LA LUMIÈRE SUR LE SENTIER : TRAITÉ À L'USAGE PERSONNEL DE CEUX QUI IGNORENT LA SAGESSE ORIENTALE ET QUI DÉSIRENT SE PLACER SOUS SON INFLUENCE
Transcrit par M.C. Avec notes et commentaires de l’auteur
Nouvelle traduction d'après le texte original anglais et textes additionnels. Textes Théosophiques (Association déclarée loi 1901). 11 bis, rue Kepler -- 75116 PARIS (1988). © Textes Théosophiques, Paris. Tous droits réservés pour la traduction - ISBN : 2-903654-10-7
Table des matières
‒ Préface
‒ Livre I
‒ Livre II
‒ Notes des Livres I et II
‒ Commentaires : I - II - III - IV
‒ Karma
‒ Correspondance ‒ Questions/Réponses
‒ Notes complémentaires : À propos de l'identité de l'Auteur. Chronologie des textes réunis dans l'ouvrage. À propos de l'Occultisme.
Ce livre est l'une des contributions essentielles du mouvement théosophique moderne au réveil de la spiritualité en Occident. Publié il y a cent ans, cet " inestimable petit joyau " — selon le mot de Mme Blavatsky, la grande pionnière de ce mouvement — n'a rien perdu aujourd'hui de son éclat, car ses règles de discipline appartiennent au fonds de " l'antique école de pensée et de connaissance qui a nourri l'Inde aryenne et le bouddhisme, et à laquelle se rattache également l'enseignement de la Doctrine Secrète ", l'œuvre majeure de Mme Blavatsky.
À notre époque de grand renouveau d'intérêt pour la vie intérieure où, trop souvent mal guidés, bien des chercheurs sincères s'égarent dans les champs du psychisme en croyant s'élever en sûreté vers l'Esprit, ces règles sont d'une valeur incomparable.
Bien que pénétré d'une profonde inspiration orientale, leur texte ne comprend aucun mot sanskrit, ou tibétain. Elles parlent directement à l'intelligence du cœur de l'homme d'Occident, dans un langage qu'il peut comprendre s'il fait l'effort de le déchiffrer, pour son propre usage. Ce qui recommande d'emblée ce livre à tous ceux qui sont en quête d'une authentique ouverture sur le monde spirituel.
Textes Théosophiques. Paris. [Retour Table des matières]
La Lumière sur le Sentier - Livre I -
Ces règles sont écrites pour tous les disciples : applique-toi à les suivre.
Avant que les yeux puissent voir, ils doivent être incapables de pleurer. Avant que l'oreille puisse entendre, elle doit avoir perdu sa sensibilité. Avant que la voix puisse parler en la présence des Maîtres, elle doit avoir perdu le pouvoir de blesser. Avant que l'âme puisse se tenir debout en la présence des Maîtres, ses pieds doivent être lavés dans le sang du cœur.
1. Tue l'ambition (1).
2. Tue le désir de vivre.
3. Tue le désir de bien-être et de réconfort.
4. Travaille comme travaillent ceux qui sont ambitieux. Respecte la vie comme ceux qui la désirent. Sois heureux comme le sont ceux qui vivent pour le bonheur.
Cherche dans le cœur la racine du mal, et extirpe-la. Elle vit, féconde, dans le cœur du disciple dévoué comme dans le cœur de l'homme de désir. Seuls les forts peuvent la tuer sans retour. Les faibles doivent attendre sa croissance, son épanouissement, sa mort. Et c'est une plante qui vit et se développe à travers les âges. Elle fleurit quand l'homme a accumulé sur lui-même d'innombrables existences. Celui qui veut entrer sur le sentier du pouvoir doit arracher cette chose de son cœur. C'est alors que le cœur saignera, et que la vie tout entière de l'homme semblera complètement dissoute. Cette épreuve doit être subie tôt ou tard ; elle peut se présenter au premier degré de l'échelle périlleuse conduisant au sentier de la vie ; elle peut aussi n'arriver qu'au dernier échelon. Mais, souviens-toi, ô disciple, qu'il te faudra l'endurer, et concentre toutes les énergies de ton âme sur cette tâche. Ne vis ni dans le présent ni dans l'avenir, mais dans l'éternel. Cette ivraie géante ne peut y fleurir, car cette souillure sur l'existence est effacée par l'atmosphère même de la pensée éternelle.
5. Tue tout sentiment de séparativité (2)
6. Tue le désir de sensation.
7. Tue la soif de croissance.
8. Pourtant, tiens-toi seul et isolé, car rien de ce qui a corps, rien de ce qui a conscience d'une séparation, rien de ce qui est hors de l'éternel ne peut t'aider. Apprends la leçon de la sensation et observe-la, car ce n'est qu'ainsi que tu pourras aborder la science de la soi-connaissance, et poser fermement le pied sur le premier degré de l'échelle. Croîs comme croît la fleur, inconsciente, mais ardemment désireuse d'ouvrir son âme à l'air. C'est ainsi que tu dois te hâter d'ouvrir ton âme à l'éternel. Mais ce doit être l'éternel qui fait sortir au jour ta force et ta beauté, et non le désir de croître. Car, dans un cas, tu t'épanouis dans la luxuriance de la pureté, dans l'autre, tu t'endurcis par le désir passionné d'atteindre de force une stature personnelle. [Retour Table des matières]
9. Ne désire que ce qui est en toi.
10. Ne désire que ce qui est au delà de toi.
11. Ne désire que ce qui est inaccessible.
12. Car en toi est la lumière du monde — la seule lumière qui puisse être répandue sur le Sentier. Si tu es incapable de la percevoir en toi, il est inutile de la chercher ailleurs. Elle est au delà de toi, car, lorsque tu l'atteins, tu as perdu ton soi. Elle est inaccessible, parce qu'elle recule à jamais. Tu entreras dans la lumière, mais jamais tu ne toucheras la flamme.
13. Désire le pouvoir avec ardeur.
14. Désire la paix avec ferveur.
15. Désire les possessions par-dessus tout.
16. Mais ces possessions doivent appartenir uniquement à l'âme pure, et en conséquence à toutes les âmes pures d'une façon égale, et par leur réunion devenir uniquement la propriété spéciale du tout. Aspire ardemment aux possessions que seule peut détenir l'âme pure, avant d'être en mesure d'accumuler des richesses pour cet esprit collectif de vie qui est ton seul soi véritable. La paix que tu désireras est cette paix sacrée que rien ne peut troubler, et dans laquelle l'âme croît comme croît la fleur sainte sur les lagunes silencieuses. Et le pouvoir que convoitera le disciple est celui qui le fera paraître comme rien aux yeux des hommes.
17. Cherche la voie (3).
18. Cherche la voie en te retirant au-dedans.
19. Cherche la voie en avançant hardiment au-dehors. [Retour Table des matières]
20. Ne la cherche pas par une seule route. Pour chaque tempérament existe un chemin qui semble plus désirable qu'un autre. Mais la voie ne peut être trouvée par la dévotion seule, ni par la contemplation religieuse seule, ni par le progrès ardent, ni par le sacrifice de soi dans le travail, ni par l'observation studieuse de la vie. Aucun de ces chemins ne peut à lui seul faire franchir au disciple plus d'un degré. Tous les degrés sont nécessaires pour constituer l'échelle. Les vices des hommes deviennent, un à un, des degrés de l'échelle, à mesure qu'ils sont surmontés. Les vertus de l'homme sont elles aussi des échelons nécessaires, dont on ne saurait en aucune façon se passer. Pourtant, bien qu'elles créent une atmosphère agréable et un avenir heureux, elles sont inutiles si elles existent seules. La nature tout entière de l'homme doit être sagement mise à profit par celui qui veut entrer sur la voie. Chaque homme est à lui-même, d'une façon absolue, la voie, la vérité et la vie. Mais il n'est cela que lorsqu'il saisit fermement toute son individualité et que, par la force de sa volonté spirituelle éveillée, il réalise que cette individualité n'est pas lui-même, mais une chose qu'il a créée avec peine pour son propre usage, et grâce à laquelle il se propose, à mesure que sa croissance développe lentement son intelligence, d'atteindre à la vie qui transcende l'individualité. Quand il sait que c'est pour cela qu'existe sa vie séparée, merveilleuse et complexe, alors vraiment, et alors seulement, il se trouve sur la voie. Cherche-la en plongeant dans les profondeurs mystérieuses et glorieuses de ton être le plus intime. Cherche-la en éprouvant toute expérience, en faisant usage des sens afin de comprendre la croissance et la signification de l'individualité, ainsi que la beauté ou l'obscurité des autres fragments divins qui luttent à tes côtés, et forment la race à laquelle tu appartiens. Cherche-la en étudiant les lois de l'être, les lois de la nature, les lois du surnaturel ; et cherche-la par la soumission profonde de ton âme à la faible étoile qui brille en toi. Peu à peu, tandis que tu veilleras dans une ardente contemplation, sa lumière deviendra plus vive. Alors tu pourras apprendre que tu as trouvé le commencement de la voie. Et quand tu en auras trouvé la fin, sa lumière deviendra soudain la lumière infinie (4).
21. Attends-toi à ce que la fleur s'épanouisse dans le silence qui suit la tempête — pas avant.
La plante grandira, donnera des pousses, produira des branches et des feuilles, et formera des bourgeons pendant tout le temps que durera la tempête et que se poursuivra la bataille. Mais la fleur ne pourra s'ouvrir avant que la personnalité entière de l'homme ne soit dissoute et anéantie — pas avant qu'elle ne soit considérée, par le fragment divin qui l'a créée, simplement comme une sérieuse occasion d'expériences à mener et d'épreuves à vivre — pas avant que la nature entière ne se soit pliée et n'ait été assujettie à son soi supérieur. Alors un calme viendra, comme il arrive en pays tropical après une forte averse, où la nature travaille si rapidement qu'on peut la voir à l'œuvre. C'est un calme semblable qui descendra sur l'esprit harassé. Et dans le profond silence se produira l'événement mystérieux qui prouvera que la voie a été trouvée. Appelle-le du nom que tu voudras : c'est une voix qui parle là où il n'y a personne pour parler, c'est un messager qui vient, un messager sans forme ni substance ; ou bien c'est la fleur de l'âme qui s'est ouverte. Nulle métaphore ne peut décrire cet événement. Mais on peut aspirer à le vivre, le rechercher et le désirer, même au plus fort de l'orage. Le silence pourra durer un moment fugitif, comme un millier d'années. Mais il aura une fin. Cependant, tu emporteras sa force avec toi. Mainte et mainte fois, la bataille doit être livrée et gagnée. La nature ne peut rester immobile qu'un instant (5). Les règles retracées ici sont les premières de celles qui sont inscrites sur les murs de la Salle d'Apprentissage. Ceux qui demandent recevront. Ceux qui désirent lire liront. Ceux qui désirent apprendre apprendront. [Retour Table des matières]
LA PAIX SOIT AVEC VOUS
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La Lumière sur le Sentier - Livre II -
Du fond du silence, qui est la paix, s'élèvera une voix vibrante. Et cette voix dira : " Ce n'est pas suffisant, tu as moissonné, maintenant tu dois semer ". Et sachant que cette voix est le silence lui-même, tu obéiras.
Toi qui es maintenant un disciple, capable de te tenir debout, capable d'entendre, de voir et de parler, toi qui as vaincu le désir et atteint à la connaissance du soi ; toi qui as vu ton âme dans sa fleur et l'as reconnue, et qui as entendu la voix du silence, va dans la Salle d'Apprentissage et lis ce qui y est écrit pour toi (6).
1. Tiens-toi à l'écart dans la bataille prochaine et, tout en combattant, ne sois pas le guerrier.
2. Cherche le guerrier et laisse-le combattre en toi.
3. Prends ses ordres pour la bataille et suis-les.
4. Ne lui obéis pas comme s'il était un général, mais comme s'il était toi-même, et comme si ses paroles étaient l'expression de tes désirs secrets ; car il est toi-même, quoiqu’infiniment plus sage et plus fort que toi. Cherche-le de peur que dans la fièvre et la précipitation du combat tu passes sans le voir ; et il ne te reconnaîtra pas à moins que tu ne le connaisses. Si ton cri arrive jusqu'à son oreille attentive, il luttera en toi et remplira le morne vide intérieur. Et s'il en est ainsi tu pourras traverser la bataille, calme et infatigable, en te tenant à distance, et en le laissant combattre pour toi. Alors il te sera impossible de frapper un seul coup à faux. Mais si tu ne le cherches pas, si tu passes sans le remarquer, il n'y aura plus de sauvegarde pour toi. Ton cerveau sera pris de vertige et ton cœur perdra son assurance, dans la poussière du champ de bataille ta vue et tes sens se troubleront, et tu ne reconnaîtras plus tes amis de tes ennemis.
Il est toi-même, bien que tu sois fini et sujet à erreur. Lui est éternel et sûr. Il est l'éternelle vérité. Une fois qu'il aura pénétré en toi et sera devenu ton guerrier, il ne t'abandonnera plus jamais complètement et, au jour de la grande paix, il deviendra un avec toi.
5. Écoute le chant de la vie (7).
6. Conserve en ta mémoire la mélodie que tu entends.
7. Apprends d'elle la leçon d'harmonie.
8. Tu peux te tenir droit maintenant, ferme comme un roc au milieu du tumulte, obéissant au guerrier qui est toi-même et ton roi. Sans autre préoccupation dans la bataille que d'accomplir sa volonté, libéré de toute inquiétude quant au résultat du combat — car une seule chose importe : c'est que le guerrier triomphe, et tu sais qu'il est incapable d'une défaite — en te tenant ainsi, calme et éveillé, fais usage de la faculté d'entendre que tu as acquise par la souffrance, et par la destruction de la souffrance. Seuls des fragments du grand chant viendront jusqu'à ton oreille, tant que tu ne seras encore qu'un homme. Mais si tu l'écoutes, souviens-toi fidèlement de ce chant, afin que rien de ce qui t'en parvient ne se perde, et efforce-toi d'en apprendre le sens du mystère qui t'environne. Avec le temps, tu n'auras plus besoin d'instructeur. Car de même que l'individu possède une voix, de même en possède une ce en quoi existe l'individu. La vie elle-même a son langage, et n'est jamais silencieuse. Et elle ne s'exprime pas, comme toi qui es sourd pourrais le supposer, par un cri : elle est un chant. Apprends de lui que tu es une partie de l'harmonie ; apprends de lui à obéir aux lois de l'harmonie.
9. Observe avec attention toute la vie qui t’environne.
10. Apprends à regarder avec intelligence dans le cœur des hommes (8).
11. Avec la plus grande attention, observe ton propre cœur. [Retour Table des matières]
12. Car c'est par la voie de ton coeur que doit venir la seule lumière qui puisse illuminer la vie et la rendre claire à tes yeux.
Étudie le cœur des hommes afin de savoir ce qu'est ce monde dans lequel tu vis, et dont tu veux être une partie.
Observe la vie sans cesse changeante et mouvante qui t'entoure, car elle est formée par le cœur des hommes : à mesure que tu apprendras à en comprendre la constitution et la signification, tu deviendras graduellement capable de déchiffrer le sens plus large de la vie.
13. La parole ne vient qu'avec la connaissance. Atteins à la connaissance et tu atteindras à la parole (9).
14. Maintenant que tu as obtenu l'usage des sens internes, que tu as vaincu les désirs des sens externes, ainsi que les désirs de l'âme individuelle, et que tu as acquis la connaissance, maintenant prépare-toi, ô disciple, à entrer véritablement dans la voie. Le sentier est trouvé : tiens-toi prêt à le suivre.
15. Demande à la terre, à l'air et à l'eau, les secrets qu'ils détiennent pour toi. Le développement de tes sens internes te permettra de le faire.
16. Demande aux saints êtres de la terre les secrets qu'ils détiennent pour toi. La maîtrise des désirs des sens externes te donnera le droit de le faire.
17. Demande au plus intime de ton être, à l'unique, le secret final qu'il détient pour toi à travers les âges. La grande et difficile victoire — le triomphe sur les désirs de l'âme individuelle — est une tâche dont la réalisation demande des âges ; aussi ne t'attends pas à en obtenir la récompense avant que des âges d'expérience se soient écoulés. Quand est venu le moment d'apprendre cette dix-septième règle, l'homme est sur le point de devenir plus qu'un homme.
18. La connaissance qui est tienne maintenant l'est uniquement parce que ton âme s'est unie à toutes les âmes pures et à l'être le plus intime. C'est un dépôt qui t'est confié par le Très-Haut. Trahis-le, mésuse de ta connaissance ou néglige-la, et tu pourras encore, même maintenant, déchoir du rang élevé que tu as atteint. Il arrive que, même parvenus au seuil, de grands êtres retombent, incapables de supporter le poids de leur responsabilité, incapables d'aller plus loin. Par conséquent, songe toujours avec crainte et en tremblant à ce grand moment qui viendra, et sois prêt pour la bataille.
19. Il est écrit que, pour celui qui se tient au seuil de la divinité, aucune loi ne peut être formulée, aucun guide ne peut exister. Cependant, pour éclairer le disciple, le sens du combat final peut s'exprimer ainsi :
Attache-toi fermement à ce qui n'a ni substance, ni existence.
20. Prête l'oreille uniquement à la voix qui n'a pas de son.
21. Fixe ton regard uniquement sur ce qui est invisible au sens interne comme au sens externe. [Retour Table des matières]
LA PAIX SOIT AVEC VOUS
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La Lumière sur le Sentier - Notes des livres I & II
(1) L'AMBITION est le premier des fléaux ; le grand tentateur de l'homme qui s'élève au-dessus de ses semblables. C’est la forme la plus simple de recherche de la récompense. Par elle, les hommes qui ont intelligence et pouvoir sont continuellement détournés de leurs possibilités les plus hautes. Cependant, c'est un instructeur nécessaire. Ses fruits finissent par tomber en poussière et en cendres ; comme la mort et l'isolement à l'écart des autres, elle montre finalement à l'homme que travailler pour soi c'est aller vers le désappointement.
Mais bien que cette première règle semble si simple et si facile, ne passe pas trop vite à la suivante. Car les vices de l'homme ordinaire subissent une transformation subtile, et réapparaissent sous un aspect différent dans le cœur du disciple. Il est facile de déclarer : " Je ne serai pas ambitieux ", il n'est pas aussi aisé de dire : " Quand le Maître lira dans mon cœur, il le trouvera dépourvu de toute souillure. " Le pur artiste, qui travaille pour l'amour de son œuvre, est parfois plus fermement engagé sur la bonne voie que l'Occultiste qui s'imagine avoir détourné son intérêt du soi, mais qui, en réalité, n'a fait qu'agrandir les limites de l'expérience et du désir, et reporter son intérêt sur les choses qui concernent le cercle plus large de sa vie. Le même principe s'applique aux deux autres règles d'apparence aussi simple. Attarde-toi sur elles, et ne te laisse pas aisément tromper par ton propre cœur. Car maintenant, sur le seuil, une erreur peut se corriger. Mais si tu l'emportes avec toi, elle grandira jusqu'à porter des fruits, ou bien il te faudra souffrir amèrement pour la détruire.
(2) Ne t'imagine pas que tu puisses te tenir à l'écart du méchant ou de l'insensé. Ils sont toi-même, bien qu'à un degré moindre que ton ami ou ton Maître. Mais si tu laisses croître en toi-même l'idée de séparativité entre toi et une chose ou une personne mauvaise quelconque, tu crées de la sorte du karma qui te liera à cette chose, ou à cette personne, aussi longtemps que ton âme n'aura pas reconnu qu'elle ne peut s'isoler. Souviens-toi que le péché et l'opprobre du monde sont ton péché et ton opprobre, car tu es une partie de ce monde ; ton karma est inextricablement mêlé au tissu du grand karma. Et avant de pouvoir atteindre à la connaissance, tu auras dû passer par tous les lieux, de souillure comme de pureté. Souviens-toi donc que le vêtement sali dont le contact te répugne peut t'avoir appartenu hier, pourra être le tien demain. Et si tu t'en détournes avec horreur, il s'attachera d'autant plus étroitement à toi lorsqu'il sera jeté sur tes épaules. L'homme qui s'enorgueillit de sa droiture se prépare un lit de fange. Abstiens-toi parce qu'il est bon de s'abstenir, et non dans le but personnel de rester pur.
(3) Ces trois mots sembleront peut-être trop superficiels pour former une règle à eux seuls. Le disciple pourra dire : " Me soucierais-je d'étudier ces pensées si je ne cherchais pas la voie ? " Pourtant, ne passe pas trop rapidement. Arrête-toi et réfléchis un moment. Est-ce bien la voie que tu désires, ou n'y aurait-il pas dans tes visions une vague perspective de grandes hauteurs que tu te verrais escalader, d'un grand avenir que tu réaliserais ? Sois prévenu. La voie doit être recherchée pour elle-même, et non par égard à tes pieds qui devront la parcourir.
Il y a une correspondance entre cette règle et la dix-septième de la seconde série. Quand, après des âges de luttes et maintes victoires, la bataille finale est gagnée, le secret final demandé, tu es prêt alors à suivre un nouveau sentier. Quand le secret final de cette grande leçon a été révélé, en lui s'ouvre le mystère de la voie nouvelle — une voie qui conduit au-delà de toute expérience humaine, et qui dépasse complètement la perception ou l'imagination de l'homme. À chacun de ces points cruciaux, il est nécessaire de s'arrêter longuement et de bien réfléchir. À chacune de ces étapes, il est indispensable de s'assurer que la voie est bien choisie pour elle-même. La voie et la vérité viennent en premier lieu, la vie vient ensuite.
(4) Cherche-la en éprouvant toute expérience, et rappelle-toi qu'en disant cela je n'ai pas dit : " Cède aux séductions des sens afin de les connaître ". Avant d'être devenu un Occultiste, tu peux agir ainsi, mais non après. Une fois que tu as choisi le sentier et que tu y es entré, tu ne peux plus céder sans honte à de telles séductions. Tu peux cependant les ressentir sans horreur ; tu peux les peser, les observer, et les éprouver, en attendant avec la patience qu'inspire la confiance le moment où elles ne t'affecteront plus. Mais ne condamne pas l'homme qui y succombe ; tends-lui la main comme à un frère-pèlerin dont les pieds se sont alourdis par la fange. Souviens-toi, ô disciple que, même si le gouffre peut être grand entre l'homme de vertu et le pécheur, il est plus grand entre l'homme de vertu et celui qui a atteint la connaissance ; et qu'il est incommensurable entre cet homme de vertu et celui qui se tient au seuil de la divinité. C’est pourquoi prends garde de ne pas te considérer trop vite comme une créature séparée de la masse. Quand tu auras trouvé le commencement de la voie, l'étoile de ton âme fera voir sa lumière ; et, à cette lumière, tu te rendras compte à quel point est grande l'obscurité dans laquelle elle luit. Mental, cœur, cerveau, tout est obscurité et ténèbres, jusqu'au jour où la première grande bataille a été gagnée. Ne sois pas épouvanté et terrifié à cette vue ; garde les yeux fixés sur la petite lumière, et elle grandira. Mais que ces ténèbres en toi-même t'aident à comprendre la détresse de ceux qui n'ont perçu aucune lumière, et dont l'âme se trouve dans de sombres profondeurs. Ne les blâme pas — ne te détourne pas d'eux, mais essaie de soulever un peu le lourd karma du monde ; donne ton aide aux quelques fortes mains qui empêchent les pouvoirs des ténèbres de remporter une victoire complète. Tu entreras de la sorte dans une association dont les partenaires ont la joie en partage, et qui apporte assurément un terrible labeur et une profonde tristesse, mais aussi une grande félicité sans cesse croissante. [Retour Table des matières]
(5) L'éclosion de la fleur est le moment glorieux où la perception s'éveille : avec elle viennent la confiance, la connaissance, la certitude. L'instant où l'âme demeure en suspens est l'instant d'étonnement, et le moment de satisfaction comblée qui y fait suite, c'est le silence. Sache, ô disciple, que ceux qui ont passé par le silence et ont connu sa paix, et conservé sa force, désirent ardemment que tu y passes aussi. C'est pourquoi, dans la Salle d'Apprentissage — lorsqu'il est capable d'y entrer — le disciple trouve toujours son Maître.
Ceux qui demandent recevront. Mais, bien que l'homme ordinaire demande perpétuellement, sa voix reste sans réponse. Car il ne demande qu'avec son mental ; et la voix du mental ne se fait entendre que sur le plan où agit le mental. Aussi n'est-ce pas avant d'avoir énoncé les vingt-et-une premières règles que je dis : " Ceux qui demandent recevront ".
Lire, dans le sens occulte, c'est lire avec les yeux de l'esprit. Demander, c'est ressentir la faim intérieure — le désir ardent de l'aspiration spirituelle. Être capable de lire signifie avoir obtenu, à un faible degré, le pouvoir d'assouvir cette faim. Quand le disciple est prêt à apprendre, alors il est accepté, admis, reconnu. Il doit en être ainsi, car il a allumé sa lampe, et elle ne peut être cachée. Mais il est impossible d'apprendre tant que la première grande bataille n'a pas été gagnée. Le mental peut reconnaître la vérité, mais l'esprit ne peut la recevoir. Une fois que le disciple a passé par la tempête et atteint à la paix, il lui est toujours possible d'apprendre, même s'il fléchit, hésite et se détourne. La voix du silence demeure en lui, et même s'il abandonne complètement le sentier, un jour viendra où elle résonnera en lui et le déchirera, et elle séparera ses passions de ses possibilités divines. Alors, douloureusement et plein des cris de désespoir du soi inférieur abandonné, il reviendra au sentier.
C'est pourquoi je dis : " La Paix soit avec vous ". " Je vous donne ma paix " ne peut être dit que par le Maître à ses disciples bien-aimés, qui sont comme lui-même. Il y a de ces êtres (même parmi ceux qui ignorent la sagesse orientale) à qui on peut dire ces paroles et à qui on peut les dire chaque jour plus complètement.
Δ Considère les trois vérités (*). Elles sont égales.
(*). À propos des " trois vérités " évoquées dans la Note 5. Selon toute probabilité, il s'agit des trois vérités formulées dans l'Idylle du Lotus Blanc [du même auteur - N.d.T.], au début du chapitre VIII (livre II). Elles sont communiquées au néophyte, héros de l'histoire, avec cet avertissement :
" Il y a trois vérités qui sont absolues et qui ne peuvent jamais être perdues, bien qu'elles puissent demeurer inexprimées faute de langage "
Comme le souligne Subba Row dans son commentaire, " ces vérités sont à la base de toute religion, aussi défigurée et déformée soit-elle par l'ignorance, la superstition et les préjugés ".
Elles sont présentées ici dans ces simples mots :
" L'âme de l'homme est immortelle, et les promesses de son avenir sont celles d'une chose dont le développement et la splendeur n'ont pas de limites.
" Le principe qui donne la vie réside en nous comme en dehors de nous, il est hors d'atteinte de la mort, et éternellement bienfaisant ; on ne saurait l'entendre, ni le voir, ni en sentir le parfum, mais il peut être perçu par l'homme qui désire cette perception.
" Chaque homme est à lui-même, d'une manière absolue, son propre législateur, le dispensateur de la gloire ou de l'obscurité qui lui revient, l'arbitre souverain de sa vie, de sa récompense et de son châtiment.
" Ces vérités — aussi grandes que la vie elle-même — sont aussi simples que le mental humain le plus simple. Fais-en la nourriture des affamés ".
Elles sont encore répétées, très succinctement, à la fin du même livre, comme pour en rappeler l'essentiel au lecteur. [Retour Table des matières]
(6) Être capable de se tenir debout veut dire avoir confiance; être capable d'entendre, c'est avoir ouvert les portes de l'âme; être capable de voir, c'est s'être ouvert à la perception; être capable de parler, c'est avoir atteint au pouvoir d'aider les autres ; avoir vaincu le désir, c'est avoir appris à utiliser et à maîtriser le soi; avoir atteint à la connaissance du soi, c'est s'être retiré dans la forteresse intérieure, d'où l'homme personnel peut être examiné avec impartialité; avoir vu son âme dans sa fleur, c'est avoir reçu une vision momentanée en soi-même de la transfiguration qui devra finalement faire de l'être plus qu'un homme ; reconnaître son âme, c'est accomplir la grande tâche de regarder en face la lumière éclatante sans baisser les yeux, ni reculer d'horreur comme devant quelque fantôme hideux. C'est ce qui arrive à certains, et, de la sorte, la victoire leur échappe alors qu'elle était presque gagnée ; entendre la voix du silence, c'est comprendre que les seules directives qui puissent vraiment servir de guide viennent de l'intérieur ; accéder à la Salle d'Apprentissage, c'est atteindre à l'état où l'instruction devient possible. Alors tu trouveras que beaucoup de paroles y seront écrites pour toi, écrites en caractères de feu qui te seront faciles à déchiffrer. Car lorsque le disciple est prêt, le Maître l'est aussi.
(7) Cherche-le et écoute-le, pour commencer, dans ton propre cœur. De prime abord, tu diras peut-être : " Il n'est pas là ; quand je cherche, je ne trouve que dissonances ". Cherche plus profondément. Si de nouveau tes efforts sont déçus, réfléchis et cherche plus profondément encore. Il existe une mélodie naturelle, une source obscure dans tout cœur humain. Elle peut être recouverte, complètement cachée et réduite au silence — mais elle est là. À la base même de ta nature, tu trouveras la foi, l'espérance et l'amour. Celui qui choisit le mal refuse de regarder en lui-même, ferme l'oreille à la mélodie de son cœur, comme il s'aveugle à la lumière de son âme. Il agit ainsi parce qu'il trouve plus facile de vivre dans les désirs. Mais au-dessous de toute vie, coule le puissant courant qui ne peut être arrêté ; les grandes eaux sont là, en vérité. Trouve-les et tu te rendras compte que tout être fait partie de ce courant, jusqu'à la plus misérable des créatures, même si elle ferme les yeux à cette réalité et en vient à se construire une forme apparente fantasmagorique d'horreur. C'est dans ce sens que je te dis : " Tous ces êtres parmi lesquels tu luttes sont des fragments du Divin. Et si trompeuse est l'illusion dans laquelle tu vis qu'il est difficile de deviner où tu commenceras à percevoir la douce voix dans le cœur des autres. Mais sache qu'elle existe certainement en toi-même. C'est donc là qu'il te faut la chercher : une fois que tu l'y auras entendue, tu la reconnaîtras plus aisément autour de toi ".
(8) D'un point de vue absolument impersonnel, sinon ta vision sera déformée. C'est pourquoi l'impersonnalité doit être d'abord comprise.
L'intelligence est impartiale : aucun homme n'est ton ennemi, aucun homme n'est ton ami. Tous sont également tes instructeurs. Ton ennemi devient pour toi un mystère qu'il te faut élucider, même si cela te demande des âges car l'homme doit être compris. Ton ami devient une partie de toi-même, une extension de ton être, une énigme difficile à déchiffrer. Une seule chose est plus difficile encore à connaître : ton propre cœur. Et on ne peut commencer à découvrir le profond mystère du soi tant que les liens de la personnalité ne sont pas relâchés. Et tant que tu ne te dégageras pas de son influence, ce mystère ne se révèlera d'aucune manière à ton entendement. Alors, et alors seulement, tu pourras saisir ce soi dévoilé et le guider. Alors, et alors seulement, tu pourras faire usage de tous ses pouvoirs et les consacrer à un noble service.
(9) Il est impossible d'aider les autres tant que tu n'as pas acquis une mesure de certitude personnelle. Quand tu auras appris les vingt-et-une premières règles, et que tu seras entré dans la Salle d'Apprentissage, avec tes pouvoirs développés et tes sens libérés, tu découvriras qu'il existe en toi une source d'où jaillira la parole.
Après la treizième règle, je ne puis rien ajouter en paroles à ce qui est déjà écrit.
Je te donne ma paix. Δ
Ces règles sont écrites uniquement pour ceux à qui je donne ma paix — ceux qui peuvent lire ce que j'ai écrit à l'aide du sens interne comme du sens externe. [Retour Table des matières]
La Lumière sur le Sentier - Commentaires
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Commentaire - I -
« AVANT QUE LES YEUX PUISSENT VOIR, ILS DOIVENT ÊTRE INCAPABLES DE PLEURER. »
Il convient que tous les lecteurs de ce livre se souviennent très clairement qu'il pourra leur paraître contenir quelque philosophie, mais finalement très peu de sens, s'ils croient qu'il est écrit en langage ordinaire. Le grand nombre des gens qui le liront de cette façon littérale en apprécieront la saveur moins comme du caviar que comme des olives fortement salées. Soyez donc prévenus et lisez le moins possible de cette manière.
Il existe une autre façon de lire qui est, en vérité, la seule en usage pour de nombreux auteurs. Elle consiste à lire non entre les lignes, mais à l'intérieur des mots. Il s'agit en fait de décrypter un profond langage chiffré. Toutes les oeuvres d'alchimie sont rédigées dans l'écriture secrète dont je parle ; les grands philosophes et les poètes de tous les temps s'en sont servi. Les adeptes, maîtres de la vie et de la connaissance, l'utilisent systématiquement, et lorsqu'ils paraissent révéler la sagesse la plus profonde, ils en cachent le mystère réel dans les mots mêmes qui l'expriment. Ils ne peuvent rien faire de plus. Il existe une loi de la nature qui exige qu'un homme déchiffre ces mystères par lui-même. Il ne peut en obtenir la révélation par nulle autre méthode. L'homme qui veut vivre doit manger lui-même sa nourriture : c'est là une simple loi de la nature qui s'applique également à la vie supérieure. L'homme qui voudrait vivre à ce niveau, et y agir, ne peut être nourri comme un enfant à la cuiller : il lui faudra manger par lui-même. [Retour Table des matières]
Je me propose de transcrire dans un langage nouveau, et parfois plus clair, certaines parties de la Lumière sur le Sentier, mais je ne puis dire si cet effort de ma part sera réellement une interprétation. Pour un homme sourd et muet, une vérité ne devient pas plus intelligible si, pour la lui faire comprendre, un linguiste irréfléchi traduit les mots qui l'expriment dans toutes les langues vivantes ou mortes, et crie ces phrases à tue-tête dans l'oreille de l'infirme. Mais pour ceux qui ne sont pas sourds et muets, un langage est généralement plus facile qu'un autre, et c'est à ceux-là que je m'adresse.
Les tout premiers aphorismes de la Lumière sur le Sentier compris dans le préambule sont, je le sais, restés lettre morte dans leur sens intérieur pour beaucoup de lecteurs qui, autrement, ont bien suivi l'intention du livre.
Il y a quatre vérités prouvées et certaines concernant l'entrée sur le sentier de l'Occultisme. Les Portes d'Or en barrent le seuil ; pourtant, il en est qui passent ces portes et découvrent au delà le sublime et l'illimité. Dans les lointains espaces du temps, tous passeront ces portes. Mais je suis de ceux qui souhaitent que le temps — le grand trompeur — ne soit pas à ce point tout puissant. À ceux qui le connaissent et qui l'aiment, je n'ai rien à dire ; mais aux autres — et ils ne sont pas si rares que d'aucuns l'imaginent — à ceux pour qui les instants du temps qui passent sont comme les coups répétés d'un marteau de forgeron, et le sentiment de l'espace comme les barres d'une cage de fer, je traduirai et retraduirai, jusqu'à ce qu'ils aient tout à fait compris.
Les quatre vérités énoncées à la première page de la Lumière sur le Sentier, se rapportent à l'initiation probatoire de l'aspirant Occultiste. Tant qu'il ne l'a pas franchie, il ne peut même pas atteindre au loquet de la porte qui conduit à la connaissance. La connaissance est le plus grand héritage de l'homme ; pourquoi donc n'essaierait-il pas de l'obtenir par tous les chemins possibles ? Le laboratoire n'est pas le seul terrain d'expérimentation ; le mot science, ne l'oublions pas, est dérivé de sciens, le participe présent du verbe latin scire, « savoir » — le verbe anglais to know, qui a cette signification, est à rapprocher du mot to ken [discerner à la vue]. La science ne s'occupe donc pas uniquement de la matière — non, elle ne s'arrête pas même à sa forme la plus subtile et la plus obscure. Une telle idée est née simplement de l'esprit vain de notre âge. La science est un mot qui recouvre toutes les formes de connaissance. Il est extrêmement intéressant d'apprendre ce que découvrent les chimistes et de les voir explorer les divers niveaux de densité de la matière, jusqu'à ses formes les plus subtiles ; mais il existe d'autres sortes de connaissance — et tout un chacun ne limite pas forcément son désir de connaissance (strictement scientifique) aux expériences susceptibles d'être contrôlées par les sens physiques.
Tout individu qui n'est pas un lourdaud stupide, ou un homme abruti par un vice prédominant, devine, ou peut même découvrir avec quelque certitude, qu'il existe des sens subtils présents à l'intérieur des sens physiques. Il n'y a absolument rien d'extraordinaire à cela ; si nous nous donnions la peine d'interroger le témoignage de la nature, nous trouverions que tout ce qui est perceptible à la vue ordinaire recèle, caché en soi, quelque chose dont l'importance est même plus grande ; le microscope nous a révélé tout un monde, mais à l'intérieur de cet emboîtement de cellules qu'il nous dévoile, se trouve un mystère qu'aucune machinerie instrumentale ne pourra sonder.
Jusque dans ses formes les plus matérielles, le monde entier est animé et éclairé par un monde invisible qui est en lui. Ce monde intérieur est appelé astral par certains, et ce mot vaut tout autant qu'un autre, bien qu'il signifie simplement « étoilé », ou « brillant comme les étoiles » ; il faut ici se souvenir que les étoiles (comme l'a souligné Locke) sont des corps lumineux qui donnent de la lumière par eux-mêmes.
Cette qualité est caractéristique de la vie qui se trouve au sein de la matière ; car ceux qui la perçoivent n'ont pas besoin de l'éclairage d'une lampe pour la voir. De plus, le mot anglais star [étoile] est à rapprocher de l'anglo-saxon stir-an, d'où les verbes to steer [diriger un mouvement], to stir [activer, faire bouger] donc mouvoir : indéniablement, c'est la vie intérieure qui gouverne la vie extérieure, exactement comme le cerveau de l'homme guide les mouvements de ses lèvres. Ainsi donc, même si le mot astral n'est pas en soi un terme absolument excellent, il me suffit bien pour les fins que j'ai en vue.
La Lumière sur le Sentier est entièrement écrite en langage chiffré de caractère astral (1) : elle ne peut donc être décryptée que par celui qui lit avec la perspective de l'astral. Ses enseignements visent essentiellement la culture et le développement de la vie intérieure astrale. Tant que n'a pas été fait le premier pas dans le sens de ce développement, le jaillissement de connaissance, qu'on appelle l'intuition pleine de certitude, est impossible à l'homme. Et cette intuition positive et sûre est la seule forme de connaissance qui permette à l'individu d'œuvrer d'une manière rapide, ou d'atteindre à son vrai rang à un niveau élevé, dans les limites de son effort conscient. Gagner la connaissance par la voie de l'expérience est une méthode trop fastidieuse pour ceux qui aspirent à accomplir un réel travail ; celui qui acquiert cette connaissance par l'intuition certaine accède à ses diverses formes avec une suprême rapidité, par un effort acharné de volonté, comme un ouvrier décidé saisit ses outils, sans se laisser arrêter par leur poids, ou par toute autre difficulté qu'il peut avoir à affronter. Il n'attend pas que chaque outil ait été éprouvé : il prend pour s'en servir ceux qu'il considère comme les mieux adaptés à son travail. [Retour Table des matières]
Toutes les règles contenues dans la Lumière sur le Sentier sont écrites pour tous les disciples — mais uniquement pour les disciples : ceux qui « s'emparent de la connaissance ». Ses lois ne sont d'aucune utilité, d'aucun intérêt, si ce n'est pour l'étudiant de cette école de discipline.
À tous ceux qui s'intéressent sérieusement à l'Occultisme, je dis, en premier lieu : « Emparez- vous de la connaissance ». À celui qui a, il sera donné. Il est inutile de demeurer à attendre que la connaissance vienne. La matrice du temps se fermera devant vous et, dans les jours futurs, vous resterez encore à naître, et privés de pouvoir. Je dis donc à ceux qui ont faim ou soif de connaissance : « Appliquez-vous à suivre ces règles ».
Aucune d'elles n'est de ma création, ni de mon invention. Elles sont simplement l'expression des lois de la surnature, la traduction en mots de vérités aussi absolues, dans leur propre sphère, que les lois qui gouvernent le comportement de la terre et son atmosphère.
Les sens dont il est question dans ces quatre règles sont les sens astraux, ou intérieurs.
Nul homme ne désire voir la lumière qui illumine l'âme infinie tant que la douleur et le chagrin et le désespoir ne l'ont pas chassé loin de la vie de l'humanité ordinaire. D'abord, il épuise le plaisir ; puis il épuise la douleur jusqu'à ce que, finalement, ses yeux deviennent incapables de pleurer.
Ceci est une vérité banale, bien que je sache parfaitement qu'elle rencontrera une dénégation violente de la part de beaucoup de gens qui sont en sympathie avec les pensées qui naissent de la vie intérieure. Voir à l'aide du sens astral de la vue est une forme d'activité qui nous paraît de prime abord difficile à comprendre. Le savant sait fort bien le miracle qu'accomplit chaque enfant qui vient au monde lorsqu'il commence à maîtriser le pouvoir de la vision et le force à obéir à son cerveau. Certainement un miracle identique se fait pour chaque sens, mais cette coordination des éléments qui interviennent dans la vision constitue peut-être l'effort le plus prodigieux. Pourtant, l'enfant l'accomplit presque inconsciemment, par la force de l'hérédité puissante de l'habitude. À l'heure actuelle, nul n'a conscience de l'avoir jamais réalisé, de même que nous ne pouvons plus nous souvenir de chacun des mouvements qui nous ont permis de gravir une colline, il y a un an. Ceci provient du fait que nous nous mouvons, vivons et existons dans la matière. La connaissance que nous en avons-nous est devenue intuitive.
Il en est tout autrement de notre vie astrale. Pendant de longs âges du passé, l'homme n'y a prêté que très peu d'attention — si peu qu'il a pratiquement perdu l'usage de ses sens. Il est vrai que dans toutes les civilisations l'étoile se lève, et l'homme avoue, avec plus ou moins de folie et de confusion, qu'il reconnaît la réalité de son être. Mais, la plupart du temps, il le nie, et en versant dans le matérialisme il devient cette chose étrange : un être qui ne peut voir sa propre lumière, une créature de vie qui ne peut pas vivre, un animal astral qui a des yeux et des oreilles, possède parole et pouvoir, mais qui ne veut se servir d'aucun de ces dons. Telle est la situation, et l'habitude de l'ignorance s'est enracinée à ce point que maintenant nul ne voit à l'aide de la vision intérieure, tant que l'angoisse déchirante n'a pas rendu ses yeux incapables non seulement de voir, mais même de verser des larmes — cette humidité de la vie. Être incapable de pleurer, c'est avoir regardé en face et conquis la simple nature humaine, et avoir gagné un équilibre qui ne puisse plus être ébranlé par les émotions personnelles. Cela n'entraîne d'aucune manière dureté de cœur ou indifférence ; cela n'implique pas cet épuisement de la capacité de souffrance où l'âme torturée semble impuissante à aller plus loin dans l'intensité de la douleur ; cela ne signifie pas non plus la torpeur du vieil âge où l'émotion s'émousse parce que s'usent avec le temps les cordes qui vibrent à son toucher. Aucune de ces conditions ne sied à un disciple et, si une seule existe en lui, il doit s'en défaire avant de pouvoir entrer sur le sentier. La dureté de cœur est le propre de l'homme égoïste, de l'individu centré sur son moi, pour qui la porte est à jamais fermée. L'indifférence appartient à l'insensé et au faux philosophe ; à ceux dont la tiédeur fait d'eux de simples marionnettes, trop inconsistantes pour affronter les réalités de l'existence. Quand la douleur ou le chagrin a émoussé la capacité de souffrir de façon aiguë, il en résulte une léthargie assez semblable à celle qui vient avec l'âge, comme en font l'expérience habituellement hommes et femmes. Un tel état rend impossible l'entrée sur le sentier, car le premier pas est plein de difficulté et requiert pour le tenter un homme fort, d'une grande vigueur psychique et physique. [Retour Table des matières]
C'est une vérité, comme l'a dit Edgar Allan Poe, que les yeux sont les fenêtres de l'âme — les fenêtres du palais où elle demeure. Ce qui précède constitue l'interprétation la plus proche, en langage ordinaire, du sens de ce premier aphorisme. Si l'affliction, l'abattement, le désappointement ou le plaisir, a le pouvoir d'ébranler l'âme au point de lui faire lâcher la prise qui la retient fermement à l'esprit immuable qui l'inspire, et que l'humidité de la vie vient à se répandre, en noyant la connaissance dans la sensation, tout se trouble, les fenêtres deviennent opaques et la lumière n’est plus d'aucun usage. C'est là un fait tout aussi réel que la chute inévitable d'un homme qui, au bord d'un précipice, perdrait son sang-froid sous le coup d'une émotion soudaine. Le bon aplomb du corps — l'équilibre — doit être conservé non seulement aux endroits dangereux, mais aussi en terrain non accidenté, en profitant de toute l'aide que nous apporte la nature par la loi de la gravité. Il en est de même de l'âme qui est le lien entre le corps extérieur et l'esprit-étoile qui brille au-delà ; l'étincelle divine réside dans l'espace tranquille où aucune convulsion de la nature ne peut ébranler l'atmosphère : il en est ainsi en permanence. Mais il peut arriver que l'âme lâche prise dans ce qui la relie à cette étincelle, qu'elle en perde le souvenir, bien que l'une et l'autre fassent partie d'un tout unique ; et c'est par l'émotion, par la sensation, que l'âme en vient à lâcher prise. L'expérience du plaisir comme de la douleur produit une vibration intense qui, pour la conscience de l'homme, constitue la vie. Or, cette sensibilité ne s'atténue pas quand le disciple commence son entraînement — au contraire, elle augmente. C'est la première épreuve de sa force ; il lui faut souffrir, jouir ou endurer, avec plus d'acuité que les autres hommes, alors qu'il a pris sur lui une tâche qui n'existe pas pour les autres : celle de ne pas laisser sa souffrance l'ébranler au point de le détourner de son but fixé. En fait, il doit, dès le premier pas, se prendre fermement en mains, et porter lui-même la nourriture à sa bouche : personne d'autre ne peut le faire pour lui.
Les quatre premiers aphorismes de la Lumière sur le Sentier ont trait entièrement au développement astral. Il faut que ce développement soit réalisé jusqu'à un certain point — c'est-à-dire que l'individu s'y soit engagé sans réserve — avant que le reste du livre devienne réellement intelligible, autrement que de façon intellectuelle — en fait, avant de pouvoir être lu comme un traité pratique, et non métaphysique.
Dans l'une des grandes Fraternités mystiques ont lieu, tôt dans l'année, quatre cérémonies qui pratiquement illustrent et mettent en lumière ces aphorismes. Seuls y participent des novices, car il ne s'agit que de rites du seuil. Mais on peut se rendre compte à quel point devenir disciple est une chose sérieuse et grave quand on comprend que toutes ces célébrations sont des cérémonies de sacrifice. La première est l'épreuve dont je viens de parler. La jouissance la plus intense, la plus amère douleur, l'angoisse de la perte et du désespoir sont concentrées sur l'âme tremblante qui n'a pas encore trouvé la lumière dans les ténèbres, et qui est désemparée comme un homme aveugle : tant que ces chocs ne peuvent être endurés sans perte d'équilibre, les sens astraux doivent rester scellés. Telle est la loi miséricordieuse. Le « médium », ou le « spirite », qui se précipite dans le monde psychique sans préparation, enfreint les lois de la sur-nature. Ceux qui enfreignent les lois de la nature perdent leur santé physique ; ceux qui enfreignent les lois de la vie intérieure perdent leur santé psychique. Les « médiums » tombent dans la folie, se suicident, ou deviennent de misérables créatures dénuées de sens moral, et finissent souvent comme des incrédules, qui en viennent même à douter de ce qu'ils ont vu de leurs yeux. Il y a obligation pour le disciple de devenir son propre Maître avant de s'aventurer sur ce sentier périlleux et de se mettre en devoir de rencontrer les êtres qui vivent et œuvrent dans le monde astral, et que nous appelons maîtres, à cause de leur grande connaissance et de leur capacité de se maîtriser, comme de commander aux forces qui les entourent. [Retour Table des matières]
La condition où se trouve l'âme qui vit pour l'expérience de la sensation — et non pour celle de la connaissance — est un état de vibration ou d'oscillation — par opposition à un état de continuité invariable. C'est la représentation littérale se rapprochant le plus de la réalité, mais elle n'est littérale que pour l'intellect, et non pour l'intuition. Pour cette partie de la conscience de l'homme, il faut un vocabulaire différent. Peut-être, au lieu de cette continuité, pourrait-on évoquer l'idée de l'être établi " chez soi ", dans son foyer. On ne peut trouver aucun foyer permanent dans la sensation, car le changement est la loi de cette existence vibratoire. C'est là le premier fait que doit apprendre le disciple. Il est vain de perdre son temps à pleurer sur une scène de kaléidoscope qui est passée.
Il est un fait bien connu (que Bulwer Lytton a développé avec une grande puissance (2)) c'est que la toute première expérience du néophyte en Occultisme est une tristesse intolérable. Un sentiment de vide s'empare de lui et lui fait voir le monde comme un désert, et l'existence comme une entreprise qui ne mène à rien. Cette épreuve fait suite à sa première contemplation sérieuse de l'abstrait. En sondant, ou même en essayant de sonder du regard le mystère ineffable de sa propre nature supérieure, il provoque lui-même la précipitation sur son être de l'épreuve initiale. L'oscillation entre le plaisir et la douleur s'arrête — ne serait-ce qu'un instant — mais cela suffit pour le libérer soudain des solides amarres qui l'ancraient au monde de la sensation. Même très brièvement, il fait l'expérience de la vie plus large ; dès lors, il poursuivra son existence ordinaire, accablé par un sentiment d'irréalité, de vide, de négation horrible. Tel fut le cauchemar qui tourmenta le néophyte décrit par Bulwer Lytton, dans son livre Zanoni. Et le héros lui-même, Zanoni, qui avait appris de grandes vérités et s'était vu conférer de grands pouvoirs, n'avait pas encore passé le seuil où la peur et l'espérance, le désespoir et la joie, semblent être, à un moment, des réalités absolues et, l'instant d'après, de simples produits de l'imagination incontrôlée.
Cette épreuve initiale nous est souvent imposée par la vie elle-même. Car la vie est, après tout, le grand instructeur. Nous retournons à son étude après avoir acquis du pouvoir sur elle, tout comme celui qui est devenu un maître en chimie apprend plus dans son laboratoire que ne le fait son élève. Il y a des individus qui se trouvent si près de la porte de la connaissance que la vie elle-même les prépare à y accéder et il ne faut l'intervention de personne pour provoquer le hideux gardien de l'entrée. Ces êtres doivent avoir, par constitution, une nature ardente et puissante, capable de vibrer de la plus vive jouissance de plaisir. Alors vient la souffrance qui remplit sa grande mission. Les formes les plus intenses de la douleur s'abattent sur une telle nature jusqu'à ce qu'elle s'éveille enfin de l'engourdissement de sa conscience et que, par la force de sa vitalité intérieure, elle franchisse le seuil pour gagner un séjour de paix. Alors, la vibration de la vie perd son pouvoir de tyrannie. La nature sensible devra souffrir encore ; mais l'âme s'est libérée, et se tient à distance, en guidant la vie vers sa grandeur. Ceux qui sont assujettis au temps, et avancent lentement, à travers toutes ses pulsations successives, vivent dans une interminable suite de sensations, et goûtent en permanence un mélange de plaisir et de douleur. Ils n'osent pas saisir d'une poigne ferme le serpent du soi et le vaincre, en devenant ainsi divins ; mais ils préfèrent continuer de se ronger le cœur en passant par ces expériences diverses, et en subissant les chocs des forces opposées.
Lorsqu'un de ces êtres assujettis au temps décide d'entrer sur le sentier de l'Occultisme, c'est en cela que consiste sa première tâche. Si la vie ne le lui a pas enseigné, s'il n'est pas assez fort pour s'instruire lui-même, mais s'il possède assez de pouvoir pour demander l'aide d'un Maître, alors l'épreuve terrible décrite dans Zanoni lui est imposée. L'oscillation dans laquelle il vit est suspendue l'espace d'un instant ; et il lui faut survivre au choc de cette rencontre avec ce qui lui semble à première vue l'abîme du néant. Et tant qu'il n'a pas appris à vivre dans cet abîme, et à en découvrir la paix, il est impossible que ses yeux deviennent définitivement incapables de pleurer.
La difficulté d'écrire sur ces sujets d'une manière intelligible est telle que je prie ceux qui ont trouvé quelque intérêt dans cet article mais ont encore des questions embarrassantes et des doutes de s'adresser à moi dans la colonne de cette revue réservée à la correspondance. Je fais cette demande car des questions inspirées par une grande réflexion sont d'une aide aussi grande aux lecteurs que les réponses qui leur sont faites (3). [Retour Table des matières]
Commentaire - II -
« AVANT QUE L'OREILLE PUISSE ENTENDRE, ELLE DOIT AVOIR PERDU SA SENSIBILITÉ. »
Aussi curieux que cela puisse paraître, les quatre premières règles de la Lumière sur le Sentier sont sans aucun doute, à l'exception d'une seule, les plus importantes de tout le livre. La raison d'une telle importance est qu'elles concernent la loi vitale, l'essence créatrice même de l'homme astral. Et c'est seulement dans la conscience astrale (qui trouve en soi sa lumière) que les règles qui leur font suite ont une quelconque signification vivante. Dès qu'on arrive à pouvoir faire usage des sens astraux, il découle tout naturellement que l'on commence à s'en servir ; et les règles suivantes ne sont que des directives données pour cet usage. En parlant de la sorte, je veux dire, bien entendu, que les quatre premières règles sont celles qui ont de l'importance et de l'intérêt pour ceux qui les lisent comme un texte imprimé sur une page. Lorsqu'elles ont été gravées dans le cœur de l'homme et dans sa vie, il ne fait aucun doute que les autres règles deviennent bien plus que des énoncés métaphysiques intéressants, voire extraordinaires : elles apparaissent comme autant de faits réels de la vie qui doivent être saisis et expérimentés.
Ces quatre règles sont écrites dans la grande salle de toute véritable loge d'une Fraternité vivante. Que l'homme soit sur le point de vendre son âme au diable comme Faust, qu'il doive être vaincu dans la bataille comme Hamlet, ou qu'il soit appelé à pénétrer dans l'enceinte, dans chaque cas, ces paroles lui sont destinées. L'être humain peut choisir entre la vertu et le vice, mais pas avant d'être devenu un homme ; un enfant ou un animal sauvage ne peut faire ce choix. De même pour le disciple ; il faut premièrement qu'il devienne disciple avant de pouvoir même discerner les sentiers entre lesquels il lui faudra choisir. Cet effort de création qui fait de lui un disciple — cette re-naissance — il doit l'accomplir par lui-même, sans aucun instructeur. Tant que les quatre règles n'ont pas été apprises, aucun instructeur ne peut lui être d'une quelconque utilité ; et c'est pourquoi l'allusion aux " Maîtres " prend la forme qu'on voit dans le texte. Aucun des vrais Maîtres — que ces adeptes soient des êtres de pouvoir, d'amour ou de ténèbres — ne peut influencer un homme tant qu'il n'a pas dépassé ces quatre règles.
Les larmes, comme je l'ai dit, peuvent être appelées l'humidité de la vie. L'âme doit avoir fait abstraction des émotions propres à l'humanité et s'être assuré un équilibre qui ne peut être ébranlé par l'infortune, avant que ses yeux puissent s'ouvrir sur le monde sur-humain.
La voix des Maîtres résonne toujours dans le monde ; mais seuls l'entendent ceux dont l'oreille ne vibre plus aux sons qui affectent la vie personnelle. Les éclats de rire ne mettent plus l'allégresse au cœur, les accès de colère ne peuvent plus le rendre furieux, les mots tendres ne lui sont plus un baume. Car l'espace intérieur, pour lequel les oreilles sont comme une porte ouverte sur l'extérieur, est en lui-même un inébranlable lieu de paix que nulle personne ne peut troubler.
Si les yeux sont les fenêtres de l'âme, les oreilles en sont les entrées, ou les portes. C'est par elles que vient la connaissance de la confusion du monde. Les grands êtres qui se sont rendus Maîtres de la vie, qui sont devenus plus que des disciples, se tiennent en paix et impassibles au milieu de la vibration et de l'agitation kaléidoscopique de l'humanité. Ils possèdent en eux-mêmes une connaissance certaine, ainsi qu'une paix parfaite ; c'est pourquoi ils ne sont arrachés de leur calme, ni émus par les bribes d'information, partiale et erronée, qu'apportent à leurs oreilles ceux qui les entourent, avec leurs voix qui changent sans cesse de ton. En parlant de connaissance, je veux dire la connaissance intuitive. Cette information certaine ne peut jamais s'obtenir par un labeur acharné, ni par l'expérience ; car ces méthodes ne s'appliquent qu'à la matière, et la matière est en soi une substance parfaitement incertaine, continuellement soumise au changement. Les lois les plus absolues et les plus universelles de la vie naturelle et physique, telles que les comprend le savant, passeront quand aura disparu la vie de cet univers, et que seule son âme subsistera dans le silence. Quelle sera alors la valeur de la connaissance de ses lois, acquises par les efforts industrieux et l'observation ? Je prie le lecteur, ou le critique, de ne pas déduire de ce que j'ai dit que mon intention est de déprécier ou de rabaisser le savoir acquis ou le travail des savants. Au contraire, je prétends que les hommes de science sont les pionniers de la pensée moderne. Les jours de gloire de la littérature et de l'art, où les poètes et les sculpteurs percevaient la lumière divine et la traduisaient en leur langage grandiose, sont enfouis dans le lointain passé des sculpteurs antérieurs à Phidias et des poètes pré-homériques. Les mystères ne régissent plus le monde de la pensée et de la beauté ; le pouvoir qui gouverne c'est la vie humaine et non celle qui la transcende. Mais les hommes qui travaillent dans le domaine de la science font maintenant des progrès — moins par leur propre volonté que poussés par la seule force des circonstances — qui les rapprochent de la ligne lointaine de démarcation entre les choses interprétables et celles qui ne le sont pas. Toute nouvelle découverte les fait avancer d'un pas. C'est pourquoi j'apprécie hautement la connaissance obtenue par le travail et l'expérience.
Mais la connaissance intuitive est une chose entièrement différente. Elle ne s'acquiert d'aucune façon, mais elle est, pour ainsi dire, une faculté de l'âme ; non de l'âme animale (cet aspect de l'homme qui devient fantôme après la mort, lorsque la sensualité, l'affection, ou le souvenir des mauvaises actions le retient dans le voisinage des êtres humains) mais de l'âme divine qui anime toutes les formes extérieures de l'être individualisé.
Il va de soi que l'intuition est une faculté qui réside dans cette âme — qui lui est inhérente. L'aspirant-disciple doit s'éveiller à la conscience de sa réalité par un effort de volonté, acharné, résolu et indomptable. J'emploie ce dernier qualificatif pour une raison spéciale ; car seul l'individu indomptable, que rien ne peut dominer, et qui sait qu'il doit se conduire en seigneur vis-à-vis des hommes, des événements et de toutes choses — à l'exception de sa propre divinité — est capable d'éveiller cette faculté. " Avec la foi tout est possible ". Les sceptiques se rient de la foi et s'enorgueillissent de ce que leur mental en soit dépourvu. La vérité c'est que la foi est un puissant moteur, un énorme pouvoir qui, en réalité, peut tout accomplir. Car c'est l'alliance ou le pacte scellé entre la partie divine de l'homme et son soi inférieur.
Il est absolument nécessaire de faire usage de ce moteur pour obtenir la connaissance multiple ; car, a moins de croire qu'une telle connaissance se trouve en lui-même, comment un homme pourrait-il la revendiquer et s'en servir ?
Sans cette foi, il est aussi désemparé qu'un morceau de bois à la dérive ou une épave sur les grandes vagues de l'Océan. Ces débris flottants ne sont-ils pas ballottés de-ci de-là comme peut l'être un homme livré aux hasards de la fortune ? Mais ces aventures sont purement extérieures et n'ont que peu d'importance. Un esclave peut être enchaîné et traîné à travers les rues, tout en conservant l'âme tranquille d'un philosophe, comme on a pu le voir en la personne d'Épictète. Un homme peut être en possession de tous les biens que propose le monde, être absolument Maître de son destin personnel — en apparence — pourtant il ne connaît aucune paix, aucune certitude, agité qu'il est en lui-même par toutes les marées de pensée qui l'atteignent. Et ces courants changeants ne font pas qu'entraîner l'homme de-ci de-là dans son corps en le ballottant comme une épave sur l'eau — ce qui encore ne serait rien — mais ils pénètrent par les portes de son âme qu'ils roulent dans leurs vagues, en la rendant aveugle et inerte, et en la dépouillant de toute intelligence permanente, de sorte qu'elle devient le jouet de toutes les influences passagères. [Retour Table des matières]
Pour me faire mieux comprendre, j'emploierai une comparaison. Prenons un écrivain à sa table de travail, un peintre devant sa toile, ou un compositeur écoutant les mélodies intérieures qui coulent de son imagination épanouie de bonheur. Supposons que chacun de ces créateurs à son œuvre passe sa journée devant une large baie donnant sur une rue très passagère. Chez un tel homme, le pouvoir de la vie qui l'anime a pour effet de réduire à la fois l'acuité visuelle et auditive, si bien que la grande circulation de la ville ne lui semble rien d'autre qu'un spectacle éphémère. Par contre, si un individu qui a le mental vide et dont la journée se passe sans but vient s'asseoir à cette même fenêtre, il remarquera les passants et se souviendra des visages qui auront eu le don de lui plaire ou de l'intéresser. Il en est de même du mental dans sa relation avec la vérité éternelle. S'il cesse de transmettre à l'âme ses fluctuations, sa connaissance partiale et fragmentaire, son flux d'information incertaine, alors, dans l'espace intérieur de paix — qui s'est révélé lorsqu'a été apprise la première règle — dans ce lieu secret des profondeurs, jaillit la flamme lumineuse de la connaissance réelle. C'est alors que l'oreille commence à entendre. Très vaguement, très faiblement, tout d'abord. Et vraiment, si timides et discrets sont ces premiers indices du commencement d'une vraie vie authentique, qu'on les rejette parfois comme de pures chimères, de simples produits de l'imagination.
Mais avant que ces signes puissent devenir plus que d'éventuelles chimères, l'abîme du néant doit être affronté sous une autre forme. Le complet silence, qu'on ne peut atteindre qu'en fermant l'oreille à tous les sons passagers, produit une impression d'horreur plus angoissante encore que le vide sans forme de l'espace. Notre seule conception mentale de l'espace vide se réduit, je crois, à de noires ténèbres, si on s'en fait en pensée la représentation la plus dépouillée. Cette image inspire à la plupart des gens une grande terreur physique, et si on la considère comme un fait éternel et immuable, elle doit suggérer au mental une idée d'annihilation plus que toute autre chose. Mais cette vacuité n'est que l'oblitération d'un seul sens : le son d'une voix peut s'y faire entendre et apporter le réconfort, même au plus profond de l'obscurité. Le disciple, ayant trouvé sa voie pour pénétrer ces ténèbres (qui constituent l'abyme effroyable), doit alors si bien sceller les portes de son âme que ni consolateur ni ennemi ne puisse y avoir accès. Et c'est en faisant ce second effort que ceux qui, jusqu'alors, n'avaient pu s'en rendre compte reconnaissent que la souffrance et le plaisir ne sont en réalité qu'une seule sensation. Car lorsque l'âme a atteint la solitude du silence, elle aspire si violemment et si passionnément à éprouver une sensation quelconque sur laquelle se fixer qu'une souffrance serait accueillie avec autant d'avidité qu'une joie. Lorsque cet isolement de la conscience est atteint, l'homme courageux qui s'y accroche et s'y maintient peut détruire d'un seul coup la " sensibilité ". Lorsque l'oreille ne fait plus de distinction entre ce qui est agréable et ce qui est pénible, elle n'est plus jamais affectée par la voix d'autrui. C'est alors qu'il devient possible d'ouvrir sans danger les portes de l'âme.
L'acquisition de la " vue " est le premier effort, le plus facile, parce qu'il s'accomplit en partie par une démarche intellectuelle. L'intellect peut dominer le cœur, comme il est aisé de s'en apercevoir dans la vie ordinaire. Aussi cette étape préliminaire s'accomplit-elle dans un domaine soumis encore à la matière. Mais le second pas ne permet plus cette aide, ni aucun secours matériel d'aucune sorte. Naturellement, par secours matériel, je veux parler du jeu de l'activité cérébrale, des émotions ou de l'âme humaine. En forçant l'oreille à n'écouter que l'éternel silence, celui qu'on désignait du nom d'homme devient un être qui n'est plus un homme. En considérant même superficiellement les mille et une influences que nous sommes amenés à subir de la part des autres, nous verrons qu'il doit en être ainsi. Un disciple remplira tous les devoirs qu'exige sa condition d'homme, mais il le fera selon sa propre appréciation de ce qui est juste et bien, et non d'après celle d'une quelconque tierce personne, ou association d'individus. C'est là un résultat très évident découlant de ce qu'il suit la religion de la connaissance, et non l'une ou l'autre des croyances aveugles.
Pour arriver à ce pur silence nécessaire au disciple, il faut mettre de côté aussi bien ce qui est coeur et émotions que ce qui est cerveau et productions intellectuelles. Dans ces deux domaines, les choses se réduisent à des manifestations mécaniques qui périront quand la vie de l'homme prendra fin. C'est l'essence qui est au delà, ce qui constitue le pouvoir moteur et qui fait vivre l'homme, qui vient maintenant, sous la contrainte de l'effort, à se manifester et à agir. Et c'est maintenant l'heure du plus grand danger. Dans la première épreuve, il y a des hommes qui deviennent fous de peur ; et c'est d'elle qu'a parlé Bulwer Lytton. Quant à la seconde épreuve, aucun romancier n'est allé jusqu'à en parler, bien que certains des poètes l'aient fait. Sa subtilité et son grand danger tiennent à ceci : la chance que peut avoir un homme de la traverser avec succès, ou d'y tenir tête de quelque manière, est à la mesure exacte de la force qu'il possède. Et s'il a suffisamment de pouvoir pour éveiller cette partie encore inconnue de lui-même - l'essence suprême - il a par là même le pouvoir d'ouvrir les Portes d'Or : c'est lui le véritable alchimiste, en possession de l'élixir de vie.
C'est à ce point de l'expérience que l'Occultiste se sépare de tous les autres hommes, et commence à mener une vie qui lui est propre ; il avance sur le sentier de la réalisation individuelle, au lieu d'obéir simplement aux génies qui régentent notre terre. Le fait de s'élever au point de devenir un pouvoir individuel a pour effet positif d'amener l'homme à s'identifier aux forces les plus nobles de la vie et de l'unir à elles. Car leur sphère transcende les pouvoirs de cette terre et les lois de cet univers. Et voilà où gît le seul espoir de réussite pour l'homme dans le grand effort qui est le sien : sauter directement du point où il se tient à présent pour accéder à sa nouvelle position, et devenir immédiatement une partie intrinsèque du pouvoir divin de cette grande nature dont il est un fragment, comme il a fait partie jusqu'alors de son pouvoir intellectuel. Il se maintient toujours en avance sur lui-même, si toutefois on peut comprendre une telle contradiction. Ce sont les hommes qui adhèrent à cette position, qui croient à leur pouvoir inné de progrès, et à celui de la race humaine tout entière, qui sont les frères aînés, les pionniers. Chaque individu doit accomplir ce grand saut par lui-même et sans aide, mais c'est pourtant un certain soutien de savoir que d'autres nous ont précédés sur cette route. Il est possible qu'ils se soient perdus dans l'abîme : qu'importe, ils ont eu le courage d'y entrer. Si je dis qu'il est possible qu'ils s'y soient perdus, c'est parce que celui qui l'a traversé devient méconnaissable pour toute personne qui n'aurait pas atteint elle aussi cet autre état complètement différent. Il est inutile de discuter ici de ce que peut être ce nouvel état. Qu'il me suffise de dire ceci : au premier stade où l'homme pénètre dans le silence, il n'a plus connaissance de ses amis, des êtres qui avaient de l'amour pour lui et de tous ceux qui lui étaient proches et chers, tout comme il perd de vue ses instructeurs et tous ceux qui l'ont précédé sur la voie. J'explique ces choses parce que rares sont ceux qui peuvent traverser cette épreuve sans se plaindre amèrement. Si le mental pouvait comprendre par avance que le silence doit être total, assurément il n'y aurait plus cette raison justifiant ces plaintes qui viennent comme un obstacle sur le sentier. Celui qui vous instruit, ou qui vous précède sur le chemin, peut tenir votre main dans la sienne, et vous entourer de toute la sympathie dont le cœur humain est capable. Mais, lorsque viennent le silence et les ténèbres, vous le perdez complètement de vue ; vous êtes seul, et il ne peut plus vous aider, non parce qu'il a perdu son pouvoir, mais parce que vous avez invoqué votre grand ennemi. [Retour Table des matières]
Par votre grand ennemi, je veux dire vous-même. Si vous avez la force de regarder en face votre âme dans les ténèbres et le silence, vous aurez vaincu le soi physique, ou animal, qui réside uniquement dans la sensation.
Cette façon de dire les choses, je le sens, donnera l'impression d'être compliquée ; mais en réalité elle est très simple.
Lorsqu'il a atteint sa maturité, et que la civilisation est à son apogée, l'homme se trouve entre deux feux. Si seulement il pouvait revendiquer son grand héritage, la charge encombrante de la pure et simple vie animale tomberait facilement de ses épaules. Mais il ne le fait pas, et c'est ainsi que les races d'hommes s'épanouissent, puis retombent pour mourir et disparaître de la surface de la terre, aussi grande qu'ait pu être la splendeur de leur floraison. Et c'est à l'individu qu'il revient de faire ce grand effort : refuser d'être terrifié par sa nature supérieure ; refuser d'être retenu en arrière par sa nature inférieure — son soi matériel. Tout individu qui accomplit cela est un rédempteur de la race humaine. Il peut bien ne pas s'enorgueillir de ses actes, demeurer dans le secret et le silence ; mais c'est un fait certain qu'il constitue un lien entre l'homme et sa partie divine, entre le connu et l'inconnu, entre l'agitation de la place publique et le calme immuable des cimes neigeuses de l'Himalaya. Point n'est besoin qu'il aille se mêler aux hommes pour constituer ce lien ; dans l'astral, il est ce lien — ce qui fait de lui un être d'un autre ordre que le reste de l'humanité. Même dès ces débuts sur le sentier de la connaissance, quand il n'a fait encore que ce second pas, il constate que sa marche est plus assurée, et devient conscient d'être un fragment reconnu d'un tout.
C'est là une des contradictions de la vie qui se présentent si fréquemment qu'elles servent à nourrir l'imagination des romanciers. L'Occultiste découvre que ces contradictions s'accentuent beaucoup tandis qu'il s'efforce de vivre la vie qu'il a choisie. À mesure qu'il se retire à l'intérieur et progressivement ne dépend que de lui-même, il lui apparaît de plus en plus clairement qu'il est en train de s'intégrer à une grande marée de pensée et de sentiment d'une nature bien définie. Après avoir appris la première leçon, vaincu la faim du cœur, et refusé de vivre de l'amour des autres, il s'aperçoit que s'accroît en lui le pouvoir d'inspirer de l'amour. À mesure qu'il rejette la vie, elle vient à lui sous une forme nouvelle et avec un sens nouveau. Pour l'homme, cette terre a toujours été un monde plein de contradictions ; lorsqu'il devient disciple, il constate que la vie peut se décrire sous forme d'une série de paradoxes. C'est un fait de la nature dont la raison est assez compréhensible. L'âme de l’homme (même celle du plus vil d'entre nous) " demeure comme une étoile isolée ", tant que sa conscience est soumise à la loi de la vie d'oscillations et de sensations. Cela seul suffit à créer ces complications de caractère qui inspirent l'imagination du romancier ; chaque homme est un mystère, aussi bien pour son ami et son ennemi que pour lui-même. Ses motifs sont souvent impossibles à découvrir ; il ne peut les sonder, ni savoir pourquoi il fait ceci ou cela. L'effort du disciple vise à éveiller la conscience dans la sphère stellaire de son être où son pouvoir et sa divinité sont endormis. Au fur et à mesure que cette conscience s'éveille, les contradictions dans l'individu se font plus marquées que jamais, comme aussi les paradoxes qui remplissent son existence. Car c'est une évidence que l'homme crée sa propre vie ; et " l'aventure est aux aventureux " est l'un de ces sages proverbes, tirés de l'expérience, qui sont valables dans tout le domaine de l'activité humaine.
Une pression exercée sur la partie divine de l'homme réagit sur la partie animale. À mesure que s'éveille l'âme silencieuse, elle rend la vie ordinaire de l'homme plus utile, plus vive, plus réelle et plus responsable. Pour nous en tenir aux deux exemples déjà mentionnés, disons ceci : l'Occultiste qui s'est retiré dans sa citadelle a découvert la force dont il dispose — immédiatement, il prend conscience des devoirs qui sont exigés de lui. Il n'a pas acquis cette force de son propre droit, mais bien parce qu'il constitue une partie du tout ; et dès qu'il est hors d'atteinte de la vibration de la vie et qu'il peut se tenir inébranlable, le monde extérieur l'appelle à grands cris pour qu'il vienne y travailler. C'est la même chose avec le cœur. Quand il a cessé de vouloir prendre, c'est alors qu'il lui est demandé de donner en abondance.
La Lumière sur le Sentier a été appelée, à juste titre, un livre de paradoxes ; que pourrait-elle être d'autre dès lors qu'elle traite de l'expérience personnelle réelle du disciple ?
Avoir acquis les sens astraux de la vue et de l'ouïe, en d'autres termes, avoir atteint à la perception et ouvert les portes de l'âme revient à une tâche gigantesque qui peut exiger le sacrifice de nombreuses incarnations successives. Et pourtant, quand la volonté a acquis sa puissance, le miracle tout entier peut s'accomplir en une seconde. Et désormais le disciple n'est plus le serviteur du temps.
Ces deux premiers pas sont négatifs ; c'est-à-dire qu'ils impliquent que l'on se retire d'un état présent des choses, plutôt que l'on avance vers une autre condition. Les deux pas suivants sont positifs : ils nécessitent que l'on agisse pour gagner un autre état d'être.
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(1) Voir correspondance. : Q/R
(2) Voir Zanoni, Livre V (N.D.T.)
(3) Voir correspondance : Q/R . [Retour Table des matières]
Commentaire - III - La demande du néophyte
« AVANT QUE LA VOIX PUISSE PARLER EN LA PRÉSENCE DES MAÎTRES »
La parole est le pouvoir de communiquer avec autrui ; le moment de l'entrée dans la vie active est marqué par son acquisition.
Et maintenant, avant d'aller plus loin, qu'il me soit permis d'expliquer un peu la façon dont sont disposées les règles énoncées dans la Lumière sur le Sentier. Les sept premières, qui sont numérotées, sont des subdivisions des deux premières règles non numérotées — celles dont j'ai traité dans les pages précédentes. Les règles numérotées sont ici comme une contribution de ma part en vue de rendre les autres plus intelligibles. Les règles numérotées de huit à quinze se rapportent à la règle rappelée ci-dessus et dont je vais maintenant parler.
Comme je l'ai dit, ces règles sont écrites pour tous les disciples, mais pour nul autre ; elles ne présentent d'intérêt pour aucune autre personne. Aussi je compte bien que personne d'autre ne prendra la peine de poursuivre la lecture de ces pages. À propos des deux premières règles qui couvrent toute cette partie de l'effort qui exige d'employer le bistouri du chirurgien, je m'étendrai encore si on me le demande. Mais le disciple est tenu d'affronter le serpent (son soi inférieur) sans aucune aide, et d'étouffer ses passions et ses émotions humaines par la seule force de sa volonté. Il ne peut demander l'assistance d'un Maître que lorsque cela est accompli ou, tout au moins, partiellement réalisé. Autrement, les portes et fenêtres de son âme seront maculées, obstruées, rendues impénétrables, et aucune connaissance ne pourra lui parvenir. Ce n'est pas mon propos, dans ces pages, de dire à un homme comment il devrait se comporter vis-à-vis de son âme ; simplement, à l'intention du disciple, je donne de la connaissance. Et si, même maintenant, je n'écris pas pour que le premier venu puisse me lire, c'est parce que la nature supérieure (ou la sur-nature) l'interdit de par ses propres lois immuables.
Les quatre règles que j'ai notées ici pour ceux qui, en Occident, désirent les étudier, sont écrites, comme je l'ai indiqué, dans l'antichambre de toute Fraternité vivante. Je puis même dire plus : dans l'antichambre de toute Fraternité, vivante ou morte, ou de tout Ordre appelé encore à venir. Cependant, en évoquant une Fraternité ou un Ordre, je ne veux pas parler d'une constitution arbitrairement élaborée par des discoureurs érudits et des professionnels de l'intellectualisme, mais d'un fait réel existant dans la sur-nature, marquant un stade du développement vers le Dieu ou le Bien absolu. Au cours de ce développement, le disciple rencontre l'harmonie, la pure connaissance, la pure vérité, à des degrés divers ; et au fur et à mesure qu'il atteint à ces degrés, il découvre qu'il devient progressivement une partie intégrante de ce qu'on pourrait décrire, en gros, comme une couche de la conscience humaine. Il vient en rapport avec des êtres qui sont ses égaux, des hommes qui ont le même caractère altruiste, et son association avec eux devient permanente et indissoluble, du fait qu'elle est fondée sur une similitude vitale de nature. Il vient à se trouver lié à eux par des serments qui n'exigent pas d'être proférés, ou coulés dans le moule du langage ordinaire. C'est là un des aspects de ce que j'entends par une Fraternité.
S'il parvient à se rendre Maître des premières règles, le disciple découvre qu'il se tient sur le seuil. C'est alors que, si sa volonté est assez résolue, lui vient le pouvoir de la parole. Un pouvoir double. Car, désormais, à mesure qu'il avance, il constate qu'il entre dans un état d'épanouissement analogue à une floraison, où tout bouton qui s'ouvre déploie largement ses divers rayons ou pétales. S'il doit exercer son nouveau don, ce ne peut être qu'en l'employant sous son double aspect. Il est vrai qu'il trouve en lui le pouvoir de parler en la présence des Maîtres : en d'autres mots, il a le droit de revendiquer le contact avec l'élément le plus divin de cette couche de conscience où il vient d'accéder. Mais, en même temps, il se voit obligé, de par la nature de sa position, d'agir de deux manières à la fois : il ne peut faire résonner sa voix jusqu'aux cimes où se tiennent les dieux tant qu'il n'a pas pénétré jusqu'aux profondeurs où leur lumière ne brille d'aucune façon. Il est tombé sous l'empire d'une loi de fer. S'il demande à devenir un néophyte, il devient immédiatement un serviteur. Mais ce service n'en est pas moins sublime, ne fût-ce que par le caractère de ceux qui y prennent part. Car les Maîtres sont aussi des serviteurs ; ils servent, et ne réclament leur récompense qu'après. Une partie de leur service consiste à faire que leur connaissance atteigne le disciple : pour lui, le premier acte de service c'est de donner un peu de cette connaissance à ceux qui ne sont pas encore capables de se tenir là où il se tient. Cette obligation ne résulte pas d'une décision arbitraire prise par un Maître ou un instructeur, ou un être quelconque, fût-il divin. C'est une loi de cette vie où s'est engagé le disciple.
C'est pourquoi il était écrit au portail intérieur des loges de l'antique Fraternité égyptienne : " L'ouvrier est digne de son salaire ".
« Demandez et vous recevrez » paraît une affirmation trop facile et trop simple pour qu'on y attache quelque crédit. Mais le disciple ne peut « demander » (au sens mystique où le mot est employé dans cette Écriture), avant d'avoir acquis le pouvoir d'aider les autres.
Pourquoi en est-il ainsi ? L'affirmation a-t-elle un accent trop dogmatique ?
Est-ce vraiment trop dogmatique de dire qu'un homme doit avoir un sol ferme où appuyer le pied avant de sauter ? Le cas est identique. Si l'aide est donnée, si le travail est accompli, alors il y a une demande authentique — non pas ce qu'on appelle la revendication personnelle d'un paiement en retour, mais une demande sur la base de l'identité de nature. Les êtres divins donnent, ils exigent que vous donniez aussi avant de pouvoir être des leurs. [Retour Table des matières]
Cette loi se découvre dès que le disciple essaye de parler. Car la parole est un don qui ne vient qu'au disciple doué de pouvoir et de connaissance. Le spirite pénètre dans le monde psychique-astral, mais il n'y trouve aucun langage sûr, à moins de réclamer immédiatement ce privilège et de persister à le faire. S'il s'intéresse aux " phénomènes ", ou aux simples particularités et événements de la vie astrale, il n'accède à aucun rayon direct de connaissance ou d'intention concertée : il ne fait qu'exister dans la vie astrale et s'y amuser, comme auparavant il existait dans la vie physique et s'y amusait. Il y a certainement une ou deux leçons élémentaires que la sphère psychique-astrale peut lui enseigner, tout comme il y a de simples leçons que lui inculque la vie matérielle et intellectuelle. Et toutes doivent être apprises, car l'homme qui se propose d'accéder à la vie de disciple sans s'être instruit des premières leçons élémentaires aura toujours à souffrir de son ignorance. Elles sont vitales, il faut donc les étudier d'une façon vitale, s'en pénétrer à fond par des expériences vécues mainte et mainte fois jusqu’à ce que chaque partie de la nature en soit pénétrée.
Pour en revenir à notre sujet : en revendiquant le pouvoir de la parole, comme on l'appelle, le néophyte invoque de toute sa voix le Grand Être qui est à la tête du rayon de connaissance auquel il vient d'accéder, afin qu'il lui serve de guide. Mais lorsqu'il lance cet appel, sa voix est renvoyée avec force par le pouvoir qu'il a touché, et elle se répercute en échos jusque dans les recoins les plus profonds de l'ignorance humaine. De quelque manière, confuse et brouillée, se transmet alors la nouvelle qu'il existe une connaissance, et un pouvoir bienfaisant qui enseigne, et ce message est porté à tous les hommes qui sont disposés à l'écouter. Nul disciple ne peut franchir le seuil sans communiquer cette nouvelle et sans la consigner durablement, d'une façon ou de l'autre.
Il est d'abord frappé d'horreur en voyant la manière imparfaite et malhabile dont il s'est acquitté de cette tâche ; alors naît le désir de faire mieux, et avec ce désir d'aider ainsi les autres, vient le pouvoir de le faire. Car c'est un désir pur que celui qui l'envahit ; lui-même ne peut obtenir aucun crédit, aucune gloire, aucune récompense personnelle en le réalisant. C'est pourquoi il acquiert le pouvoir de le réaliser.
Toute l'histoire du passé, aussi loin que nous puissions remonter, prouve très clairement qu'il n'y a ni crédit, ni gloire, ni récompense à attendre de cette première tâche qui est confiée au néophyte. Toujours, on s'est raillé des mystiques, et les voyants ont suscité l'incrédulité ; ceux qui avaient en plus le pouvoir de l'intellect ont laissé à la postérité leur témoignage écrit qui apparaît cependant, à la plupart des hommes, comme privé de sens et chimérique, même quand les auteurs ont l'avantage de faire entendre leur voix du fond d'un passé très reculé. Le disciple qui entreprend cette tâche, avec l'espoir secret d'arriver à la gloire ou au succès, d'apparaître aux yeux du monde comme un instructeur et un apôtre, échoue avant même d'avoir tenté l'effort, et son hypocrisie cachée empoisonne son âme, et l'âme de ceux qu'il touche. C'est lui-même qu'il adore en secret, et cette pratique idolâtre ne peut manquer d'amener sa propre récompense.
Le disciple qui a le pouvoir de passer le seuil, et qui est assez fort pour franchir toutes les barrières, s'oubliera complètement dans la nouvelle conscience venant à l'envahir lorsque le divin message parviendra à son esprit. Si, en définitive, ce contact sublime peut réellement l'éveiller et l'aiguillonner, il devient comme l'un des êtres divins dans son désir de donner plutôt que de prendre, dans son voeu d'aider plutôt que d'être aidé, dans sa résolution de nourrir les affamés plutôt que de prendre lui-même la manne qui vient du ciel. Sa nature est transformée, et l'égoïsme qui pousse les hommes à l'action dans la vie ordinaire l'abandonne d'une manière soudaine. [Retour Table des matières]
Commentaire - IV - L'isolement de l'Adepte
« AVANT QUE LA VOIX PUISSE PARLER EN LA PRÉSENCE DES MAÎTRES, ELLE DOIT AVOIR PERDU LE POUVOIR DE BLESSER. »
Ceux qui n'accordent qu'une attention passagère et superficielle au sujet de l’Occultisme — et ils sont légion — demandent constamment pourquoi, si les adeptes de la vie existent, ils n'apparaissent pas dans le monde et ne montrent pas leur pouvoir. Le fait qu'il soit laissé à entendre que l'ensemble le plus important de ces sages se trouve vivre au-delà des solitudes de l'Himalaya semble une preuve suffisante qu'ils ne sont que des personnages de baudruche. Autrement, pourquoi les placerait-on si loin ?
Malheureusement, cette disposition est l'œuvre de la Nature, et non le fruit d'un choix ou d'un arrangement personnel. Il existe certains endroits sur terre où le progrès de la " civilisation " ne se fait pas sentir, où la fièvre du dix-neuvième siècle est tenue en échec. Dans ces lieux privilégiés, il y a toujours le temps, toujours l'opportunité, pour les réalités de la vie : elles ne sont pas étouffées par le flot des activités d'une société incohérente, avide d'argent et de plaisirs. Tant qu'il y aura des adeptes sur la terre, celle-ci devra préserver pour eux des lieux de retraite. C'est là un fait naturel qui n'est qu'une expression extérieure d'une réalité profonde de la sur-nature.
La demande du néophyte ne peut se faire entendre aussi longtemps que la voix qui l'exprime n'a pas perdu le pouvoir de blesser. Cela parce que la vie au niveau de l'astral divin (1) relève d'une sphère où l'ordre règne, comme il règne dans la vie naturelle. Il y a toujours, bien entendu, ce qui est le centre et ce qui tient lieu de circonférence, comme c'est le cas dans la nature. C'est près du cœur central de la vie, sur n'importe quel plan, que se trouve la connaissance, que règne l'ordre d'une façon complète ; tandis que le chaos rend indistinct et confus le bord extérieur du cercle. En réalité, la vie, sous toutes ses formes, ressemble plus ou moins étroitement à une école philosophique. On y trouve toujours ceux qui se vouent à la connaissance en oubliant leur propre existence dans la poursuite de leur objectif ; on y rencontre toujours également la foule superficielle et désinvolte des gens qui vont et viennent (dont Epictète a dit qu'il était aussi facile de leur enseigner la philosophie que de manger de la crème pâtissière à la fourchette).
Le même état de chose existe dans la vie de l'astral supérieur ; et l'adepte y trouve pour s'y établir une retraite plus profonde et plus complète encore. Ce lieu de retraite est si sûr, si abrité, qu'aucun son renfermant la moindre discordance ne peut parvenir à son oreille. Pourquoi cela — demandera-t-on immédiatement — si c'est un être doué de pouvoirs aussi grands que le disent ceux qui croient à son existence ? La réponse paraît très évidente. Il sert l'humanité et s'identifie avec le monde entier ; il est prêt, à tout moment, à faire pour elle le sacrifice expiatoire — EN VIVANT ET NON EN MOURANT POUR ELLE. Pourquoi, en fait, ne mourrait-il pas pour elle ? Parce qu'il est un fragment du grand Tout, et l'une de ses parties les plus précieuses. Parce qu'il vit selon des lois d'ordre qu'il ne désire pas violer. Sa vie ne lui appartient pas, elle appartient aux forces qui opèrent derrière lui. Il est l'efflorescence de l'humanité, la fleur épanouie qui renferme la semence divine. Il constitue, dans sa personne même, un trésor de la nature universelle qui est protégé et gardé en sûreté, afin que la fructification puisse être menée à bien. Ce n'est qu'à certaines périodes définies de l'histoire du monde qu'il lui est permis d'aller parmi la foule grégaire des hommes comme leur rédempteur. Mais pour ceux qui ont le pouvoir de se séparer de cette foule, l'adepte est toujours accessible. Et pour ceux qui ont la force de vaincre les vices de la nature humaine personnelle, qui sont évoqués dans ces quatre règles, il est proche par la conscience, facile à reconnaître et prêt à répondre. [Retour Table des matières]
Mais cette victoire sur le soi personnel implique une destruction de qualités que la plupart des hommes considèrent non seulement comme indestructibles, mais aussi comme désirables. Le " pouvoir le blesser " comprend beaucoup de choses que les hommes apprécient en eux-mêmes aussi bien que chez les autres : l'instinct d'auto-défense et de conservation en fait partie ; également, l’idée que l'on peut avoir un droit quelconque, ou des droits, comme citoyen, comme homme, ou individu ; ou encore, la bonne conscience que l'on tire de la dignité personnelle et de la vertu. Ce sont, pour beaucoup, des choses dures à entendre ; cependant, elles sont vraies. Car ces mots que j'écris maintenant, et ceux que j'ai déjà écrits sur ce sujet, ne sont de moi d'aucune façon. Ils sont empruntés aux traditions de la loge de la Grande Fraternité, qui fut jadis la splendeur secrète de l'Egypte.
Les règles écrites dans l'antichambre de cette loge étaient les mêmes que celles qui se lisent actuellement dans l'antichambre de toutes les écoles existantes. De tous temps, les sages ont vécu à l'écart de la masse. Et alors même qu'un dessein ou un objectif temporaire détermine l'un d'entre eux à venir dans le monde de l'existence humaine, son isolement et sa sécurité n'en sont pas moins tout autant préservés. C'est une part de son héritage, une caractéristique de sa condition ; il y a droit effectivement et ne peut pas plus s'en défaire que le Duc de Westminster peut déclarer qu'il ne veut pas être le duc de Westminster. Dans les diverses grandes villes du monde, un adepte séjourne un moment, de temps à autre, ou éventuellement ne fait que passer, mais chacun y est aidé à l'occasion, par le pouvoir réel et la présence de fait de l'un de ces hommes. Ici, à Londres, comme à Paris et à Saint Pétersbourg, il y a des hommes d'un haut développement. Mais ils ne sont connus comme des mystiques que par ceux qui ont le pouvoir de faire cette reconnaissance — le pouvoir que confère la domination du soi. Sans cet isolement, comment pourraient-ils exister, ne fût-ce que pendant une heure, dans une atmosphère mentale et psychique comme celle que créent la confusion et le désordre d'une ville ? S'ils n'étaient pas protégés et mis en sûreté, leur propre croissance serait entravée, et leur travail compromis. Et le néophyte peut rencontrer un adepte dans la chair, il peut vivre avec lui dans la même maison, sans être capable de le reconnaître, ni faire que sa voix soit entendue de lui. Car ni le rapprochement dans l'espace, ni la familiarité des rapports, ni l'intimité du côtoiement quotidien ne peuvent supprimer les lois inexorables qui assurent son isolement à l'adepte. Aucune voix ne pénètre jusqu'à son oreille intérieure qui ne soit devenue voix divine — une voix qui ne laisse plus s'exhaler les cris du soi. Tout autre appel moins élevé serait aussi inutile, et constituerait un gaspillage d'énergie et de pouvoir aussi grand que si des enfants apprenant leur alphabet demandaient à en être instruits par un professeur de philologie. Tant qu'un homme n'est pas devenu, de cœur et d'esprit, un disciple, il n'a aucune existence pour ceux qui sont des instructeurs de disciples. Et il ne le devient que par une seule méthode : l'abandon de sa personnalité humaine.
Pour que la voix ait perdu le pouvoir de blesser, un homme doit avoir atteint ce point où il se considère seulement comme un être parmi les immenses multitudes vivantes, un grain parmi les sables qu'emportent de-ci de-là les marées de l'existence fluctuante. On dit que chaque grain de sable du fond de l'Océan est amené à son tour par les eaux sur le rivage, et y reste un moment exposé au soleil. Il en est de même des êtres humains ; ils sont ballottés en tous sens par une grande force, et chacun à son tour se découvre sous les rayons du soleil. Quand un homme est capable de considérer sa propre vie comme une partie d'un tout d'une telle nature, il cesse de lutter pour obtenir quoi que ce soit pour lui-même. C'est cela l'abandon des droits personnels. L'homme ordinaire ne s'attend pas à recevoir les mêmes chances que le reste du monde mais bien à réussir mieux que les autres, en certains points qui lui tiennent à cœur. Le disciple n'a pas cette espérance. Par conséquent, même s'il arrive qu'il soit, comme Epictète, un esclave enchaîné, il ne trouve rien à y redire. Il sait que la roue de la vie tourne sans cesse. C'est ce que Burne-Jones a fait ressortir dans son merveilleux tableau (2) : la roue tourne et, avec elle, riches et pauvres, grands et petits, qui y sont attachés. Chacun a son heure de bonne fortune quand la roue l'amène au sommet. Mais dans cette rotation, le roi s'élève et tombe, le poète est fêté puis oublié, l'esclave est heureux puis disgracié. Chacun est broyé à son tour par la révolution de la roue. Le disciple sait qu'il en est ainsi et, bien qu'il soit de son devoir de tirer tout le parti possible de cette vie qui est la sienne, il ne s'en plaint pas, ni ne s'en réjouit de façon débordante, pas plus qu'il ne trouve à redire à propos du sort meilleur des autres. Tous, il le sait bien, ne font qu'apprendre une leçon ; et il sourit du socialiste et du réformateur qui entreprennent, simplement par la force, de réarranger des circonstances qui sont le produit des forces de la nature humaine elle-même. Cela revient à regimber contre l'aiguillon : c'est un gaspillage de vie et d'énergie.
En comprenant cela, un homme abandonne ce qu'il avait cru être ses droits individuels, quels qu'il soient. Cela le délivre d'un aiguillon acéré, qui tourmente également tous les hommes ordinaires. [Retour Table des matières]
Quand le disciple a pleinement reconnu que l'idée même de droits individuels n'est que l'expression de ce qu'il y a de venin mortel dans sa nature — le sifflement du serpent du soi qui empoisonne de sa morsure sa propre vie et celle de ceux qui l'entourent — il est alors prêt à prendre part à une cérémonie annuelle, accessible à tous les néophytes qui y ont été préparés. Toutes les armes, défensives et offensives, sont abandonnées ; toutes les armes du mental et du cœur, du cerveau et de l'esprit. Jamais plus un autre homme ne peut être considéré comme une personne pouvant être critiquée ou condamnée ; jamais plus le néophyte ne peut élever sa voix pour se défendre ou s'excuser. Après cette cérémonie, il retourne dans le monde aussi impuissant et sans défense qu'un enfant nouveau-né. Et c'est en effet ce qu'il est. Il a commencé à renaître sur le plan supérieur de la vie, ce plateau balayé de brise et baigné de lumière d'où l'œil perçoit avec intelligence le monde et le considère avec une pénétration nouvelle.
J'ai indiqué, un peu plus haut, qu'après s'être défait du sens des droits individuels, le disciple devait se défaire également du sens de la dignité personnelle et de la vertu. Ceci peut sembler une doctrine terrible, pourtant tous les occultistes savent bien que ce n'est pas une doctrine, mais un fait. Celui qui se croit plus saint qu'un autre, celui qui s'enorgueillit tant soit peu d'être affranchi du vice, ou de la déraison, celui qui se croit sage, ou supérieur de quelque manière à ses semblables, est incapable d'atteindre l'état de disciple. Un homme doit devenir comme un petit enfant avant de pouvoir entrer dans le royaume des cieux.
La vertu et la sagesse sont choses sublimes ; mais si, dans le mental de l'homme, elles créent un sentiment d'orgueil, avec une conscience d'être séparé du reste de l'humanité, elles ne sont que le serpent du soi réapparaissant sous une forme plus subtile. À tout moment, il pourra reprendre sa forme grossière et mordre aussi sauvagement que lorsqu'il inspirait les actions d'un meurtrier, tuant par désir de gain ou haine, ou celles d'un politicien, sacrifiant la masse à ses intérêts personnels, ou à ceux de son parti.
En réalité, avoir perdu le pouvoir de blesser implique que le serpent est non seulement percé de coups, mais tué. Lorsqu'il n'est qu'engourdi, ou endormi, il se réveille : le disciple se met alors à utiliser sa connaissance et son pouvoir à ses propres fins, et devient un élève des nombreux Maîtres de l'art noir, car la route qui mène à la destruction est très large et facile, et la voie peut se découvrir les yeux bandés. De toute évidence, c'est le sentier de la destruction car, lorsqu'un homme commence à vivre pour lui-même, il rétrécit progressivement son horizon jusqu'à ce que finalement ce mouvement acharné de retrait sur lui-même ne lui laisse plus que l'espace d'une tête d'épingle pour tout refuge. Nous avons tous été témoins de ce phénomène dans la vie ordinaire. Un homme qui devient égoïste se confine dans l'isolement, devient moins intéressant et moins agréable pour les autres. C'est un spectacle terriblement affligeant, et les gens finissent par fuir un être très égoïste, comme une bête de proie. Combien la chose est plus terrible encore lorsqu'elle se produit sur le plan plus avancé de la vie, avec en surplus les pouvoirs de la connaissance, et qu'elle se prolonge sur des incarnations successives !
C'est pourquoi je dis : arrêtez-vous, et réfléchissez bien sur le seuil.
Car si la demande du néophyte est formulée sans que la purification soit complète, elle ne pénétrera pas dans la retraite de l'adepte divin, mais évoquera les terribles forces qui veillent sur le côté noir de notre nature humaine. [Retour Table des matières]
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« AVANT QUE L'ÂME PUISSE SE TENIR DEBOUT EN LA PRÉSENCE DES MAÎTRES, SES PIEDS DOIVENT ÊTRE LAVÉS DANS LE SANG DU CŒUR »
Le mot âme, tel qu'il est employé ici, signifie l'âme divine, ou l'« esprit qui a la lumière d'une étoile ».
« Être capable de se tenir debout, veut dire avoir confiance » ; et avoir confiance signifie que le disciple est sûr de lui-même, qu'il a fait l'abandon de ses émotions, de son soi lui-même et, bien plus, de son humanité ; qu'il est inaccessible à la peur et insensible à la souffrance ; que toute sa conscience est centrée dans la vie divine, exprimée ici symboliquement par le terme " les Maîtres " ; qu'il n'a plus ni yeux, ni oreilles, ni langage, ni pouvoir, sinon dans le rayon divin que son sens le plus élevé a perçu — et pour ce rayon. C'est alors vraiment qu'il est sans peur, libre de toute souffrance, libre de tourment intérieur ou d'abattement ; son âme se tient debout — sans mouvement de recul, ni désir de remettre à plus tard — dans le plein éclat de la lumière divine qui le pénètre jusqu'à la dernière fibre de son être. C'est alors qu'il est entré en possession de son héritage et qu'il peut revendiquer sa parenté avec les instructeurs des hommes ; il se dresse, la tête haute, et il respire l'air même qu'ils respirent.
Mais avant que l'homme ait la moindre possibilité de réaliser cela, les pieds de l'âme doivent être lavés dans le sang du cœur.
Le sacrifice, ou l'abandon, que l'homme doit faire du cœur et de ses émotions est la première des règles ; il implique " l’accession à un état d'équilibre qui ne puisse être ébranlé par l'émotion personnelle ". C'est ce que réalise le philosophe stoïcien ; lui aussi, se tient à l'écart, et regarde d'un œil égal ses propres souffrances et celles des autres.
De même que les " larmes " symbolisent, dans le langage de l'occultiste, l'âme de l'émotion, et non sa manifestation matérielle, le " sang " signifie non pas le liquide désigné par ce mot, qui est un élément essentiel de la vie physique, mais le principe créateur vital à l'œuvre dans la nature de l'homme, qui l'entraîne dans l'existence terrestre pour lui faire expérimenter douleur et plaisir, joie et tristesse. Une fois qu'il a laissé ce sang s'écouler de son cœur, il se tient devant les Maîtres comme un esprit pur qui ne désire plus s'incarner par besoin d'émotion et d'expérience. Peut-être, dans les grands cycles du temps, son lot sera-t-il encore de vivre des incarnations successives dans la matière grossière ; mais il n'y aspire plus : le désir de vivre, dans sa forme brute, l'a abandonné. Lorsqu'il se revêt d'une apparence d'homme dans la chair, il le fait dans la poursuite d'un but divin, afin d'accomplir l'œuvre des " Maîtres ", et pour nulle autre fin. Il ne recherche ni plaisir ni douleur, ne demande aucun ciel, et ne craint aucun enfer ; cependant, il est entré en possession d'un grand héritage qui n'est pas tant une compensation pour les choses dont il a fait l'abandon qu'un état qui simplement en efface entièrement le souvenir. Désormais, il ne vit plus dans le monde, mais avec lui ; son horizon s'est étendu aux dimensions de l'univers tout entier.
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Notes
(1) Il est vrai que toute personne intéressée à l'Occultisme apprend en lisant Éliphas Lévi, et d'autres auteurs, que le plan de " l'astral " est un plan de forces déséquilibrées, et qu'il y règne nécessairement un état de confusion. Mais ceci ne s'applique pas au plan de " l'astral divin ", qui est un plan où prédomine la sagesse, et par suite l'ordre.
(2) Il s'agit du tableau " Wheel of Fortune " (la Roue de la Fortune) peint en 1883 par Sir Edward B. Burne-Jones (N.d.T.). [Retour Table des matières]
Karma
Considère avec moi l'existence individuelle comme une corde étendue de l'infini à l'infini, qui n'a ni fin ni commencement et ne saurait être rompue. Cette corde est formée d'innombrables fils ténus qui, en étant étroitement serrés ensemble, constituent son épaisseur. Ces fils sont incolores et parfaitement droits, résistants et lisses. En traversant tous les endroits, comme elle le fait, cette corde subit d'étranges accidents. Très souvent un fil s'accroche et reste attaché, ou éventuellement se trouve violemment écarté de sa ligne uniforme. Alors, pendant longtemps, il reste dérangé, hors de place, et il met le tout en désordre. Parfois, l'un de ces fils est souillé de saleté ou de couleur ; et non seulement cette souillure se propage plus loin que le point de contact, mais elle altère aussi l'aspect d'autres fils. Or souviens-toi que ces fils sont vivants — ils sont comme des fils électriques, que dis-je, comme des nerfs qui vibrent. À quelle distance, alors, ne verra-t-on pas se propager la souillure ou la distorsion ? Mais il se produit finalement que les longs cordons faits de ces fils vivants qui, dans leur continuité ininterrompue, forment l'individu, sortent de l'ombre pour entrer dans la lumière. Dès lors, ils ne sont plus incolores, mais dorés ; et à nouveau ils sont réunis ensemble, sans accroc : à nouveau l'harmonie est établie entre eux et, grâce à cette harmonie intérieure, l'harmonie plus grande est perçue.
Cette image ne présente qu'une petite partie de la vérité — un côté particulier, en fait : ce n'en est même pas un fragment. Pourtant garde-la dans ta pensée ; avec son aide, peut-être seras-tu amené à en découvrir davantage. Ce qu'il est nécessaire de comprendre, en premier lieu, c'est que le futur n'est pas arbitrairement formé par tel ou tel acte séparé du présent, mais que la totalité de l'avenir s'inscrit dans une continuité ininterrompue qui prolonge le présent, comme le présent le fait avec le passé. Sur un plan donné, et d'un seul point de vue, l'image de la corde est correcte.
Il est dit qu'un peu d'attention accordée à l'Occultisme produit de grands résultats karmiques. La raison en est qu'il est impossible de porter quelque intérêt à l'Occultisme sans faire un choix bien défini entre ce qu'on appelle familièrement le bien et le mal. Le premier pas en Occultisme conduit l'étudiant à l'arbre de la connaissance. Il doit cueillir et manger ; il doit choisir. Il ne lui est plus loisible d'être indécis par ignorance. Il s'avance sur le sentier du bien ou sur celui du mal. Et dans cette démarche déterminée, accomplie en connaissance de cause, faire ne serait-ce qu'un seul pas, sur l'un ou l'autre de ces sentiers, produit de grands résultats karmiques. La masse des hommes marche d'une façon indécise, sans savoir clairement vers quel but ils tendent ; ce qui règle leur conduite de vie n'est pas bien défini ; par conséquent, leur karma opère d'une manière confuse. Mais une fois atteint le seuil de la connaissance, la confusion commence à diminuer et, par suite, les résultats karmiques prennent une énorme ampleur, vu qu'à ce moment tous agissent dans le même sens sur les différents plans : car l'Occultiste ne peut avoir le cœur partagé et, une fois qu'il a franchi le seuil, il ne peut plus retourner en arrière. Ce sont des choses aussi impossibles que pour l'homme de redevenir l'enfant qu'il était. En raison de sa croissance, l'individualité s'est approchée de l'état de responsabilité : elle ne peut plus reculer pour s'en écarter.
Celui qui veut échapper aux chaînes de karma doit élever son individualité, de la zone d'ombre à la lumière ; il doit amener son existence à une hauteur telle que ces fils n'entrent pas en contact avec des substances salissantes, et ne viennent pas à s'attacher au point de s'en trouver distendus. Il s'agit simplement de s'élever hors de la région où karma opère, sans abandonner pour autant l'existence dont on fait l'expérience. Il peut arriver que le sol soit rugueux et malpropre, ou que le chemin offre plein de riches fleurs dont le pollen tache, et de sucreries qui collent aux doigts et deviennent des attaches — mais là-haut, au-dessus de la tête, il y a toujours le libre ciel. Celui qui désire être exempt de karma doit chercher sa demeure dans l'air, et ensuite dans l'éther. Celui qui désire se créer un bon karma va au-devant de bien des confusions et, dans son effort de semer la graine féconde pour sa propre moisson, il a bien des chances de planter des milliers de mauvaises herbes, parmi lesquelles l'ivraie géante. Ne désire semer aucune graine pour ta propre moisson ; désire seulement semer la graine dont le fruit nourrira le monde. Tu es une partie du monde : en lui donnant de la nourriture, tu te nourris aussi toi-même. Mais cependant dans cette pensée même se cache un grand danger qui vient à surgir face au disciple, persuadé qu'il était depuis longtemps de travailler pour le bien, alors qu'au plus profond de son âme il ne faisait que percevoir le mal ; c'est-à-dire qu'il se croyait mû du désir d'apporter un grand bien au monde, alors que tout ce temps il caressait inconsciemment l'idée de karma et qu'à lui-même, en définitive, était destiné ce grand bien pour lequel il oeuvrait. Un homme peut refuser de s'autoriser à penser à la récompense. Mais, dans ce refus même, il apparaît manifeste que la récompense est désirée. Et il est inutile pour le disciple de s'efforcer d'apprendre en refoulant sa nature. L'âme doit être déliée de toute entrave, les désirs laissés libres. Mais tant que ces désirs ne sont pas attachés uniquement à l'état où il n'y a ni récompense ni punition, ni bien ni mal, c'est en vain que le disciple se lance dans sa démarche. Il pourra donner l'impression de faire de grands progrès mais, un beau jour, il se trouvera face à face avec son âme et reconnaîtra qu'en parvenant à l'arbre de la connaissance c'était le fruit amer qu'il avait choisi et non celui à la saveur douce ; alors, le voile tombera entièrement : il abandonnera sa liberté, pour devenir l'esclave du désir. C’est pourquoi, sois prévenu, toi qui ne fais encore que songer à la vie de l'Occultisme. Apprends, dès maintenant, qu'il n'existe aucun remède au désir, aucun remède à l'amour de la récompense, ni aucun remède aux déchirements de la convoitise, si ce n'est en fixant la vue et l'ouïe sur ce qui est invisible et inaudible. Mets-toi dès maintenant à cette pratique, et ainsi, des milliers de serpents seront écartés de ton sentier. Vis dans l'éternel.
Le disciple n'a pas lieu d'étudier les opérations des lois réelles de karma, tant qu'il n'a pas atteint le point où elles ne l'affectent plus. C'est un droit réservé à l'initié de revendiquer les secrets de la nature, et de conna1tre les règles gouvernant la vie humaine. C'est pour avoir échappé aux limitations de la nature et aux règles gouvernant la vie humaine qu'il a obtenu ce droit. Il est devenu un fragment reconnu de l'élément divin, et il n'est plus affecté par ce qui est temporaire. C'est alors qu'il gagne une connaissance des lois qui régissent les conditions temporaires Ainsi, toi qui désires comprendre les lois de karma, essaie d'abord de te libérer de ces lois. Mais tu n'y parviendras qu'en fixant ton attention sur ce qui échappe à l'emprise de ces lois. [Retour Table des matières]
Correspondance
À la suite de la note (*) invitant les lecteurs à poser des questions pour éclairer le sujet traité, l'auteur fit publier ses réponses au courrier reçu dans la revue Lucifer (1) (numéros d'octobre et novembre 1887). L'essentiel de cette correspondance est donné dans ce qui suit. (N.d.Ed.).
Lucifer, I, pp. 138-9 : À l'auteur de la Lumière sur le Sentier : « Il y a dans vos Commentaires une phrase qui m'a rempli d'un sentiment d'irritation : " Gagner la connaissance par la voie de l'expérience est une méthode trop fastidieuse pour ceux qui aspirent à accomplir un réel travail " etc... Avons-nous une connaissance quelconque, dont l'utilité s'est révélée dans le monde, qui ait été obtenue autrement que par l'expérience ? C'est par un travail patient et persistant de tri et de vérification que nous avons gagné le peu de connaissance qui nous sert. Y a-t-il, d'autre part, quelque chose comme une " intuition certaine " ? La connaissance intuitive — si elle existe — a-t-elle jamais été acceptée comme connaissance positive avant d'avoir été soumise au test de l'expérience ? Conviendrait-il qu'elle le soit ? Votre illustration évoquant " l'ouvrier décidé " ramène la question (comme il me paraît nécessaire de le faire) au plan de la pratique. Peut-on trouver un ouvrier capable de connaître ses outils sans les essayer au préalable ? L'histoire de la connaissance n'est-elle pas l'histoire d'intuitions soumises à l'épreuve de la pratique ? À ce qu'il me paraît, les intuitions (ou ce que nous appelons ainsi) sont tout aussi capables et susceptibles de nous tromper que n'importe quoi dans le monde : nous ne connaissons leur bien-fondé qu'en les mettant à l'essai. » ‒ Un questionneur.
Réponse. Il y a, me semble-t-il, une certaine confusion dans cette lettre entre le fait d'obtenir une connaissance par l'expérience et celui de l'éprouver par l'expérience. Edison savait que ses découvertes étaient seulement des choses à rechercher, et il mettait sa connaissance à l'épreuve par l'expérience. Tout le travail des grands inventeurs consiste à amener la connaissance intuitive au plan de la pratique en appliquant le test de l'expérience. Mais tous les inventeurs sont des voyants ; et certains d'entre eux, mourant avant d'avoir pu mettre en pratique les pouvoirs qu'ils savaient exister dans la nature, sont pris pour des fous. Plus tard, il arrive que d'autres hommes aient plus de chance et redécouvrent la connaissance qui avait été tournée en ridicule. C'est une vieille histoire bien connue, mais nous avons besoin sans cesse qu'on nous la rappelle Combien souvent ne voit-on pas de grands musiciens, ou de grands artistes, considérés comme des " enfants prodiges " dès leur jeune âge ? Ils ont la connaissance intuitive du pouvoir dont ils sont des interprètes d'élection, et l'expérience ne leur sert qu'à découvrir le moyen de donner aux autres ce qu'ils savent.
Assurément, la connaissance intuitive en rapport avec les sujets dont j'ai traité doit être soumise à l'épreuve de l'expérience, et c'est justement le propos de la Lumière sur le Sentier et de ces Commentaires de pousser les hommes à tester leur connaissance dans cette voie. Mais la différence cruciale entre cette forme de connaissance et les autres qui sont de nature matérielle réside en ceci : pour toutes les fins occultes, l'homme doit gagner sa propre connaissance avant de pouvoir l'utiliser. Il y a bien des gens " assujettis au temps " qui se contentent de traîner en chemin pendant des éons de lent développement, et de passer finalement le seuil de l'éternité par la simple force de la grande roue de la vie avec laquelle ils tournent ; il peut arriver au cours de leur interminable noviciat qu'ils obtiennent une connaissance par l'expérience, et avec des outils bien éprouvés. Il n'en est pas ainsi pour le pionnier, celui qui exige dès maintenant son héritage divin. Il doit oeuvrer comme l'ont fait les grands artistes, les grands inventeurs : gagner la connaissance par l'intuition et avoir une telle foi sublime dans sa propre connaissance que sa vie en soit consacrée sans hésitation à la mettre à l'épreuve.
Mais, pour cela, l'épreuve doit avoir lieu effectivement dans la vie astrale. Dans un monde nouveau, où l'emploi des sens est une souffrance, comment l'ouvrier peut-il rester pour mettre à l'essai ses outils ? Ici s'applique l'histoire bien connue du bon ouvrier qui ne trouve jamais rien à redire de ses outils — aussi mauvais soient-ils — encore que, naturellement, il préfèrerait les meilleurs s'il en avait le choix.
Quant à savoir si la connaissance intuitive existe ou non, je peux seulement demander comment sont nées les philosophies, la métaphysique, les mathématiques, etc. Ce sont toutes des représentations partielles de la vérité abstraite [...]. [Retour Table des matières]
Questions et réponses - I - II - III - IV - V - VI
I - Lucifer, I, pp. 226-229
Question. « Que sont en réalité les sens appelés astraux dans le livre ? Ne s'agit-il pas de sens réellement spirituels, capables de saisir directement l'essence intérieure des choses et de l'interpréter ? Assurément, on ne pourrait dire que le psychique ou le clairvoyant ordinaire fait usage de ces sens astraux, même s'il perçoit des choses que nous ne voyons pas. Il serait bon d'expliquer cela. » B.K.
Réponse. Les sens appelés astraux dans les Commentaires sur La Lumière sur le Sentier sont à coup sûr les sens qui perçoivent l'essence intérieure, qui ont connaissance de la vie sous-jacente à toute forme de matière. Le psychique, ou le clairvoyant ordinaire, ne fait que percevoir d'autres formes de matière que celles que nous voyons ordinairement, et il les perçoit comme un enfant perçoit au début les formes de ce monde-ci, sans en comprendre la signification. Par contre, les sens astraux dont j'ai parlé font passer au delà de la matière, et donnent à l'homme la lumière sur toute forme de vie qui l'intéresse en particulier. Ils font voir au poète, au peintre et au compositeur, les choses qu'eux-mêmes expriment aux autres hommes qui considèrent ces grandes figures comme des êtres d'un autre ordre, qui ont le don du génie. C'est bien ce qu'ils sont, et la vigueur de ce génie les transporte au sein de la vie intérieure où se révèlent la signification profonde, l'harmonie et l'indéfinissable objet de tout désir. Wordsworth (2) a eu cette vision dans la nature ; il a reconnu la présence de " l'esprit dans les forêts " — non les nymphes des bois, mais l'esprit divin de paix qui enseigne une leçon de vie. Richard Jefferies (3) a saisi lui aussi cette présence dans la nature, comme sans doute nul autre ne l'avait jamais fait : par-delà ce monde visible limité, il a perçu l'univers invisible infini et, avant de mourir, il avait commencé aussi à découvrir que le monde visible n’existe pas. Seul, peut-être, Turner (4) pourrait être mis en parallèle. En parlant de " monde invisible ", je dois répéter encore que je n'entends pas ce que les spirites désignent par ce mot : je veux dire le monde sans forme. C'est la limite la plus éloignée que puisse atteindre la conscience de l'homme ; et encore, seule l'âme pure — dans ce qui l'apparente à une étoile — peut devenir avertie de son existence. Ce n’est pas la nature divine de l'homme ; cependant, qu'il soit poète, peintre ou occultiste, I'homme qui pénètre dans ce monde avec en lui un respect religieux pour le grand miracle de la vie ne peut y entrer qu'avec l'aide de sa nature divine. L'âme qui y accède sans ce respect est incapable de supporter l'épreuve de son atmosphère extrêmement raréfiée et se détourne vers la sphère de l'astral psychique pour y vivre. Ce sont de telles gens qui tombent dans la folie ou le suicide d'une manière plus ou moins prononcée, comme le font les hommes qui refusent de s'installer dans une forme quelconque d'existence physique qui ne soit pas la plus grossière et la plus simple. Il y a une loi de la vie qui pousse en avant les êtres humains — appelez-la la loi d'évolution, de développement, ou ce que vous voudrez ; et de ce fait, un homme ne peut pas plus aller vers le bas sans souffrir qu'un arbre ne peut être mis à l'envers, avec ses branches dans le sol, et non ses racines, sans en être perturbé — et finalement mourir.
Je propose d'employer deux expressions qui m'ont été suggérées : l'astral psychique et l'astral divin. C'est, me semble-t-il, la seule façon de me faire comprendre, car le mot astral a deux significations : celle qui lui revient en propre, par dérivation du sanskrit stri (répandre de la lumière (5) et celle qu'il a reçue par l'usage de tous les auteurs parlant d'Occultisme. Paracelse s'appropria le mot pour qualifier toutes choses sidérales, soumises à la lune et aux étoiles, faisant partie intégrante de cet univers matériel — même s'il s'agissait (selon l'expression de Dryden) des " plus purs atomes de l'air ". Dans cette compréhension, les spirites et psychiques ont le droit de coutume de l’employer comme ils le font, pour décrire leur monde de formes subtiles. Ainsi, dans ce sens, une forme " astrale " est l'image que revêt l'âme de l'homme encore possédée par les passions qui la rendent humaine ; et, de même, les sens " astraux ", loin de percevoir la suprême splendeur éthérée que Shelley a exprimée dans son Prométhée délivré, ne font qu'ouvrir sur une sphère d'apparences et de formes ne différant guère de celles dont nous sommes revêtus actuellement, et gardant encore une nature nettement matérielle. Dans les Commentaires sur la Lumière sur le Sentier, au lieu de " l'homme astral ", il eût donc fallu écrire " l'homme astral divin ", pour marquer l'évidente différence de signification accordée au mot par l'auteur et par tous ceux qui ont écrit par ailleurs sur l'Occultisme. [Retour Table des matières]
II
Q. – « Les sens astraux ne sont-ils pas utilisés par tout grand poète, ou inventeur, bien qu'il n'ait aucune vision par clairvoyance — c'est-à-dire qu'il ne perçoit pas 'élémentaux, d'images ou de formes astrales, etc. ? » Faust.
R. - La réponse à cette question semble contenue dans la précédente qui invite clairement à concevoir le mot " astral " dans son sens divin. [Retour Table des matières]
III
Q. 1. - " Il existe une loi de la nature qui exige qu'un homme déchiffre ces mystères par lui-même ". Tous les hommes en quête du sentier occulte feront-ils la même lecture de ces mystères, ou bien chaque individu trouvera-t-il l'interprétation qui s'adaptera en particulier au stade propre de son développement ? Il n'y a pas deux êtres qui perçoivent de façon tout à fait semblable les mystères contenus dans la Bhagavad-Gîtâ : chacun saisit les lueurs qu'il est capable d'assimiler, sans plus.
R. Ces mots formulent plus l'énoncé d'une vérité qu'une question : on ne peut guère y répondre qu'en présentant les choses sous des mots différents — et peut-être moins bons.
Q. 2. – « Le monde extérieur est-il la réflexion du monde intérieur — à la manière d'une reproduction estompée, et d'une facture malhabile, la réalité étant ce qui se trouve à l'intérieur ? »
R. - C'est ce qui devrait être. Mais les matérialistes ont placé leur sens de la réalité au niveau " estompé " de la vie.
Q. 3. – « Comment développer l'intuition permettant de saisir d'un trait la connaissance ? »
R. - Pour autant que je sache, il n'y a pas d’autre moyen qu'en menant la vie d'un disciple.
Q. 4. – « Les lois de la sur-nature sont-elles limitées dans leur portée à leur seul domaine, ou bien peut-on faire qu'elles se réfléchissent ici-bas — intactes, et dans toute leur pureté — pour gouverner l'existence physique ? »
R. - Assurément, il faudrait qu'il en soit ainsi. Mais c'est un cas rare : en y parvenant l'homme deviendrait divin — un Bouddha !
Q. 5.- Par " Être incapables de pleurer ", ne faut-il pas comprendre que, si les émotions physiques sont enfouies dans l'aspect intérieur de la nature physique, l'effusion des larmes devient impossible, du fait qu'elles sont une expression extérieure de cette nature physique, tandis que les émotions psychiques sont (pour employer un terme de la science physique) d'une nature vibratoire ?
R. - " La Lumière sur le Sentier est entièrement écrite en langage chiffré de caractère astral ", comme il est dit au début même des Commentaires. Aussi, en aucun cas, le mot " larmes " ne désigne-t-il les larmes physiques. C'est le seul terme pouvant donner une idée quelconque de l'humidité de la vie — ce qui s'exhale de l'âme humaine dans son expérience de la sensation et de l'émotion, et dans la passion de la soif qu'elle éprouve pour elles.
Q. 6. – « Comment doit-on " saisir d'une poigne ferme le serpent du soi et le vaincre " ? »
R. - C'est le grand mystère que chaque homme doit résoudre par lui-même. [Retour Table des matières]
IV
Wallasey, 1er octobre. « À propos de ces Commentaires publiés dans le premier numéro de Lucifer, puis-je demander si, au lieu de la forme limitée qu'il revêt ici, le paradoxe ne serait pas plus vrai et plus fort en l'exprimant dans son entier en ces termes : " Avant que les yeux puissent voir, ils doivent être incapables de pleurer ; cependant, avec des yeux incapables de pleurer nul ne saurait voir " c'est-à-dire voir le bien, ou Dieu ? J'imagine que par ces mots : " C'est pourquoi l'âme de l'Occultiste doit devenir plus forte que la joie et plus forte que la douleur ", il faut comprendre qu'il ne doit pas rechercher la joie, ni craindre la douleur, et non qu'il doit devenir incapable d'éprouver joie ou douleur. Il serait possible de faire cette interprétation : " Avant que les yeux puissent voir ils doivent être... sans larmes ", c'est-à-dire secs — en fait, morts ! De toute évidence, ce n’est pas l'intention de l'auteur, n'est-ce pas ? Sincèrement vôtre, A.E.I. »
R. - Une fois encore, je dois rappeler ce qui est énoncé au début des Commentaires : la Lumière sur le Sentier est écrite en langage de caractère astral. Ainsi, les larmes ne désignent pas les larmes des yeux physiques mais les gouttes de pluie produites par la vie de passion de l'âme humaine. Quand ces effusions sont arrêtées pour toujours, la vision astrale n'est plus aveuglée ni troublée. Alors s'expriment amour et charité divine, quand le désir personnel est mort. Et ce qui était joie et douleur, pour soi, trouve naturellement une place différente de celle qui était occupée auparavant. [Retour Table des matières]
V
Q. 1. – « Je désire très fortement obtenir la maîtrise du " soi ". Si, pour y parvenir, j'emploie les moyens occultes (qui ne me semblent pas s'écarter de l'expérience ordinaire des chrétiens), devrai-je sacrifier un seul iota de ma croyance dans le pouvoir du Christ ? »
R. - Il ne peut (et ne doit) pas arriver que vous ayez à sacrifier un seul iota de votre croyance dans le pouvoir de l'esprit du Christ ; elle devrait plutôt s'accroître car cet esprit est la même transcendance divine qui a inspiré tous les Rédempteurs.
Q. 2. – « Si je me soumets aux conditions occultes qui me permettraient de graver " dans mon cœur et dans ma vie " les quatre premières règles de la Lumière sur le Sentier, ces conditions me permettront-elles de prier pendant tout ce temps pour recevoir l'aide et la force divines du Christ éternel, qui a franchi le portail, ouvert la " voie ", et qui, à ce que je crois, est le " Maître des Maîtres ", le " Seigneur des Anges " ? »
R. - Il importe très peu de définir par quel nom vous désignez le Maître des Maîtres, sachant que pendant tout ce temps c'est à " Son " (6) pouvoir que vous faites effectivement appel.
Q. - 3. « Que faut-il comprendre par ces mots : " le disciple (...) doit alors si bien sceller les portes de son âme, que ni consolateur ni ennemi ne puisse y avoir accès " [P. 85]. Faudrait-il nous couper de tout désir de recevoir la sympathie, la force et le soutien de l'esprit d'un Être qui a dit : " Nul homme ne vient au Père si ce n'est par moi ", et qui a bu la coupe de douleur jusqu’à la lie, par amour de la Fraternité ? » L.H.Ff.
R. - L'homme ne peut trouver aucune source de consolation en dehors de l'Esprit Divin qui est en lui. Considéré d'un certain point de vue, le récit de la vie de Jésus n'est-il pas une illustration de cette vérité ? Dans quel terrible isolement n'a-t-il pas vécu et trouvé la mort ? Ses disciples — même ceux qui étaient les plus aimés de Lui — furent incapables d'atteindre Son esprit dans les moments sublimes qu'il vécut, ni aux heures de ses plus vives souffrances. Il en est de même de tout individu qui, par son effort, s'élève — même dans une bien faible mesure — au-dessus de la vie humaine ordinaire. La solitude devient un état familier, car à ce stade rien de personnel — pas même un Dieu personnel — ne peut plus réconforter ou redonner courage. [Retour Table des matières]
VI
Q. – « Y a-t-il un risque de se tromper soi-même ? Peut-on entrer dans le sentier si graduellement que l'on ne se rende compte d'aucun changement radical traduisant une transformation de la vie, ou l'accession à un stade donné de progrès ? Qu'en est-il de celui qui n’a jamais éprouvé de grand chagrin durable, ni de joie extrême mais qui, au milieu des plaisirs et des peines, s'efforce de ne pas oublier les autres et de se représenter que sa joie n'est guère méritée tandis que son chagrin ne pèse pas lourd au regard de la grande douleur universelle ? Comment un tel individu sera-t-il amené à franchir les portes ? Par quel signe les reconnaîtra-t-il ? » Y.H.
R. - Il lui est difficile d'avoir une connaissance quelconque de ce qui se trouve sous la surface de sa nature tant qu'elle n'a pas été mise à l'épreuve par les expériences les plus âpres de la vie. Mais, bien sûr, en songeant à la théorie de la réincarnation, il est possible que ces expériences remontent désormais au passé. Un signe immuable marque le passage des portes : le sentiment que joie ou douleur personnelle n'existe plus. Le disciple vit pour l'humanité, non pour lui-même, il oeuvre pour toutes les créatures qui souffrent, au lieu d'avoir connaissance que lui-même est dans la souffrance. [Retour Table des matières]
Notes complémentaires
À propos de l'identité de l'Auteur - Chronologie des textes réunis dans l'ouvrage - À propos de l'Occultisme
1. À propos de l'identité de l'auteur
Publié à Londres en 1885 sous le titre Light on the Path, le texte de cet ouvrage avait été transcrit (ou rapporté par écrit) par Mabel Collins (dont les initiales apparaissent sur la page de titre) mais, de l'aveu même de celle-ci, il lui avait été inspiré directement par un personnage inconnu d'elle, signant ses communications d'un simple triangle.
Écrivain et journaliste connue en Angleterre, Mabel Collins avait commencé très tôt (vers 1875) une carrière littéraire, qui allait se poursuivre jusqu'à sa mort en 1927. C'est vers la fin de 1884 qu'elle devint membre de la Theosophical Society à Londres ; à cette époque, elle venait d'écrire une oeuvre qui tranchait beaucoup par rapport à ses livres précédents : L'Idylle du Lotus Blanc. Cette très belle histoire mystique, qui se déroulait dans un temple de l'Égypte ancienne, se révéla, à l'analyse qu'en fit un éminent Occultiste hindou, T. Subba Row, comme une fidèle description allégorique des épreuves et difficultés auxquelles doit faire face le néophyte (représentant ici l'âme humaine dans son évolution spirituelle).
À la question légitime qui se posait alors sur la source de ces informations de caractère ésotérique, la signataire du livre avait répondu d'avance par cette dédicace :
" Au véritable Auteur, l'inspirateur de cet ouvrage ".
D'après les descriptions fournies plus tard par Mabel Collins sur ce mystérieux personnage, Mme Blavatsky put l'identifier sans peine à un adepte vivant, d'origine grecque, bien connu d'elle depuis des années, avec lequel elle avait eu l'occasion de rédiger quelques nouvelles occultes.
C'est effectivement ce même adepte — disciple confirmé des Maîtres dont Mme Blavatsky se réclamait — qui, une fois de plus, tira parti des dispositions psychiques favorables de Mabel Collins, aussi bien que de son talent littéraire, pour communiquer au monde occidental, dans une langue usuelle, les trésors spirituels de la Lumière sur le Sentier, en guidant également la rédaction des Notes et Commentaires qui font suite. Cependant, c'est à une source bien plus élevée encore qu'il faut attribuer l'inspiration initiale des règles qu'il a énoncées dans le livre. Comme il le précise lui-même (Commentaire - I - ) : " Aucune n'est de ma création, ni de mon invention ". Et, de fait, à la lecture du texte, Mme Blavatsky reconnut sans peine mainte phrase familière et mainte expression caractéristique rappelant étroitement un très ancien recueil de traités purement occultes, inconnu en Occident : Le Livre des Précepte d'Or (7). C'est d'ailleurs de cette précieuse somme d'écrits spirituels qu'elle traduisit elle-même, pour ses disciples, les trois recueils qui sont inclus dans la Voix du Silence, cette perle des livres mystiques publiée en septembre 1889.
Bien entendu, l'intérêt du présent ouvrage ne tient pas à la manière très particulière dont il a été transmis au public. Si, comme l'a écrit H.P. Blavatsky (en juin 1889) : " Cet inestimable petit livre occupe une place tout à fait éminente dans la littérature théosophique, surtout pour ceux qui ont le désir de parcourir ce sentier ", c'est évidemment en raison de la valeur intrinsèque de ses enseignements, qui s'harmonisent avec ceux de la Voix du Silence.
En 1887, à la suite de ce livre, devenu vite un classique, Mabel Collins publia un nouvel ouvrage, Par les Portes d'Or, qui révèle encore une indiscutable inspiration spirituelle.
Dans la remarquable analyse qu'il en fit, en mars 1887, W.Q. Judge (qui fut l'âme du mouvement théosophique en Amérique) écrivit notamment :
" Bien que le nom de l'auteur n'en soit pas révélé, l'étudiant en Occultisme ne tardera pas à discerner que ce texte doit provenir d'une source d'un très haut niveau. Sous certains aspects, on peut le considérer comme un commentaire de la Lumière sur le Sentier. Et le lecteur fera bien de s'en souvenir car beaucoup de points en deviendront clairs à la lecture de ce nouveau livre. "
Cette fois, dans le Préambule de ce troisième témoin de son ouvre inspirée, Mabel Collins précisa un peu de quelle manière elle avait été conduite à " transcrire " cet ouvrage :
" Un jour que j'étais assise, seule à écrire, un mystérieux visiteur entra sans s'annoncer dans mon cabinet de travail et vint se placer à côté de moi. J'oubliai de lui demander qui il était, ou pourquoi il était entré avec si peu de cérémonie, car il se mit à me parler des Portes d'Or. Il parlait avec l'autorité de la connaissance, et si enflammé était son langage que j'eus la foi. J'ai noté ses paroles ; mais hélas ! je ne puis espérer que le feu brillera aussi intensément dans mon écrit que dans ses mots. "
À coup sûr, ces lignes pourraient servir aussi d'avertissement au lecteur des deux précédents volets de cette sorte de trilogie, en l'invitant à retrouver la flamme authentique dont les mots écrits ne sont toujours que des expressions limitées. [Retour Table des matières]
2. Chronologie des textes réunis dans l'ouvrage
La première édition anglaise, qui remonte au début de 1885, se réduit à un livret de 31 petites pages, offrant uniquement la double série de 21 règles qui forment la base du livre. C'est dans la seconde édition (de fin 1886) que parurent les Notes adjointes aux règles. Enfin, la publication des Commentaires, qui complètent l'ensemble, ne cornmença que l'année suivante dans la revue Lucifer (1), lancée en septembre 1887 par Mme Blavatsky. Ils se présentent comme quatre textes distincts insérés successivement en septembre, octobre et novembre 1887, et janvier 1888.
Selon Mabel Collins, le document intitulé Karma — qui appartient à la même veine d'inspiration — avait été écrit le 27 décembre 1884. La rédaction du livre lui-même avait commencé en octobre 1884.
3. À propos de l'Occultisme
Dans le contexte de la Lumière sur le Sentier, l'Occultisme (mot très dévalué de nos jours, en raison d'un emploi abusif) ne désigne pas les sciences ou arts " occultes " ordinaires qui, le plus souvent, relèvent du monde psychique, dont l'égoïsme et l'orgueil ne sont pas exclus, mais la science spirituelle, et l'art correspondant, dont le disciple s'inspire pour se libérer de ses entraves et atteindre la sphère transcendante (inaccessible aux sens et ouverte à l'initié, donc occulte) que ce livre appelle en plusieurs occasions la " sur-nature " où l'âme retrouve la lumière divine de son étoile intérieure.
Les éditeurs, Paris, 1988.
Notes :
(1) Le titre de cette revue, fondée par Mme Blavatsky, évoque naturellement le " porteur de lumière " (N.d.T.).
(2) Poète anglais (1770-1850) dont les oeuvres sont empreintes d'un profond sentiment romantique de la nature (N.d.T.).
(3) Auteur anglais (1848-1887), exceptionnel observateur de la nature, connu pour ses livres dépeignant la campagne avec une admirable variété de nuances, qui dénote une communion intime avec la vie profonde qui s’y cache (N.d.T.).
(4) Peintre anglais (l775-1851) célèbre pour ses paysages presque irréels, baignés d'une lumière diaphane (N.d.T.).
(5) D'où le grec aster (et le français astre), ainsi que l'anglais star (étoile) (N.d.T.).
(6) En anglais le possessif neutre Its, employé à dessein, souligne que ce pouvoir n’est pas celui d'un être personnel (masculin ou féminin) mais d'une réalité transcendante et transpersonnelle (N.d.T.).
(7) Dans la préface de la Voix du Silence, il est précisé que Le Livre des Préceptes d 'Or appartient à la même série que celle d'où sont tirées les Stances de Dzyan qui forment la base de la Doctrine Secrète. (N.d.T.) [Retour Table des matières]