Nous sommes dans une époque de bon sens, et chaque système de pensée ou chaque théorie doit donner la preuve de son utilité. On reproche fréquemment aux Églises, de fidéliser sur la base d’une simple croyance si peu profitable. Leurs multiples crédos ont évolué constamment au cours des siècles au grè des controverses théologiques ou du progrès de la science, et aujourd’hui elles se présentent en sectes divisées, chacune ayant un attirail de réponses bigotes sur tout. Une proportion, non des moindres, de ces sujets concerne des thèmes éloignés de la vie pratique, et vérifiables. Ces sujets concernent des questions comme le nombre et la nature des Êtres Divins, le caractère et la portée de la Volonté Divine, l’immuabilité de la vie future, les meilleures formes de sacrements ecclésiastiques, etc. – peu de preuves sont données, et s’ils sont démontrés, ils n’ont pas d’application pratique. De plus, qu’il y ait, un ou trois Dieux, prédestination ou pas, que les méchants soient condamnés à une peine éternelle ou temporaire, que le baptême soit efficace pour gagner le pardon, il est évident que toutes ces sectes n’ont pas fait de cette terre un lieu digne de recevoir l’influence divine ou de nous libérer des maux dont c’est pourtant leur rôle de nous délivrer. Les Églises sont assurément en échec dans leur rôle de propager la morale, combattre le mal, et régénérer la société. Hélas, pratiquement plus personne ne pense qu’elles puissent régénérer la société. La multiplication des petites sectes n’a rien fait pour enrayer cette dérive.
Les choses étant ainsi, il est évident qu’ajouter une nouvelle croyance ne changera rien. Le philanthrope et le croyant dévoué sont tous deux intéressés par le progrès humain, mais si une solution de progrès leur est présentée, ils rappellent qu’une simple croyance ne suffit pas. Ils disent, avec beaucoup de vérité, que nous n’avons pas besoin d’une nouvelle tribune ou Église, mais de quelque chose de nouveau et d’une impulsion fraîche. Si la Théosophie ne peut proposer de but meilleur que les sectes actuelles, si elle ne peut éveiller de meilleurs motifs, ni montrer des résultats plus palpables et probants, il est probable qu’elle sera rapidement rejetée. Mais, d’un autre côté, si elle offre une perspective meilleure et une impulsion plus stimulante, et si elle peut prouver son efficacité là où les solutions conventionnelles ont échouées, alors elle attirera l’attention. L’aspect doctrinal est secondaire, bien qu’il soit mieux, évidemment, qu’un système éthique reposent sur une base rationnelle.
Voyons si un système nouveau, tel que la « Théosophie », qui a récemment attiré l’attention de nos penseurs, possède les qualités requises pour se substituer aux religions présentes qui n’ont pas été capables de réformer l’humanité. La Théosophie peut-elle le faire ?
Premièrement – La Théosophie abolit la cause du mal et de la plupart des souffrances de la vie.
La cause du mal est dans l’attitude égoïsme. Chaque forme de malhonnêteté, violence, offense, fraude, incivilité, résulte du désir de satisfaire son but égoïste, au détriment du droit d’autrui. Toute agression vis-à-vis des autres, toute tentative pour s’approprier leur confort, biens, ou projets, tout efforts pour les rabaisser, écarter, ou humilier, montre qu’on veut en priorité satisfaire un projet personnel. C’est également vrai des vices personnels, de l’impiété et du mépris personnel à toute autorité divine. Ainsi la racine de tout le mal vis-à-vis du Divin, des autres hommes, ou nous-mêmes réside dans l’amour égoïste, un amour de soi si fort qu’il sacrifie tout pour satisfaire ses propres fins.
Cette complaisance à deux conséquences. Premièrement, les souffrances causées par la convoitise, la déception, la jalousie, et tous les causes et passions fortes qui affectent la pensée centrée sur son moi, et ne permettent pas l’expression des joies nobles et douces, qui sont le fruit de la bienveillance et de l’altruisme. Deuxièmement, les divers modes de punitions que la société est obligée de prendre, pour se protéger, des graves agressions – centres de travail, prisons, et gibets qu’aucun pays civilisé, ni église, n’exclutent. Et si nous tentons d’imaginer quelle serait une société universelle, où il n’y aurait plus d’égoïsme parmi les hommes, nous pensons à un pays sans tribunaux, prisons, ou policiers, sans spéculation, chicanerie, ou tromperie, et une communauté où aucun cœur ne convoiterait, où il n’y aurait ni artifice, tristesse et souffrance. La cause de la souffrance universelle serait éradiquée, et tarie à sa source.
Maintenant voici ce qu’enseigne la Théosophie. Sa doctrine cardinale est l’absolue égalité des droits de chaque homme et l’obligation universelle de les respecter. Si les biens de mon voisin – sur le plan affectif, matériel, bonheurs, et autres – sont à considérer tout autant que les miens, et si je le ressens, je ne convoiterais rien. Plus encore, si je ressens la nécessité d’une vraie fraternité parmi les hommes, et si je suis en accord avec la loi de sympathie qu’elle implique, si je réalise que le plus grand plaisir est de donner de l’amour plus que d’en recevoir, je ne serais plus un pacifique passif, mais un bienfaiteur actif. En d’autres mots, je serais un vrai philanthrope. Alors je serais pleinement heureux, car “celui qui donne sa vie, sera sauvé”. C’est une parole chrétienne ? Très bien ‒ c’est aussi la pure Théosophie !
Deuxièmement – La Théosophie affirme constamment cette vérité que tout acte bon ou mauvais recevra son dû.
La plupart des systèmes religieux affirment l’inverse. Ils promettent généralement l’absolution des péchés et une béatitude post-mortem acquise sans mérite. Mais si le salut peut s’obtenir sans mérite, et les devoirs délégués à d’autres, le chaos s’installe dans l’ordre moral du monde. En plus, les injustices criantes de la vie humaine, qui affligent tout cœur aimant et en blesse d’autres, sont incalculables. Toutes les inégalités, contradictions et instabilités autour de nous sont si fortes et sans solutions. Pourquoi le mal prospère et le bien s’appauvrit et ce mystère rester insondable. Une obscurité recouvre les plus grandes interrogations humaines.
La Théosophie éclaire d’un coup tous ces problèmes. Elle insiste sur le fait que les causes morales ne sont pas moins efficientes que les causes physiques, et qu’un effet, bon ou mauvais, sera la conséquence certaine de tout acte moral. Il n’y a pas d’échappatoire, ni perte, ni rien d’incertain. La loi est absolument immuable et infaillible. Chaque centime qui est dû devra être remboursé, par son débiteur. Pas nécessairement en une vie, mais quelque part et d’une certaine manière le long de la grande chaîne des incarnations jusqu’à ce que justice soit faite. Les effets de causes générées sur le plan moral peuvent devoir se dissiper dans des circonstances physiques.
Si l’absence d’égoïsme est à la base du renouveau social, Karma – tel est le nom de cette doctrine de justice – doit en être l’agent. Rien ne lui échappe – ni le bien, ni le mal, ne peuvent mourir sans laisser de trace. Le résultat d’une action est aussi certain que l’action elle-même. Comment cette philosophie ne serait-elle pas pratique puisqu’elle abolit tous les obstacles qui empêchent de comprendre la loi de causalité, et l’essence de tout son mode d’opératoire ?
Troisièmement – La Théosophie affirme que l’homme est le créateur de sa destinée.
Les croyances religieuses parlant « d’élus », de « prédestinés » et de « préscience » sont de plus en plus contestés ; comme le sont les théories semi-matérialistes basées sur la « chance », le « destin » et le « hasard ». Toute théorie qui évince l’idée de la responsabilité de chacun ou paralyse l’effort individuel est écartée. La Théosophie n’a rien de tout cela. Elle insiste sur le fait que nous ne sommes le résultat de nos choix passés, et qu’il n’y a pas de pouvoirs au-dessus ou en-dessous de nous qui puissent nous contrecarrer ou faire dévier, d’une destinée qui est entre nos mains. Nous pouvons saisir en pensée la beauté d’un futur où l’homme aura réalisé sa destinée divine, par une purification toujours plus grande de tout ce qui en lui est sensuel, égoïste, rapetissé. Dans cette perspective, nous pouvons affronter le combat nécessaire pour gagner ce but lointain. Ou bien, aveuglés par nous-mêmes, aspirant uniquement à ce qui est transitoire et matériel, nous restons attachés à nos joies présentes, insouciants des autres et de la loi karmique. Mais quel que soit l’idéal choisi, quel que soit l’effort, le résultat sera dû à nous-mêmes. Aucune Divinité ne favorisera un combattant pour qu’il gagne le Ciel, et aucun Démon ne précipitera l’égaré dans des souffrances prédestinées. Nous sommes le résultat de nos actions passées ; nous serons ce que nous aurons choisi d’être.
Venons-en au fait de la réincarnation. Une seule vie ne suffit pas pour assurer le plein développement de l’homme. Encore et encore il devra revenir sur terre, pour éveiller ses qualités, développer son expérience et acquérir la discipline, chaque parcours terrestre détermine la nature de que sera sa prochaine incarnation. Il en résulte deux choses : premièrement, notre condition présente résulte de ce que nous avons semé dans les vies passées, et deuxièmement, nos habitudes présentes déterminent ce que nous serons dans la vie suivante. Le pouvoir de développement est en nous-mêmes ; cultiver les idéaux, avancer volontairement et viser le but désiré. L’équité est que tout homme devienne ce qu’il désire être.
Parmi les nombreuses solutions émises depuis le passé pour améliorer la condition humaine, il n’y en a pas qui soit aussi rationnelle, juste, impartiale, élevée, motivante, que celle que propose la Théosophie. Il n’a plus de distinctions ni de conceptions artificielles. La racine de toutes les causes de séparation et d’inimitié – dues à l’égoïsme – est perçue et dénoncée. L’inflexibilité de la loi morale est vivement affirmée. Chacun doit atteindre le but par lui-même. Ainsi sont écartés tous les artifices et les controverses des théologiens, et on peut marcher le sentier du plus haut idéal spirituel. Si on comprend que rien ne peut se perdre, même du plus minime, dans le bilan des nombreuses incarnations successives, et que chacun reçoit le fruit de ses choix, on peut atteindre le but visé. La Théosophie permet ce qu’aucun autre système n’a encore fait ou ne peut faire à ce degré : solliciter la conscience morale, développer le sens moral, et purifier le motif moral. Elle est à la fois pratique et réaliste.
La Théosophie peut, alors, devenir un guide dans la vie. Quand le but est clair, et qu’on est convaincu que l’atteinte du but recherché dépend de nous-mêmes, la question de la qualité de chaque acte devient vite évidente. Est-ce qu’une action est égoïste, non fraternelle ou belliqueuse ? Si oui, elle n’est pas Théosophique. Conduit-elle à l’altruisme et au progrès spirituel ? Si oui, elle est Théosophique. Le test est simple et pas difficile, et s’il en est ainsi le but peut être atteint. Celui qui veut progresser à travers les arcanes de la vie n’a pas besoin d’un prêtre ou d’un intercesseur. Il doit rechercher la lumière de l’Esprit Divin toujours présente en lui-même, rester confiant en la possibilité de s’unir au Suprême et certain du résultat de ses efforts. Il sait qu’il est responsable de ses choix, et qu’il peut avancer en harmonie, espérance, joie, libre, et certain de la justice et du succès. Fortifié dans une foi de celui qui respecte la Nature et ses lois, il poursuit le chemin de la destinée que la Théosophie propose à chaque Homme.
Texte anonyme attribué par certains à W.Q. Judge, ou l'un de ses collaborateurs.
Texte publié dans le Theosophical Siftings de 1889-1890 (par Theosophical Publiishing Society à Londres)