L'hypnotisme est-il compris ? Quelle est l'attitude de la Société Théosophique à l'égard de l'hypnotisme ?
Certains pensent que magnétisme et hypnotisme sont identiques ; en effet, bien des personnes ont dit que cette nouvelle force, ou ce nouveau pouvoir, n'est rien d'autre que la vieille pratique de Mesmer remise à l'honneur dans notre siècle après de longues années de mépris, et affublée d'un nouveau nom ce qui permettra aux docteurs en médecine de s'en emparer. Cela n'est cependant pas entièrement exact. On peut bien attribuer au Dr Charcot de Paris et à ses émules le crédit d'avoir fait revivre l'hypnotisme ; car, c'est à la suite de leurs recherches qu'il a été accepté par le corps médical. J'ai vu les éminents médecins de la côte atlantique des Etats-Unis changer d'opinion à ce sujet en l'espace de vingt-cinq ans. Le Dr Hammond et d'autres se moquaient de la crédulité de ceux qui acceptaient l'idée que les phénomènes, maintenant si bien connus des hypnotiseurs, aient jamais pu se produire. Aujourd'hui, ils écrivent des articles admettant les faits qu'ils niaient jadis.
Il y a bien des années, un chirurgien de l'armée britannique, le Dr Esdaile, dirigeait un hôpital en Inde, où il fit de nombreuses opérations difficiles en se servant du magnétisme comme moyen d'anesthésie et il montra même à des assistants indigènes comment s’en servir, à sa place, sur des patients. Son livre, paru il y a longtemps, décrit tous les faits. Il existe dans tous les pays quantité de témoignages sur la réalité des états et des pouvoirs mesmériques et hypnotiques.
La grande question qui fut soulevée une fois que les preuves sur l'hypnotisme furent apportées, fut très différente de celles qui avaient été posées auparavant. Sitôt que le processus fut décrit et admis, les expériences allèrent bon train et le grand sujet de la « suggestion » fut mis à jour. On découvrit qu’on pouvait faire faire à la personne hypnotisée bien des choses étranges, une fois sortie de l'état hypnotique, pourvu qu'on lui en ait fait la suggestion quand elle était dans cet état. On disait au sujet d'assassiner le Dr A ou B ; de voler un portefeuille. Puis on le faisait sortir de l'état hypnotique, et, au moment fixé, il prenait l'arme suggérée — un coupe-papier, ou un objet inoffensif — et exécutait toutes les actions prescrites ou volait effectivement l'objet qu'on lui avait dit de voler. Si ce pouvoir pouvait ainsi être utilisé par un docteur au cours d'une expérience, on en déduisit qu'un véritable meurtre pourrait être imaginé et exécuté en se servant d'une personne hypnotisée. Ce pouvoir était donc dangereux. Un crime pouvait donc être commis en toute impunité pour le vrai coupable. Le Dr Charcot confia à une importante revue de New York un article dans lequel il admettait les possibilités de suggestion aux patients, mais niait qu'il y eût un danger de crime à la suite d'une suggestion. Cependant, il dit également qu'il devrait exister des lois contre toute pratique de l'hypnotisme sans discernement. La plupart des membres de la Société Théoso¬phique approuvent pleinement cette dernière conclusion, mais ils pensent aussi qu'il y a et qu'il y aura danger de crime par suggestion faite à des sujets sous hypnose, non dans le présent immédiat, mais dans l'avenir.
Ceci provient du fait que le corps médical ne comprend pas l'hypnotisme et ne mesure pas ses dangers, et qu'il reconnaît encore moins que le public puisse avoir une connaissance correcte sur le sujet.
Les meilleurs d'entre les hypnotiseurs savent très bien qu'il y a des moments où le sujet hypnotisé échappe à leur influence, et demeure dans l'état hypnotique en subissant une influence qui est inconnue de l'opérateur et dont le sujet n'a pas une conscience distincte. Voilà l'un des dangers — le danger de l'ignorance et de la cécité d'un guide prétendant conduire un autre aveugle. Des auteurs comme Brandt, Binet et d'autres, ne sont que des statisticiens. Ils présentent simplement des faits et des méthodes, mais sont tous également dans l'obscurité pour ce qui est des causes et des possibilités. De même, les opérateurs les plus connus savent aussi, comme l'a dit le Dr Charcot, qu'il existe un danger de voir se développer l'hystérie, là où elle ne s'était jamais manifestée, ainsi que tout un ensemble d'au¬tres maux. C'est la raison pour laquelle il demande la suppression de toute pratique hypnotique faite sans discernement. Mais le véritable point noir de l'hypnotisme — qui est bien connu des étudiants théosophes — est le suivant : à mesure que la force et le pouvoir de l'hypnotisme seront mieux connus, on constatera que, quelle que soit l'influence en jeu, le processus qui a lieu au cours de l'hypnose est la contraction des cellules du corps et du cerveau, de la périphérie vers le centre. Ce processus est réellement un phénomène de l'état de mort, et il est à l'opposé de l'effet mesmérique. Ce point n'est pas connu du corps médical, et a peu de chances de l'être étant donnée la façon dont celui-ci procède actuellement, parce que les examens post-mortem ne révèlent jamais l'action d'une cellule vivante. Le magnétisme par influence humaine part de l'intérieur et progresse vers la surface externe, manifestant ainsi un phénomène de vie à l'opposé même de l'hypnotisme. Et l'utilisation du magnétisme ne soulève pas d'objection, cependant, sa pratique devrait se limiter à des membres compétents du corps médical. Par contre, les membres de la Société Théosophique les plus sérieux et les plus prudents se déclarent contre l'emploi de l'hypnotisme. Pour toutes ses applications comme moyen d'anesthésie, il peut être remplacé par le mesmérisme, sans qu'il en résulte de mauvais effets. Le Dr Esdaile l'a abondamment démontré. Des lois devraient être édictées afin que soit considéré comme un délit le fait de tenir une séance hypnotique publique ou privée. Ces, lois devraient également viser jusqu'aux médecins qui, sous prétexte de science, mettent leurs sujets dans des positions ridicules et indignes. De telles pratiques ne sont pas nécessaires et vont délibérément à l'encontre de la volonté et du jugement du sujet éveillé. Elles ne font que mettre en valeur le pouvoir de l'opérateur et ne donnent pas plus de connaissance que celle que l'on pourrait trouver autrement.
Mais, même dans les cas remarquables décrits par Binet et d'autres en France, les lois qui gouvernent la constitution intérieure de l'homme, et qui sont a l'œuvre particulièrement dans l'hypnotisme à partir d'un certain point, ne sont pas reconnues par les savants auteurs. Certains donnent seulement des faits — des faits de toute sorte sur l'étrange récurrence de certains états — et d'autres, comme le Dr James, chez nous, avancent qu’il y a un soi caché qui joue ces tours bizarres à l'aide de la forme mortelle. Les Théosophes savent que les extraordinaires altérations du mental ou du pouvoir mental, l'étrange « récurrence de certains états » et la division ou séparation apparemment très marquée de l'intelligence chez le même sujet humain s'expliquent toutes par l'ancienne méthode orientale qui réduit les pouvoirs intérieurs de l'homme à sept classes, dans chacune desquelles le soi caché — l'Ego — peut agir, et agit en fait, indépendamment, le corps physique n'étant qu'un instrument grossier ou champ d'action de l'homme réel.
Une telle théorie fait une division dans l'homme en sept plans d'action, dans lesquels l'Ego, ou le soi caché, peut manifester une conscience opérant d'une manière particulièrement appropriée à ce plan, et participant également de la conscience et de l'expérience des plans supérieurs au plan considéré — mais non des plans inférieurs. Et chacune de ces couches, chacun de ces champs de la conscience se trouve de plus divisé en d'autres champs secondaires, et, sur chacun d'eux, il peut y avoir une expérience ou action séparée, ou bien tous peuvent être combinés.
Si on examine les cas relevés par le Dr James, on note que la particularité observée est que lorsque la personne agit en tant que numéro 1, elle n'a aucun souvenir d'un état appelé numéro 2. Aucune expli-cation de ce phénomène n'a été proposée ; le fait a été simplement noté : il s'explique par la localisation de la conscience de l'Ego dans l'un ou l'autre des sous-champs d'action de la première classe de la grande série des sept.
Le fait de ne pas se souvenir en passant d'un état à l'autre tient à ce que l'Ego est poussé de force dans ce champ particulier et se trouve ainsi incapable d'en ramener avec lui le souvenir. Il agit donc entièrement en automate sur ce plan-là. Cet effet est dû presque entièrement à l'action spécifiquement contractile du processus hypnotique, lequel, comme il a été dit plus haut, implique essentiellement une contraction des cellules depuis l’extérieur vers le centre. Cette situation est de nature à empêcher toujours l'Ego de s'apprendre à se souvenir en passant d'un état à l'autre et d'un champ à un autre champ, tandis que cet entraînement est possible dans l'état mesmérisé ou magnétisé et, bien entendu, dans la vie de veille normale.
Les cas où le sujet échappe au contrôle de l'opérateur s'expliquent tous sur la base de la même théorie théosophique ; ce sont des cas où l'Ego se retire du premier plan ou champ de conscience constitué de sept sous divisions ou sous-champs, pour accéder au plan suivant de la série entière des sept, au lieu d'entrer dans l'une des sous-divisions du premier plan mentionné. Et, comme les médecins praticiens n'ont aucune connaissance des sous-divisions intérieures supérieures, et n'admettent pas leur existence, ils n'ont aucune notion des moyens propres à atteindre l'Ego lorsqu'il leur a échappé pour atteindre un champ de conscience dont ils ignorent les lois et les conditions ; autrement dit, dans de tels cas, les hypnotiseurs ne sont pas occupés à examiner le véritable champ d'opération de la force, mais ne font qu'observer certains de ses phénomènes.
Ces phénomènes se manifestent dans le corps physique ou l'enveloppe extérieure, tandis que les processus psycho-physiologiques qui ont lieu à l'intérieur et produisent les phénomènes visibles restent cachés à leurs yeux.
William Q. Judge.
Traduction de « Hypnotism and Theosophy », article écrit et publié par W.Q. Judge dans Jennes Miller Illustrated Monthly probablement en 1893.