Le problème de la conscience est un problème d'une grande importance dans la philosophie de la Théosophie. Le sens du terme demande à être approfondi, car nous oublions la compréhension que nous avons de ce qu'il signifie quand nous parlons de conscience animale, de conscience égoïque [voir Note 1] ou de conscience cosmique.
Nous savons que généralement nous prenons le terme conscience dans le sens d'être averti, ou conscient, de « quelque chose ». Il faut qu'il y ait « quelqu'un » pour être conscient de « quelque chose ». Ce « quelqu'un » – ce centre de conscience – peut être très peu sensible aux autres « quelqu'un » (comme c'est le cas dans les règnes inférieurs de la nature) ou semi-sensible, au fur et à mesure que la vie progresse en s'élevant à travers les règnes inférieurs, ou pleinement sensible quand l'évolution au stade humain atteint son apogée. Et nous nous demandons : Qu'est-ce qui crée ces différences ?
Celui qui est conscient et la chose dont il est conscient doivent être unis par un pouvoir, le pouvoir de percevoir ou d'être conscient. Il y a donc trois choses : le perceveur, le pouvoir de perception et l'objet de perception. Pour qu'un pouvoir puisse fonctionner, il faut qu'il y ait une forme à travers laquelle il puisse s'exprimer – d'où la grande diversité des formes qui composent un univers.
Quand nous pensons à la Monade Humaine, nous savons qu'elle est réellement une trinité composée d'Atma, l'Esprit ; de Buddhi, son véhicule ; et de Manas, son « principe conscient » [voir Note 2]. Atma est la Conscience, qui ne peut percevoir aucune limitation, aucune division ; Buddhi est son véhicule et, comme tel, est inconscient des divisions qui sont en lui ; Manas est le pouvoir de percevoir de telles divisions. Puisque tout est en fait Atma ou Esprit, Atma est le perceveur en toutes formes. Manas est le pouvoir de perception, et Buddhi est le véhicule au travers duquel cette perception fonctionne.
Manas peut être le Mental Universel ou la conscience sur n'importe quel plan, ou bien il peut être concentré dans une forme, de telle sorte que le pouvoir de percevoir focalisé dans cette forme soit capable de percevoir les autres formes comme séparées de lui et de se voir lui-même comme une entité. C'est là le stade humain.
Dans le règne humain, Manas est lié à Buddhi forme une entité définie qu'on appelle l'Ego. La tâche de l'Ego, dans le règne humain, consiste à devenir conscient de chaque partie de l'univers, et de conserver la conscience de lui-même en tant que Atma-Buddhi-Manas ; le Divin, quand il fonctionne sur le plan d'Atma-Buddhi, l'aspect universel de la vie, et aussi quand il agit sur les plans inférieurs de la matière. L'homme, l'homme divin, se perçoit lui-même comme Perceveur, le pouvoir de perception et l'objet perçu.
Quand nous essayons de comprendre ce mystère, nous, l'Ego humain [la personnalité] (Kama-Manas, le rayon du principe conscient de la Monade fonctionnant comme une entité, ou l'Ego uni à Kama [le principe des désirs et passions]) commençons à percevoir cet aspect en nous-mêmes. Avec le temps, nous découvrons que la trinité est dans toutes les formes, bien que sa lumière n'y brille pas de la même manière. Mais nous en sommes actuellement au stade où nous percevons l'existence ou l'influence des objets matériels et de la réflexion ou de la reconstitution que nous en donne à sa manière le mental Kama-Manasique [personnel]. Nous apprenons que notre conscience Kama-Manasique doit devenir Buddhi-Manasique [Spirituelle], c'est-à-dire, Manas Taijasi [un Mental Spirituel lumineux et impersonnel]. Est-ce le rayon de l'Ego supérieur, en nous, qui fonctionne quand notre manière d'agir est si éloignée de celle de Manas, ou bien est-ce l'ego Kama-Manasique ? Notre Ego restera-t-il endormi jusqu'à ce que nous soyons parfaits ? Sinon, quel est son état de conscience, de qui est-il conscient tout le temps ?
Dans les Transactions of the Blavatsky Lodge (Ed. Theosophy Company, p. 29), il est dit : « alors que la Conscience n'est pas une chose en elle-même, le Mental est clairement une Entité – au moins dans les fonctions qu'il exerce durant le Manvantara [l'Univers en cours de manifestation] »
Que fait-il pendant que nous sommes éveillés ou endormis ? Il nous est dit dans les Transactions : « ... notre Ego vit sa propre vie séparée à l'intérieur de sa prison d'argile dès qu'il s'affranchit des entraves de la matière, c'est- à-dire pendant le sommeil de l'homme physique » (p. 60). Et il est ajouté :
« Pendant les heures de veille, les pensées et la Voix de l'Ego supérieur parviennent ou non à toucher le geôlier — l'homme physique — car elles constituent la Voix de sa Conscience ... Si endormies sont les facultés spirituelles — tellement l'Ego est entravé par la matière — qu'Il [voir Note 3] ne peut guère donner toute son attention aux actions de l'homme, même si ce dernier commet des péchés pour lesquels cet Ego — une fois réuni à son manas inférieur — devra souffrir conjointement dans l'avenir. » (pp. 61& 62).
Quelles sont les pensées de cet Ego ? Ses pensées sont des actions. Sa vision porte directement sur les idées. Il est susceptible d'être troublé par les actions mauvaises de son rayon incarné dans la forme humaine. C'est donc une entité consciente – consciente de l'extérieur et consciente de l'intérieur – car il se connaît comme étant lui-même. Sa conscience est « sur un tout autre plan que le nôtre ». Il est plus ou moins endormi en ce qui concerne ce plan matériel, excepté à travers le rayon qu'il émane de lui-même pour une incarnation particulière. Pourquoi ? Parce que, une fois incarné, ce rayon se trouve pris dans les filets de Kama [les désirs] et des impressions des sens. Les véhicules qui lui permettent de s'exprimer et par lesquels il perçoit sur les plans inférieurs ne sont pas purs. Quand ils sont purifiés, la Lumière brille dans toute « la cité aux neuf portes qui est sa demeure », et l'homme devient un Homme Egoïque.
Comment pouvons-nous élever ces véhicules ? La réponse n'est-elle pas dans l'enseignement que l'action et le comportement des véhicules dépendent du centre vers lequel ils gravitent, que soit vers l'Ego Supérieur ou vers l'homme animal inférieur ? Quand l'impulsion qui leur est donnée est psychique, c.-à-d., personnelle dans sa nature, la conscience Egoïque est incapable de faire sur eux la moindre impression. Quand l'impulsion est noétique [spirituelle], c.-à-d., de la même nature que l'Ego, alors l'Ego peut marquer son empreinte sur ses véhicules et fonctionner à travers eux.
Ne donnerons-nous donc pas à nos principes une nourriture qui soit de la nature la plus élevée que nous connaissions, c.-à-d., d'une portée universelle ? En faisant ainsi, ne donnons-nous pas une impulsion noétique aux atomes qui constituent les véhicules, de telle sorte, qu'avec le temps, la nature de ces véhicules s'en trouve peu à peu changée ? N'est-ce pas la raison pour laquelle il nous est enseigné que les vertus sont essentielles, que les lignes principales de pensée et les motifs de base dans la vie doivent être universels et non pas limités au « Je » et au « mien » ?
Que sont les vertus en fait ? Elles sont le résultat, exprimé en action, de l'adaptation de la pensée et du sentiment à certaines lignes : ce sont des impulsions noétiques [spirituelles] données aux organes de l'action. La mise en pratique consciente des vertus de Dana [charité, immortel amour], Shila [harmonie], Kshanti [patience], etc... est de nature à nous amener, en tant que personnalités, en contact plus étroit avec l'individualité Egoïque. L'Ego peut comprendre, vibrer à l'unisson avec la charité et l'immortel amour, avec la patience et les autres vertus ; elles appartiennent à sa nature propre. Mais il ne peut pas répondre à la haine, à la jalousie, etc.
En conclusion, ne sommes-nous pas placés devant cette évidence : malgré notre ardeur à nous répéter : « Je suis un Ego », « Je ne suis pas ce corps, ces sentiments, etc.. » nous sommes en fait, dans notre conscience actuelle, ce corps, ces sentiments, etc... Ce n'est que quand nous pensons, sentons et agissons suivant les lignes de l'Ego [Spirituel] que l'Ego exerce son action à travers nous et que nous sommes Lui et qu'il est nous ; autrement, il est endormi en nous, ou presque. Tournons-nous donc constamment vers lui, libérons son rayon en nous de la « centuple corde » des désirs personnels, et tournons-le vers le Parent dont il émane.
[Traduction d'un article paru dans la revue The Theosophical Movement, Vol. XXX, pp. 227-229.]
Notes :
1 Ego (lat). Mot signifiant Je : dans l'homme, la conscience du « je suis moi », ou le sentiment d'identité. La philosophie ésotérique enseigne l'existence de deux Ego dans l'homme : l'ego mortel, ou personnel (qu'elle désigne comme « la personnalité ») et l'Ego supérieur, divin, ou impersonnel(qu'elle nomme « l'individualité »).
Egoïté (du mot Ego). L'égoïté renvoie à « l'individualité » [impersonnelle] — jamais à la « personnalité » — étant l'opposé de l'égoïsme, qui caractérise par excellence cette dernière.
Individualité : L'un des noms donnés, en Théosophie, à l'Ego Supérieur de l'homme. Nous faisons une distinction entre l'Ego immortel et divin et l'ego mortel humain qui périt. Celui-ci, ou la « personnalité » (l'ego personnel), ne survit à la mort du corps que pendant un temps limité ; pour sa part, l'individualité demeure à jamais.
Personnalité : Les enseignements Théosophiques divisent l'homme en trois aspects : divin, pensant ou rationnel, et irrationnel ou animal. Également, pour des fins métaphysiques, il est envisagé selon une division septuple ou, comme il est convenu d'exprimer les choses en Théosophie, il est composé de sept « principes », trois d'entre eux constituant la Triadesupérieure, et les quatre autres, le quaternaire inférieur. C'est dans ce dernier que réside la personnalité, qui embrasse toutes les caractéristiques (dont la mémoire et la conscience) de chaque existence physique vécue tour à tour. L'individualité est l'Ego supérieur (Manas) de la Triade considérée comme une unité. En d'autres termes, l'individualité est notre Ego impérissable qui se réincarne et se revêt à chaque nouvelle naissance d'une personnalité nouvelle. [retour texte]
2 Âtman, ou âtma (skt). L'Esprit Universel, la monade divine, le « septième principe », ainsi appelé dans la classification septuple, exotérique, de l'homme. L'Âme Suprême.
Buddhi (skt). Âme Universelle, ou Mental Universel. Dans l'homme, Buddhi est l'âme spirituelle (exotériquement : le 6ème principe), le véhicule d'Âtma, donné comme le septième dans l'énumération exotérique.
Manas (skt). Littéralement, le « mental » : la faculté mentale qui fait d'un homme un être intelligent et moral, et le distingue du simple animal. Ésotériquement, cependant, employé sans autre qualification, il signifie l'Ego supérieur, ou le principe conscient qui dans l'homme se réincarne. Par contre, avec un qualificatif, il est question pour les théosophes de Buddhi-Manas — l'âme spirituelle — qu'il faut opposer à son reflet humain, Kâma-Manas [la personnalité]. [retour texte]
3 Madame Blavatsky emploie ici le pronom neutre It (traduit par Il) pour signifier sans doute que l'Ego n'est pas une entité masculine ou féminine (N.d.T.). [retour texte]