Le lendemain du Nouvel An

Le lendemain du Nouvel An

29 Déc, 2021

« Le voile qui cache le visage de l’avenir est tissé par la main de la Miséricorde » Bulwer Lytton.

Heureuse année à tous ! Cela semble assez facile à dire, et chacun s’attend à ce souhait. Reste à savoir si le vœu, bien qu’énoncé par un cœur sincère, ne se réalisera jamais, même dans un petit nombre de cas. Selon nos données théosophiques, tout homme ou femme est plus ou moins doué d’une potentialité magnétique qui, lorsqu’elle est aidée par une volonté sincère, et surtout intense et indomptable, est le levier magique le plus efficace que la Nature ait placé dans la main de l’homme – pour son bonheur ou son malheur.

Que chaque Théosophe donc, se serve de cette volonté pour envoyer un salut sincère, et un souhait de bonheur pour le Nouvel An, à toute créature vivante sous le soleil – y compris nos ennemis et nos persécuteurs implacables. Essayons d’être surtout bons et miséricordieux envers nos ennemis et persécuteurs, honnêtes ou malhonnêtes, de crainte que certains d’entre nous ne jettent inconsciemment le « mauvais œil » au lieu d’une bénédiction. Un tel effet ne serait que trop aisément atteint, même sans l’aide de la combinaison occulte des deux chiffres 8 et 9 - de l’année disparue, ainsi que de celle qui vient de naître ! Mais formuler un vœu mauvais en face de ces deux chiffres serait tout simplement désastreux !

« Holà ! » entendons-nous certains lecteurs occasionnels s’exclamer. « Voici une nouvelle superstition des maniaques théosophes, voyons cela… »

Vous allez voir, chers critiques aimés ; bien que ce ne soit pas une nouvelle, mais au contraire une très ancienne superstition. Elle était partagée autrefois par tous les César, et les grands de ce Monde qui y croyaient fermement. Ils craignaient le nombre 8, parce que ce dernier implique l’égalité de tous les hommes. De l’unité éternelle, et du nombre sept, du Ciel, des sept planètes, et de la sphère des étoiles fixe, l’ogdoade naquit dans la philosophie arithmétique. Ce fut le premier cube des nombres pairs ; c’est pourquoi on le considérait comme sacré (1).

Dans la philosophie orientale, le nombre huit symbolise l’égalité des unités, l’ordre et la symétrie au ciel, transformés en inégalité et en confusion sur terre par l’égoïsme, le grand rebelle contre les décrets de la Nature.

« Le chiffre 8 ou [le 8 couché de l'infini] indique le mouvement perpétuel et régulier de l’Univers », dit Ragon. Mais s’il est parfait comme nombre cosmique, il est également le symbole du Soi inférieur, de la nature animale de l’homme. C’est pourquoi nous prévoyons que la partie non égoïste de l’humanité aura à souffrir de la combinaison actuelle des chiffres de l’année. Car les chiffres clôturant 1889. Et le neuf était un nombre que les anciens redoutaient par-dessus tout. Pour eux, c’était un symbole de grands changements cosmiques et sociaux, et d’instabilité en général – le triste emblème de la fragilité des choses humaines.

Le chiffre 9 représente la terre sous l’influence d’un principe mauvais ; les Cabalistes soutiennent aussi qu’il symbolise l’acte de la reproduction et de la génération. C'est-à-dire que l’année 1890 se prépare à reproduire tous les maux de son prédécesseur 1889, et à générer pas mal pour son propre compte. Trois fois trois est le grand symbole de l’incorporation, ou de la matérialisation de l’esprit, selon Pythagore – par suite de la matière grossière (2). Toute étendue matérielle, toute ligne circulaire était représentée par le nombre 9, car les anciens philosophes avaient observé ce que les parodies de philosophes de notre siècle n’ont pas vu, ou ont considéré sans importance. Néanmoins, le caractère mauvais naturel de ce nombre, est énorme. Comme ce chiffre est consacré aux sphères, il représente le signe de la circonférence, puisque sa valeur en degrés égale 9 ou 3 + 6 + 0. C’est pourquoi il est aussi le symbole de la tête humaine – surtout de la tête de l’homme moderne moyen, qui souhaite toujours se faire passer pour 9, alors qu’il est à peine 3. En plus, ce 9 béni possède le pouvoir curieux de se reproduire lui-même complètement dans tout multiplication, qu’on le veuille ou non ; c'est-à-dire, que lorsqu’on le multiplie par lui-même, ou par tout autre nombre, ce nombre capricieux et pernicieux donne toujours comme résultat une somme de 9 – un mauvais tour de la nature matérielle qui, elle aussi, se reproduit à la moindre provocation. C’est ainsi qu’on comprend pourquoi les anciens faisaient de 9, le symbole de la Matière, et pourquoi nous, Occultistes modernes, en faisons le symbole du matérialisme de notre âge, le dix-neuvième siècle fatal qui, heureusement, touche à sa fin.

Si cette sagesse antédiluvienne des âges n’arrive pas à pénétrer dans la « circonférence » des « sphères » céphaloïdiennes de nos Savants et Mathématiciens modernes – nous ne savons pas ce qui y pénétrera. L’avenir occulte de 1890 gît caché dans le passé exotérique de 1889, et de ses huit années patronymiques précédentes.

Malheureusement – ou dirons-nous, heureusement – l’homme dans ce cycle obscur, se voit refuser dans l’ensemble, la faculté de prévision. Que nous envisagions dans notre observation mystique, l’homme d’affaires ordinaire, le dépensier, le matérialiste, ou le bigot, le cas est le même. Obligé de confiner son attention aux soucis du jour, l’homme d’affaires imite la fourmi prévoyante en mettant de côté des provisions pour l’hiver de la vieillesse ; tandis que l’élu de la fortune et des illusions karmiques, fait de son mieux pour suivre l’exemple de la cigale qui poursuit son chant et son bourdonnement perpétuels d’été. Le souci égoïste de l’un, et l’insouciance complète de l’autre, font que tous deux négligent, et souvent même oublient complètement, leur devoir sérieux envers la race humaine. Quant aux deux derniers, c'est-à-dire le matérialiste et le bigot, leur devoir envers leurs voisins et leur charité envers tous, commencent par eux-mêmes. La plupart des hommes n’aiment que ceux qui partagent leurs modes de pensée, et ne s’occupent pas de l’avenir des races du monde, ils n’accordent pas une pensée non plus, si cela leur est possible, à la vie post-mortem. Selon leur tempérament psychique respectif, chaque homme s’attend à ce que la mort l’introduise, par des porches d’or, dans un ciel conventionnel, ou par des cavernes sentant le souffre, dans un enfer d’asbeste, à moins que ce ne soit dans un abîme de non-existence. Et pourtant voyez combien tous – sauf les matérialistes – craignent la mort ! N’est-ce pas cette peur qui gît à l’arrière-plan de l’aversion qu’éprouvent certaines gens pour la Théosophie et la Métaphysique ? Mais nul homme, en ce siècle qui se précipite lui-même follement vers sa tombe béante – n’a le temps ou le désir d’accorder plus qu’une pensée fugitive à l’hôte tragique qui, sans exception, nous visitera tous ; pas plus qu’il ne pense à l’avenir !

Peut-être a-t-il raison en ce qui concerne ce dernier. L’avenir gît dans le présent, et tous deux contiennent le passé. Doué d’une intuition occulte très rare, Rohel fait une remarque tout à fait ésotérique lorsqu’il dit que « l’avenir ne vient pas à notre rencontre, mais roule ses eaux en arrière et au-dessus de nos têtes ». Pour l’Occultiste, et le Théosophe ordinaire, l’Avenir et le Passé sont tous deux contenus dans chaque moment de notre vie, par suite, dans l’éternel PRÉSENT. Le passé est un torrent qui roule ses eaux furieuses à nos côtés, qui nous suit constamment à moins d’une seconde d’intervalle, car chaque vague de ce torrent, chacune de ses gouttes d’eau est un événement important ou insignifiant. Pourtant, à peine l’avons-nous rencontré, soit qu’il nous ait apportés de la joie ou de la peine, soit qu’il nous ait élevés ou ébranlés- qu’il est emporté au loin et disparaît derrière nous, pour être tôt ou tard englouti dans la grande Mer de l’Oubli. Il dépend de nous de rendre inexistant pour nous chacun de ces événements, en l’effaçant de notre mémoire ; ou bien de créer de notre passé, de tristes Vautours de Prométhée – ces « oiseaux aux ailes noires, souvenirs incarnés du Passé », qui, dans l’imagination vive de Sala, sont des « roues et des cris sur le lac de Léthé ». Dans le premier cas, nous sommes de vrais philosophes ; dans le second – de timides et lâches soldats de l’armée appelée humanité, et commandée dans la grande bataille de la Vie, par le « Roi Karma ». Heureux sont ses guerriers qui regardent la Mort comme une tendre Mère miséricordieuse. Elle berce ses enfants malades, et les endors dans un doux sommeil sur son sein froid, pour les réveiller un moment plus tard, guéris de tous leurs maux, heureux et dix fois récompensés de tous leurs soupirs et larmes amères. L’oubli Post-mortem, de toute douleur – jusqu’à la plus insignifiante, est la caractéristique la plus heureuse du « paradis » auquel nous croyons. Oui, oublier la souffrance et le chagrin, et se souvenir intensément, bien plus, revivre chaque moment heureux de notre drame terrestre ; et si nul instant heureux n’éclaira jamais notre triste vie, voir se réaliser merveilleusement, tout désir légitime, bien mérité mais non satisfait, que nous n’eûmes jamais, et cela d’une façon aussi vraie que la vie, et intensifiée soixante –dix fois sept fois sept…

Les Chrétiens – ceux du Continent surtout – célèbrent leur Nouvel An avec une pompe spéciale. Ce jour est le Dévachan des enfants et des serviteurs, et chacun est supposé être heureux, depuis les Rois et Reines, jusqu’aux concierges et filles de cuisine. La fête est naturellement purement païenne, comme le sont, à quelques exceptions près, tous nos jours saints. Les chères vieilles coutumes païennes ne sont pas mortes, pas même dans l’Angleterre protestante, quoiqu’ici, on ne considère plus le Nouvel An comme un jour sacré – ce qui est bien dommage. Les présents qu’on appelait dans l’ancienne Rome strenae (actuellement « étrennes » en français) s’offrent encore de nos jours. Les gens se saluent par les mots : Annum novum faustum felicemque tibi, comme autrefois ; les magistrats ne sacrifient plus, il est vrai, un cygne blanc à Jupiter, ni les prêtres un coursier blanc à Janus. Mais les magistrats, les prêtres et tout le monde dévorent encore, en commémoration du cygne et dur coursier, de gros bœufs gras et des dindons aux dîners de Noël et du Nouvel An. Les dattes dorées, les pruneaux et les figues dorées ont passé, des mains de ceux qui, des tribunes, les portaient au Capitole, aux arbres de Noël des enfants. Pourtant, si les Caligula modernes ne reçoivent plus des tas de pièces de cuivre pourtant sur une face la tête de Janus, c’est parce que leur propre effigie remplace sur toutes les monnaies, la tête du dieu, et parce que les mains royales ne touchent plus des pièces de cuivre. La coutume consistant à offrir aux Souverains des strenae n’est pas abolie depuis longtemps en Angleterre. D’Israeli nous raconte dans ses Curiosities of Literature, qu’on trouva dans la garde-robe de la Reine Bess, après sa mort, 3.000 robes provenant de l’impôt de Nouvel An sur ses fidèles sujets, depuis les Ducs jusqu’aux balayeurs. Dans la Rome ancienne le succès d’une affaire en ce jour était considéré de bon augure pour toute l’année. De même aussi il existe encore une croyance semblable dans de nombreux pays chrétiens, et surtout en Russie. Est-ce parce qu’on emploie le houx et le gui à la Noël plutôt qu’au Nouvel An, que le symbole est devenu Chrétien ? La cueillette du gui du chêne sacré le jour de l’An est un vestige des anciens Druides De l’Angleterre païenne. Devenue Chrétienne, elle est restée plus païenne que jamais dans ses coutumes.

Mais il y a plus d’une raison pour que l’Angleterre soit portée à inclure le Nouvel An dans les jours sacrés de ses fêtes Chrétiennes. Le 1er janvier étant le 8e jour après la Noël, est, selon l’histoire profane et ecclésiastique, la fête de la Circoncision du Christ, comme six jours plus tard, se place l’Épiphanie. Et c’est un fait indéniable, connu du monde entier, que bien longtemps avant l’avènement des trois Mages Zoroastriens, avant la Circoncision du Christ, ou même avant sa naissance, le 1er janvier était le début de l’année civile des Romains, et qu’on le fêtait il y a 2.000 ans, comme de nos jours. On a peine à comprendre la raison pour laquelle le Christianisme s’étant servi des Écritures juives, et en même temps de leur curieuse chronologie, n’ait pas trouvé bon d’adopter aussi le Rosh-Hashonah juif (la tête de l’année) au lieu de choisir le Nouvel An païen. Une fois qu’on intitule partout le 1er chapitre de la Genèse « 4004 avant le Christ », le simple bon sens aurait dû suggérer la nécessité de donner la préférence au calendrier du Talmud, plutôt qu’à celui de la Rome païenne. Tout semblait inviter l’Eglise à agir de la sorte. Sur l’autorité indéniable de la révélation, la tradition des Rabbins nous affirme que ce fut le 1er jour du mois Tisri, que le Seigneur Dieu créa le monde – il y a exactement 5.848 ans. Puis, il y a cet autre fait historique de la création de notre père Adam accomplie également le premier jour de Tisri – un an plus tard. Tout cela, est très important, éminemment suggestif, et souligne avec force notre ingratitude occidentale proverbiale. En outre, si nous pouvons nous permettre de le dire, c’est dangereux, car ce premier jour de Tisri est aussi appelé « Yom Haddin », le Jour du Jugement. L’El Shaddai, le Tout-Puissant, est plus actif que le « Père » des Chrétiens. Ce dernier ne nous jugera qu’après la destruction de l’Univers, au Grand Jour où seront séparés les Boucs et les Agneaux, attendant leur bonheur ou leur damnation éternels. Mais El Shaddai, nous disent les Rabbins, rend son jugement à chaque anniversaire de la création du monde, c'est-à-dire lors de chaque nouveau Jour de l’An. Entouré de ses archanges, le Dieu de Miséricorde a devant lui le livre astro-sidéral où sont inscrits les noms de tout homme, femme et enfant, qui Lui sont lus à haute voix ; et dans les Annales de ce livre sont notées aussi les moindres pensées et actions de tous les êtres humains (à moins que ce ne soit que des Juifs ?). Si ces bonnes actions dépassent le nombre de ses actes mauvais, le mortel dont on lit le nom, vivra toute l’année. Le Seigneur lui destine quelque Pharaon Chrétien, et le lui remet entre les mains pour qu’il le tonde. Mais si les mauvaises actions sont plus nombreuses que les bonnes, alors malheur au coupable, il est aussitôt condamné à souffrir la peine de mort au cours de l’année, et il est envoyé à Sheol.

Ceci semble impliquer que les Juifs considèrent le don de la vie comme une chose vraiment précieuse. Les Chrétiens tiennent autant à leur vie que les Juifs, et tous deux sont généralement épouvantés quand ils voient arriver la mort. On n’a jamais bien compris pourquoi il en est ainsi. En vérité, c’est plutôt un maigre compliment adressé au Créateur, car il suggère l’idée qu’aucun Chrétien ne tient particulièrement à se trouver face à face avec la Gloire Inexprimable du « Père ». Chers enfants aimants !

Un pieux Catholique romain nous a assuré, un jour, que c’était une erreur, et que cette crainte devait être attribuée à un respectueux effroi. En outre, il essayait de convaincre ses auditeurs que la Sainte Inquisition avait brûlé les « hérétiques » par pure bonté-chrétienne. On les empêchait ainsi de commettre du mal terrestre, disait-il, car notre Mère l’Eglise savait bien que Dieu prendrait mieux soin des victimes rôties, que n’aurait pu le faire aucune autorité mortelle, lorsqu’elles étaient crues et vivantes ! C’était peut-être une conception erronée de la question, mais elle était présentée cependant en toute charité chrétienne.

Nous avons entendu une version moins charitable de la raison réelle qui faisait brûler les hérétiques, et tous ceux dont l’Église était décidée à se débarrasser ; et si on compare cette raison à la doctrine calviniste de la prédestination à la béatitude ou à la damnation éternelle, celle-ci apparaît encore sous une teinte rose. On dit que dans les archives secrètes du Vatican, il est expliqué que la combustion du dernier atome de chair après avoir brisé tous les os en petits fragments, avait un bien déterminé. Il visait à empêcher « l’ennemi de l’Église » de prendre part au dernier acte du drame du monde, tel que le conçoit la théologie – c'est-à-dire à « la Résurrection des Mort » ou de tout ce qui fut chair, au grand Jour du Jugement. Comme de nos jours encore, l’Eglise s’oppose à la crémation pour le même principe – la crainte de voir un « Dormeur » incinéré incapable de rassembler à temps, lorsqu’il se réveillera au son de la trompette de l’ange, ses membres dispersés – la raison que l’on donne de l’auto da fé semble assez raisonnable et probable. La mer rendra les morts qu’elle renferme et la mort et l’enfer délivreront leurs morts (voir l’Apocalypse XX, 13) ; mais on n’accorde pas au feu terrestre une générosité aussi large, pas plus qu’on ne le revêt des caractéristiques propres à l’asbeste, dont on gratifie l’orthodoxe feu de l’enfer. Une fois que le corps est incinéré, il est annihilé en ce qui concerne la dernière résurrection des morts. Si la raison occulte des autos da fé de l’Inquisition repose sur un fait – et personnellement nous n’en avons pas le moindre doute, considérant l’autorité qui nous a donné cette raison – la Sainte Inquisition et les Papes n’ont rien à reprocher à la doctrine Protestante de la Prédestination. Celle-ci, comme en témoigne l’Apocalypse, donne au moins quelque chance aux « Damnés » que l’enfer libère à la dernière heure, et qui peuvent ainsi obtenir leur pardon. Tandis que si les choses se passent dans la nature, comme la théologie de Rome l’a décrété, les pauvres « Hérétiques » se trouveront plus mal en point que n’importe quel « damné ». Une question naturelle se pose : Lequel des deux, du Dieu des Calvinistes ou du Dieu des Jésuites, qui inventa le premier bûcher – dépasse l’autre en cruauté raffinée et diabolique ? La question restera-t-elle subjudice en 1890, comme est l’est restée en 1790 ?

Mais l’Inquisition, avec sa question, son bûcher et ses tortures diaboliques, est heureusement abolie, même en Espagne. Autrement, ces lignes n’auraient jamais paru, et jamais notre Société n’aurait eu de si bon et zélés Théosophes dans le pays de Torrqumada – l’ancien paradis des fêtes de rôtissage d’hommes.

HEUREUSE NOUVELLE ANNÉE pour eux également comme pour tous les frères dispersés sur le vaste globe. Mais, nous Théosophes, si gentiment surnommés les « fous septénaires », préférerions un autre jour notre Nouvel An. Comme l’Empereur apostat, beaucoup d’entre nous ont encore un grand amour pour les dieux poétiques et brillants de l’Olympe, et répudieraient volontiers le Théssalonien au double visage. Le premier de Januarius était plutôt consacré à Janus qu’à Juno ; et janua, signifiant « la porte ouvrant l’année », convient à tous les jours du mois. Le 3 janvier, par exemple, était consacré à Minerve Athénée, la déesse de la sagesse, et à Isis, « celle qui génère la vie », l’ancienne vierge patronne de la bonne cité de Lutèce. Depuis lors, la mère Isis est devenue la victime de la foi de Rome et de la civilisation, et Lutèce de même. Toutes deux furent converties au calendrier Julien (l’héritage du païen Jules César, que le Christianisme employa jusqu’au XIIIe siècle). Isis fut baptisée Geneviève, et devint une sainte et martyre béatifiée, et Lutèce fut appelée Paris pour changer, tout en conservant la même ancienne patronne, mais en lui ajoutant un faux nez (3). La vie elle-même est une sombre mascarade où l’on exécute la funèbre Danse Macabre à chaque instant ; pourquoi alors les calendriers, et même la religion, ne prendrait-ils pas aussi leur part au travestissement ?

Pour abréger, disons que c’est le 4 janvier qui devrait être choisi par les Théosophes – surtout par les Ésotéristes – comme Jour de l’An. Janvier est placé sous le signe du Capricorne, le mystérieux Makara des mystiques hindous – les « Kumaras » qu’on dit s’être incarnés dans l’humanité, sous le dixième signe du Zodiaque. Depuis des âges, le 4 janvier a été consacré à Mercure Bouddha (4) ou à Thoth-Hermès.  Ainsi, tout concourt à en faire une fête que devraient observer ceux qui étudient la Sagesse ancienne, qu’on l’appelle Budh ou Budhi selon son nom aryen, Mercurios, le fils de Cælus et d’Hécate en vérité, ou de la magie divine (blanche) et infernale (noire) selon son nom hellénique, ou bien encore Hermès ou Thoth, son nom Gréco-Égyptien. Le jour nous paraît de toute façon mieux approprié pour nous qui sommes des serviteurs, que le 1er janvier, le jour de Janus, le « dieu du temps » à deux visages. Pourtant, son nom est bien approprié et bien choisi pour être célébré par tous les Opportunistes politiques dans le monde entier.

Pauvre vieux Janus ! Comme ses deux visages doivent avoir revêtu un air perplexe quand sonna le dernier coup de minuit, le 31 décembre ! Nous croyons voir ces anciens visages. L’un est tourné, avec regret, vers le passé, vers les brouillards s’épaississant rapidement et où disparaît le corps mort de 1889. L’œil triste du Dieu suit avec mélancolie les principaux événements imprimés sur l’année disparue : la Tour Eiffel branlante ; la chute du « monotone » ; la « dixième mule » de Mark Twain – l’allitération Parnell-Pigot ; les nombreuses abdications, dépositions, et nombreux suicides de personnages royaux ; l’Hegire des Mahomet aristocrates, et d’autres escapades de fiascos de la civilisation. Voilà le visage passé de Janus. L’autre, le visage de l’Avenir, est tourné avec anxiété de l’autre côté, et fixe les profondeurs mêmes du sein de l’Avenir ; le regard désespérément vague des yeux larges ouverts dénote l’ignorance du Dieu. Non, ni les deux visages, ni même les quatre têtes occasionnelles de Janus et leurs huit yeux, ne peuvent pénétrer l’épaisseur du voile enveloppant les mystères karmiques que la nouvelle Année porte en elle, dès l’instant de sa naissance. De quoi doteras-tu le monde, ô fatale Année 1890, avec tes chiffres placés entre l’unité et le zéro, ou symboliquement entre l’homme vivant, debout, l’incarnation du mal fait méchamment, et l’univers de matière ? (5). Tu as déjà dans ta poche l’ « influenza », car le monde la voit pointer à l’horizon. Et nous avons déjà un aperçu, par des nouvelles reçues d’Amérique, des gens tués journellement dans les rues de Londres, en trébuchant sur les fils électriques de la nouvelle « folie de l’éclairage ». Vois-tu, ô Janus, perché comme « sœur Anne » sur le parapet qui divise les deux années, un minuscule David terrassant le Goliath géant ; le petit Portugal abattant la Grande-Bretagne, ou son prestige, du moins, à l’horizon des zones torrides de l’Afrique ? Où est-ce un Soudra hindou, aidé par un Bonze bouddhiste de l’Empire des Célestes, qui te fait ainsi froncer les sourcils ? Ne viennent-ils pas pour convertir les deux tiers des théologiens anglicans, au culte du Krishna azuré et du Bouddha aux oreilles pendantes comme celles d’un éléphant, et qui se tient assis les jambes croisées, et sourit si débonnairement sur son lotus pareil à un chou. Car tels sont les idéals théosophiques – ou plutôt telle est la théosophie matérialiste du Philistin anglais moyen qui anthropomorphise tout. Quelles horreurs nouvelles et sans nom, dévoileras-tu, ô année 1890, aux yeux du monde ? Bien que cuirassée, et te riant de toute tragédie de la vie, continuera-tu à ricaner quand Janus emploiera sa clef ? Ce dernier fut surnommé Janitor, le portier du Ciel, par suite de la clef qu’il tient dans la main droite, fonction qui lui était confiée bien des âges avant qu’il ne devienne Saint Pierre. C’est uniquement quand il aura ouvert l’une après l’autre les portes des 365 jours (de vraies « chambres secrètes de Barbe Bleue » qui doivent devenir tes enfants, ô mystérieuse étrangère, que les nations seront capables de décider si tu fus une « Heureuse » ou une Néfaste Année.

Entre temps, que chaque nation comme chaque lecteur, s’enquière auprès de son dieu respectif, s’il veut connaître les secrets de l’Avenir. Ainsi, l’Amérique, semblable à Nicodème, pourra s’adresser à l’un des trois Christs vivants et réellement réincarnés, chacun s’appelant Jésus – qui s’épanouissent actuellement sous la bannière étoilée de la Liberté. Le Spirite est libre de consulter son médium favori, capable d’évoquer Saül ou l’Esprit de Déborah, pour le bien de l’information de son client. Le monsieur sportif pourra porter ses pas vers la maison mystérieuse du jockey de son rival, et le politicien ordinaire consulter la police secrète, une chiromancienne professionnelle, ou un astrologue, etc…Quant à nous, nous avons foi dans les nombres, et uniquement dans le visage de Janus qui s’appelle le Passé. Car – Janus lui-même connaît-il l’avenir ? – ou… « peut-être ne sait-il rien lui-même ».

H.P. Blavatsky

Cet article fut publié pour la première fois par H.P. Blavatsky dans le Lucifer de janvier 1890.

Notes

(1) Comme le montre Ragon, l’Occultiste-Maçon, l’Ogdoade des Gnostiques avait huit étoiles représentant les 8 Cabiri de Samothrace, les 8 principes des Egyptiens et des Phéniciens, les 8 dieux de Xénocrate, les 8 angles de la pierre cubique

(2) La raison en est que selon les Pythagoriciens, chacun des trois éléments qui constituent notre corps, est un ternaire : l’eau contenant la terre et le feu ; la terre renfermant des particules aqueuses et ignées, et le feu étant apaisé par les molécules aqueuses, tandis que les corpuscules terrestres lui servent d’aliment. De là le nom donné à la matière : l’enveloppe aux neuf pouvoirs.

(3) Cette fête est toujours restée celle de la dame Patronesse de Lutèce – Paris, et de nos jours encore, on offre à Isis les honneurs religieux dans toutes les églises parisiennes et Latines.

(4) Le 4 janvier étant consacré à Mercure, dont les Grecs firent Hermès, les Catholiques romains ont inclus St. Hermès dans leur Calendrier. De la même façon, le 9 du même mois ayant toujours été célébré par les païens comme le jour du « soleil vainqueur », les Catholiques ont transformé le nom en nom propre, et en ont fait St. Niconor (du Grec nican, conquérir) qu’ils honorent le 10 janvier.

(5) C’est uniquement lorsque le zéro est seul, sans être précédé d’aucune dizaine, qu’il devient le symbole du Cosmos infini et de la Déité absolue.

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