Avantages et handicaps dans la vie

Avantages et handicaps dans la vie

01 Nov, 2021

L'opinion qu'un être se fait sur son Karma et qui l'incite à se lamenter sur le sort ingrat qui lui refuse les avantages dans la vie est une estimation erronée de ce qui est bon ou mauvais pour l'âme. Il est vrai que nous trouvons souvent des gens comblés de grands privilèges, mais qui n'en font pas un usage adéquat ou n'y prêtent pas attention. Ce fait lui-même prouve que les positions soi-disant avantageuses de la vie, ne sont réellement ni bonnes, ni favorables, dans le sens vrai et profond de ces mots. Les gens riches ont de la fortune et des professeurs, la capacité et les moyens de voyager et de remplir leur intérieur d'œuvres d'art, de musique, de confort. Mais ces avantages sont semblables à l'air tropical qui affaiblit le corps ; ils affaiblissent le caractère au lieu de l'affermir. Ils ne tendent pas par eux-mêmes à acquérir une vertu quelconque mais plutôt l'opposé, par suite de la saturation constante des sens dans les essences subtiles du monde sensuel. Ils sont semblables à des douceurs qui, absorbées en abondance, deviennent acides dans le corps. On peut donc les considérer comme étant l'opposé d'un bon Karma.

Qu'est-ce donc que le bon et le mauvais Karma ? La réponse suivante est suffisante et englobe tous les points de vue :

Le bon Karma est celui que désire et exige l'Ego ; le mauvais Karma celui que ne désire ni n'exige l'Ego.

En cela l'Ego, étant guidé et contrôlé par la loi, par la justice, les nécessités de l'évolution ascendante et non par la fantaisie, l'égoïsme ou la revanche et l'ambition, est sûr de choisir dans toute une gamme de possibilités l'habitat terrestre le plus propice à un Karma, qui, en fin de compte, sera pour lui un véritable avantage. Dans cette perspective donc, même la vie médiocre et paresseuse d'un riche, comme celle d'un être grossier et méchant, paraît juste.

Quand nous examinons la question en partant de cette idée, nous voyons que les « privilèges » qu'on rechercherait si l'on voulait fortifier le caractère et libérer la force et l'énergie de l'âme, seraient considérés comme des « handicaps » par le monde égoïste et personnel. La lutte est nécessaire à l'acquisition de la force ; les périodes d'adversité qui nous fustigent sont destinées à conférer de la profondeur à l'âme ; de maigres opportunités peuvent être employées pour acquérir la force d'âme et la pauvreté devrait faire naître la générosité.

En tout ceci nous voulons parler du juste milieu et non des extrêmes. Naître avec le handicap de parents ivrognes, malades, dans la couche criminelle de la société, est une punition qui provoque un arrêt sur le chemin de l'évolution. C'est généralement une nécessité parce que l'Ego a attiré dans une vie antérieure certaines tendances et il n'existe pas d'autres moyens de les éliminer. Mais nous ne devons pas oublier que parfois, souvent, dans ce vaste ensemble, un Ego pur et puissant s'incarne dans un milieu épouvantable de ce genre, y reste bon et pur tout le temps, n'y demeurant que dans le but d'élever et d'aider les autres.

Mais naître dans une pauvreté extrême n'est pas un désavantage. Jésus avait raison de le dire, en répétant ce que de nombreux sages avaient dit avant lui, lorsqu'ils décrivaient la difficulté qu'éprouverait un homme riche pour entrer au ciel.

Si nous considérons la vie du point de vue étroit de ceux qui disent qu'il n'y a qu'une terre, puis soit un ciel ou un enfer tous deux éternels, la pauvreté sera envisagée comme un grand handicap qu'il faut tâcher d'éviter. Mais, sachant que nous avons de nombreuses vies à vivre, et qu'elles nous offriront toutes les occasions nécessaires pour édifier notre caractère, nous devons admettre que la pauvreté n'est pas nécessairement, en elle-même, du mauvais Karma. La pauvreté ne tend pas naturellement à engendrer l'égoïsme, mais la richesse en a besoin.

Il est juste et bien que chacun naisse à son tour dans un corps soumis à toutes les peines, les privations et les misères de la pauvreté moderne. Comme l'état actuel de la civilisation, avec toutes ses horreurs de misère, de crime, de maladie, de relations fausses qui règnent presque partout provient du passé auquel nous avons œuvré, il est juste que tous nous les subissions à un moment donné de notre carrière. Si une personne qui ne s'inquiète nullement de la misère où vivent des hommes et des femmes, est attirée dans son incarnation suivante vers une impasse de nos villes, son âme portera l'empreinte de la souffrance infligée par un tel état. Et plus tard cette expérience lui suscitera de la compassion et de l'intérêt pour autrui. Car, tant que nous n'avons pas expérimenté les effets d'une situation de la vie, nous ne pouvons ni la comprendre ni la juger par une simple description. L'aspect personnel qui est impliqué dans cette expérience, peut ne pas se réjouir de cette perspective ; mais si l'Ego décide que la prochaine incarnation de la personnalité aura lieu dans un tel milieu, il en résultera un avantage et non le contraire.

Si nous considérons maintenant le champ d'opération en nous du soi-disant avantage des occasions offertes, d'argent, de voyages et de professeurs, nous voyons tout de suite qu'il est limité uniquement au cerveau. Les langues, l'archéologie, la musique, la jouissance des beaux spectacles, des mets les plus fins, des vêtements les plus luxueux, des voyages en tous pays, modifiant ainsi à l'infini les impressions auditives et visuelles, ont tous leur origine et leur fin dans le cerveau, mais non dans l'âme ou le caractère. Et comme le cerveau est une partie du corps instable et fugitif, toute la fantasmagorie disparaît et cesse d'exister lorsque la note de la mort fait résonner sa vibration solennelle dans la forme physique, et en chasse l'habitant. Le maître-ganglion central merveilleux qui régit le tout, se désagrège, et il ne reste rien que quelque arôme subtil çà et là dépendant de la prédilection intérieure réelle pour telle ou telle activité, image ou sensation. Rien ne subsiste que quelques rares tendances — des skandhas [ou agrégats], et non de la meilleure espèce. Les avantages se transforment donc, finalement, en désavantages.

Mais imaginez le même cerveau, le même corps placés dans des conditions difficiles, luttant une grande partie de la vie, accomplissant leur devoir, mais ne se trouvant pas en état de satisfaire les sens : cette expérience marquera au fer rouge, imprimera, gravera dans le caractère, plus d'énergie, de pouvoir, de grandeur d'âme. C'est ainsi que se font au cours des âges, les grandes âmes. L'autre processus est celui que suit l'homme moyen quelconque qui n'est encore rien d'autre en somme, qu'un animal.

William Q. Judge

Article de W. Q. Judge dans la revue The Path de Juillet 1895.

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