Dans mon dernier article, « Mesmérisme » [publié dans le Cahier Théosophique n°22], j'en suis arrivé à la conclusion que l'homme mortel intérieur possède plusieurs enveloppes par lesquelles il entre en contact avec la Nature, perçoit ses mouvements et manifeste d'autre part ses propres fonctions et pouvoirs. C'est une doctrine aussi ancienne que n'importe quelle École Ésotérique existant de nos jours, et remontant à une époque bien antérieure à la création de nos académies scientifiques modernes. Il est absolument nécessaire que nous la comprenions, si nous voulons arriver à une interprétation exacte du véritable Mesmérisme.
Au lieu de considérer que l'être humain est uniquement ce que nous en voyons, il nous faut l'envisager comme un être tout à fait différent, qui fonctionne et perçoit d'une façon qui lui est propre, et qui est obligé de traduire toute impression extérieure, comme aussi celles provenant de l'intérieur, d'un langage en un autre, c'est-à-dire d'images en mots, signes et actes, ou vice versa. Le manque de précision provient des difficultés d'une langue qui, jusqu'à présent, n'a guère eu à traiter de tels sujets, et dont le développement s'est poursuivi dans une civilisation tout à fait matérialiste. L'homme est une Âme et en tant qu'Âme il se tient au milieu des objets matériels. Si, d'une part, cette Âme évolue vers les états supérieurs, pour elle-même, elle est obligée en même temps d'élever, d'affiner, de purifier et de perfectionner la matière dite « grossière » dans laquelle elle est astreinte à vivre. Car, bien que nous appelions du nom de « matière » les états les plus denses de la substance, elle n'en est pas moins formée de « vies » qui ont en elles la potentialité de devenir des Âmes, dans un avenir immensément éloigné ; et l'Âme étant elle-même une vie constituée de vies plus petites, elle se trouve dans la nécessité de rester, par fraternité, dans les liens de la matière, jusqu'à ce qu'elle soit arrivée à donner à cette dernière l'impulsion nécessaire pour la faire progresser sur le sentier de la perfection.
Ainsi, durant les âges incalculables qui se sont écoulés depuis le début de l'évolution actuelle de notre système solaire, l'Âme a construit pour son propre usage diverses enveloppes, allant de celles faites de matière la plus fine, très proches de sa propre nature essentielle, jusqu'à celles qui en sont le plus éloignées, en terminant par l'enveloppe physique extérieure, la plus illusoire de toutes, bien qu'apparaissant au dehors comme la seule vraiment réelle. Ces enveloppes sont indispensables si l'Âme doit apprendre ou agir. Car, par ses seuls pouvoirs elle est incapable de comprendre la Nature ; au moyen de ces diverses enveloppes, elle traduit instantanément toutes les sensations et idées suivant une chaîne de processus qui lui permet finalement de guider le corps ici-bas, ou d'obtenir elle-même des expériences des plans supérieurs. Je veux dire par là que tout ce que l'Âme veut exprimer doit passer par les différentes enveloppes, chacune transmettant pour ainsi dire son message à l'enveloppe inférieure qui lui fait suite ; de la même façon, elles transmettent l'impression de bas en haut, dans le cas de sensations provenant de phénomènes naturels extérieurs. Dans les premiers temps de l'évolution, dans toutes les premières étapes, cette transmission exigeait une durée appréciable, mais au point où nous en sommes de l'avancement du système sur la ligne évolutive, elle requiert un laps de temps si infinitésimal que nous sommes en droit de l'appeler instantanée, dans le cas de personnes normales et bien équilibrées. Il existe naturellement des exemples où une durée plus longue est nécessaire par suite de l'activité ralentie de l'une ou l'autre des enveloppes.
Le nombre d'enveloppes bien distinctes de l'Âme est de sept, mais leurs différenciations secondaires donnent un nombre apparent beaucoup plus élevé. D'une façon générale, chacune se divise en sept subdivisions, et celles-ci participent toutes de la nature de leur classe particulière. L'on peut donc dire qu'il existe quarante-neuf enveloppes susceptibles d'être classifiées.
Le corps physique peut être considéré comme une enveloppe dont les subdivisions seraient la peau, le sang, les nerfs, les os, la chair, les muqueuses, etc...
Le corps astral en est une autre, mais les hommes d'aujourd'hui ne le reconnaissent pas aussi facilement. Il possède ses propres subdivisions qui correspondent en partie à celles du corps physique. Mais se trouvant d'un degré plus élevé que ce dernier, il comprend plusieurs subdivisions du corps physique dans une seule des siennes. Par exemple, les sensations périphériques du sang, de la peau, de la chair et des muqueuses sont comprises dans une seule subdivision astrale.
Et sur ce point précis, les Écoles Ésotériques diffèrent de la pathologie et physiologie modernes et apparaissent en contradiction avec elles. Car l'école moderne prétend que les nerfs seuls reçoivent et transmettent les sensations dans la peau, les muqueuses et la chair. En apparence, il semble en être ainsi, mais les faits envisagés de l'intérieur sont différents, ou plutôt beaucoup plus nombreux, et ils conduisent à des conclusions supplémentaires. De même aussi, nous nous heurtons aux idées professées par le XIXème siècle au sujet du sang. Nous disons que les cellules du sang et le liquide qui les charrie sont à même de recevoir et de transmettre des sensations.
Chaque subdivision des enveloppes physiques remplit non seulement la fonction de recevoir et de transmettre des sensations, mais elle a aussi le pouvoir d'en retenir le souvenir, qui est enregistré dans le ganglion approprié du corps d'où il va s'inscrire — par une chaîne de transmission continue — dans le centre correspondant de sensation et d'action du corps astral. En même temps, le cerveau physique a toujours le pouvoir, ainsi qu'il est bien connu, de collecter toutes les sensations et impressions physiques.
Ayant exposé ces données, sans présenter d'arguments — ce qui est inutile si on n'y joint pas de démonstrations physiques — passons au point suivant. L'homme inférieur qui récolte, pourrait-on dire, pour l'usage de l'Âme toutes les expériences des plans inférieurs à celle-ci, peut, à volonté s'il est exercé, ou involontairement s'il y est forcé par une intervention extérieure, un accident, ou une anomalie de naissance, vivre dans le champ des sensations et des impressions d'une ou de plusieurs enveloppes du corps physique ou du corps astral.
S'il est exercé, il ne sera pas induit en erreur, ou s'il est victime d'une illusion momentanée, il la dissipera aisément. Si, au contraire, il n'est pas discipliné, l'illusion et l'erreur entacheront toutes les sensations. Si l'organisme est malade, ou contraint d'agir par la force, les actes extérieurs peuvent être accomplis d'une façon correcte, mais l'intelligence libre est absente, et il se produit toutes les hallucinations et illusions des états hypnotiques et mesmériques.
Si l'homme intérieur inférieur fonctionne dans le champ des sensations de quelque centre ou sens astral, ou si l'on préfère, s'il vit dans le plan de ce centre, il se produit de la clairvoyance ou de la clairaudience, du fait que l'homme intérieur rapporte au cerveau les impressions correspondantes provenant de plans de la nature semblables en tout point.
Et lorsqu'à ceci s'ajoute un contact partiel avec quelque subdivision physique mineure des enveloppes, l'erreur n'en est que plus grande, car l'expérience d'un groupe limité de cellules est prise pour une impression subie par tout l'organisme, et cette expérience est transmise par le cerveau dans le langage employé par un être normal. Et, en réalité, les combinaisons possibles sont si vastes dans ce domaine que je n'en ai mentionné que quelques-unes en guise d'exemple.
Cette possibilité de l'homme intérieur inférieur de s'unir à une ou plusieurs enveloppes, en restant séparé de toutes les autres, a conduit l'une des écoles françaises d'hypnotisme à la conclusion que tout homme est un ensemble de personnalités dont chacune est complète en elle-même.
Les positions adoptées ci-dessus ne sont pas contredites par le fait observé à Paris et à Nancy qu'un sujet en état d'hypnose n° 2 ne connaît rien de l'état n° l, car toute personne saine, fonctionnant normalement, synthétise tous les divers groupes de sensations, d'expériences et de souvenirs en un tout global représentant intégralement leur somme totale, dans laquelle les différents groupes constitutifs ne se distinguent plus de l'ensemble.
Il importe aussi de se souvenir que chaque personne a suivi telle ou telle ligne d'action dans ses vies antérieures, qui a exercé et développé telle ou telle enveloppe particulière de l'Âme. Et, bien qu'à la mort beaucoup de ces enveloppes soient détruites en tant qu'ensembles collectifs, le résultat de leur développement passé n'est pas perdu pour l'être qui se réincarne. Il est conservé grâce aux lois mystérieuses qui guident les atomes, lorsqu'ils se groupent à la naissance d'une nouvelle demeure personnelle, destinée à être habitée par l'Âme qui revient sur terre. Il est bien connu que les atomes, physiques et astraux, ont passé par toute espèce d'expériences ou d'entraînement. Quand l'Âme se réincarne, elle attire à elle les atomes physiques et astraux qui, autant que possible, ont subi des expériences du même ordre que les siennes dans le passé. Souvent, elle retrouve une certaine quantité de la matière dont elle a fait usage dans sa vie antérieure. Et si les sens astraux ont fait l'objet d'une attention spéciale et d'un développement particulier dans l'existence précédente sur terre, l'être qui naît sera un médium ou un véritable voyant, ou un vrai sage. Tout dépend de l'équilibre fondamental des forces réalisé dans la vie antérieure. Par exemple, une personne qui s'est essentiellement occupée, dans une autre incarnation, de développement psychique, sans s'attacher à la philosophie, ou qui a commis d'autres erreurs, renaîtra peut-être comme un médium irresponsable ; un autre être, du même genre, pourra revenir sur terre comme clairvoyant partiel, tout à fait indigne de confiance ; et ainsi de suite ad infinitum.
Renaître dans une famille de purs dévots et de sages authentiques a toujours été considéré dans le passé comme une réalisation très difficile à atteindre. Cette difficulté peut être vaincue graduellement par l'étude philosophique et par l'effort altruiste en vue d'aider les autres, joints à la dévotion envers le Soi Supérieur, en poursuivant dans ce sens durant de nombreuses vies. Toute autre sorte de pratique conduit à un égarement plus grand encore.
L'Âme est liée au corps par une soumission aux passions du corps, et inversement. Elle en est libérée lorsqu'Elle devient impassible devant les sollicitations du corps.
Ce que la Nature lie, la Nature le sépare aussi ; et ce que l'Âme lie, l'Âme de même le sépare. Ainsi, la Nature a lié le corps à l'Âme, mais l'Âme s'attache elle-même au corps. La Nature, donc, libère le corps de l'Âme, mais l'Âme se libère elle-même du corps.
Il existe par conséquent une double mort : la première, universellement connue, libère le corps de l'Âme ; mais l'autre, particulière aux philosophes, permet à l'Âme de se libérer du corps. Et l'une ne fait pas nécessairement suite à l'autre.
W.Q. Judge
Cet article fut publié pour la première fois par W. Q. Judge dans la Revue Lucifer de juin 1892
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