Le premier article paru dans le Path sur ce sujet est intitulé « Symbolisme théosophique » (Volume I, mai 1886).
Les symboles de la Société sont contenus dans son sceau et c'est lui qui sera décrit ici en premier. Il consiste en un serpent qui forme un cercle et se mord la queue, ou (l'avale). A l'intérieur de ce cercle, l'association de deux triangles donne ce qu'on appelle le « Sceau de Salomon » ; l'un des triangles a sa pointe dirigée vers le haut, l'autre vers le bas. Celui qui est tourné vers le haut est blanc, ou de nuance approchante, avec l'autre triangle qui est foncé : c’est ainsi qu'il devrait toujours être représenté.
Sur la circonférence tracée par le serpent, et près de sa tête, se trouve, dans le plan médian de la figure, un petit cercle au milieu duquel figure le Swastika, simple croix dont les quatre extrémités sont défléchies lat6ralement. A l'int6rieur de l'espace central délimité par les deux triangles entrelacés, est figurée la célèbre croix des Egyptiens, ou croix ansée, qui est de beaucoup plus ancienne que le symbole chrétien. C'est une croix privée de son bras supérieur, qui est remplacé par un ovale dont la base étroite repose sur le sommet de la croix, en formant ainsi le bras supérieur. Ce symbole doit être de couleur blanche. Autour de l'ensemble est inscrite la devise de la Société : « Il n'y a pas de religion au-dessus de la vérité » — devise de famille des Maharajahs (grands rois) de Bénarès, la cité sacrée de l’Inde. Parfois, au-dessus du sceau, est inscrit le mot « OM », mot sacré des hindous avec la première lettre de l'alphabet sanskrit.
Tous les membres de la Société seront intéressés d'apprendre que, contrairement aux dires de certaines personnes qui prétendent avoir inventé ce sceau tel qu'il vient d'être décrit, et l'avoir créé pour la Société lors de ses débuts en 1875, en fait, bien avant cette époque, et avant que ces personnes aient même entendu parler de Théosophie, Madame Blavatsky utilisait pratiquement le même sur son papier à lettre personnel, dont quelques feuilles se trouvent dans mon bureau, ainsi que la plaque gravée originale ayant servi à imprimer ce papier. La couronne de comtesse figurait au-dessus de ce sceau et ses initiales étaient au centre, â la place de la croix égyptienne. Quelques années après que la Société eut adopté le sceau, un personnage nommé Bothell, de Bath (Angleterre), en produisit une imitation hybride en morcelant le serpent en trois parties, comme pour montrer que l'évolution s'était divisée en trois éléments hétérogènes, puis il fut imité par quelqu'un en Amérique qui vendit des amulettes et des philtres d'amour, tout en pillant généreusement tous les livres et périodiques théosophiques dans le but de faire un livre vendable sur les mystères de l'Egypte. Ces imitations puériles se dénoncent suffisamment d'elles-mêmes aux yeux de' quiconque possède quelque connaissance de la symbologie.
Notre sceau suggère l'idée de l'homme régénéré qui, symbolisé par la croix, se trouve au centre, à l'intérieur des triangles clair et sombre entrelacés, et est pris dans le cercle du grand serpent ou dragon de l'évolution et de la matière. Mais une analyse des différentes parties du tout nous permettra de comprendre et de saisir toutes ses significations. Car, en symbologie, le symbole n'est juste que s'il représente exactement toutes les idées qu'il est censé traduire et que si, dans toutes ses parties, il reste logique avec l'ensemble et se révèle compatible avec la tradition et les règles des Anciens. Il doit aussi, lorsqu'il est bien compris, être d'un caractère tel que, lorsqu'on l'observe, ou qu'on y pense en formant son image dans le mental, toutes les idées et doctrines qu'il représente reviennent à l'esprit du penseur. C'est pourquoi les symboles confus sont inutiles et ceux qui sont justes sont de la plus grande utilité. En vérité, la même règle s'applique en ce qui concerne la clairvoyance — qui constitue un sujet très différent — car, dans ce cas, le symbole, qui est formé par l'image de la personne ou de la chose que l'on désire voir par clairvoyance, peut assister le voyant, ou l'égarer, selon qu'il a quelque valeur ou non. De plus, les symboles sont précieux pour la raison plus profonde qu'à l'opposé des livres, des écrits et d'autres œuvres humaines voués â l'oubli et à la destruction au cours des âges, les grands symboles demeurent. Notre zodiaque en constitue une collection et, bien que son antiquité reste un mystère, on le trouve toujours représenté dans nos almanachs et figuré dans les livres sacrés ou les monuments de toutes les époques et civilisations. Même de nos jours, les matérialistes les plus endurcis se demandent s'il ne serait pas possible de communiquer avec les habitants d'autres planètes en utilisant des symboles, un peu comme on procède pour communiquer avec les sauvages â l'aide d'un langage par signes.
Considérons le serpent formant le grand cercle du sceau. Lorsqu'il avale sa queue il représente le cycle de l'éternité, ou la grande spirale de l'évolution ou le Manvantara [durée d’un univers]. C'est le cercle de nécessité des Egyptiens, le sentier des nombreuses réincarnations de l'âme. Le serpent par lui-même a déjà cette signification, car il rejette sa peau périodiquement, comme le fait l'homme à chaque mort de ses nombreux corps. Il signifie aussi sagesse, car le Serpent a reçu l'épithète de sage, et, comme il est indiqué dans la Doctrine Secrète, ce mot désigne aussi les Maîtres de Sagesse et de puissance. Lorsque sa queue entre dans sa gueule, le serpent symbolise la rotation perpétuelle du cercle, ou l'apparition et la disparition périodiques de l'univers manifesté. Ceci se rencontre dans presque toutes les bibles. St Jean parle du grand dragon balayant de sa queue le tiers des étoiles du ciel et les précipitant sur la terre. Autrement dit, au cours de cette vaste évolution, le serpent dont nous parlons fit descendre des Egos des étoiles jusqu'à ce globe — ou les y fit monter, si vous préférez et pensez que ce globe vaut mieux que les autres dans le ciel. Sous la forme d'un cercle, c'est le symbole de la perfection, car le cercle est la figure la plus parfaite qui, également, dans ses différentes relations, nous révèle la grande doctrine selon laquelle l'univers a été construit sur la base du nombre, du poids et du nombre, et est contrôlé ou guidé par l'harmonie, alternativement perturbée et restaurée.
Car, bien que la circonférence et le diamètre soient dans le rapport de 3 à 1, cependant, si l'on est précis, il y a un reste formé d'une suite de chiffres qui ne peut être écrite car on ne saurait en atteindre la fin. C'est là la quantité inconnue qui entre perpétuellement en jeu dans la succession des événements et qui tend toujours à restaurer l'harmonie.
Viennent ensuite, par ordre d'importance, les deux triangles entrelacés. Ils constituent le « Sceau de Salomon », ainsi appelé parce que, selon la croyance populaire, Salomon s'en servait pour agir sur les génies qui lui étaient soumis. Selon une légende courante chez les Maures, il avait emprisonné l'un des esprits de la Mer Rouge dans une jarre sur le haut de laquelle était inscrit ce sceau. Mais ce n'est guère là l'origine de ce symbole. Sur une très ancienne monnaie indienne que je possède, on peut voir le même sceau entouré de rayons de soleil ; ce graphisme était connu dans l'Hindoustan dans les temps primitifs. Deux amis brahmanes de l'auteur déclarent que ce symbole a toujours été connu de leur caste. Dans Isis Unveiled (1) (vol.II, p.266), H.P. Blavatsky en donne une très bonne explication, accompagnée de deux diagrammes illustrant sa représentation selon les hindous et les juifs. Ces triangles symbolisent également la constitution septuple de l'homme et de tout ce qui existe. Ils présentent six sommets et six triangles entourant un espace central qui constitue leur septième division et qui représente ici le septième principe ou, plus correctement, le penseur, placé au centre de l'univers et touchant toutes les choses par les six côtés, au moyen des six triangles. Les sommets de ceux-ci sont en contact avec le serpent ou la grande roue circonscrite de l'évolution, dans laquelle et par laquelle le penseur gagne l'expérience au contact de la nature. Le triangle blanc — appelé le triangle supérieur — renvoi à l'esprit, et le triangle inférieur, sombre, à la matière ; entrelacés, ils signifient, comme il est dit dans la Bhagavad Gîtâ, que l'esprit et la matière sont coéternels et à jamais unis. Dans ce sens, ils représentent également les grands opposés dans la nature et dans le mental, du bien et du mal, du jour et de la nuit, du mâle et de la femelle, de la liberté et de l'esclavage, du chaud et du froid, et des grands contrastes au moyen desquels nous pouvons finalement découvrir la vérité. Cette représentation symbolique fait l'objet d'une attention particulière dans la Kabbale. Ainsi, il est dit que sa représentation dans ce monde est une réflexion ou image inversée du véritable triangle qui se trouve dans les mondes supérieurs. Mais cette affirmation n'apporte pas grand-chose car si l'on essaie de renverser l'image sur un papier, on verra que la figure ainsi obtenue comportera un triangle noir avec le sommet tourné vers le haut, ce qui dans les textes mystiques signifie le règne de la magie noire. C'est probablement ce que voulaient dire les Caba1istes, qui s'ingéniaient à appeler ce monde le monde de ténèbres, ou l'enfer.
On peut également obtenir le trente-troisième degré de la Franc-maçonnerie à partir de ce symbole. C'est le degré du Consistoire ou Conseil, l'emblème de la grande confrérie des Sages ou des Gouverneurs, l'ensemble ou la somme de tous les autres. L'idée ainsi illustrée peut sembler nouvelle aux francs-maçons mais elle n'en est pas moins correcte. Retournez le symbole vers le bas, de manière à renverser la figure, et vous en obtenez deux ; dont l'une est, comme il est dit dans la Kabbale des Juifs, l'image de l'autre.
Prenez ensuite les deux lignes grandes obliques qui se coupent au centre de l'image, et en les utilisant comme miroirs, faites une réflexion des quatre triangles qui coupent ces deux obliques : vous obtiendrez le dessin ci-contre, dans lequel se trouvent trois petits « sceaux de Salomon » inscrits dans un plus grand. Maintenant, si l'on compte les espaces fermés ou divisions de ce nouveau diagramme, on en trouvera trente-deux (2) puis, en y ajoutant la figure prise dans son ensemble, on obtient le nombre trente-trois, ou le Consistoire, qui peut être placé dans le point au centre de l'ensemble. Ceci peut paraître fantaisiste mais ne l'est guère davantage que bien d'autres choses dans la Maçonnerie. Cela a au moins l'avantage d'être correct malgré son étrangeté. Le nombre de divisions ou d'espaces fermés, auquel s'ajoute la figure dans son ensemble conduit aussi au nombre de 33 crores [330 millions N. d. T.] de dieux ou forces de la nature comptés dans l'ancien Panthéon hindou.
Non moins ancienne et intéressante que les triangles est la croix égyptienne placée au centre même du sceau, â l'intérieur de l'espace â hexagonal, délimité par les triangles entrelacés. Cette croix devrait être d'un blanc éclatant, car elle représente l'homme régénéré, ainsi que la vie. L'ovale au sommet représente la matière et les bras inférieurs l'esprit qui, en union avec la matière, constitue la vie, â la fois matérielle et spirituelle. Cette croix est aussi le signe de Vénus. Et Vénus est la sœur aînée de la terre, selon la Doctrine Secrète. Les modifications qui nous affectent sont ressenties sur Vénus, et celles qui se produisent sur elle nous touchent également. Cette croix s'observe sur presque tous les papyrus Egyptiens. Le Livre de Job est, en réalité, une traduction quelque peu modifiée du Livre des Morts utilisé par les Egyptiens. Dans ce livre, l'âme — ou le candidat — entre dans la Salle des Deux Vérités pour y subir le jugement devant Osiris. Il s'agit de Job. En entrant, il se tient debout devant Isis, qui est une jeune fille vierge, et il dit : « J'ai fait un pacte avec mes yeux m'engageant à ne pas jeter mes regards sur une vierge ». Elle tient dans sa main le symbole illustré ici, qui représente la vie. Ce symbole se trouvait dans la main des gardiens des morts et en maints autres endroits différents. Sur les papyrus du British Museum et sur les monuments d'Egypte, ou d'Europe et d'Amérique, on le retrouve aussi très souvent. Si l'on compte la fréquence avec laquelle apparaît ce symbole sur l'obélisque apporté d'Egypte par le commandant Gorringe, et actuellement érigé dans Central Park à New York, on l'y trouve plus de trente fois. L'année dernière, en examinant un sarcophage présenté pour quelque raison â Tacome, (état de Washington), j'ai pu voir un grand nombre de ces croix peintes sur les parois. C'est l'un des plus anciens de tous les symboles.
La croix à extrémités défléchies sur le côté, située dans le petit cercle placé sur le serpent au sommet du sceau, en contact avec le sommet du triangle supérieur, est le Swastika. On le rencontre presque partout en Orient, ainsi que dans le christianisme primitif et ailleurs en Europe. Plusieurs significations lui ont été attachées ; parfois il représente le tourbillon de la volonté et aussi la « Roue de la Loi » mentionnée à la fois dans les livres bouddhistes et brahmaniques. On dit que, lorsqu'ils viennent, les Bouddhas donnent un nouveau tour à la Roue de la Loi ; et Krishna déclare à Arjuna que celui qui n'apporte pas sa contribution pour maintenir convenablement la rotation de la grande roue de l'action et de la réaction entre les deux mondes vit une vie de péché et sans but. En Inde, le Swastika représente le point ou le centre dans lequel se déversent les forces provenant du grand inconnu pour se révéler ensuite dans des manifestations variées ; il est également une représentation de la grande meule des Dieux, au centre de laquelle se tient l'âme et où sont entraînées toutes les choses par la rotation de l'axe pour y être broyées, amalgamées et transformées mainte et mainte fois.
Nous terminerons ici l'analyse du sceau de la Société. En 1875, â la demande du Colonel Olcott, l'auteur du présent article dessina un modèle d'épingle destinée à l'usage des membres et qui fut réalisé pour la première fois par un joaillier de Malden Lane. Cette épingle représente le serpent associé au tau Egyptien de manière à former le sigle « T.S. ». L'illustration ci-contre en donne une image d'après une matrice faite l'an dernier à partir de l'ancien dessin, à un moment où les épingles commencèrent à être d'un usage plus fréquent que précédemment. Actuellement, un bon nombre de membres en Amérique et en Europe portent cette épingle symbolique. Le Colonel Olcott en possède une qui lui fut offerte par un théosophe New Yorkais juste avant le dernier congrès de Londres.
Le mot sanskrit « AUM », placé au sommet du sceau, ainsi que la devise, sont des additions ultérieures, adoptées après la venue en Inde de Madame Blavatsky et du Colonel Olcott. Dans la position qui lui est assignée, le mot AUM doit être lu comme la « Fontaine de Lumière, le Soleil qui illumine notre esprit, et le but de nos efforts » — c'est-à-dire, la vérité, car la Théosophie nous prouve constamment qu'« Il n'y a pas de religion au-dessus de la vérité ».
William Q. Judge
Article publié dans la revue The Path, avril 1892 (N.d.T.).
Notes
(1) En français : Isis Dévoilée (N.d.T.). (retour texte)
(2) Soit 26 triangles, 4 losanges et 2 trapèzes (N.d.T.). (retour texte)