« L’ésotérique Elle » –

« L’ésotérique Elle » – "The Esoteric She"

14 Mai, 2019

Une femme qui, pour une raison ou une autre, a fait parler le monde entier à son sujet — d'abord le petit monde qui entourait son enfance, ensuite les deux hémisphères, — une femme qui a amené le monde à se disputer à son sujet, à défendre ou à attaquer son caractère et ses motifs, à se joindre à son entreprise ou à s'y opposer avec la dernière énergie, et dont la mort donna lieu à un échange de télégrammes entre les deux continents, comme pour un empereur — une telle femme a dû être une personne remarquable. Telle fut Mme Helena Petrovna Blavatsky [H.P.B.], née sous le pouvoir du saint Tzar, dans la famille des Hahn descendant d'un côté du fameux croisé, le Comte Rottenstern, qui ajouta Hahn, un coq, à son nom parce que cet oiseau lui avait sauvé la vie alors qu'un rusé Sarrasin s'était introduit dans sa tente pour le tuer.

Il n'y eut guère de circonstances ou d'événements dans la carrière de Mme Blavatsky qui furent prosaïques. Elle choisit de naître en cette vie à Ekaterinoslav en Russie, en l'année 1831, alors que le choléra multipliait partout les cercueils et répandait la désolation. L'enfant était si délicate que la famille décida de la faire baptiser immédiatement selon les rites de l'Église Catholique Grecque. Ceci n'avait déjà rien d'ordinaire, mais la cérémonie — selon la chance qui poursuivit toujours Helena — fut encore plus remarquable et dramatique. À cette cérémonie, tous les membres de la famille étaient présents et tenaient en main des bougies allumées. L'un d'entre eux ne pouvant y assister, une jeune fillette, tante de la petite Helena, remplaça l'absent, et on lui donna une bougie comme aux autres. Épuisée par l'effort, l'enfant se laissa choir sur le sol sans qu'on s'en aperçut et, au moment précis où les parrains renonçaient au démon, au nom du bébé, en crachant trois fois par terre, la fillette assise sur le sol mit accidentellement avec sa bougie le feu aux robes du prêtre officiant ; immédiatement, il y eut un petit incendie au cours duquel nombre de ceux qui étaient présents furent sérieusement brûlés. C'est ainsi que Mme Blavatsky vint au monde au milieu des affres de la mort, et qu'elle fut baptisée dans les flammes, par les prêtres d'une Église dont elle s'efforça de dénoncer les dogmes fallacieux au cours de sa vie.

Elle était apparentée aux dirigeants de la Russie. En 1881, son oncle, le Général Fadeef, Conseiller adjoint de l'État de Russie, disait de H.P.B. que, comme fille du Col. Peter Hahn, elle était la petite fille du Général Alexis Hahn von Rottenstern Hahn de la vieille souche des Mecklenburg, établie en Russie, et, du côté de sa mère, elle était fille d'Hélène Fadeef et petite-fille de la Princesse Helena Dolgorouki. Ses ancêtres maternels appartenaient aux plus anciennes familles de Russie, et descendaient directement du Prince ou du Grand-Duc Rurik, le premier monarque de Russie. Plusieurs dames de la famille appartenaient à la maison impériale, et devinrent Tzarines par leur mariage. L'une d'entre elles, une Dolgorouki, épousa le grand-père de Pierre le Grand, et une autre fut fiancée au Tzar Pierre II. Par suite de ces relations, Mme Blavatsky connut personnellement beaucoup de noblesse russe. À Paris, j'ai rencontré trois princes de Russie et un Général bien connu, qui me parlèrent de sa jeunesse et des choses merveilleuses qu'on racontait alors à son sujet< ; et en Allemagne, je vis le Prince Émile de Wittgenstein appartenant à une des nombreuses familles germano-russes et qui était lui-même cousin de l'Impératrice de Russie et aide-de-camp du Tzar. Il me raconta qu'il était un ancien ami de la famille de H.P.B., et qu'il avait beaucoup entendu parler d'elle dans ses jeunes années, mais que, à son grand regret, il n'avait plus eu la chance de la rencontrer, depuis une brève visite qu'elle avait faite chez lui avec son père. Mais il s'affilia à sa célèbre Société Théosophique, par correspondance, et écrivit, après la guerre de Turquie, qu'elle lui avait fait savoir par lettre qu'il ne lui arriverait aucun mal durant la campagne, ce qui se révéla exact.

Pendant son enfance, elle faisait l'étonnement du voisinage et la terreur des serfs naïfs. La Russie fourmille de superstitions et de présages, et, comme Helena était née le septième mois, entre le 30 et le 31, ses nourrices et ses servantes lui attribuaient des pouvoirs et des vertus que nul autre ne possédait. Et ces soi-disant pouvoirs faisaient d'elle l'attraction de tous pendant son enfance. On lui accordait des libertés que l'on ne donnait à nul autre, et, dès qu'elle fut en âge de comprendre, ses nourrices lui firent jouer le premier rôle dans une cérémonie mystique russe qui se pratique dans la maison et les jardins le 30 juillet, afin de rendre propice le génie de la maison. Elle reçut une instruction fragmentaire et, par elle-même, si peu adéquate qu'elle constitua un élément de plus, parmi de nombreux autres, qui amena plus tard ses amis à dire qu'elle était douée de pouvoirs psychiques anormaux, ou qu'elle était réellement aidée par ces êtres invisibles qui, affirmait-elle, étaient ses guides et qui étaient des hommes vivant sur la terre, bien que doués de sens développés défiant le temps et l'espace. Dans son adolescence, aucune contrainte, aucune convention ne la retenaient ; elle montait un cheval cosaque sur une selle d'homme, et plus tard elle vécut une longue période avec son père, accompagnant son régiment en campagne ; elle et sa sœur devinrent les enfants gâtés des soldats. En 1844, alors qu'elle avait quatorze ans, son père l'emmena à Londres et à Paris où elle fit quelques progrès en musique, et, avant 1848, elle fut de retour chez elle.

Son mariage en 1848 avec le Général Nicéphore Blavatsky, Gouverneur d'Erivan dans le Caucase, lui donna le nom de Blavatsky qu'elle conserva jusqu'à sa mort. Ce mariage, comme tous les événements de sa vie, fut plein de coups de théâtre. Ses manières brusques avaient amené ses amies à parier que le vieux Blavatsky ne voudrait pas l'épouser mais, par pure bravade, elle prétendit qu'elle pourrait l'y amener ; et en effet, il se déclara et fut accepté. Ce fut seulement alors que la terrible vérité se fit jour dans l'esprit d'Helena : en Russie on ne pouvait revenir sur une telle décision. Ils furent mariés, mais l'affaire tourna mal ; Mme Blavatsky jeta à la tête du Général un chandelier qui se brisa et elle quitta précipitamment la maison avec la volonté de ne plus jamais le revoir. Quand sa détermination devint évidente, son père l'aida dans la vie de voyages qui commença pour elle à partir de cette date, et ce ne fut qu'en 1858 qu'elle retourna en Russie. Entre-temps, ses pas l'avaient conduite en Amérique en 1851 au Canada, à la Nouvelle-Orléans, au Mexique, puis en Inde, pour revenir de nouveau aux États-Unis en 1853. Sa famille la perdit alors de vue jusqu'en 1858, date de son retour qui fut semblable à tous les autres événements de sa vie. Cela se passa pendant une soirée d'hiver, au cours d'une fête nuptiale qui se donnait chez elle en Russie. Les invités étaient arrivés quand soudain, au milieu du repas, la sonnette retentit violemment et, sans se faire annoncer, Mme Blavatsky apparut à la porte.

À partir de ce moment, sa famille et ses nombreux amis témoignèrent par lettres et dans des articles qui parurent dans le Rébus (revue bien connue en Russie), ainsi que dans d'autres journaux, des merveilles incessantes qu'elle produisait et qu'aucune théorie de prestidigitation ne pouvait expliquer. Ces phénomènes étaient si caractéristiques que des centaines d'amis lointains affluaient constamment dans la maison pour voir l'extraordinaire Mme Blavatsky. Beaucoup étaient incrédules, beaucoup croyaient qu'il s'agissait de magie, et d'autres lançaient des accusations de fraude. La noblesse superstitieuse de Gourie et de Mingrélie accourait en foule et ensuite n'arrêtait pas de parler d'elle comme d'une magicienne. Ces gens venaient pour voir les merveilles que d'autres rapportaient et la trouvaient tranquillement occupée à lire tandis que les tables et les chaises se déplaçaient d'elles-mêmes et que de faibles coups frappés dans tous les coins semblaient répondre aux questions. Parmi de nombreux phénomènes authentifiés, elle en produisit un pour son frère qui doutait de ses pouvoirs. Il y avait là une petite table d'échecs. Elle était très légère — un enfant aurait pu la soulever et un homme la briser. Quelqu'un demanda si Mme Blavatsky pourrait la river au sol par un effort de volonté. Elle dit aux assistants de l'examiner et ils trouvèrent qu'on pouvait la soulever aisément. Après cela, se tenant à quelque distance, elle déclara : « Essayez de nouveau ». Ils s'aperçurent alors que toute leur force était impuissante à la mouvoir et son frère, confiant en sa grande force, prétendit que ce « truc » pouvait être facilement démasqué : prenant la petite table à pleins bras, il la secoua et la tira sans aucun autre résultat que de la faire grincer et craquer.

Ainsi, toute la famille et le voisinage étaient constamment surexcités à cause des coups frappés sur les murs et les meubles, des objets déplacés, des messages reçus par voie aérienne concernant des événements lointains. Mme Blavatsky dit elle-même que ce fut pour elle une période où elle laissa libre cours à ses forces psychiques et apprit à les comprendre et les contrôler parfaitement.

Mais son esprit d'aventure la reprit, et elle partit de nouveau, comme elle me l'écrivit, afin de trouver des hommes et des femmes qu'elle désirait préparer pour le travail d'un grand mouvement philosophique et éthique qu'elle espérait fonder plus tard. Alors qu'elle faisait route vers Spezzia dans un navire grec, il se produisit l'habituelle manifestation de circonstances naturelles — le navire sauta par l'explosion d'une cargaison de poudre à canon qu'il transportait. Seuls quelques rares passagers furent sauvés, parmi lesquels Mme Blavatsky. Cet accident l'amena au Caire, en Égypte, où en 1871, elle fonda une Société ayant pour objet l'étude du spiritisme, afin d'en démasquer les supercheries éventuelles, et d'établir si possible ses faits sur une base solide, scientifique et raisonnable. Mais cette Société ne dura que quatorze jours ; à cette époque, elle écrivit à son sujet: « C'est un monceau de ruines, majestueuses, mais aussi suggestives que celles des tombes des Pharaons ».

Ce fut cependant aux États-Unis qu'elle commença vraiment le travail qui a rendu son nom célèbre en Europe, en Asie et en Amérique, qui lui donna la notoriété aux yeux de ceux qui détestent tous les réformateurs, mais qui fit d'elle une figure grandiose pour ceux qui disent avoir retiré des bienfaits de ses œuvres. Avant 1875, on la vit encore examiner les prétentions du spiritisme aux États-Unis et, dans des lettres à sa famille, elle en fit l'analyse et déclara qu'il était dans l'erreur en déclarant que les morts communiquent ; elle montra, par contre, que les phénomènes spirites témoignaient d'un grand changement psychophysiologique qui se produisait en Amérique, et menaçaient, si on leur donnait libre cours dans notre civilisation actuelle, purement matérielle, d'amener de grands désastres, moraux et physiques.

Puis en 1875, à New York, elle fonda la Société Théosophique, aidée du Col. H.S. Olcott et d'autres, et elle définit ses buts comme étant la formation d'un noyau de fraternité universelle, l'étude des religions et des sciences, anciennes ou autres, et l'investigation des lois psychiques cachées qui affectent l'homme et la nature. Il n'y avait certainement aucun objet égoïste dans ces buts, ni aucun désir de gagner de l'argent. Elle recevait des fonds de Russie et d'ailleurs, mais ils lui furent supprimés lorsqu'elle devint citoyenne américaine, alors que ses travaux non rémunérés pour la Société l'empêchaient de collaborer à des revues russes qui accueillaient avec empressement ses écrits. Dès que la Société Théosophique fut fondée, elle déclara à l'auteur de cet article qu'elle devait écrire un livre à l'usage de la Société. Elle commença aussitôt Isis Dévoilée, et elle y travailla sans relâche, nuit et jour, jusqu'au moment où elle se fut assuré l'appui d'un éditeur pour cet ouvrage.

Entre-temps, des foules de visiteurs venaient la voir dans ses appartements d'Irving Place, puis plus tard, dans la Trente-quatrième rue, et enfin à l'angle de la Quarante-septième rue et de la Huitième avenue. Les journaux étaient pleins du récit de ses prétendus pouvoirs, ou se moquaient des possibilités qu'elle et sa Société affirmaient exister dans l'homme. Un quotidien important de New York parla d'elle en ces termes : « Une femme douée de possibilités aussi remarquables que celles de Cagliostro lui-même, jugée chaque jour d'une façon aussi différente par des personnes différentes que le fut le fameux Comte de son temps. Ceux qui la connaissent très peu l'appellent un charlatan ; en la connaissant mieux, on s'aperçoit qu'elle est érudite ; et ceux qui furent ses intimes ne pouvaient s'empêcher de croire à son pouvoir ou bien étaient complètement déroutés ». Isis Dévoilée attira fortement l'attention, et tous les journaux de New York en firent la critique, tous déclarant que cet ouvrage témoignait de recherches énormes. La chose étrange à son sujet, c'est que, comme peuvent le certifier beaucoup de personnes (y compris moi-même) qui en furent témoins, le livre fut écrit alors que l'auteur n'avait aucune bibliothèque à sa portée pour y faire des recherches, et ne possédait aucune note résultant d'études ou de lectures antérieures. Tout fut écrit d'inspiration. Pourtant l'œuvre est remplie de références puisées dans des livres du British Museum et d'autres grandes bibliothèques, et toutes ces références sont correctes. En ce qui concerne ce livre, nous nous trouvons devant cette alternative : ou bien cette femme était capable d'accumuler dans sa mémoire une masse de faits, de dates, de nombres, de titres et de sujets comme aucun autre être humain ne put jamais le faire, ou bien alors l'aide qu'elle a prétendu avoir reçue d'êtres invisibles est un fait réel.

En 1878, une fois Isis Dévoilée publiée, Mme Blavatsky informa ses amis qu'elle devait partir pour l'Inde et lancer là-bas le même mouvement de la Société Théosophique. Ainsi, en décembre de cette année-là, elle, le Colonel Olcott et deux autres partirent pour l'Inde, en s'arrêtant à Londres quelque temps.

En arrivant à Bombay, ils trouvèrent trois ou quatre Hindous qui avaient eu écho du projet et qui les accueillirent. On loua un local dans le quartier indigène de la ville et bientôt, elle et le Colonel Olcott fondaient le Theosophist, une revue qui fut immédiatement bien connue en Inde et diffusée largement en Occident.

À Bombay, et plus tard à Adyar (Madras), Mme Blavatsky travailla jour après jour, quelle que soit la saison, éditant sa revue, entretenant une énorme correspondance avec des personnes qui s'intéressaient dans le monde entier à la Théosophie, discutant et argumentant quotidiennement avec de savants Hindous qui lui rendaient constamment visite. C'est là aussi que de fréquents phénomènes se produisirent ; plus tard, la "société-fondée-pour-ne-rien-découvrir-dans-le-monde-psychique", enquêta sur ces phénomènes, et parvint à la conclusion que cette femme sans fortune, dont on n'avait jamais entendu parler publiquement en Inde auparavant, était arrivée — d'une façon que cette société ne réussit jamais à expliquer — à créer une vaste conspiration ramifiée partout dans l'Inde et comprenant des hommes de tout rang, grâce auxquels elle avait pu produire de prétendus phénomènes. Je mentionne cette conclusion parce que ce fut celle qu'adoptèrent de nombreuses personnes. Mais pour quiconque la connaissait et connaît l'Inde, avec ses centaines de langues différentes dont elle n'avait aucune connaissance, la conclusion est absurde. Les Hindous croyaient en elle, et disaient toujours qu'elle pouvait leur expliquer leurs propres Écritures sacrées et leurs philosophies, tandis que les Brahmanes en avaient perdu la clef ou la cachaient, et que, par ses efforts et l'œuvre de la Société fondée par elle, la jeunesse de l'Inde était sauvée du pur matérialisme qui est la seule religion que l'Occident puisse offrir à un Hindou.

En 1887, Mme Blavatsky revint en Angleterre où elle fonda une nouvelle revue théosophique appelée Lucifer ; immédiatement, elle lança le mouvement en Europe. Jour et nuit, comme elle l'avait fait à New York et en Inde, elle écrivit et parla, correspondant sans cesse avec des gens disséminés partout, éditant Lucifer, écrivant de nouveaux livres pour sa chère Société, toujours dépourvue de moyens de subsistance et ne recevant jamais du monde en général que des insultes absolument imméritées. La Clef de la Théosophie fut écrite à Londres ainsi que La Doctrine Secrète qui est le grand livre d'étude des Théosophes. Ce fut là aussi que la Voix du Silence fut écrite, ouvrage qui est destiné aux Théosophes mystiques. Écrire, écrire, écrire du matin au soir, tel était son sort ici-bas. Bien qu'elle fût insultée et calomniée, ici comme partout ailleurs, elle se fit de nombreux amis dévoués, car rien n'allait par demi-mesure dans son histoire. Ceux qui la rencontraient, ou entendaient parler d'elle, devenaient ses amis fidèles ou ses ennemis acharnés.

La Doctrine Secrète amena Mme Annie Besant à entrer dans la Société et ce fut alors que Mme Blavatsky commença à dire que ses travaux arrivaient à leur fin, car elle avait trouvé une femme qui possédait le courage des anciens réformateurs et qui aiderait à poursuivre sans faiblir le mouvement en Angleterre. La Doctrine Secrète avait été envoyée à M. Stead du Pall Mall Gazette pour qu'on en fasse une revue, mais aucun des critiques habituels ne se sentit à la hauteur de la tâche et il demanda à Mme Besant si elle pourrait la faire. Elle accepta, fit une revue de l'ouvrage puis demanda à être présentée à l'auteur. Peu de temps après, elle adhéra à la Société, non sans avoir parfaitement étudié au préalable le personnage de Mme Blavatsky, puis elle se joignit de toutes ses forces aux Théosophes. Ensuite, un Quartier Général permanent fut créé à Londres, où il existe encore. Ce fut là aussi que Mme Blavatsky mourut, avec la certitude que la Société pour laquelle elle avait lutté si fort et si chèrement était enfin devenue une entité capable de poursuivre le combat par elle-même.

À ses derniers moments, elle montra que sa vie avait été mise au service d'une idée, mais avec la pleine conscience qu'aux yeux du monde c'était une Utopie, tandis qu'aux siens c'était une nécessité pour la race. Elle implora ses amis de ne pas permettre que son incarnation sur le point de s'achever se solde par un échec, par la faillite du mouvement qu'elle avait fondé et soutenu au prix de tant de souffrances. Jamais au cours de sa vie, elle ne se soucia de bénéfices pécuniaires ou ne demanda d'argent. Certains auteurs méchants, des hommes et des femmes médisants ont dit qu'elle avait essayé d'extorquer des sommes à de prétendues dupes, mais tous ses amis intimes savent que maintes fois elle refusa de l'argent ; qu'elle avait des amis qui lui auraient donné tout ce qu'ils possédaient, si elle avait voulu le prendre, mais qu'elle n'accepta, ni ne demanda jamais rien. Par contre, sa philosophie et ses idéaux élevés ont incité des gens à essayer d'aider tous ceux qui étaient dans le besoin. Encouragé par un tel exemple, un riche Théosophe lui donna 5.000 dollars pour fonder un club d'ouvrières à Bow, près de Londres, et lorsque Mme Besant eut veillé à l'aménagement de la maison, Mme Blavatsky, quoique malade et âgée, alla elle-même sur place pour ouvrir le club au nom de la Société.

Le but et l'objet de sa vie étaient de secouer les chaînes forgées par le clergé pour asservir le mental de l'homme. Elle voulait que tous les hommes sachent qu'ils sont Dieu en fait, et qu'en tant qu'hommes ils doivent porter le poids de leurs propres péchés, car personne d'autre ne peut le faire. C'est pourquoi elle rapporta à l'Occident les anciennes doctrines orientales du karma et de la réincarnation. D'accord avec la première — la loi de justice — elle disait que chacun devait répondre de lui-même et, d'après la seconde, que chaque homme répondait de ses actes sur la terre même où ils avaient été commis. Elle souhaitait aussi que la science fût ramenée au véritable terrain où l'on reconnaît que la vie et l'intelligence se trouvent à l'intérieur de tous les atomes de l'univers et agissent sur eux et par leur intermédiaire.

Son but était donc de rendre la religion scientifique et la science religieuse, afin que le dogmatisme des deux puisse disparaître.

Sa vie depuis 1875 se passa dans un effort inlassable pour attirer dans la Société Théosophique ceux qui pouvaient travailler avec altruisme à propager une éthique et une philosophie qui tendent vers la réalisation de la fraternité de l'humanité, en montrant l'unité réelle et la non-séparation essentielle entre les êtres. Ses livres furent écrits dans le but déclaré de fournir les matériaux pour un progrès intellectuel et scientifique dans cette direction. La théorie de l'origine de l'homme, de ses pouvoirs et de sa destinée qu'elle énonça en la puisant à d'anciennes sources indiennes, nous place sur un piédestal plus élevé que celui offert par la religion ou la science, car elle donne à chaque être la possibilité de développer les pouvoirs divins intérieurs et de parvenir finalement à coopérer avec la nature.

Chacun devant mourir un jour, nous ne dirons pas, dans ce sens, que son décès fut une perte ; mais, si elle n'avait pas vécu et accompli son œuvre, l'humanité n'aurait pas reçu l'impulsion et les idées la conduisant vers le bien qu'elle eut pour mission de donner et de proclamer. Aujourd'hui, il existe des dizaines ou plutôt des centaines d'hommes et de femmes, dévoués et sérieux, qui s'efforcent de purifier leur propre vie et d'adoucir celle des autres, en puisant leurs espoirs et leurs aspirations dans la religion-sagesse que ses efforts réveillèrent en Occident, et qui avouent avec reconnaissance que leurs possessions les plus chères sont le résultat de sa vie de labeur et de sacrifice.

S'ils parviennent, à leur tour, à mener leur vie dans la bonne voie et à faire le bien, ils ne feront qu'illustrer la doctrine qu'elle enseignait quotidiennement et qu'elle mettait en pratique à chaque heure de son existence.

William Q. Judge.

Article de William Q. Judge "The Esoteric She" (publié dans le New York Sun, 26 sept. 1892). La traduction littérale de ce titre serait : « L'ésotérique Elle ». © Textes Théosophiques – Cahier Théosophique n°127.

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