Le grand destructeur du réel

Le grand destructeur du réel

31 Juil, 2024

Dans la préface des Aphorismes sur le Yoga de Patañjali, W.Q. Judge souligne la distinction que nous devrions faire entre le mental et l'Âme. Cette distinction, tous les étudiants, théoriquement, la connaissent, cependant pour la réaliser pratiquement, une application consciencieuse est requise pour laquelle nous devons assimiler certaines idées importantes. M.  Judge écrit :

« Comme Patañjali pose en principe que le réel expérimentateur et connaisseur est l'âme et non le mental, il s'ensuit que le Mental, appelé « organe intérieur », ou encore « principe pensant », quoique plus élevé et plus subtil que le corps, n'est cependant qu'un instrument que l'Âme utilise pour acquérir de l'expérience, exactement de la même manière qu'un astronome emploie son télescope pour obtenir des renseignements sur le ciel »

Séparer le corps du mental est relativement moins difficile ; mais séparer le mental de l'Âme, ou Kâma-Manas du Manas Supérieur, est une tâche formidable. Cependant, faute de cela, on ne peut pas progresser réellement dans l'Occultisme. Nous ne pouvons pas commencer à fusionner le mental et l'Âme, comme le conseille la Voix du Silence, avant d'avoir appris la nature du mental et découvert comment, asservi par les désirs, il est opposé à la nature et à la voie du progrès de l'Âme, et avant de l'avoir purifié de ses souillures et de ses colorations. Alors seulement peut se produire cet autre processus plus élevé de l'union de l'entité Âme-mental avec l'Esprit humain et de sa réalisation du Grand Soi.

Tout aspirant à la vie de l'Occultisme pur doit se rendre compte bien clairement par expérience, que le mental est l'organe de l'Ame. Dans la vie de tous les jours et les actions ordinaires, nous nous identifions si étroitement avec nos organes de perception et d'action que c'est seulement en de très rares occasions que nous pensons à dire : « je vois à travers mes yeux » ; le plus souvent nous disons : « Je vois » ; nous employons la même expression quand nous comprenons quelque chose avec notre mental-cérébral ; nous disons : « je vois », en voulant dire : « je comprends ». En réalité, nous devons atteindre la position où l'on peut dire : « Oui, mon mental maintenant voit et comprend ».

Le pas suivant dans l'étude pratique de l'expérience mentale consiste à percevoir la vérité contenue dans l'important enseignement sur « les modifications du principe pensant ».

M. Judge écrit à ce sujet : « Le Mental est un facteur très important dans la recherche de la concentration ; en vérité, c'est un facteur sans lequel on ne peut pas obtenir la concentration... Il (Patañjali) montre que le mental est, comme il le qualifie, « modifié » par tout objet ou sujet qui se présente à lui ou vers lequel il est dirigé. »

Notre manas inférieur vagabonde si rapidement, la vitesse avec laquelle il se déplace est si grande et si chaotique et le mouvement est si continu, que de nombreux étudiants passent immédiatement à la conclusion qu'ils ont parfaitement compris l'enseignement sur la « modification ». En réalité, le vagabondage du mental, appelé d'une façon si expressive et si juste, le mental-papillon, à cause de sa course en zigzag d'objet en objet, ne montre pas comment le mental se modifie suivant la description de M. Judge dans les Notes sur la Bhagavad-Gîtâ, p.151 :

« L'homme, cet être fait de pensées, qui séjourne simplement de temps à autre dans de multiples corps, pense éternellement. Ses chaînes sont forgées par la pensée, sa libération n'est due qu'à la pensée. Son mental est immédiatement teinté ou altéré par l'objet sur lequel il se porte. C'est ainsi que l'âme est prise dans la même pensée ou série de pensées que suit le mental. Si l'objet est quoi que ce soit de différent du Soi Suprême, le mental se transforme immédiatement en cet objet, devient cet objet même et en prend la teinte. C'est là une des capacités naturelles du mental qui, de nature, est clair et incolore, comme il serait facile de le constater s'il était possible de trouver un homme qui n'aurait pas passé par de trop nombreuses expériences. Le mental est mobile et rapide, porté à bondir d'un point à un autre. Différents mots pourraient le décrire. Tel un caméléon, il change de couleur, telle une éponge, il absorbe ce à quoi on l'applique, tel un tamis, il perd immédiatement la couleur et la forme qu'il avait dès qu'il prend un objet différent. »

Pour avoir une vue claire sur les activités du mental-pieuvre qui étreint l'Âme de cent tentacules, nous devons placer correctement les sens d'un côté et l'Âme de l'autre. Nous devrions discerner comment le mental en se modifiant présente une image à l'Âme. Aussi longtemps que le mental vagabonde et subit des modifications, sa fonction réelle comme organe de l'Âme n'est pas remplie. Notons les démarches successives que nous devrions faire en tant qu'étudiants :

1 - Voir le vagabondage du mental,

2 - Suivre la marche du mental dans son vagabondage : voir comment il vole vers des sujets et objets agréables ou désagréables. Ceci nous révèle la nature de nos attractions et de nos répulsions.

3 - Noter le fait que ce complexe d'attractions et de répulsions crée des images, qui vivent, pour un temps court ou prolongé, et qui laissent la trace de leur passage sous la forme d'impressions. Dans les rêves éveillés, fantaisies et imaginations, nous vivons avec nos images en les recréant intérieurement, à partir de ces impressions, tout comme dans la vie tournée vers l'extérieur nous vivons avec et parmi tout un monde de choses et d'objets divers.

4 - Cessant de créer ces images, nous expérimentons le pouvoir qu'elles ont de se reproduire et nous devons commencer à les détruire par des efforts délibérés. Ces images intérieures projettent des ombres obscures sur la lumière de notre Âme, comme l'indique La Voix du Silence.

5 - Quand on arrive à désintégrer ces images et à en dissoudre les constituants et la structure, le mental atteint un état d'équilibre. Que perçoit un mental ainsi purifié et en cet état d'équilibre ? II voit les idées qui sont vraies — le monde des idées qui sont les émanations enregistrées qui forment la Divine Lumière Astrale ou Akasha.

Nous avons à dessein classifié d'une manière concise les étapes que le néophyte doit s'imposer, car aucune description plus longue ne peut rendre le sujet plus clair.

Maintenant, de même que nous vivons dans le monde des sens et de leurs objets, mais que nous estimons les choses en fonction de nos attractions et répulsions, nos sentiments et nos désirs, de même aussi nous vivons dans le monde du mental, mais nous nous entourons de valeurs fausses et de notions fantaisistes. Hors du monde de la matière et des objets, nous façonnons un monde particulier qui nous est propre à cause de nos sens et de nos organes et avec leur aide. De même pour le monde du mental, il finit par être voilé et obscurci par notre pensée incontrôlée et les images que nous nous fabriquons. Dans chaque état, ou sur chaque plan, nous avons cette dualité : le réel caché dans la gangue de l'irréel. L'irréel est produit par nos sens et notre cerveau ; à l'intérieur, se trouve le monde réel des choses et des objets. (Ce dernier est le champ de recherche du scientifique honnête.) De même, l'irréel est produit par notre imagination indisciplinée, ou fantaisie, par l'effet des modifications du principe pensant ; à l'intérieur se trouve le monde réel des idées (ce dernier est le champ de recherche du véritable occultiste.) À chaque étape, nous devons apprendre à faire une distinction entre ces deux aspects. C'est seulement dans leurs aspects irréels que les sens et le mental sont les ennemis de l'Âme ; dans leurs aspects réels, ils sont les amis de l'Âme. C'est pourquoi il est dit que « la Nature existe pour le bien de l'Âme ».

M. Judge conclut :

« Comme l'Âme est considérée comme supérieure au Mental, elle a le pouvoir de s'en rendre maîtresse et de le contrôler pour peu que nous utilisions la volonté pour l'aider dans ce travail ; c'est alors seulement que la distinction et le but réels du mental sont atteints. »

B.P. Wadia

Publié en anglais dans le Theosophical Movement. Vol. X, p. 127.
Publié en français dans le Cahier Théosophique n°108, © Textes Théosophiques.

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