Dieu et la prière
Débarrassez-vous de l'idée que quelque grand Dieu écoute votre prière et y répond ou se refuse à le faire selon le cas. Un tel être n'existe pas, quel que soit son nom ; il n'y a pas non plus ce que quelques théosophes mal avisés appellent le Logos Solaire, dans le sens d'un créateur personnel extérieur à la Nature et à ses lois immuables, qui puisse vous accorder des faveurs spéciales. Il n'y a pas de puissance suprême à qui l'on puisse offrir des prières et de qui l'on puisse attendre des réponses. La Théosophie rejette une telle conception de Dieu. Notez cependant que les Théosophes ne sont pas des Athées comme on le pense quelquefois. Et vraiment, comme H.P. Blavatsky l'a si souvent expliqué : la Théosophie, et seulement la Théosophie, en tant que système scientifique de pensée, peut prouver l'existence d'un Pouvoir divin universel omniprésent. Cette idée ne nie pas plus l'existence de Dieu ou de la Déité dans la Nature qu'un homme intelligent nierait l'existence du soleil, mais elle repousse tous les prétendus Dieux des religions orthodoxes....
Nous devons donc abandonner l'idée que la prière est une pétition à un Dieu ou à des Dieux. En outre, on abuse du « culte religieux » car on n'en comprend pas les grands dangers... Comme ce culte religieux est une institution particulièrement en honneur dans les Églises chrétiennes, essayons de voir ce que Jésus lui-même enseigna à ce propos. Sur cette question, comme sur d'autres d'ailleurs, ce que Jésus enseigna et ce qui est pratiqué par les Églises se trouvent souvent en opposition. Jésus ne laissait pas ses élèves et disciples entrer dans les synagogues publiques mais Il disait : « Quand tu pries, ne sois pas comme les hypocrites... mais entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père qui est là dans le lieu secret » (Matthieu, VI, 5 et 6). C'est un fait bien connu que des gens réunis et priant ensemble murmurent des mots sur un thème, mais leurs yeux voient ce qui les entoure, si bien qu'ils ne pensent pas à ce qu'ils disent, mais à ce qu'ils voient ! Ce n'est pas seulement l'idée d'éviter l'hypocrisie, la non-concentration et l'inattention qui est contenue dans les paroles de Jésus, mais aussi la mise en garde contre quelque chose de plus dangereux et de réellement fondamental, quelque chose que connaît tout Yogi et tout Occultiste. Beaucoup de Parsis, et même quelques Hindous pensent que ce serait une bonne réforme que de suivre la pratique des églises chrétiennes : prières collectives et hymnes chantés en chœur. Une fois de plus, il y a une base de vérité dans cette pratique ; mais telle qu'elle existe de nos jours, elle est entièrement dégradée, et on n'évalue pas réellement les dangers qu'elle représente. En effet de telles formes de culte éveillent certaines forces et à moins d'avoir la connaissance et la compréhension de ses effets, il vaudrait mieux ne pas pratiquer le culte. Quelle est alors la véritable prière ?...
Qu'est-ce que la vraie prière ?
II y a trois voix dans l'homme : la voix des désirs charnels, la voix de la conscience et la voix de l'Âme... En chacun de nous il y a trois voix qui parlent... Nous pouvons limiter l'étude de notre sujet sur la prière, en l'examinant sous ces trois aspects. Il y a, en effet, une prière qui correspond à nos désirs, une autre qui correspond à notre conscience, et une troisième à notre Âme.
Le repentir et la pénitence sont des prières pour nous affranchir de l'aspect démoniaque des désirs.
L'examen de soi-même est la prière pour bien exécuter les injonctions de notre conscience.
La contemplation est la prière pour essayer d'atteindre l'Âme et d'entendre son murmure.
La première nous aidera à éviter les sensations de la voix de la chair ; la deuxième à développer et à fortifier la voix de la conscience, la troisième à éveiller le Dieu en nous. Ces trois pratiques, la pénitence, l'examen de soi-même et la contemplation, sont actuellement corrompues et dégradées et nous devons essayer d'en rétablir la méthode véritable dans nos vies. Quand il y aura plus d'hommes et de femmes qui comprendront et pratiqueront la véritable prière, ils sentiront — et non seulement eux-mêmes individuellement, mais encore leur communauté et leur pays — l'élévation de leur sagesse. Comme pour toute autre chose, la vraie réforme se produira ici également quand les individus, les uns après les autres auront abandonné les fausses méthodes de prière et adopté les vraies.
Essayons donc de comprendre le premier type de prière, dont nous avons tous besoin : le repentir, lorsque nous avons mal agi. La première vérité que nous devrions saisir est qu'il n'y a pas de force extérieure, pas de pouvoir extérieur à nous, qui puisse nous dominer, si nous ne le désirons pas et si nous ne voulons pas nous laisser dominer. Nos difficultés ne viennent pas d'un tentateur extérieur, mais de nous-mêmes qui y répondons de l'intérieur. Ne nous y trompons pas, il y a des forces de mal, de passions, de désirs qui, hélas ! entourent l'humanité. La Théosophie nous enseigne l'existence de la Lumière Astrale, qui, comme un serpent venimeux, s'enroule autour de l'humanité. Ce qu'est cette Lumière Astrale est expliqué en détail dans nos livres ; nous n'avons pas l'intention d'étudier ce sujet ici. Notez cependant ceci : si dans notre propre nature il n'y a pas de nourriture pour le serpent, il ne nous affectera pas...
Emportés par leurs passions et leurs désirs, les gens tombent dans l'erreur et commettent des actions erronées. C'est alors qu'il faut avoir recours à la force de la première sorte de prière. Le repentir n'est pas la confession ou l'absolution. Aucun prêtre, si haut soit-il, n'a le pouvoir de vous absoudre, aucun Pape ne peut vous débarrasser de vos péchés. Ce n'est pas non plus en faisant des simulacres d'incantations ou en murmurant du sanscrit, de l'avesta ou du latin que nous serons absous. Quelle est donc la pénitence correcte ? Percevoir clairement la faute commise, reconnaître intérieurement d'une façon courageuse et honnête que nous l'avons commise et faire intelligemment le nécessaire pour agir à l’encontre des effets que nous avons générés. Ce n'est pas une confession à une autorité religieuse mais à nous-mêmes et à celui qui peut avoir été la victime de notre mauvaise action. Prenons un exemple simple. Vous trompez quelqu'un en lui racontant un mensonge. Vous rentrez chez vous et votre conscience vous inquiète. Vous vous confessez à vous-même, c'est très bien. Mais ensuite ? Une prière adressée à un Dieu quelconque ne servirait à rien. Même votre résolution de ne plus raconter de mensonges n'est pas suffisante. Ce ne sont là que des méthodes de prière fausses ou incomplètes. Que faut-il donc faire ? Ayant noté votre erreur, demandez-vous pourquoi vous l'avez commise, examinez vos motifs, allez ensuite vous confesser à l'ami à qui vous avez menti, exposez-lui vos bas motifs et enfin faites le nécessaire pour dire la vérité. La prière de la pénitence, générée par le vrai repentir et la vraie confession, est l'action opposée à l'erreur commise. Si nous nous contentons d'être ennuyés, de regretter, mais ne faisons rien, nous commettrons une faute plus grave encore la fois suivante. Dans notre exemple, nous dirons un plus grand mensonge. Bien entendu, il est difficile d'admettre que nous avons menti à notre ami, et il est difficile aussi de lui dire la vérité, cela blessera notre fierté, mais si nous voulons accomplir la vraie pénitence, nous devons le faire.
La prière et l'examen de soi-même
Nous nous éviterons bien des ennuis, si nous introduisons dans nos vies l'exercice de la deuxième sorte de prière, qui développe la conscience. Son nom est l'examen de soi-même. C'est un fait bien connu que les gens qui vont à l'église ou au temple, ou prient chez eux, commettent régulièrement des fautes et ne sont pas meilleurs que ceux qui ne vont jamais au temple ou ne prient jamais. Pourquoi cela ? Parce qu'ils ne connaissent pas, ou ne pratiquent pas l'examen de conscience. Qu'ils soient vicieux ou vertueux, ceux qui n'examinent pas leurs motifs et leurs idées, leurs méthodes et leurs habitudes, sont comme des animaux. Ils peuvent vivre comme des tigres coléreux ou comme des oiseaux heureux, mais ils ne grandissent pas, ils ne progressent pas. Qu'est-ce que l'examen de soi-même ? Il s'applique tout d'abord à la conscience, et ensuite à l'Âme.
Voyons tout d'abord la pratique. Le moment le plus propice est la fin de la journée. La Nature nous oblige à examiner toute notre vie à l'heure de la mort ; nous voyons alors en détail les images du cours de toute notre vie ; c'est là un phénomène de la Nature et les hommes sages adoptent ses leçons dans la vie courante. Tous les instructeurs spirituels ont recommandé et recommandent encore cet examen de soi-même comme exercice quotidien, ou prière. Comment pouvez-vous faire cette prière ? Vous devez tout d'abord finir tout ce que vous avez à faire, vous préparer pour la nuit et être seul. Commencez alors à revoir tout ce que vous avez fait pendant la journée qui est en train de se terminer. Revoyez toutes vos activités, elles se divisent pour nous tous en quatre classes : toutes nos pensées, toutes nos sensations, toutes nos paroles, toutes nos actions. Certaines personnes commencent à la première heure du matin et remontent jusqu'à la dernière heure. D'autres procèdent inversement : elles commencent par le dernier acte et retournent en arrière. D'autres enfin séparent les quatre classes : pensées, sensations, paroles, actions. Peu importe la méthode que vous adoptez ou la façon dont vous faites cet examen de conscience, l'important est de le faire. Examinez-vous, notez vos points faibles tout comme les bons, ne forgez pas d'excuses pour vos omissions et vos fautes, n'essayez pas de justifier vos erreurs. Regardez la situation en face, soyez sincères envers vous-mêmes, soyez honnêtes. En notant les fautes qui peuvent être expiées, repentez-vous et décidez de vous imposer la pénitence convenable le lendemain. D'autre part, ne vous enorgueillissez pas, mais notez avec humilité le fait d'avoir, dans certains cas, agi avec justice, parlé avec sincérité, ressenti avec bonté ou pensé avec noblesse.
Mais il y aura une difficulté de plus. Dans certains cas, nous ne sommes pas certains de savoir si ce que nous avons fait relève du bien ou du mal. Il est relativement aisé de noter ce qui est bien et de regarder en face ce qui est mal, d'éviter l'orgueil, comme le découragement, mais que faire lorsque nous ne sommes pas sûrs, lorsque nous avons quelque doute ? Quand nous sommes sûrs de notre attitude, nous nous apercevons souvent ensuite que nous avions tort ! Il est donc particulièrement nécessaire de toujours avoir une base juste, logique et raisonnable pour nous justifier ou nous critiquer. Ne soyez pas un avocat ou un homme de loi, n'essayez pas de faire en sorte que votre client — votre soi inférieur — échappe à la punition de ses fautes, ne l'excusez pas non plus. Soyez un juge, impartial, sage, qui décide... non selon ses sentiments mais selon la Loi. Et ceci nous amène au point le plus important. Pour être un bon juge, pour rendre des sentences correctes, vous devez avoir la connaissance. C'est ici, que nous voyons la grande valeur, la nécessité capitale de l'étude. Notre rétrospection, notre examen de nous-mêmes, sera en quelque sorte stérile si nous n'avons pas la connaissance réelle du bien et du mal. C'est pour cette raison que le Bouddha enseignait à ses Bikkhus (disciples) d'examiner leur conduite à la lumière des Divines Paramitas, les Vertus inhérentes à la Nature, qui peuvent être comprises par une étude des Lois de la Nature. Exactement de la même façon qu'en prêtant attention à notre conscience et en obéissant à ses injonctions, nous évitons d'être la victime de la voix de la chair, de même en nous mettant en rapport avec de grandes et nobles idées, et particulièrement avec les lois de la Nature qui sont justes, infaillibles et immuables, nous sommes attirés de plus en plus vers la voix supérieure de notre Cœur, la voix de l'Âme, la voix du Dieu en nous.
B.P. Wadia - Extrait du « Theosophical Movement », Bombay, de février, mars, avril 1932
©Textes Théosophiques – Cahier Théosophique n°8.