité, car beaucoup d'entre eux sont des hommes distingués — les pairs de nos meilleurs esprits (21). C'est simplement pour la raison que, presque sans exception, ils sont déroutés par les contradictions qu'ils rencontrent, et attendent le moment que les hypothèses qu'ils formulent soient vérifiées par d'autres expériences. Sans aucun doute, cela relève de la sagesse. Ce fut la position adoptée par Newton qui, avec l'héroïsme d'un cœur honnête et sans égoïsme, retarda de 17 ans la publication de sa théorie de la gravitation, pour la seule raison que sa vérification ne lui donnait pas entière satisfaction.
Le spiritisme, dont les dehors sont plutôt agressifs que défensifs, a présenté une tendance iconoclaste et, en cela, il a bien fait. Mais, en mettant à bas, il ne reconstruit pas. Chacune des vérités réellement substantielles qu'il érige est bientôt enfouie sous une avalanche de chimères, jusqu'à ce qu'elles ne forment toutes qu'une seule ruine confuse. À chaque pas en avant, à l'acquisition de chaque nouvelle position gagnée sur le terrain des FAITS, voici qu'un cataclysme survient — fraude, découverte d'un scandale, ou trahison préméditée — et replonge les spirites dans l'impuissance, du fait qu'ils ne peuvent pas prouver le bien-fondé de leurs prétentions, et que leurs amis invisibles ne le veulent pas (à moins, peut-être, qu'ils en soient encore moins capables). Leur fatal point faible est qu'ils n'ont à offrir qu'une seule théorie pour expliquer les faits qui font litige ; l'intervention active d'esprits humains désincarnés et la soumission complète du médium à ces esprits. Et les spirites partent en guerre contre ceux dont les vues diffèrent des leurs, avec une véhémence que seule autoriserait une meilleure cause ; ils considèrent tout argument contredisant leur théorie comme une remise en question de leur bon sens et de leurs pouvoirs d'observation, et ils refusent même positivement de discuter la chose.
Comment, dans ces conditions, le spiritisme pourrait-il s'élever au rang honorable d'une science ? II faudrait pour cela, comme le montre le professeur Tyndall, trois éléments absolument nécessaires : l'observation des faits, l'induction de lois à partir de ces faits et la vérification de ces lois par une constante expérience pratique. Quel observateur expérimenté ira soutenir que le spiritisme présente l'un ou l'autre de ces trois éléments ? Le médium n'est pas entouré sur toute la ligne des conditions de contrôle qui nous permettraient d'être certains des faits ; en l'absence de cette vérification, les inductions fondées sur les faits supposés manquent de garantie et, en corollaire, il n'y a pas eu de vérifications suffisantes de ces hypothèses par l'expérience. En bref, il a toujours manqué, d'une façon générale, l'élément essentiel d'exactitude.
Pour qu'on ne nous accuse pas de vouloir donner une idée fausse de la position du spiritisme, à la date où nous écrivons, ou de le priver du crédit que lui donnent des progrès réellement enregistrés, nous citerons quelques passages tirés du Spiritualist de Londres, en date du 2 mars 1877. À la réunion bimensuelle du 19 février, eut lieu un débat sur le sujet : « Pensée antique et spiritisme moderne ». Y participèrent certains spirites les plus intelligents d'Angleterre, parmi lesquels Mr W. Stainton Moses, M.A.(22), qui dernièrement a porté quelque intérêt au rapport entre phénomènes de l'Antiquité et phénomènes modernes. Il a déclaré : « Le spiritisme populaire n'est pas scientifique ; il œuvre très peu dans le sens de la vérification scientifique. En outre, le spiritisme exotérique se voue, dans une grande mesure, à la communion supposée avec les amis personnels, ou à la satisfaction de la curiosité, ou simplement à la production de prodiges (...) La science vraiment ésotérique du spiritisme est très rare, et plus précieuse encore que rare, c'est vers elle qu'il faut se tourner pour faire surgir la connaissance qui peut se développer exotériquement (...) Nous procédons bien trop à la manière du physicien ; nos tests de contrôle sont grossiers et souvent illusoires ; nous connaissons trop peu le pouvoir protéen de l'esprit. C'est ici que les Anciens étaient très en avance sur nous et qu'ils peuvent nous apprendre beaucoup. Nous n'avons introduit aucun élément de certitude dans les conditions opératoires — condition préalable nécessaire à toute véritable expérimentation scientifique. Cela provient en grande partie de ce que nos cercles ne reposent sur aucun principe constructeur (...) Nous n'avons même pas maîtrisé les élémentaires vérités connues et appliquées par les Anciens, comme par exemple l'isolement des médiums. »
« Nous avons été si occupés de chasse aux merveilles que nous avons à peine rangé les phénomènes par catégories, ou proposé une seule théorie pour expliquer la production du plus simple d'entre eux (...) Nous n'avons jamais considéré la question en face : quelle est l'intelligence à l'œuvre ? C'est là le grand défaut, la plus fréquente source d'erreur et, sous ce rapport, nous pourrions apprendre avec avantage des Anciens. Il y a, parmi les spirites, la plus grande aversion à admettre la possibilité de la vérité de l'occultisme. Sous cet angle, ils sont aussi difficiles à convaincre que l'est le monde étranger au spiritisme. Les spirites partent d'une idée fallacieuse : tous les phénomènes sont produits par l'action d'esprits humains décédés ; ils n'ont pas exploré les pouvoirs de l'esprit humain incarné, ils ignorent jusqu'où cet esprit peut agir, les limites qu'il peut atteindre et tout ce qu'il sous-tend ».
Notre position ne saurait être mieux définie. Si le spiritisme a un futur, il est entre les mains d'hommes comme Mr Stainton Moses.
Notre tâche est achevée — plût au ciel qu'elle eût été mieux accomplie ! Cependant, malgré notre manque d'expérience dans l'art de composer un livre, et la sérieuse difficulté qu'il y a à écrire dans une langue étrangère (23), nous espérons avoir réussi à dire certaines choses qui resteront dans la pensée des esprits réfléchis. Les ennemis de la vérité ont été ici tous énumérés, et tous passés en revue. La science moderne, impuissante à satisfaire les aspirations des humains, fait du futur un néant, et prive l'homme de tout espoir. Dans un certain sens, elle ressemble au Baital Pachisi (24), le vampire hindou de l'imagination populaire, qui vit dans les cadavres et ne se nourrit que de la pourriture de la matière. La théologie de la chrétienté, quant à elle, a été usée jusqu'à la corde par les esprits les plus sérieux de l'époque. Elle apparaît, dans son ensemble, comme portée à ébranler, plutôt qu'à soutenir, la spiritualité et la bonne morale. Au lieu d'exposer les règles de la loi et de la justice divines, elle n'enseigne qu'elle-même. À la place d'une Déité toujours vivante, elle prêche le Malin, et le rend indiscernable de Dieu, lui-même ! « Ne nous induis pas en tentation », telle est l'aspiration des chrétiens. Qui donc serait ici le tentateur ? Satan ? Non, car la prière ne lui est pas adressée mais à Dieu, ce génie tutélaire qui a endurci le cœur de Pharaon, qui a mis un mauvais esprit en Saül, envoyé des messagers trompeurs aux prophètes, et tenté David pour le faire pécher — c'est lui, le Dieu de la Bible d'Israël !
Notre revue des multiples croyances religieuses professées à travers les siècles par l'humanité fait ressortir de la façon la plus certains qu'elles ont toutes dérivé d'une seule source primitive. On dirait qu'elles ne furent toutes que des modes différents pour exprimer l'aspiration ardente de l'âme emprisonnée à entrer en rapport avec les sphères supérieures. Tout comme le rayon de lumière blanche est décomposé par le prisme en les diverses couleurs du spectre solaire, de même le rayon de lumière divine, en traversant le prisme à trois faces de la nature humaine, s'est brisé en fragments de couleurs variées, qu'on a appelés RELIGIONS. Et comme les rayons du spectre, par des transitions imperceptibles de nuances, se fondent l'un dans l'autre, de même aussi les grandes théologies qui sont apparues à différents degrés de divergence à partir de la source originelle ont été reliées entre elles par des produits mineurs — schismes. Écoles, rameaux secondaires — apparus d'un côté ou de l'autre. En combinaison, leur agrégat représente une seule vérité éternelle ; séparées, elles ne sont que des nuances particulières de l'erreur humaine, et les signes de son imperfection. Le culte des pitri (25) védiques est en train de devenir bientôt le culte de la partie spirituelle du genre humain. Il suffit de la perception correcte des choses objectives pour que l'on découvre finalement que le seul monde de réalité est le monde subjectif.
Ce qui a été dénommé avec mépris paganisme était la sagesse de l'Antiquité, saturée de la Déité. Et le judaïsme et ses rejetons — le christianisme et l'islâm — ont tiré tout ce qu'ils renferment d'inspiration spirituelle de cet antécédent ethnique. Le brâhmanisme pré-védique et le bouddhisme constituent la double source d'où ont surgi toutes les religions, et le nirvâna, l'océan vers lequel elles tendent toutes.
Pour les nécessités de l'analyse philosophique, point n'est besoin de prendre en considération les énormités qui ont noirci le cours historique de bien des religions du monde. La vraie foi est l'expression vivante de la divine charité, ceux qui célèbrent le culte à ses autels ne sont que des hommes. En feuilletant les pages souillées de sang de l'histoire ecclésiastique, nous trouvons que quel que fût le héros et de quelque costume qu'aient été revêtus les acteurs, l'intrigue de la tragédie a toujours été la même. Mais la Nuit Éternelle était en chacune, et derrière chacune, et nous passons de ce que nous voyons à ce qui est invisible à l'œil des sens. Notre désir fervent a été de montrer aux âmes vraies comment elles peuvent soulever le rideau et, dans l'éclat de cette Nuit devenue Jour, contempler, d'un regard que rien ne peut éblouir, LA VÉRITÉ SANS VOILE.
H.P. Blavatsky
© Textes Théosophique, Cahier Théosophique n°177.
Notes
(1) [Cf. St Paul, l Corinthiens, 15, 42.] [Retour texte]
(2) [Voir p.4, où l'« élémentaire » est défini comme « une âme humaine désincarnée attachée à la terre ».] [Retour texte]
(3) Un correspondant de Boulogne (France) d'un journal anglais, parle d'un homme de sa connaissance qui, ayant été amputé d'un bras au niveau de l'épaule, « est certain d'avoir un bras spirituel, qu'il voit, et sent effectivement avec son autre main. Il peut toucher n'importe quoi, et même soulever des choses avec le bras et la main fantômes, ou spirituels ». Cette personne ne connaît rien du spiritisme. Nous donnons cette information comme nous la recevons, sans vérification, mais elle corrobore purement et simplement ce que nous avons vu dans le cas d'un adepte oriental. Ce personnage, érudit éminent et expert en kabbale pratique, peut à volonté projeter son bras astral et, de sa main [astrale], soulever et déplacer des objets et les emmener plus loin, même à une distance considérable de l'endroit où il se trouve assis ou debout. C'est ainsi que nous l'avons vu souvent s'occuper des besoins d'un éléphant favori. [Retour texte]
(4) [Réponse à une question formulée à la "National Association of spiritualists" ( = « Association Nationale des Spirites »), le 14 mai 1877.] [Retour texte]
(5) [Ce mot, emprunté à l'anglo-saxon, signifie diversement magie, nécromancie et sorcellerie, comme aussi apparition magique, forme spectrale ou trompeuse, fantôme. Le terme scîn-lâeca désigne le magicien ou le sorcier, et scîn-lâece, une sorcière. L'art de produire des apparitions illusoires était connu comme scînn-craeft. Ces mots dérivent du verbe scînan (to shine en anglais : luire, briller).] [Retour texte]
(6) [Dans Isis Unveiled (1,367), H.P.B. oppose « médiumnité physique (exigeant une organisation particulière du système physique du médium) et médiumnité spirituelle, qui s'accompagne d'une manifestation de phénomènes subjectifs, intellectuels, et dépend d'une organisation également spéciale de la nature spirituelle du médium ». Également dans Isis (1,68-9), Mme Blavatsky parle de ces (très rares) communications subjectives et des conditions qu'elles imposent : une grande affection réciproque entre le décédé et les vivants, harmonie entre les assistants, et pureté magnétique des personnes présentes. Dans certains cas (Isis, 1,53), « souvent, par l'intermédiaire de jeunes enfants, et de personnes simples et ignorantes, nous recevons des enseignements et préceptes philosophiques, de la poésie et des oraisons inspirées, de la musique ou des peintures, pleinement dignes de la réputation de leurs auteurs présumés. Leurs prophéties se vérifient souvent et leurs discours moraux sont bénéfiques (...) ». Des cas très rares de psychographie, ou de production directe de messages, dans l'écriture même (connue) du défunt, sont signalés (Isis, 2,367-8). Ces phénomènes exigent une communion étroite, obtenue par l'élévation de l'« âme » du médium jusqu'au niveau spirituel du décédé, dans l'état de devachan. D'où leur rareté. Mais, précise Mme Blavatsky, « la médiumnité subjective, purement spirituelle, est la seule qui soit sans danger, et elle est souvent un don qui élève l'âme et qui pourrait être cultivé par chacun. » (The Theosophist, fév. 1885, p.110).] [Retour texte]
(7) [Voir : vers Note 28.] [Retour texte]
(8) [Parenthèse de H.P.B.] [Retour texte]
(9) « Opinions d'un bouddhiste sur les états spirituels », The Spirilualist, 25 mai 1877, p.246. [Retour texte]
(10) [Épiménide de Cnosse, poète, philosophe et législateur grec, originaire de Crète (6e siècle av. J.-C.). Diverses traditions populaires ont fait de lui un personnage un peu fabuleux. Il a été considéré comme l'un des fondateurs de l'orphisme.] [Retour texte]
(11) [Homme politique, poète, médecin, prophète, et philosophe éclectique d'une grande puissance de pensée, Empédocle est né vers 490 av. J.-C. en Sicile et mort vers 435.] [Retour texte]
(12) [En anglais : "his aethrobatic feats" ; le mot "aethrobatic" (sans équivalent courant en français) renvoie au verbe grec aithérobatein, voyager dans les airs. Voir Glossaire Théosophique, article Aethrobacie.] [Retour texte]
(13) [Douzième empereur de Rome, qui devint tristement célèbre pour son implacable dureté et ses répressions contre la classe aristocratique et intellectuelle, ses persécutions contre les chrétiens. Il périt assassiné par un de ses affranchis, en 96 ap. J.-C.. Le biographe d'Apollonius (Philostrate) rapporte que l'adepte fut témoin à distance de cette mort violente et qu'il en fit part, au moment même de l'événement, à son entourage.] [Retour texte]
(14) [Puteoli (en latin) — aujourd'hui Pouzzoles — ville maritime de Campanie, près de Naples, donc fort distante de Rome, où venait d'avoir lieu le prodige.] [Retour texte]
(15) [Un cas typique de « bilocation », ou d'« ubiquité », par projection volontaire d'un double astral, ou mâyâvi rûpa, capable d'apparaître comme parfaitement réel aux témoins que l'adepte désire contacter à distance.] [Retour texte]
(16) [Cet épisode, évidemment imaginé par un auteur chrétien à des fins de propagande religieuse, est rapporté dans les Actes des Saints Apôtres Pierre et Paul. L'envol vers le ciel du célèbre magicien samaritain (évoqué ailleurs dans Isis Unveiled, II, 357) eut lieu soi-disant à Rome en présence de l'empereur Néron, mais se termina par la déconfiture de Simon lorsque, sur l'injonction de Paul, Pierre invoqua Dieu et Jésus Christ et ordonna aux anges de Satan de ne plus soutenir leur complice dans les airs et de le laisser choir à terre. Dans les Reconnaissances Clémentines (chap. IX) sont détaillés les divers pouvoirs magiques que s'attribuait le même Simon ; ils rappellent curieusement certains de ceux qui ont été signalés dans ce qui précède : invisibilité, croissance accélérée des plantes, lévitation, etc....] [Retour texte]
(17) [La traduction, qui a été interrompue à la p. 598 du texte original, reprend ici, de la p.634 à la fin du volume, p.640. Ce dernier passage est un peu une conclusion de tout l'ouvrage.] [Retour texte]
(18) [Rappel des points 2 et 3 énoncés au début du présent texte.] [Retour texte]
(19) [Khordah-Avesta, yasht XXII, § 10 et seq.] [Retour texte]
(20) [202e - 203a. Dans le texte original de Platon, l'intermédiaire entre le divin et le mortel est appelé daïmôn, le « démon » « qui unit le Tout à lui-même ».] [Retour texte]
(21) [Dans tout ce paragraphe, Mme Blavatsky a en vue, très probablement, un spirite comme W. Stainton Moses, qu'elle cite un peu plus loin et qu'elle évoquera encore plusieurs fois, en 1889, dans la Clef de la Théosophie, sous son nom de plume M.A. Oxon (pp,44 168-9, 209).] [Retour texte]
(22) ["Master of Arts", un titre universitaire en pays anglo-saxon.] [Retour texte]
(23) [À l'époque, Mme Blavatsky, Russe d'origine, ne maîtrisait pas encore parfaitement l'anglais. Pour les corrections nécessaires du texte d'Isis, elle avait reçu l'aide du col. Olcott.] [Retour texte]
(24) [Ce mot est la version hindie de l'expression Vetâla Panchavinshati (les 25 contes du Vetâla) où intervient le démon Vetâla, censé vivre dans des cadavres. En hindi, baital signifie vampire, et pachisi vingt-cinq.] [Retour texte]
(25) [Le culte védique des pitri (« pères », ancêtres, décédés) laissait place, dans le monde du 19e siècle, à une nouvelle forme de rapports avec les défunts, le spiritisme, que Mme Blavatsky a souvent assimilé à une sorte de nécromancie.] [Retour texte]